Syndic liquidé : copro à la sicilienne ?

Publié le Modifié le 01/03/2023 Vu 5 776 fois 0
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Représentant légal du syndicat des copropriétaires, le syndic peut parfois être mis en liquidation. Hélas, il conserve alors son mandat. Qui protège ensuite les intérêts des copropriétaires ayant ensemble des créances sur le syndic ?

Représentant légal du syndicat des copropriétaires, le syndic peut parfois être mis en liquidation. Hélas

Syndic liquidé : copro à la sicilienne ?

Une remarquable solution ancienne

 

Comme l’a rappelé la Cour de cassation, le syndic, représentant légal du syndicat des copropriétaires, reçoit un mandat de la part de ce dernier et est, dans ce cadre, tenu de pourvoir au mieux aux intérêts dudit syndicat (Cass., 3e civ., 21 oct. 2009, n° 08-19.111).

 Or, le mandat est un acte par lequel une personne donne pouvoir à une autre de faire quelque chose (article 1984 du Code civil).

Et, depuis 1804, l’article 2003 du Code civil prévoit que le mandat prend fin à la déconfiture du mandataire ou du mandant (la réforme de 2009, n’y ayant rien changé, voir lien).

La déconfiture est le nom traditionnel de la mise en liquidation judiciaire.

Aussi, très logiquement, lorsqu’un syndic était mis en liquidation judiciaire, il était considéré que son mandat tombait automatiquement., à l’image de ce qui arrivait à tous les mandataires (Cass. com., 1er déc. 2009, n° 07-21.441).

 

Réforme désastreuse et revirement catastrophique

Malheureusement, la Cour de cassation a changé d’avis depuis.

Elle considère désormais que les mandats, qui sont des contrats, doivent suivre le régime prévu pour tous les contrats conclus par des entreprises antérieurement à leur liquidation (Cass. com., 28 juin 2017, n° 15-17.394).

Cela résulte d’une déplorable réforme intervenue suite à une ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 qui a créé un article L. 641-11-1 I du Code de commerce.

Selon ce texte :

« Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire.

Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture. Le défaut d'exécution de ces engagements n'ouvre droit au profit des créanciers qu'à déclaration au passif. »

Cela revenait à écarter l’application de l’article 2003 du Code civil.

La Cour de cassation n’avait alors pas d’autre choix que de trancher comme elle l’a fait.

 

Le poids des réseaux

Cette évolution prouve l’imperfection de nos institutions qui ont trop longtemps permis à un président détenant la majorité absolue à l’Assemblée nationale de faire n’importe quoi par voie d’ordonnance, sans aucun débat parlementaire.

Des réseaux d’influence dangereux en profitent alors pour faire passer des réformes catastrophiques et irréfléchies.

En copropriété, l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation implique qu’un syndic mis en liquidation, et qui a plusieurs années de mandat devant lui, peut faire couler un syndicat des copropriétaires. En effet, le mandat d'un syndic peut aller jusqu'à 3 ans. Cela laisse du temps pour causer bien des problèmes.

Un syndic ne peut qu'être révoqué en cours de mandat qu'en cas de faute. Dans le cas contraire, une indemnité lui est due (Cass, 3e civ., 8 mars 2018, n° 17-12.506).

Ensuite, lorsqu'un syndic est mis en liquidation et qu'il est paralysé jusqu'à la fin de son mandat, ce sont les pouvoirs publics qui doivent payer les pots cassés en matière d’impayés accumulés, de locaux dégradés et d’insécurité croissante due à l’arrivée de dealers ou de proxénètes, notamment.

 

Seule échappatoire : le constat de carence

Dès la liquidation, c'est le liquidateur judiciaire qui devient représentant légal de l'entreprise syndic (art. L. 237-24, Code de com.). Il doit donc administrer les immeubles pour lesquels le syndic détient déjà un mandat. La seule consolation est qu'il ne peut pas conclure de nouveau contrat de syndic, sauf décision du juge.

Aussi, pour les copropriétaires, il est alors impératif de mettre en demeure le liquidateur judiciaire d’opérer un acte bien précis. Si cet acte n’était pas accompli, cela entraînerait la responsabilité pour faute du syndicat.

Notons que cet acte doit être nécessaire à la sécurité de tous ou son absence doit provoquer des troubles de jouissance indemnisables au vu de la jurisprudence.

On peut évoquer à ce titre les obligations de vigilance et d’entretien du syndic (désinsectisation, déneigement, gestion d’un sinistre, travaux urgents…).

Sur la gestion des sinistres, on peut évoquer l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 4e ch. 17 mai 2018, RG 16/20141 (Revue des loyers, juill. août, sept. 2018, n° 989 p. 381, obs. Stéphane BENILSI).

Sur les insectes, notamment xylophages, on peut évoquer la Cour d’appel de Paris Pôle 4 ch. 2 25 sept 2013 n° 11/08539 (Loyers et Copropriété, janv. 2014, com. 35, obs. Guy VIGNERON).

