Efficacité pénale de la délégation de pouvoirs

Publié le 19/12/2010 Vu 14 078 fois 0
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Il existe des cas où la question se pose de la responsabilité pénale du fait d’autrui. La brèche a été ouverte par un arrêt de principe de la Cour de cassation du 28 février 1956

Il existe des cas où la question se pose de la responsabilité pénale du fait d’autrui. La brèche a été

Efficacité pénale de la délégation de pouvoirs

Efficacité pénale de la délégation de pouvoir

Introduction

En droit pénal, « Nul n’est responsable que de son propre fait », du moins en théorie, car nous allons montrer que cette affirmation qui part d’un postulat oui/non est à nuancer ; et cela, même si ce principe était affirmé par la jurisprudence avant même d’être consacré par l’article 121-1 du Code pénal.

En effet, il existe des cas où la question se pose de la responsabilité pénale du fait d’autrui. La brèche a été ouverte par un arrêt de principe de la Cour de cassation du 28 février 1956, qui nous explique que « si en principe nul n'est passible de peines qu'à raison de son fait personnel, la responsabilité pénale peut cependant naître du fait d'autrui dans les cas exceptionnels où certaines obligations légales imposent le devoir d'exercer une action directe sur l'effet d'un auxiliaire ou d'un subordonné ; que, notamment, dans les industries soumises à des règlements édictés dans un intérêt de salubrité ou de sûreté publique, la responsabilité pénale remonte essentiellement aux chefs d'entreprise, à qui sont personnellement imposés les conditions et le mode d'exploitation de leur industrie ».

Cette solution de la Cour de cassation a notamment trouvé à s’appliquer en matière de relations salariales, puisque le Code du travail l’a même codifié à l’article[1] 4741-1 (dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité).

Cela nous amène au corollaire de cette jurisprudence, qui est celui de la délégation de pouvoirs à autrui, entrainant par le même fait, un transfert de responsabilité pénale. C’est par exemple le cas du dirigeant qui va déléguer ses pouvoirs pour transférer les risques liés à la responsabilité pénale.

Pour étudier l’efficacité pénale de la délégation de pouvoir, il faut donc tout d’abord définir les termes et par là, constater qu’en droit pénal on n’entend pas la « délégation de pouvoir » dans le sens utilisé en matière civile, qui est celui du mandat, et qui est disposé à l’article 1984 du Code civil. Non, la délégation de pouvoirs au sens pénal du terme est analysée au regard de l’une de ses finalités qui est le transfert de responsabilité pénale sur autrui. Le sens pénal va donc plus loin que le civil qui lui, s’il envisage un mandat représentatif, ne dessaisit pas le mandant de son pouvoir, et n’opère pas transfert de responsabilité pénale.

Par « l’efficacité pénale », on entend donc ici la capacité d’une délégation de pouvoir à exonérer de sa responsabilité pénale, celui qui fait l’objet de cette délégation, pour faire porter la responsabilité pénale à celui à qui la délégation a été faite.

Pour étudier l’efficacité pénale de la délégation de pouvoir, il faudra donc étudier comment la constitution d’une délégation de pouvoir peut amener dans certains cas à une exonération de responsabilité pénale.

Ainsi, nous étudierons tout d’abord comment s’articule ce principe de délégation de pouvoir en matière pénale (I), avant de voir que ses effets restent à nuancer (II).

 

 

I – Le principe de délégation de pouvoirs en matière pénale

La notion de délégation de pouvoirs en matière pénale, bien que ses bases théoriques soient difficiles à cerner (A), trouve vocation à s’appliquer au chef d’entreprise (B).

 

A – Fondements théoriques de la délégation de pouvoir

Si l’on s’en tient à la vision de la théorie civiliste du risque, doit subir le risque la personne qui en tire les profits. Logiquement on serait donc amené à considérer qu’un chef d’entreprise, en ce qu’il est le principal bénéficiaire des profits de l’entreprise (et encore, quid des actionnaires ?), devrait subir les risques qui sont portés sur ses employés. On voit bien que cette théorie, trop réductrice, ne saurait s’appliquer en matière pénale ici et en ce qu’elle rendrait le chef d’entreprise responsable dans tous les cas, il ne pourrait s’exonérer de sa responsabilité par le biais d’une délégation de pouvoir. Ce n’est donc pas le chemin poursuivi par la loi et la jurisprudence.

