Désastre systémique
La crise de l’immobilier est évidente en France, avec des pratiques massivement problématiques constatées par les services de la répression des fraudes.
En 2017, on comptait, selon la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes), 67 % de contrats de syndics contenant des ‘‘anomalies’’, c’est-à-dire des clauses illicites.
Sur ce point, on peut lire l’entretien établi par Agnès LEBATTEUX : « L’enquête de la DGCCRF de 2018 relative aux pratiques anti-concurrentielle des syndics : entretien avec Olivier Safar, syndic », Loyers et copropriété, sept. 2021, pp. 9 à 11.
Depuis, la situation n’a pas progressé. Quasiment chaque mois, des jurisprudences accablantes sont rendues par la Cour de cassation. Rares sont ceux qui le signalent.
Comment en sommes-nous arrivés-là ?
Les autorités gouvernementales, mais aussi les participants au débat visant à la prise de décisions publiques, sont trop curieusement inertes.
Normalement, nul ne devrait pourtant être sous influence.
Symétrie répressive
En France, le fait de proposer des avantages ou des cadeaux à un acteur public pour le faire changer d’avis est un délit. Le fait, pour l’acteur public, d’accepter l’avantage ou le cadeau est un délit aussi.
Pour ce qui est du trafic d’influence relevant de la corruption active, il concerne ceux qui offrent des cadeaux, des avantages ou qui font des promesses à un élu, un dépositaire de l’autorité publique ou une personne chargée d’une mission de service public, et cela dans le but d’obtenir une décision favorable, un emploi, un marché voire une distinction (art. 433-1 du Code Pénal).
Quant à la corruption passive, elle concerne le titulaire d’un mandat électif, la personne dépositaire de l’autorité publique ou celui qui participe à une mission de service public.
Ces gens sont punissables lorsqu’ils acceptent des avantages, promesses ou cadeaux pour agir ou s’abstenir d’agir dans le cadre de leurs fonctions. La sanction intervient aussi lorsque les corrompus utilisent leur influence pour faire obtenir un emploi, un marché, une distinction ou une décision favorable au corrupteur (art. 432-11 du Code Pénal).
Mission de service public
Les élus et les dépositaires de l’autorité publique sont aisément repérables, mais qui sont les personnes chargées d’une mission de service public ?
La question mérite une réponse claire.
En effet, le droit pénal est d’interprétation stricte (art. 111-4 du Code Pénal).
De nombreux organismes publics sont composés de membres qui ne font pas tous partie de l’administration.
Dès lors que ces organismes ont une composition encadrée par la loi et les règlements et qu’ils sont chargés de conseiller le public et/ou le gouvernement, avec remboursement possible des frais exposés par ceux qui participent aux travaux, ils semblent accomplir une mission de service public.
C’est le cas du CNTGI (Conseil National de la Transaction et de la Gestion Immobilières) (décret n° 2019-298 du 10 avr. 2019), du CNC (Conseil National de la Consommation) (art. D. 821-1 à D. 821-27 du Code de la Consommation) ou du CNH (Conseil National de l’Habitat) (art. D. 361-1 à D. 361-20 du CCH),
Le Conseil d’État semble qualifier d’organisme chargés d’une mission de service public les entités qui se trouvent dans cette situation (CE, 6e et 5e ch. réunies, 28 juill. 2022, n° 447834).
Les nombreuses associations et organisations professionnelles qui font partie de ces structures ne sont ni dépositaires de l’autorité publique, ni composantes de l’administration mais participent, en siégeant dans ces organismes, à une mission de service public.
Obligation de prudence
Les acteurs économiques, et tout particulièrement ceux qui interviennent dans le secteur du logement, doivent donc prendre garde.
Les membres des associations siégeant dans les organismes précités feraient mieux, également, de rester vigilants.
Toute incitation économique pour modifier la position des associations qui participent d’une mission de service public pourrait être qualifiée de corruption active.
Toute acceptation de cette incitation pourrait relever de la corruption passive.
Tolérance pratique
Dans les faits, le Parquet est manifestement indulgent.
En cas de scission d’une association siégeant au CNC, au CNTGI ou au CNH, les scissionnaires ne récupérant pas le siège sont libérés de toute obligation.
De grands groupes de l’immobilier nouent alors ouvertement des relations économiques avec des associations chargées de défendre des intérêts différents, mais qui ne siègent plus au CNTGI, au CNC ou au CNH.
On voit alors des revues associatives censées défendre les consommateurs contenir des pages publicitaires en faveur de prestataires, des offres promotionnelles et même des annonces indiquant que des cadres de grands groupes prennent le contrôle de certaines composantes locales de l’association (voir, par exemple, Revue de l’Habitat, n° 607, avr. 2015, p. 36, n° 608, mai 2015, p. 29, n° 609, juin 2015, p. 10, n° 610, juill. août 2015, p. 44, n° 612, oct. 2015, p. 21, n° 613, nov. 2015, p. 7 ; ces parutions sont parfaitement publiques puisqu’elles ont fait l’objet du dépôt légal).
Le ministère public n’ayant pas réagi, ces pratiques sont sans doute licites, même si les associations nouant des relations économiques avec de grands groupes sont alors moins bien placées pour stigmatiser certains écarts.
Conseils élémentaires
En tout état de cause, les associations qui siègent au CNTGI, au CNC ou au CNH pour y défendre les consommateurs doivent refuser toute relation économique avec les acteurs professionnels du secteur immobilier et doivent interdire toute pression économique de ceux-ci sur leurs membres.
Le recrutement par des géants de l’immobilier d’anciens salariés d’associations défendant les consommateurs pose également problème.
Bien entendu, il ne saurait être question ici d’interdire aux personnes d’aller travailler là où elles le veulent.
Néanmoins, ceux qui sont salariés d’une association participant d’une mission de service public devraient avoir la sagesse de respecter, par assimilation, le délai de 3 ans imposés aux fonctionnaires qui veulent pratiquer le pantouflage (art. 432-13 du Code Pénal).
Les salariés ou les membres très actifs d’une association de consommateurs ou de citoyens siégeant au CNTGI, au CNH ou au CNC doivent donc attendre trois ans après la fin de leurs fonctions avant de rejoindre une entreprise de l’immobilier, en sachant que cela restera d’ailleurs moralement discutable.