Les contrats de licence d’exploitation de stand relèvent-ils en réalité du droit du travail ?
Voilà une question aux frontières du droit du travail et du droit commercial mais qui concerne un grand nombre de cas.
Mais que se cache-t-il derrière l’expression un peu barbare de « contrat de licence d’exploitation de stand » ?
Ils s’agit, tout simplement des stands « indépendants » que l’on retrouve dans beaucoup d’hypermarchés où l’on peut y acheter des plats tout fait et principalement ces fameuses barquettes de sushis, makis etc..
Car ces stands ne sont pas mis en place par les hypermarchés, mais installés par des sociétés souvent à forte notoriété et qui placent leur stand dans ces hypermarchés.
Vous me direz, rien de bien anormal jusqu’à présent.
Mais on va voir que le mécanisme mis en place est complexe et pourrait être considéré comme contournant les règles du droit du travail et appelant une requalification de la situation en contrat de travail.
A l’origine, une société possède, à l’image d’un système de franchise, dont le fonctionnement est très proche, des droits sur une marque, des procédés de fabrication et tout le marketing permettant d’en faire la publicité.
On peut prendre l’exemple de vente de sushis en stand, mais il existe bien d’autres exemples.
Cette société titulaire de ces droits va alors concéder le droit d’utiliser sa marque, ses procédés de fabrication et faire profiter de sa force marketing à ce que l’on appelle un concessionnaire et c’est ici qu’intervient le contrat de licence d’exploitation de stand.
Car la particularité du procédé, à la différence des contrats de franchises réside dans le fait que la marque concédante impose la localisation du stand au sein des hypermarchés partenaires et surtout s’inscrit dans un schéma juridique particulier.
Le schéma se décompose comme suit :
1) La société concédante concède les droits à un concessionnaire par un contrat de licence d’exploitation de stand
Elle impose alors la création d’une SARL au commerçant qui souhaite profiter du contrat de licence d’exploitation de stand.
Le commerçant intéressé sera gérant de la société et souvent ultra majoritaire, les autres associés n’étant présent que pour donner l’illusion d’un réel affectio societatis.
Il sera désigné dans le contrat de licence d’exploitation de stand comme manager ou responsable et sera le seul et unique interlocuteur de la société concédante.
Il est en fait, la plupart du temps, le seul bénéficiaire du contrat de licence d’exploitation de stand.
Nous verrons plus loin dans quelles conditions.
2) La société concédante impose à son concessionnaire de s’associer au sein d’une Société en participation.
La situation devient tout de suite plus obscure quant on sait que la société en participation, non inscrite au RCS et dépourvue de la personnalité morale est très utilisée pour les affaires notamment pour la discrétion qu’elle permet.
Ainsi, pour bénéficier d’un stand, le concessionnaire devra créer une société « indépendante » même si l’on verra qu’il n’en n’est rien et s’associer avec son concédant au sein d’une société en participation et enfin payer un droit d’entrée annuel et… un pourcentage supplémentaire versé au concédant par l’intermédiaire de la société en participation.
Maintenant, revenons à notre question de départ et le lien avec le droit du travail.
Il faut, pour répondre à cette question que nous nous posions, à titre liminaire, rappeler dans quelles conditions la jurisprudence requalifie certaines situations, dont les contrats de franchise, en relation relevant du droit du travail.
La Cour de cassation a caractérisé dans une arrêt de principe du 18 janvier 2012 ( N°10-16342) le lien de subordination lorsque qu’un contrat de franchise qui imposait au franchisé « des obligations détaillées et applicables de bout en bout dans les relations avec les clients, renforcées ensuite par des instructions tout aussi détaillées et transformant en simple agent d’exécution l’intéressé qui ne disposait d’aucune autonomie.
La Jurisprudence retient comme élément central la démonstration d’un lien de subordination (contrôle matériel, administratif, financier, pouvoir de donner des instructions et de sanction etc…) qui est en principe exclusif d’un contrat de licence d’exploitation de stand qui implique une liberté du cessionnaire.
Cela étant précisé, voyons comment se déroule l’exécution d’un contrat de licence d’exploitation de stand (I) le concessionnaire est-il libre, indépendant, autonome ? ou n’est-il finalement qu’un simple agent d’exécution et dans ce dernier cas quelles seraient les conséquences d’une requalification en relation relevant du droit du travail (II)
I) Les conditions d’exécution d’un contrat de licence d’exploitation de stand
On a vu que pour profiter du droit d’exploiter un stand, le commerçant (le concessionnaire) doit créer une société censée pour la marque concédante démontrer son indépendance et de son autonomie.