Sur le déneigement, il faut voir l’arrêt Cass. 3e civ., 12 juillet 2018 n° 17-16.967.

Sur le défaut de réalisation de travaux urgents nécessaires, on peut lire Cass. 3e civ., 10 janvier 2012, n° 10-26.207.

 

Révocation pour faute

Une fois la carence du syndic avérée, le conseil syndical doit déclencher une assemblée générale pour révoquer le mandat du syndic en raison de la faute commise, conformément à l’article 18 VIII de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.

La convocation de l’assemblée générale est de droit lorsque le conseil syndical la réclame, à condition pour lui de bien préciser l’ordre du jour (art. 8, décret du 17 mars 1967).

S’il n’y a pas de conseil syndical ou si ce dernier est paralysé voire incompétent, rien ne semble possible.

Or, le liquidateur judiciaire, spécialiste de la gestion commerciale, doit remplir les missions du syndic en droit immobilier. Ce ne sera pas sa tasse de thé.

Il doit aussi lui-même déclarer les créances du syndicat des copropriétaires contre le syndic, ce qui constitue un conflit d’intérêt grossier, contraire à l’esprit du droit commercial.

Le liquidateur est censé être neutre et détaché par rapport aux créanciers qui, eux, s’affrontent pour la répartition de l’actif. En copropriété, du fait de la maladresse du législateur, cet équilibre semble hors d’atteinte.

 

Démission d’office

La solution est évidemment d’imposer, par voie législative, la démission d’office du syndic mis en liquidation judiciaire.

Le liquidateur judiciaire devra alors, dans les deux mois, convoquer une assemblée générale qui pourra désigner un nouveau syndic, après avoir laissé un mois aux copropriétaires et/ou au conseil syndical pour trouver un nouveau candidat.

Néanmoins, il sera impossible d’aller plus loin. La suspension de toutes les actions en paiement (art. L. 622-7 du Code de commerce) ainsi que l’interruption des instances contre toute entreprise liquidée (article 369 du Code de Procédure Civile) ne pourront pas être modifiées.

La désignation d’un nouveau syndic en cas de liquidation judiciaire de l’ancien n’en est que plus cruciale afin que les intérêts de la collectivité des copropriétaires soient mieux défendus dans des instances complexes et piégeuses.

Or, hormis sur le présent blog, personne ne semble réclamer cette démission d’office.

 

Indifférence des corps intermédiaires

Sur ce blog, il a été rappelé que des associations de copropriétaires se comportent comme des prestataires commerciaux.

Nous en voyons aujourd’hui les effets.

Une association entreprise peut connaître la liquidation. Elle n’a aucun intérêt à prôner une plus grande sévérité contre les syndics liquidés.

Cela rappelle un très beau livre sur la faillite morale des intellectuels français durant les années 1930 (Julien BENDA, La Trahison des clercs, Grasset, Les Cahiers Rouges, Paris, édition originale, 1927, 1975, 259 p.).

Les personnes qui ont eu la chance de bénéficier d’une formation juridique en copropriété ont donc le devoir civique d’évoquer devant toute la population de tels sujet au lieu de fermer les yeux dans l’indifférence et de laisser des immeubles tomber en perdition. Cela vaut même pour les syndics qui, les premiers, devraient réclamer que l’on écarte les brebis galeuses en leur sein, ne serait-ce que pour protéger la loyauté de la concurrence.

 

Humour particulier

Malheureusement, nous n’en sommes pas encore là.

Un auteur a ainsi pu écrire : « Il arrive, bien que ce soit assez rare, qu’un syndic de copropriété professionnel soit liquidé. Entendons-nous, il ne sera pas ici question de la liquidation sicilienne du syndic par des copropriétaires déçus, un soir, tard, d’assemblée générale, mais bien de sa liquidation judiciaire ! » (Pierre Edouard Lagraulet, "Le syndic professionnel liquidé", Informations Rapides de la Copropriété, n° 680, juillet-août 2022, pp. 18 à 22).

Cette formulation ne peut pas être reprise par le DAL au vu de la charte de ce dernier. Rappelons que tous les Siciliens ne sont pas des mafieux et que des commentaires déplaisants sur les origines ont des effets, notamment sur les plus jeunes en milieu scolaire.

Quant aux copropriétaires, il serait audacieux de sous-entendre qu’ils adoptent des pratiques mafieuses, au vu de la réforme déplorable intervenue en 2008. Ce ne sont pas les consommateurs qui en ont été responsables, mais plutôt des lobbys professionnels ayant obtenu le maintien des mandats détenus par les entreprises liquidées. Sans qu'il s'agisse de s'en prendre à des animaux utiles dans les océans, il serait donc injuste de comparer les copropriétaires à des pieuvres mafieuses.

Enfin, avant de prétendre que la liquidation judiciaire des syndics est rare, mieux vaut s’interroger sur la crise actuelle des professions immobilières face à l’offensive d’intervenants disruptifs, mais aussi plus fragiles et dont les entreprises connaissent souvent des difficultés. Nous en reparlerons ici.

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