Le lien de causalité : Civ. 2e, 24 février 2004

Publié le 22/04/2009 Vu 9 177 fois 0
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Commentaire de l'arrêt Civ. 2e, 24 février 2004, sur le lien de causalité, la question est de savoir ici, si des enfants nés d'un parent handicapé à la suite d'un accident antérieur à la naissance peuvent demander réparation sur le fondement de l'article 1382 à l'auteur de l'accident pour le préjudice que représente pour eux le fait de vivre d'un parent handicapé ?

Commentaire de l'arrêt Civ. 2e, 24 février 2004, sur le lien de causalité, la question est de savoir ici, s

Le lien de causalité : Civ. 2e, 24 février 2004

Commentaire de l'arrêt Civ. 2e, 24 février 2004, sur le lien de causalité

Dans cet arrêt relatif au lien de causalité entre le handicap et le préjudice de la naissance, un homme a eu un accident de la circulation à la suite duquel il est resté handicapé à vie. Par la suite il a eu trois enfants, qui ont souffert du handicap de leur père. Ils demandent donc l'indemnisation par l'assurance du responsable de l'accident, du préjudice moral établi du fait qu'ils n'ont jamais pu établir de relations ludiques avec leur père (souffrance moral affective pretium doloris).

L'arrêt confirmatif d'appel a permis l'indemnisation par l'assureur, considérant l'auteur de l'accident comme responsable, et montrant l'existence d'un préjudice moral par ricochet. L'assureur refuse et se pourvoit en cassation.

Ainsi, la question est de savoir ici, si des enfants nés d'un parent handicapé à la suite d'un accident antérieur à la naissance peuvent demander réparation sur le fondement de l'article 1382 à l'auteur de l'accident pour le préjudice que représente pour eux le fait de vivre d'un parent handicapé ?

La Cour de cassation casse ici l'arrêt et rejette la demande, en se fondant sur l'absence de lien de causalité entre le préjudice et l'accident. Ce faisant, elle ne répond pas à la question du préjudice par ricochet.

Pour étudier cet arrêt, il faudra donc se pencher sur les questions soulevées. D'abord il faudra donc expliquer la solution de la Cour de cassation quant à la reconnaissance du lien de causalité (I), puis il faudra se pencher sur l'existence d'un préjudice réparable (II).

I - L'existence du lien de causalité

La solution de la Cour de cassation rappelle la nécessité première d'un lien de causalité entre la faute et le dommage pour permettre réparation, mais réfute ici l'existence d'un lien de causalité, illustrant une conception restrictive du lien de causalité. Ainsi il faut voir comment se définit généralement en jurisprudence largement le lien de causalité (A), mais la conception restrictive qui en a été retenue ici (B).

A - Une conception large du lien de causalité

Le lien de causalité se définit comme un lien de cause à effet entre le fait générateur et le dommage subi par la victime, il suppose de rechercher les causes qui ont été nécessaires à la réalisation du dommage. Montrer son existence est une condition indispensable de mise en œuvre de la responsabilité civile.


De manière générale, s'applique en jurisprudence la théorie de l'équivalence des conditions. Dans cette théorie, tout évènement sans lequel le dommage n'aurait pas pu se produire doit être considéré comme une cause permettant réparation. Ainsi, tous les antécédents ont une valeur équivalente. La difficulté réside parfois comme ici, à déterminer le terme de cette succession de causes. De plus, elle est parfois critiquée comme étant trop extensive, ce qui peut être vu comme des justifications par la Cour de cassation, pour l'écarter, considérant l'accident comme ne faisant pas partie de la cause du dommage.


Cette théorie est utilisée au cas par cas par la jurisprudence. Ici, en tant qu'accident incertain et indirect (dommage par ricochet) on peut comprendre que la Cour de cassation n'ait pas utilisée cette théorie. Selon cette théorie cependant, vu qu'il est incontestable que sans l'accident le préjudice n'aurait pas été constitué, on aurait pu considérer que cette solution puisse s'appliquer. Et la solution de la Cour de cassation peut donc surprendre en ce qu'elle refuse d'appliquer cette théorie jurisprudentielle. Malgré l'absence de motivation de sa solution, on pourrait dire que la Cour de cassation se justifie en utilisant une conception restrictive du lien de causalité (B).

B - Une conception ici restrictive du lien de causalité

En application de la première théorie, on pourrait considérer que l'accident constitue une cause nécessaire au préjudice, mais trop lointaine pour permettre la réparation.


