L'arrêt du 29 novembre 2018 de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation semble être la conclusion juridique à la question tant étudiée des loyers dits binaires.
Derrière cette expression se posait en réalité les questions relatives aux loyers pratiqués dans les centres commerciaux qui ont conçu un loyer mixte, à la fois basé sur un loyer minimum garantie et un loyer complémentaire calculé sur le chiffre d’affaires réalisé par le preneur qui s’applique lorsque son montant dépasse le loyer contractuellement prévu.
D’où l’expression binaire, et l’existence d’un loyer minimum garanti et d’un loyer complémentaire qui se déclenche à partir d’un certain montant du chiffre d’affaires.
Ce système constitue une sorte d’intéressement du bailleur à la performance commerciale de son preneur tout en le prémunissant des risques inhérents à l’exploitation.
Car, en réalité, le loyer minimum garanti est généralement si élevé que le seuil de déclenchement du loyer complémentaire n’est que rarement atteint.
Confrontés à cette difficulté, les bailleurs se sont adaptés Et ont mis au point une méthode de revalorisation du loyer de base, lors du renouvellement du bail.
Pour ce faire, une clause attribue au juge le pouvoir de fixer le montant du loyer de base renouvelé à la valeur locative du local. Il s’opère donc une revalorisation du loyer minimum sur les mêmes bases que le loyer statutaire, alors que les loyers statutaires ne contiennent pas, eux, de part variable.
D’importantes discussions et décisions juridiques en ont découlé, notamment le fameux arrêt du 10 mars 1993, dit « du Théâtre Saint-Georges », par lequel la Cour de cassation faisant primer la prévalence du contrat sur les dispositions statutaires.
La fixation du loyer renouvelé d’un bail à loyer variable doit échapper aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 pour n’être régie que par la convention des parties (Civ. 3e, 10 mars 1993, n° 91-13.418, D. 1994)
Pour contourner cette jurisprudence, les bailleurs ont fait évoluer leurs clauses.
Ils attribuaient compétence au juge des loyers commerciaux pour fixer le loyer de base lors des renouvellements successifs. Malgré leur précision grandissante, ces clauses ont eu un succès variable jusqu’à ce que certaines cours d’appel refusent leur application au motif que l’article L. 145-33 du code de commerce ne peut s’appliquer seulement à une partie du loyer.
La Cour de cassation est intervenue et a, au final, opéré une évolution fondamentale.
Le 3 novembre 2016, la troisième chambre civile a précisé que le recours au loyer binaire n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative.
Dans cette hypothèse, le juge statue selon les critères de l’article L. 145-33 du code de commerce, sans omettre cependant de prendre en considération l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, dont il découle nécessairement un abattement sur le montant du Cependant une cour d’appel, en l’occurrence celle de Versailles devait toujours s’opposer à ce mécanisme.
Et ainsi la Cour d’appel de Versailles décidait qu’en présence d’un loyer binaire, la clause qui prévoit que les parties se soumettent volontairement au décret du 30 septembre 1953 pour fixer la valeur locative du local et attribuent compétence au juge des loyers à cette fin, tente de réintroduire les modalités de fixation du loyer telles que prévues au statut des baux commerciaux pour une partie seulement du loyer doit être déclarée nulle et de nul effet (Versailles, 19 sept. 2017, n° 16/03805).
La Cour de cassation censure cette interprétation. Selon elle, le recours au loyer binaire n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour évaluer, lors du renouvellement, la valeur locative déterminant le minimum de loyer garanti.