Commentaire de l'arrêt Cass. 1re civ. 27 février 2007, sur l'erreur en tant que vice du consentement
Cet arrêt de cassation de la 1re chambre civile de la Cour de cassation daté du 27 février 2007 est relatif à l'erreur en tant que vice du consentement, pouvant donc être sanctionnée juridiquement.En effet, un couple s'est porté acquéreur au cours d'une vente aux enchères publique, d'une statue antique décrite lors de la vente comme datant de la XIIe dynastie égyptienne, 1878-1843 av. J.C. Or, après avoir eu des doutes sur l'authenticité de l'œuvre, le couple fait analyser la statue par des experts, qui affirment alors que la statue date en réalité d'entre 1850 et 1720 av. J.C. Se trouvant trompés sur le bien acquis, le couple souhaite faire annuler la vente.
Pour se faire, le couple se fonde sur un décret du 3 mars 1981, qui dispose qu'en matière de vente d'œuvre ou d'objet d'art, lorsque la dénomination de l'objet est suivie par une référence historique, cette date garantie l'acheteur que l'objet a bien été produit au cours de la période de référence. Le couple estime donc qu'il il a une erreur sur la substance au sens de l'article 1110 du Code civil, et que la nullité de la vente peut donc être obtenue en justice.
En appel, ces prétentions sont rejetées, la cour d'appel considérant que les acquéreurs n'ont pas apporté la preuve qu'il existe bien un doute sur l'authenticité de l'œuvre qui les auraient empêché d'acquérir celle-ci si jamais ils l'avaient su au moment de la vente. Le couple se pourvoit en cassation sur les mêmes fondements
Ainsi, il faut voir comment l'erreur doit-elle être démontrée pour former une cause valable de nullité du contrat.
La Cour de cassation annule et casse l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris, au motif que la simple erreur quant à la date annoncée sur le catalogue suffisait à provoquer l'erreur invoquée. Enfin, l'affaire est renvoyée devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.
Pour étudier cet arrêt, il faudra donc tout d'abord voir l'erreur en tant que vice du consentement (I), puis observer comment s'opère sa sanction (II).
I - L'erreur comme vice du consentement
C'est l'article 1110 du Code civil qui donne une définition formelle de l'erreur. Mais il faut étudier ce qu'on entend tout d'abord par erreur (A), avant de voir comment rapporter sa preuve (B).
A - La définition de l'erreur
On considère généralement qu'une personne commet une erreur lorsqu'elle se fait une fausse représentation de la réalité, prendre pour faux ce qui et vrai et vice-versa. Le Code civil pose certaines limites et n'admet que certaines erreurs, selon son article 1110. On admet le jeu de l'erreur « vice du consentement » que si l'erreur est considérée comme suffisamment grave.
L'erreur sur la substance est envisagée par l'article 1110, alinéa 2 du code civil. C'est l'hypothèse la plus fréquente : Cela veut dire que l'erreur porte sur les prestations même du contrat. Une première conception est objective, la substance étant entendue dans son sens courant ; mais alors la notion d'erreur n'aurait admis qu'exceptionnellement une sanction, sans assurer une protection satisfaisante du consentement (conception soutenue par Pothier). En l'occurrence, l'absence de certitude aurait empêché la reconnaissance d'une erreur de la part de la Cour de cassation.
Ainsi, la jurisprudence s'est très vite orientée vers une conception subjective de la substance, assimilant la substance aux qualités essentielles de la chose, c'est-à-dire aux qualités de l'objet du contrat ayant poussé les parties à contracter (ex : 1er Civ. 26 fév. 1980, 1er Civ. 13 janvier 1998). L'arrêt commenté ici est une application typique de cette dernière conception.
On notera cependant ici que le Code civil dispose en son alinéa 1 de l'article 1110, que l'erreur sur la personne, si elle n'est la cause principale de la convention, ne saurait former un vice du consentement et donc être sanctionnée en tant que telle.
De même, la jurisprudence et la doctrine définissent aussi l'erreur obstacle, comme une erreur d'une telle gravité qu'elle s'oppose à toute rencontre des volontés. (ex : ch. com. 18 juillet 1956 ; ch. com. 4 janvier 1969).
B - La preuve de l'erreur
L'erreur ayant été définie, qui doit en rapporter la preuve, et comment ? Ici, les règles générales du Code civil concernant la preuve s'appliquent. Ainsi, c'est celui qui se prévaut de l'erreur qui devra la prouver pour pouvoir obtenir sa sanction. C'est ce qui a justifié le pourvoi en cassation dans l'arrêt commenté ici. Comment la preuve doit-elle être admise ? C'est le rôle de l'interprétation des juges, qui a formé une jurisprudence établie quant aux vices du consentement.
