Prison et logement social

Publié le 06/03/2023 Vu 2 356 fois 0
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L’article 55 de la loi SRU impose un minimum de logements sociaux dans les communes des agglomérations importantes. Un sénateur a suggéré que les cellules de prison soient prises en compte pour ces quotas.

L’article 55 de la loi SRU impose un minimum de logements sociaux dans les communes des agglomérations impo

Prison et logement social

Un article de loi célèbre

 

Par la loi 2000-1208 du 13 décembre 2000 dite SRU (relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain), le législateur a imposé des quotas de logements sociaux dans la plupart des communes importantes.

 

L’article 55 de cette loi impose 25 % de logements sociaux dans les communes de 3500 habitants (1500 habitants dans l’agglomération parisienne) lorsqu’elles sont intégrées à une agglomération de 50 000 habitants avec une ville de plus de 15 000 habitants en son sein. Ce taux peut être abaissé à 20 % dans des zones fixées par décret où les besoins en logements sociaux sont plus faibles.

 

Les règles en question peuvent être lues à l’article L. 302-5 du Code de la Construction et de l’Habitation.

 

Comme l’a rappelé le sénateur Dallier dans un rapport d’information, l’article 55 de la loi SRU est l’un des textes les plus connus de notre législation (rapport du 10 mars 2021).

 

Des carences fréquentes

 

Le rapport en question donne de nombreuses statistiques.

 

Il apparaît que de nombreuses communes ne sont pas en mesure de respecter les obligations qui leur sont imposées.

 

Elles préfèrent donc subir un prélèvement de solidarité sur leurs ressources et sont ainsi punies là où ça fait mal, c’est-à-dire au porte-monnaie (article L. 302-7 du CCH).

 

Des élus tentent d’y échapper et veulent ainsi avoir tout à la fois le beurre (absence de pauvres dans leurs communes), l’argent du beurre (absence de prélèvement de solidarité) et le lait de la crémière (absence de stigmatisation de leur attitude).

 

L’exemple le plus récent est la question posée par un sénateur du Nord issu du centre-droit (Horizons), mouvement qui participe à l’actuel gouvernement. Il a demandé que les cellules de prison soient considérées comme relevant du logement social, pour aider certaines communes à remplir leurs obligations. Au soutien de sa démonstration, il citait les logements en EHPAD, en centre d’hébergement et de réinsertion ainsi qu’en centres d’accueil des demandeurs d’asile.

 

Le gouvernement actuel a néanmoins refusé cette assimilation.

 

Régime juridique distinct

 

Comme le relève le gouvernement à propos des cellules de prison, « comptabiliser ces cellules à l'inventaire SRU conduirait à augmenter artificiellement le taux de logement social des communes concernées et à diminuer facialement la nécessité de développer une offre de logement abordable à destination des habitants. Dès lors, il n'est pas envisagé par le Gouvernement de proposer d'assimiler ces lieux privatifs de liberté à des logements sociaux » (JO Sénat, 20 octobre 2022, p. 5200).

 

Malgré les abus en EHPAD, les difficultés dans les centres d’hébergement et le caractère parfois dégradé des locaux destinés aux demandeurs d’asile, ces lieux ne sont pas des prisons. Les personnes qui les occupent sont libres d’y venir.

 

La question du sénateur du Nord était d’autant moins compréhensible que la jurisprudence administrative est claire.

 

Le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 sur la décence des habitats ainsi que les articles du Code de la Construction et de l’Habitation relatifs aux logements ne sont pas applicables aux prisons (CAA Nantes, 3e ch., 20 juin 2013, n° 12NT01050).

 

L’assimilation des prisons au logement social n’est donc pas seulement déplaisante pour les citoyens. Elle est juridiquement dénuée de tout sérieux.

 

Des réticences fréquentes

 

Notons que ces refus d’appliquer l’article 55 de la loi SRU sous des prétextes divers et pas toujours rigoureux juridiquement n’est pas nouveau. Cela chagrine souvent des militants chrétiens sociaux qui demandent, depuis la Libération, que les quartiers les plus aisés accueillent aussi les populations aux revenus modestes.

 

L’Abbé Pierre, résistant puis député du MRP (Mouvement Républicain Populaire, démocrate-chrétien, centre-droit) entre 1945 et 1951, fut à la pointe de ce combat. Cet intervenant célèbre avait d’ailleurs des amis de tous bords, notamment à droite et au centre. Il regrettait que les élus de communes favorisées issu de la même tendance politique que lui refusent de construire des logements accessibles aux plus démunis.

 

En 2006, il insistait encore auprès des députés pour qu’ils n’allègent pas les obligations de la loi SRU (article du Monde, 13 avril 2006).

 

La Fondation Abbé Pierre rappelle fréquemment les propos de cet homme d’Église concernant « l’indignité » de ceux qui s’abaissent à ne pas respecter la loi (« SRU : une loi indispensable face aux communes récalcitrantes »).

 

Une inertie ancienne

 

Or, après son appel de février 1954, l’Abbé Pierre avait réuni des comités d’action pour les sans-logis. L’un d’eux avait, par exemple, demandé au maire de Saint-Maurice, une commune huppée proche de Paris, de faire plus d’efforts pour loger les sans-abris.

 

Les militants du comité indiquaient : « nous avons réalisé un fond de caisse, malheureusement, très insuffisant et désespérant pour une commune comme St-Maurice, où un grand nombre de personnes sont très aisées » (Des Toits et des Hommes, février 1956, pp. 16 à 20). Les militants indiquaient également qu’ils agissaient « avec la collaboration du clergé ».

 

Suite à leur lettre, le maire de Saint-Maurice a répondu : « À moins d’une opération par la force, à la manière des ‘‘squatters’’ anglais, prenant d’autorité possession d’une maison, je ne vois pas comment on pourrait en sortir. Mais c’est un moyen illégal qu’il n’est pas en mon pouvoir de recommander ».

 

Dignité humaine

 

À la page suivante, un ecclésiastique, l’Abbé Bécourt, lui a répondu indirectement dans une tribune où il appelait à agir pour loger les familles aux revenus modestes et à « construire hors de Paris et des agglomérations surpeuplées, là où les attendent de l’air, de l’espace, de la beauté, des possibilités d’épanouissement dans un cadre et une vie sociale plus humains » (Des Toits et des Hommes, février 1956, pp. 21 à 23).

 

L’épanouissement de la personne humaine a été un élément au centre des préoccupations de la Résistance, qu’elle soit conduite par des gaullistes, des communistes, des socialistes ou des chrétiens. Les propos de l’Abbé Bécourt s’inscrivaient parfaitement dans ce sillage.

 

Cet héritage s’intègre désormais à nos normes constitutionnelles, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel (décision n° 94-359 DC, 19 janv. 1995) :

 

« 5. Considérant qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ‘‘La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement’’ ; qu'aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la nation ‘‘garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence’’ ;

6. Considérant qu'il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;

7. Considérant qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ; »

 

Assimiler la prison au logement social constituerait une provocation déraisonnable et irait à l’encontre de cet objectif à valeur constitutionnelle.

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