Les juridictions ont souvent l’occasion de rappeler aux plaideurs l’application de la règle imposant le choix procédural à la victime de la voie civile ou criminelle. La multiplication des procédures notamment par les organismes sociaux qui peinent à recouvrer leurs créances réactualise le débat de l’incompétence de juridictions saisies des mêmes faits en opérant une nuance sur la qualification du préjudice demandé.
Les organismes sociaux qui ne parviennent pas à obtenir le recouvrement des cotisations sociales par la voie civile (contrainte, Pole social du Tribunal Judiciaire), portent parallèlement leurs demandes devant le Tribunal correctionnel en se prévalant d’un préjudice distinct.
Les mêmes sommes sont ainsi sollicitées au débiteur par le même créancier selon des qualifications juridiques différentes :
- Devant les juridictions répressives, l’indemnisation d’un préjudice résultant de l’infraction de travail dissimulé
- Devant les juridictions civiles, le paiement des cotisations sociales majorations et pénalités de retard.
Il importe de clarifier ce débat qui réapparait régulièrement devant les juridictions.
Les organismes sociaux sont contraints selon l’article L114-9 du Code de la sécurité sociale « lorsqu'ils ont connaissance d'informations ou de faits pouvant être de nature à constituer une fraude, de procéder aux contrôles et enquêtes nécessaires. Ils transmettent à l'autorité compétente de l'Etat le rapport établi à l'issue des investigations menées. »
Reste ensuite la question du recouvrement des cotisations et de l’indemnisation du préjudice.
L'action en réparation du dommage né de l'infraction peut être portée soit devant la juridiction pénale, en même temps que l'action publique (Article 3 du Code de procédure pénale) soit devant les juridictions civiles.
L'article 4 du Code de procédure pénale offre à la victime le choix entre la voie civile et la voie pénale.
Si la voie pénale a été choisie, elle peut être abandonnée au profit de la voie civile.
En revanche, une fois la voie civile choisie, la victime ne peut plus la quitter, en vertu du principe « electa una via ».
L'article 5 du Code de procédure pénale précise ainsi que la partie, qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente, ne peut plus la porter devant la juridiction répressive : l'option est irrévocable.
L’article 5 du Code de procédure pénale dispose ainsi :
« La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive. Il n'en est autrement que si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu'un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile. »
La Cour de cassation, (Chambre criminelle, 11 juillet 2017, 16-85.952, Inédit), laisserait même entendre qu’il s’agit d’une exception d’irrecevabilité devant être soulevée avant toute défense au fond raison pour laquelle ces développements sont exposés in limine litis :
Attendu que les prévenus, qui se sont défendus devant le tribunal correctionnel, sans soulever, avant toute défense au fond l’exception d’irrecevabilité de l’action de M. F…, partie civile, tirée de l’article 5 du code de procédure pénale doivent être considérés comme ayant accepté le débat devant cette juridiction et renoncé à se prévaloir des dispositions de ce texte ;
La jurisprudence est classique et publiée (Cour de cassation, Chambre criminelle, 3 avril 2007, 06-86.748, Publié au bulletin) :
Attendu que le prévenu, avant tout débat au fond, a fait valoir que l’action pénale engagée était irrecevable au regard des dispositions de l’article 5 du code de procédure pénale, la partie civile ayant, le 2 juin 2004, saisi le conseil de prud’hommes d’une demande indemnitaire pour les mêmes faits d’entrave, de discrimination syndicale et d’harcèlement moral ; que, pour rejeter cette exception, l’arrêt énonce que les deux actions n’opposent pas les mêmes parties en relevant que Bernard X… a dirigé son action prud’homale contre la société Groupe Y…, son employeur, et que, par ailleurs, il a poursuivi Jean-Claude Y…, personnellement, devant la juridiction répressive.
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que les deux actions avaient le même objet et la même cause et visaient les mêmes parties, Jean-Claude Y… étant poursuivi devant la juridiction répressive en sa qualité de président de la société Groupe Y…, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
La Cour de cassation exclut la concurrence des actions.
