RAPPEL DES FAITS
Entre août 2016 et août 2017, Monsieur T. a été démarché par une plateforme frauduleuse de trading en ligne avec d’une part, la promesse de gains importants et d’autre part, une rentabilité rapide et certaine de son investissement.
Depuis son compte bancaire ouvert auprès de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie, Monsieur T. a émis, à la demande de la plateforme frauduleuse, 5 virements pour un montant total de 510 620,00 euros vers des comptes domiciliés à l’étranger.
Très rapidement, la plateforme frauduleuse est devenue injoignable et Monsieur T. n’a jamais pu récupérer ses fonds. A ce titre, Monsieur T. a déposé une plainte pour escroquerie et blanchiment en bande organisée contre la plateforme frauduleuse.
Dans ces circonstances et estimant que sa banque, la Caisse d'Epargne, n’avait pas respecté son devoir de vigilance à l’égard des nombreuses anomalies apparentes affectant son compte bancaire, Monsieur T. a assigné sa banque, devant le Tribunal judiciaire de Rouen, afin d’obtenir réparation de son préjudice financier.
MOTIVATION DU JUGEMENT
1) Le devoir de vigilance du banquier doit s'appliquer en présence d'anomalies apparentes
Le Tribunal judiciaire de Rouen a, avant toute chose, rappelé la teneur exacte du devoir de vigilance auquel est soumis tout établissement bancaire, dont la Caisse d'Epargne.
En effet, les juges ont rappelé que le devoir de vigilance constitue une véritable exception au principe de non-immixtion (non-ingérence) du banquier et qu’il trouve à s’appliquer en présence d’anomalies apparentes manifestes :
"Le banquier est tenu à un devoir de non ingérence lui imposant de ne pas intervenir dans les affaires de ses clients, de sorte qu’il n’a pas à s’assurer en principe de la régularité des opérations sollicitées. Toutefois, ce devoir trouve une limite dans le devoir de vigilance et de surveillance qui lui incombe en cas d’anomalies apparentes."
2) Sur le fonctionnement manifestement anormal et inhabituel du compte bancaire de Monsieur T.
Les juges ont mis en exergue un faisceau d'incides d'anormalités apparentes qui auraient dû conduire la banque à alerter/avertir son client :
- les montants très élevés et inhabituels des virements : l'ensemble des virements exécutés représentaient un total de 510 620,00 euros dont notamment un virement de 230 000 euros et un autre de 200 000 euros ;
- la proximité temporelle des virements : ceux-ci ont été exécutés sur une période 4 mois et deux d'entre eux l'ont été sur une période de seulement deux semaines et ce, pour un montant total de 430 000 euros ;
- la destination des virements : les 5 virements ont été exécutés vers la Slovaquie, le Royaume-Uni et la Pologne.
L'existence de telles anomalies apparentes auraient dû conduire la Caisse d'Epargne à exercer son devoir de vigilance, plus concrètement à avertir / alerter son client.
En effet, les juges ont considéré que "les opérations de compte de Monsieur T. apparaissent inhabituelles au regard de ses habitudes bancaires".
3) Sur la présence de la plateforme frauduleuse sur une liste noire
Le Tribunal judiciaire de Rouen a également souligné que la plateforme frauduleuse de trading avait été placée sur la liste noire de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) avant l'exécution des 5 virements litigieux.
Or, la présence d'une plateforme sur une liste noire doit amener la banque, professionnel averti, à exercer son devoir de vigilance à l'égard de son client.
Au regard de ces nombreuses anomalies apparentes, les juges ont déclaré que la banque engageait sa responsabilité contractuelle.
LA BANQUE CONDAMNEE A REPARER LE PREJUDICE SUBI PAR SON CLIENT
Au regard de ces manquements, les juges ont suivi les demandes formulées par le cabinet Colman Avocats et ont déclaré que la banque, la Caisse d'Epargne, n’avait à aucun moment alerté son client :
"Les montants très élevés, la répétition des opérations et la destination des virements constituaient ainsi un faisceau d’indice d’anormalités apparentes qui auraient dû conduire la CAISSE d’épargne à avertir son client sans se contenter d’indiquer qu’il avait autorisé les virements litigieux. Or, précisément, la CAISSE d’épargne ne rapporte la preuve d’aucune alerte ou avertissement lui permettant de rapporter la preuve de son devoir de vigilance."
La Caisse d'Epargne a ainsi été condamnée à réparer le préjudice subi par son client à hauteur de 25%, soit un montant de 125 000,00 euros.
Décision commentée : TJ ROUEN, 20 mars 2023, n°21/02809
(Une procédure d'appel est actuellement en cours)
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Me Céline CHAPMAN / Me Gaël COLLIN
COLMAN Avocats
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