Il existe une seconde théorie, dite de la causalité adéquate, selon laquelle seul l'évènement qui, suivant le cours normal des choses, devait entraîner le dommage, doit être retenu comme la cause impulsive et déterminante du dommage.


On peut penser que c'est cette conception que la Cour de cassation a souhaité appliquer. Suivant cette construction, le préjudice subi par les enfants est essentiellement du à leur naissance, à la décision de leur parents de les concevoir. Et c'est probablement pour cette raison que la Cour de cassation s'est fondée sur l'absence de lien de causalité.


En effet, les autres antécédents tel l'accident n'ont joué qu'un rôle secondaire dans la réalisation du préjudice, ils ne doivent donc pas être pris en considération. Cette théorie suppose donc qu'une sélection soit réalisée, par le juge, entre toutes les causes du dommage.


On peut penser que la Cour de cassation a ici appliqué cette théorie, mais sans motiver sa décision, car ici le préjudice résulterait de la naissance des enfants. Ainsi c'est une question épineuse qui expliquerait pourquoi la Cour de cassation ne répond pas à la question de l'existence d'un préjudice indemnisable et se place sur le terrain du lien de causalité, pour ne pas faire un nouvel arrêt « Perruche ». Mais la question d'un préjudice réparable mérite tout de même d'être soulevée (II).

II - L'existence d'un préjudice réparable

Il existe une infinité de préjudices réparables (matériels, moraux,...). Or, ici la question d'un préjudice moral est difficile, il s'agit de savoir si le fait de vivre avec un père handicapé est un préjudice indemnisable. Ainsi, il faut tout d'abord se demander, si le simple fait de vivre avec un père handicapé peut constituer un préjudice moral par ricochet (A), question qu'il faudra distinguer de celle de savoir le simple fait de naître avec un père handicapé constitue un préjudice moral par ricochet (B).

A - Le fait de vivre avec un père handicapé : préjudice moral par ricochet ?

Le préjudice par ricochet (ou dommage réfléchi) peut se définir comme le préjudice subi par une personne du fait d'un dommage premier dont est atteint une victime principale. En droit français, la jurisprudence a toujours admis que la victime par ricochet pouvait demander réparation pour la douleur morale causée par la mort d'un proche, ou la douleur morale issue du fait de voir un être cher diminué.


Or ici, il s'agit bien d'un préjudice moral par ricochet, puisque les enfants souffrent du fait de voir leur père diminué, et de ne pouvoir « établir des relations ludiques et affectives normales avec leur père dont ils vivaient le souffrance du fait de son handicap », établi par les juges du fond.


A l'origine, le préjudice moral était accepté de manière restrictive, et ne pouvait donner lieu à indemnisation que s'il revêtait un caractère exceptionnel (voir Cass. civ. 2e, 23 octobre 2003). Or ici, il semblerait que ce ne soit pas une situation exceptionnelle, ce qui pourrait justifier que le préjudice ne soit pas susceptible d'être réparé.


Mais ici le problème a une certaine spécificité puisque le préjudice par ricochet résulte du fait d'être né avec un père handicapé (B).

B - Le fait de naître avec un père handicapé : préjudice moral par ricochet ?

Il existe ici une difficulté. En effet, il est normal de considérer que le préjudice se constitue par un traumatisme, un bouleversement dans les conditions de vie, même pour le préjudice moral, ou pour le préjudice par ricochet. Or, la responsabilité civile vise à réparer, à compenser le changement qui intervient dans les conditions de vie.


Or, dans le cas présent, il n'y a pas eu de bouleversement puisque les enfants sont nés postérieurement à l'accident : ils n'ont jamais connu leur père en bonne santé. Il semblerait qu'ils ne pouvaient donc demander la compensation du préjudice moral enduré par la survenance même du handicap. Le préjudice d'affection ne saurait alors être réparé.


Il semblerait cependant que le jugement de première instance ainsi que l'arrêt de la Cour d'appel ont accordé à cette souffrance la qualité de préjudice moral, donc réparable. La Cour de cassation elle, passe à côté de la question, qu'elle évite en arguant de l'absence de lien de causalité. Il semblerait que la question reste importante, à la façon du célèbre arrêt Perruche permettant l'indemnisation du fait de naître handicapé, pour ici savoir si le fait d'être né avec un parent handicapé est réparable ? Cet arrêt signifie-t-il que naître d'un enfant handicapé ne constitue pas un préjudice en soi ? La Cour de cassation ne répond pas ouvertement à la question posée.

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