En réalité il n’en n’est rien, la création de la société est totalement contrôlée par la marque concédant les droits et sa comptabilité est aussi contrôlée par une société comptable désignée par le concédant, qui va aussi contrôler la gestion du personnel…
Le concessionnaire peut même se voir imposer un cabinet d’avocats, le comble de la négation de la liberté.
L’indépendance n’est dès le début de la relation commerciale qu’une pure apparence.
Mais ce contrôle ne s’arrête pas là, il se prolonge aussi dans le fonctionnement de la société en participation, ici aussi contrôlée par la société concédante et dont la comptabilité est maîtrisée par son propre cabinet comptable.
Ainsi, le commerçant souhaitant profiter du droit d’exploiter un stand est totalement encadré dès la création de sa société, mais quid du fonctionnement du stand ?
La réponse est simple, il ne dispose de strictement aucune liberté, d’aucune liberté d’initiative.
La seule fonction du manager de stand est de fabriquer des produits pour le compte de la marque concédante et de suivre les instructions données.
Il ne bénéficie d’aucune liberté et lui sont imposés et contrôlés :
- Les matières premières
- Les fournisseurs
- Les tarifs des fournisseurs
- Les prix de vente
- Les méthodes de confection
- La présentation des barquettes
- Les tenues de travail
- Les méthodes de vente
- Le comportement à tenir vis-à-vis des clients
- Les activités sur le stand pendant l’année pour les évènements spécifiques (Noël, Saint Valentin, nouvel année, événements sportifs etc..
- Les outils de travail
- Les salariés présents
- Les horaires de travail
- Les jours d’ouverture
L’ensemble de ses obligations étant régulièrement contrôlées et sanctionnées par une sanction pécuniaire en cas de non-respect.
Le plus symptomatique d’une relation relevant du droit du travail intervient quand on sait que notre commerçant exploitant son stand ne vend pas directement au public. La vente est réalisée par l’hypermarché au public.
Interdiction lui est même faite de consommer les produits qu’il fabrique, pourtant après les avoir fabriqués lui-même avec des matières achetées de ses propres deniers.
On en revient à la définition donnée par la jurisprudence et l’on comprend que l’autonomie n’est que poudre aux yeux et s’efface devant un montage et un système qui font des bénéficiaires des contrats de licence d’exploitation de stand de simples exécutant, « des machines à fabriquer et à vendre »
Pour le concédant des droits, pas de charges sociales à régler puisqu’elles sont supportées par la société responsable du stand, la perception d’un droit d’entrée annuel confortable et d’un pourcentage sur les ventes perçues par le biais de la société en participation.
Pour le responsable du stand, aucun droit, si ce n’est celui de suivre les instructions données, tout au moins il bénéficie, certes, de dividendes mais après avoir réglé toutes les charges sociales….
Il n’est titulaire d’aucun fonds de commerce et le concédant peut rompre la convention avec un facilité déconcertante du jour au lendemain.
On comprend donc tout l’intérêt du système qui semble de toute évidence contourner les règles du droit du travail.
Mais dans ce cas, si la situation contractuelle décrite relève du droit du travail, quelles seraient les conséquences juridiques ?
II) Les conséquences d’une requalification d’un contrat de licence d’exploitation de stand en contrat de travail
Elles sont bien connues des plaideurs et les mêmes que celles s’appliquant à la requalification d’un contrat de franchise en droit du travail.
Le cas se pose habituellement lorsque le contrat de licence d’exploitation de stand est rompu.
Le commerçant exploitant le stand peut prétendre :
- Au remboursement des droits d’entrées acquittés
- Aux rappels des salaires pendant le période d’exploitation du stand calculés selon convention collective applicable
- Aux indemnités de congés payés
- Aux indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse
On voit que les sommes en jeux sont importantes, mais ne sont que les conséquences d’une situation visant à dissimuler une relation relevant du droit du travail.
Il reste à préciser que ces sociétés concédant ces droits pour l’exploitation d’un stand sont prévoyantes.
Elle impose durant la relation contractuelle et deux ans après sa rupture une stricte obligation de confidentialité sous menace de poursuite judiciaire.
Cette mesure n’est pas anodine, elle permet de laisser prescrire l’action permettant de saisir le conseil des prudhommes pour solliciter la requalification, preuve ultime que le droit du travail s’applique aux contrats de licence d’exploitation de stand.
L’exploitant du stand devra alors faire valoir ses droits auprès du Conseil des Prud’hommes avant l'expiration de ce délai de deux ans.