Dans une seconde vision, on va raisonner au regard de la faute. Si une infraction est commise par un salarié par exemple, c’est que l’employeur a été négligent (faute par abstention), ce qui rendrait le chef d’entreprise responsable. En ce cas, ne se pose plus la question de la responsabilité du fait d’autrui car c’est la faute propre de négligence du chef d’entreprise qui lui sera imputée. Cette solution n’est pas non plus parfaite en ce que la responsabilité pénale du fait d’autrui existe et que de plus, la jurisprudence a parfois admis la responsabilité du chef d’entreprise, même dans le cas d’une faute intentionnelle. C’est néanmoins ce fondement que l’on retient le plus souvent pour justifier qu’un chef d’entreprise, sous condition d’avoir clairement délégué ses pouvoirs, ne devra pas être tenu responsable pénalement, puisqu’alors la faute de négligence ne lui sera plus imputable.

 

B – L’application de la notion

La délégation de pouvoirs a été validée par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation en date du 11 mars 1993 : « sauf si la loi en décide autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ».

Cette délégation peut donc trouver à s’appliquer dans de multiples domaines, comme la sécurité du personnel (accidents du travail), l’environnement (non respect de la réglementation en vigueur), consommation (parasitisme, publicité mensongère, revente à perte etc.).

Généralement, le chef d’entreprise délégant sera le PDG, DG ou gérant de l’entreprise visée, ou bien encore, le Président du directoire (pour les SA à directoire et conseil de surveillance). Quant au délégataire, ce sera forcément un salarié, préposé (toujours sous condition qu’il ait compétence, autorité sur exclusive sur les hommes et évènements pour lesquels un pouvoir lui a été confié et soit en mesure de remplir la mission), placé sous l’autorité hiérarchique du chef d’entreprise. Ainsi, la délégation à un tiers extérieur à l’entreprise est exclue.

 

II – Une efficacité nuancée

Bien que possible, l’efficacité de la délégation de pouvoirs en matière pénale n’est pas absolu puisque l’effet exonératoire est limité (A), et que celle-ci doit répondre à un grand nombre de conditions posées par la jurisprudence (B).

 

A – Un effet exonératoire non absolu

Normalement, lorsque le chef d’entreprise a délégué une partie de ses pouvoirs à un subordonné, la responsabilité relative à ses pouvoirs est égalée déléguée et pèse sur le délégataire, libérant le chef d’entreprise de sa responsabilité pénale. Ainsi on voit déjà une première limite, par fait que même lorsque le chef d’entreprise aura pu déléguer ses pouvoirs, la délégation de responsabilité est incomplète puisqu’elle ne joue pas en matière civile, et ainsi on pourra toujours reprocher au chef d’entreprise un manquement au regard de sa responsabilité pénale.

De plus, la Cour de cassation s’est toujours montrée stricte sur les conditions de la délégation. Elle exige notamment pour cela que le délégataire qui reçoive les pouvoirs soit pourvu de la compétence nécessaire et investi de l’autorité suffisante pour assumer cette délégation de pouvoirs, notamment, pour pouvoir veiller de manière efficace à l’observation des règles en vigueur. Finalement, la pratique rend rare l’admission par le juge de la délégation de pouvoirs, puisqu’elle est naturellement contraire à toute logique de management. Néanmoins, dans le cas de grandes entreprises qui ont des succursales, on admettra plus aisément que la délégation ne remonte pas jusqu’à l’échelon le plus élevé, mais s’arrête par exemple au directeur de la succursale.

 

B – Des conditions de validité à respecter

Tout d’abord, pour une question de preuve, même s’il n’est nulle part imposé que la délégation de pouvoirs doive être par écrit, cette condition semble le plus souvent indispensable. La délégation devra être précise et dépourvue d’ambigüité, notamment sur ses conséquences. Même si dans la pratique on retrouve rarement de tels écrits, ce qui limite la portée de l’efficacité de la délégation de pouvoirs en matière pénale. Notons tout de même que la subdélégation est possible, même en l’absence d’autorisation du chef d’entreprise.

De plus, au fur et à mesure du temps, la jurisprudence pénale a posée des conditions au transfert de responsabilité pénale, qui doit :

  • Être donnée à un salarié qui a la compétence requise pour exercer les pouvoirs délégués
  • Être spéciale, en ce sens qu’il est impossible d’envisager une délégation de pouvoirs générale qui porterait sur l’ensemble des pouvoirs du dirigeant. Cependant elle peut toucher n’importe quel domaine, à moins d’être spécifiquement interdite par un texte
  • S’accompagner concrètement des pouvoirs matériel, disciplinaire, financier nécessaires à son exercice effectif.
  • On notera qu’une délégation de pouvoir partagée entre plusieurs entités n’est pas concevable car la pluralité des pouvoirs nuirait à l’exercice de ces pouvoirs.
  • Enfin, la délégation de pouvoirs doit avoir lieu au moins 24h avant l’évènement qui a entrainé la responsabilité pénale.

Corentin Kerhuel


[1] Par une loi de 1976 relative aux règles d’hygiène et de sécurité au travail

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