Dans une décision concernant la MSA en 2016 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 novembre 2016, 15-85.887, Inédit) elle considère ainsi : « si la Mutualité sociale agricole reconnaît qu’il existe une instance pendante devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, il apparait qu’elle ne porte que sur les cotisations de salaires réclamées à la Sarl des Avenages et ne concerne pas M. X… en son nom propre ; que les demandes présentes de la Mutualité sociale agricole dans le cadre de l’instance pénale visent à obtenir du condamné, M. X… ès-qualités d’employeur de main d’œuvre, des dommages et intérêts dont le montant représente le solde des cotisations salariales dont il reste redevable, vis-à-vis de l’organisme social, suite à sa condamnation définitive pour travail dissimulé ; »
La position de la Cour de cassation n’est pas nouvelle, en ce qu’elle retenait la compétence de la juridiction pénale en rappelant que la voie civile n’avait pas été choisie et n’était plus possible. (Cour de cassation criminelle du 13 mai 2014 n°13-81240). La Cour de cassation mettait fin à la distinction artificielle en précisant clairement : « l’URSSAF demande en réalité à la juridiction correctionnelle la condamnation des prévenus au paiement des cotisations éludées alors que l’action en recouvrement des cotisations obéit à des règles spécifiques prévues par le code de sécurité sociale et qu’il convient en conséquence, de déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l’URSSAF ; Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que l’organisme social justifiait d’un préjudice résultant du défaut de paiement des cotisations éludées. »
La Cour de cassation retient ici que le préjudice financier est bien constitué des cotisations éludées et considère la juridiction pénale compétente en rappelant comme condition de recevabilité : l’absence de saisine des juridictions civiles.
De jurisprudence constante, la Cour de cassation juge en outre au visa de l’ancien article 1382 du code civil que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit
pour aucune des parties (Cass. crim. 13 mai 2014, n° 13-81.240, Bull. crim. 2014 n° 132, RJS 7/2014 n° 606), la double réparation d’un même préjudice étant exclu.
Enfin, la règle NE BIS IN IDEM fondée sur l’autorité de la chose jugée sera rappelée par les plaideurs qui s’opposeront à ce qu’une demande soit portée une seconde fois devant la juridiction pénale alors qu’elle aurait déjà été portée devant les juridictions civiles avec cette précision qu’il appartiendra alors au plaideur de vérifier l’application stricte des règles applicables à cette exception de procédure.
L’article 1355 du Code de procédure civile dispose : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »
La Cour de cassation (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 20 juin 2013, 11-28.245, Inédit) ne s’oppose pas à la réparation du préjudice de l’atteinte au bon fonctionnement du régime général de sécurité sociale : « faisant ainsi ressortir que les demandes portées devant la juridiction de sécurité sociale et devant la juridiction répressive n'ont ni le même objet, ni la même cause » et rappelait « qu'à défaut d'une triple identité de parties, d'objet et de cause des demandes existant entre les deux instances, aucune fin de non-recevoir, tirée de l'autorité de chose jugée de la décision pénale statuant sur l'action civile de l'URSSAF […] ne pouvait être opposée à la demande en paiement de l'URSSAF ».
L’arrêt de la Cour d’Appel (Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 27 septembre 2011, n° 10/02894) objet du pourvoi avait pris le soin de motiver pour rejeter l’exception tenant à l’autorité de la chose jugée : « En tout état de cause, son intervention en cette qualité ne visait qu’à obtenir réparation du préjudice causé par les infractions de travail dissimulé retenues à la charge des prévenus au bon fonctionnement du régime général de sécurité sociale dont elle a la charge d’assurer le recouvrement régulier des ressources auprès des employeurs.
L’appelante n’est à l’évidence pas fondée à soutenir que le préjudice dont peut se prévaloir l’Urssaf consiste uniquement dans le non-recouvrement des cotisations éludées alors que la lutte contre le travail dissimulé implique la mise en œuvre de moyens humains et matériels dont le coût est prélevé sur les ressources qui devraient normalement être affectées au paiement des prestations dues aux assurés sociaux.
Il convient dès lors a minima au plaideur de conclure au subsidiaire, la minoration de l’indemnisation du préjudice « au bon fonctionnement du régime général de sécurité social » ou de la caisse concernée qui ne pourra porter que sur une partie du montant des cotisations éludées.
Certaines juridictions contre la jurisprudence de la Cour de cassation se laissent toujours séduire par cette fiction juridique qui permet aux organismes sociaux d’obtenir deux titres sur le fondement des mêmes faits (CA Aix en Provence, Chambre Correctionnelle 5-2 12 octobre 2020 RG 19/03559).
La Cour de cassation contrôle pourtant la voie de droit choisie au regard du préjudice allégué et distingue clairement les différents chefs de préjudice.