L'arrêt
Les faits
Deux musulmanes, du collège de Flers (Orne) avaient en 1999 été renvoyées de leur collège pour avoir refusé de retirer leur foulard islamique lors du cours de sport. Cette décision avait été prise par le conseil de discipline du collège, puis avait été confirmée par le recteur d'académie de Caen.
La procédure
En 1999 le tribunal administratif de Caen confirme la décision du conseil de discipline soutenue par le recteur d'académie. Un appel devant la Cour d'appel de Nantes a été rejeté de la même façon, ainsi que le pourvoi devant le Conseil d'Etat.
Prétentions des parties
Selon la défense des collégiennes, un tel renvoi est contraire à l'article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, qui protège la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Quant à l'administration, elle justifiait ce renvoi non pas du fait de la religion des collégiennes, mais du "refus de se conformer aux règles appliquées dans l'enceinte scolaire", dont elles avaient connaissance (à travers leur "cahier de correspondance", notamment).
Question de droit
Le port du foulard islamique au sein d'un établissement scolaire lors d'un cours de sport peut-il être un motif suffisant de renvoi ?
Solution
Les juges européens ont estimé que ce renvoi n'était pas "disproportionné". D'autant plus souligent-ils, que ces jeunes filles avaient l'occasion de poursuivre leurs études par correspondance.
Les juges ont cependant tenu à rappeler que le port d'un signe religieux à l'école n'est pas incompatible avec le principe de laïcité. C'est, selon eux, aux autorités de veiller à ce que "la manifestation de croyances religieuses dans un établissement scolaire" ne devienne pas un "acte ostentatoire", source de "pression" ou "d'exclusion".
Ainsi, les juges ont jugé dans le sens des décisions françaises, et se sont félicités des précédentes décisions par le commentaire "tel est bien ce à quoi semble répondre la conception du modèle français de laïcité". Les arguments de l'administration française ont été suivis.
Ainsi, ce renvoi a été justifié en ce que "la limitation du droit des requérantes à manifester leurs convictions religieuses avait pour finalité de préserver la laïcité au sein de l'établissement scolaire".
Commentaire
Les conséquences d'une telle solution
Que signifie une telle solution ? Cette jurisprudence aura certainement valeur de modèle pour l'avenir et pour les juridictions nationales de tous les pays européens. Ainsi, on peut considérer, que porter un signe religieux dans un établissement scolaire laïque n'est pas en soi ostentatoire, tant que cela n'engendre pas des pressions, des troubles à l'ordre public dans l'établissement, ou n'engendre pas l'exclusion des élèves concernés, ni ne nuise à leur droit à étudier dans le cas d'un renvoi.
Cependant, le symbole religieux qui ira dans le sens inverse des conditions susnommées pourra être sanctionné.
La difficulté ici est d'articuler le principe de laïcité avec celui de la liberté de pensée, de conscience et de religion de la CEDH (article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme), ainsi qu'avec l'article 2 de la DDHC (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen), qui dispose notamment que la liberté de chacun s'arrête là où commence celle d'autrui.
Il ne faut pas se "voiler" la face, cette décision est un pavé dans la mare sur une question sensible. Le pouvoir de décider si le port du symbole est ostentatoire ou pas, est aux mains des autorités. Cela sera certainement toujours critiqué, puisque la puissance publique sera toujours accusée de laxisme par certains, ou d'intolérance par d'autres. (D'autant plus si la justification se trouve notamment dans un "vous pouvez toujours aller faire vos études ailleurs" comme ici).
Tolérance et société
Ce mot même de "tolérance" souligne le malaise existant, John Locke en donne la définition suivante : "Cesser de combattre ce qu'on ne peut changer". (Lettre sur la tolérance) On voit dans l'affaire ici, qu'une telle définition ne s'applique pas. Dans un sens plus général, la philosophie nous indique que la tolérance consiste à accepter (à un degré variable), une règle morale contre laquelle l'individu porte des valeurs opposées.
Dans une théorie juridique, le philosophe américain John Rawls, dans A theory of justice, considère que la tolérance est un élément juridique nécessaire pour l'établissement d'une société juste. Il pose donc sa problématique ainsi : "faut-il tolérer les intolérants ?" Il y répond positivement, en ce que ne pas les tolérer serait une injustice. Cependant, selon lui, la société juste n'a pas d'obligation de tolérer des actes (ou des membres) qui iraient contre son bien être général.
Quel serait le bon terme à appliquer ici ? Il semblerait que la notion de respect soit celle qui soit la plus proche de la volonté française de laïcité. Plus loin que la tolérance, on devrait parler de permissivité (une tolérance absente de recours aux sentiments) ou d'indulgence (plus loin que la tolérance en ce que l'indulgence est la naissance d'un sentiment bon envers une moralité contraire).
Portée de la décision
Est-ce une décision juste ? On pourrait ici rejuger les faits mille fois, et considérer que le port du voile lors d'un cours de sport ne soit pas supposé pouvoir poser de problèmes majeurs. En revanche, cela aurait pu être le cas pour un cours dans un laboratoire de chimie, pour des raisons de sécurité, par exemple.
Certains pourront juger qu'une telle décision est, dans un tel contexte, disproportionnée, et n'a été rendue que pour avoir valeur d'exemple. Ce qui est potentiellement vrai.
Dans le cas présenté, le voile a été considéré comme source de "pression" ou "d'exclusion". Il semblerait que cette pression soit vague; elle n'est pas forcément la pression de l'école, mais peut-être celle de parents qui imposeraient une volonté à leurs filles. Cette question religieuse est épineuse et est à laisser aux spécialistes des religions.
Quid de l'établissement scolaire ? Il est le seul endroit pris en compte. Les juges européens dans leur décision, n'ont pas précisé le champ d'application d'une telle solution. Mais il semblerait que cela s'applique dans toutes les situations analogues (centre aérés,...)., et donc, sans référence à l'âge. Une telle solution aurait-elle été retenue si elle s'était tenue dans un cadre universitaire, avec des étudiantes majeures ?
On voit donc que cette décision met fin à un combat juridique qui aura duré presque 10 ans. Cependant on peut d'ores et déjà en déduire que ce ne sont pas de telles solutions judiciaires qui règleront une difficile question au centre des valeurs de notre société, mais que ce sont les valeurs défendues par notre société, qui offriront la solution.
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