Ces deux arrêts de la 1e chambre civile de la Cour du cassation des 21 novembre 2006 et 4 juin 2007, sont relatifs à la question de la réparation de la perte de chance.
Dans le premier arrêt, un avocat est poursuivi en responsabilité contractuelle pour avoir fait perdre une chance à ses clients de gagner leur procès en ne leur conseillant pas un recours en cassation, alors même que ceux-ci avaient encore la possibilité de se pourvoir contre la décision litigieuse. Dans le second, l'Etat est poursuivi en responsabilité délictuelle car une commission de surendettement, par une erreur, aurait empêché à des époux de vendre leur maison hors du tribunal, alors même qu'à l'époque, la chance des époux d'obtenir une suspension de la saisie immobilière était dépourvue de toute certitude. Ainsi dans ces deux arrêts, il s'agit d'un assignement contre le responsable d'une perte de chance, perte dont la certitude est ouverte au doute.
Dans les deux arrêts, les potentiels responsables de la perte de chance se pourvoient en cassation contre une décision les ayant à chaque fois condamnés, alors même que la perte de chance n'avait pas été prouvée comme certaine.
Cependant, si les deux parties se pourvoient sur la prétention que la perte de chance réparable doit être prouvée comme la « disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable », ce qui n'aurait pas été le cas, il faut voir que le premier arrêt se base sur la responsabilité contractuelle de l'article 1147 du Code civil, alors que le second se base sur la responsabilité délictuelle, de l'article 1382 du Code civil.
Ainsi il faudra s'interroger ici, pour savoir comment se répare la perte de chance, sur le fondement délictuel tout comme sur le fondement contractuel.
Dans les deux cas présents la Cour de cassation a cassé la décision, en montrant qu'à chaque fois, la Cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences des faits montrant que la perte de chance n'avait pas été certaine et actuelle, ne formant ainsi pas de distinction entre le fondement délictuel et le fondement contractuel.
Pour comparer ces arrêts il faudra tout d'abord voir ce qui distingue et rapproche le dommage délictuel du dommage contractuel (I), avant de voir la solution commune retenue quant à la réparation de la perte de chance (II).
I - Dommage contractuel et dommage délictuel
A - Des fondements différents
La différence entre les deux ordres tient à l'appréciation de la faute. Dans la responsabilité contractuelle, celle-ci consiste en la violation d'un contrat dont on ne peut négliger le contenu, alors que « tout fait quelconque de l'homme » (article 1382 du Code civil) peut être source de responsabilité délictuelle.
Ainsi, les deux conceptions se basent sur la réparation d'une faute, comme on le voit dans chacun des arrêts. Cependant, la faute s'apprécie différemment, on observe ainsi que l'indemnisation en matière contractuelle se base sur un dommage prévu ou prévisible lors du contrat (faute de l'avocat) ; alors qu'en matière délictuelle, en raison du principe de la réparation intégrale, la responsabilité indemnise les dommages imprévisibles (cas du second arrêt).
La conception actuelle se penche donc vers une unité de nature, mais une différence de régime liée à l'appréciation différente de la faute. Cependant, ces fondements se retrouvent sur le but poursuivi : la réparation du préjudice (B).
B - Une même utilité
Aujourd'hui, on pourrait considérer que responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle seraient « deux variétés d'une même institution » (P. Malaurie) : l'obligation de répondre des dommages causés par sa faute.
Ainsi que nous le montre bien ces deux arrêts, il faudra toujours prouver l'existence d'une faute à l'origine du dommage. C'est le principe général en droit français. En matière contractuelle, cette faute trouvera son origine dans une inexécution ou une mauvaise exécution du contrat, là où en matière délictuelle, toute faute du fait de l'homme peut être sanctionnée.
L'objectif de la responsabilité civile (en matière contractuelle et délictuelle) est donc la réparation d'un dommage. On considèrera la faute et la réparation, en fonction de la présence d'un contrat (responsabilité contractuelle), ou pas (responsabilité délictuelle),qui dictera le régime applicable. Mais le résultat recherché est le même, comme le montre la solution commune pour les deux arrêts : la réparation nécessaire engendrée par la faute de celui contre qui elle est dirigée.
Se pose alors la même question dans les deux cas, celle de la réparation de la perte de chance : une éventualité disparaissant avec la survenance du dommage peut-elle être réparée ?
Du fait du principe de la faute, il faudra donc prouver une faute certaine, qui engendrerait réparation (II).
II - Réparation commune de la perte de chance
La difficulté commune rencontrée dans ces arrêts, est de savoir comment réparer lorsque le résultat de la faute commise n'est pas un dommage certain. Les deux décisions ont cassé leurs solutions inférieures en adoptant une position similaire, celle de la non-réparation d'une perte qui n'a pas été prouvée comme certaine. Ainsi il faut voir la solution choisie (A), ainsi que sa justification (B).
A - Une même étendue, délictuelle comme contractuelle
La perte de chance se situe entre le préjudice présent et le préjudice éventuel non réparable. Si la chance existe réellement, sa perte constitue un préjudice certain, donc réparable, dont l'étendue varie avec la probabilité de survenance de l'évènement heureux. La perte d'une chance se rencontre souvent dans la responsabilité contractuelle (médicale, du transporteur,...). Sa réparation a la même étendue qu'en matière délictuelle.
Comment doit s'apprécier cette perte de chance ? Il semble que c'est le rôle du juge de contrôler l'existence -ou non - de cette disparition. Ici, aussi bien dans l'interprétation de l'article 1147 (responsabilité contractuelle) que dans l'article 1382 (responsabilité délictuelle), les juges, comme le montre chacun de ces arrêts, ont adopté une position commune, consistant à considérer que « seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable », qu'apprécieront les juges en chaque circonstance.
Ainsi donc, ne naît pas de distinction entre la réparation de la perte de chance en matière contractuelle et en matière délictuelle. La solution appliquée est la même, au regard de l'application des règles spécifiques à chaque régime de responsabilité.
B - lien de causalité
On voit à la solution choisie, que trois choses caractérisent la réparation d'une perte de chance : une éventualité favorable ratée par une perte de chance, et sa disparition actuelle, ainsi que certaine.
Ainsi la Cour de cassation a pu ici rejeter la demande de réparation pour perte de chance, qui à chaque fois ne remplissait pas ces critères. La Cour de cassation a à chaque fois décidé ici, que la réparation de la perte d'une chance doit être mesurée par rapport à la chance perdue, et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, car en effet, la perte de chance est ici vue comme un dommage spécifique et autonome par rapport au dommage final. Ce dernier doit être réduit en fonction du degré d'aléa frappant la réalisation de la chance, c'est-à-dire de son caractère plus ou moins sérieux.
Et on voit alors bien, que la réparation nécessite un lien de causalité entre la faute à l'origine du dommage potentiel, et le dommage subi par la victime. Et c'est la preuve de ce lien, tout comme de la qualité de perte de chance réelle, qui permettra la réparation attendue. Ici, si le lien de causalité est établie, il est mis à mal en ce que la perte de chance n'a pas été prouvée, ainsi que le considèrent les juges de cassation en reprenant le raisonnement des juges du fond.
Corentin Kerhuel