En effet, on considèrera que la charge de la preuve du vice du consentement, quant à l'erreur, est à celui qui s'en prévaut. Pour que le vice du consentement soit sanctionné en tant que tel, il faut que la preuve rapportée montre que le contrat n'aurait pas été volontairement formé eurent les parties connues l'erreur au moment de contracter.
C'est la difficulté du cas de l'arrêt présenté. Selon la première cour d'appel, le couple arguant du doute quant à la date de l'arrêt, ne justifie pas que la connaissance de ce vice aurait mis à mal leur volonté de contracter. Prenant considération des constatations souveraines des juges du fond, la Cour de cassation casse la décision. En effet elle considère, en application de la conception de l'erreur sur la substance, que la simple faute quant à la date affichée au catalogue suffit à modifier une qualité essentielle de l'objet en vente, faisant ainsi naître une erreur. Le vice du consentement est alors clairement formé, et la sanction de l'erreur peut s'appliquer, tel que nous allons l'étudier (II).
II - La sanction de l'erreur
Une fois l'erreur prouvée, comment la sanctionner ? Ici encore, c'est l'article 1110 du Code civil qui donne le régime juridique relatif à la sanction de l'erreur (A). Mais il faut aussi voir comment se fait l'appréciation de la qualité substantielle de l'erreur par les juges (B).
A - La sanction de l'erreur : la nullité du contrat
La sanction juridique de l'erreur est définie au premier alinéa de l'article 1110 du Code civil, qui dispose que « L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ». C'est donc la nullité du contrat qui est encourue en cas d'erreur, erreur entendue ici comme « vice du consentement » uniquement si l'erreur est considérée comme suffisamment grave et entrant dans une des conceptions développées précédemment.
C'est logiquement la nullité d'un contrat qui s'applique, puisqu'il y a eu une erreur dans les consentements donnés à travers le contrat. L'arrêt commenté ici en est encore une application concrète directe. Le fait que les consentements aient été viciés, puisque l'objet principal du contrat a été victime d'une erreur qui aurait entrainé les parties à ne pas contracter si elles avaient eu connaissance de ce fait au moment de contracter, entraine cette nullité. C'est pour cela que sont regroupés sous le terme de « vices du consentement » les vices susceptibles à entrainer la nullité d'une convention. Ils sont l'erreur, le dol et la violence, et sont les vices qui entrainent une déformation des volontés quant la formation ou l'objet du contrat rendant les dispositions du contrat impossible à honorer. Il ne peut y avoir un contrat là où le couple pense acheter une statue en fonction de sa date de fabrication, si la réalité exprime une date de fabrication différente.
On voit donc ici que le droit civil français reconnait donc l'erreur sur les qualités substantielles (ou sur la personne dans les contrats intuitu personae). Aucune autre erreur ne saurait donc être invoquée par le contractant. L'erreur sur les qualités secondaires, sur les motifs ou sur la valeur de la chose est en droit français indifférente.
B - L'appréciation de la qualité substantielle de l'erreur
Puisque l'erreur sur la substance est de façon générale la seule pouvant permettre la nullité du contrat sur le fondement de l'erreur, encore faut-il voir comment le juge va-t-il apprécier le caractère substantiel de la qualité dans l'esprit des parties.
Une première conception se fait par l'appréciation in abstracto des qualités substantielles : le juge se demande alors quelle est, dans l'opinion commune, la qualité substantielle de l'objet du contrat. Si celle-ci fait défaut, l'erreur peut être retenue.
Une seconde conception se base sur l'appréciation in concreto des qualités substantielles : à l'inverse, cette appréciation revient à raisonner, non par rapport à un modèle abstrait, mais au regard de la qualité substantielle qui était effectivement recherchée par la victime de l'erreur. Ainsi, toute qualité peut être considérée comme déterminante dès l'instant où l'errans (celui qui se prévaut de l'erreur) a conclu le contrat en considération de cette dernière, même si elle parait indifférente pour un individu moyen.
C'est cette seconde conception qui a été le plus généralement retenue par la jurisprudence (ex : Civ. 1re 13 février 2001), car cette démarche parait en effet la plus satisfaisante puisqu'elle permet d'annuler le contrat chaque fois que la volonté est effectivement altérée. Mais elle présente le risque d'une insécurité juridique en ce qu'il est souvent difficile de trouver la qualité que le contractant tient comme substantielle. Ici on aurait ainsi pu se demander si l'acquérant avait voulu la statue en tant qu'œuvre d'art ou en tant qu'objet archéologique, ce qui aurait pu faire varier la décision des juges.
Corentin Kerhuel