Jusqu’à l’entrée en vigueur le 05 Mai 2014 de l’Acte Uniforme OHADA révisé relatif au Droit des Sociétés Commerciales[1], le « bureau de représentation » n’avait aucun fondement juridique dans l’espace OHADA. En effet, même si certains Etats faisaient appel à cette notion au plan fiscal, au nom de l’autonomie du Droit Fiscal[2], au plan juridique elle n’était pas consacrée, ce qui obligeait les entreprises désireuses de mener une activité de bureau de représentation ou de liaison, à créer une Succursale ou à constituer une Société de Droit camerounais.
Désormais le Bureau de Représentation bénéficie d’un régime juridique supranational spécifique. En fonction de ce régime juridique, il devrait être soumis à un régime fiscal particulier, et ce même en l’absence d’aménagements de la Législation Fiscale.
- REGIME JURIDIQUE DU BUREAU DE REPRESENTATION
Aux termes de l’Article 120.1 de l’AUDSC, « Le bureau de représentation ou de liaison est un établissement appartenant à une société et chargé de faire le lien entre cette dernière et le marché de l’Etat partie dans lequel il se situe. Il n’est pas doté d’une autonomie de gestion et n’exerce qu’une activité préparatoire ou auxiliaire par rapport à celle de la société qui l’a créé ».
Ainsi, au plan juridique, le Bureau de Représentation ou de Liaison n’a ni personnalité juridique, ni autonomie de gestion. Toutefois, il doit être immatriculé au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier au même titre qu’une Succursale ; mais à la différence de la Succursale il n’est pas soumis à terme, à l’obligation de filialisation édictée par l’Acte Uniforme, au terme du délai d’existence de deux (02) ans.
Au plan technique, le Bureau de Représentation ou de Liaison exerce exclusivement une activité préparatoire ou auxiliaire à celle exercée par son Siège. Dès lors que les activités du Bureau de Représentation excèdent ces limites, il doit être transformé en Succursale ou en Filiale de Droit local.
En l’absence de définition légale des notions d’activité « préparatoire » ou « auxiliaire » retenues, le Juge OHADA éventuellement saisi pourrait être amené à en clarifier les contours, ce d’autant plus qu’en matière fiscale ces critères sont diversement appréciés.
- REGIME FISCAL APPLICABLE AU BUREAU DE REPRESENTATION
2.1. NOTION DE BUREAU DE REPRESENTATION
Ni le Code Général des Impôts, ni aucun texte fiscal national ne régit à ce jour l’activité de Bureau de Représentation ou de Liaison, ce qui obligeait les entreprises exerçant ce type d’activité au Cameroun à ouvrir une Succursale ou à constituer une société de droit camerounais, laquelle doit déclarer un revenu. Ce revenu est déterminé de diverses manières, il peut s’agir d’une commission[3] ou d’un forfait facturé au Siège, ou encore d’un système de « cost plus ».
Les Conventions Fiscales conclues par le Cameroun définissent toutes la notion d’établissement stable, aux fins d’imposition et indiquent les entités qui ne sauraient être considérées comme des établissements stables. Par un raisonnement a contrario, ces définitions conventionnelles de l’établissement stable devraient permettre de cerner celle du Bureau de Représentation, ce qui n’est pas le cas, car ces définitions conventionnelles ne sont pas homogènes.
A titre d’illustration, les Conventions Fiscales CEMAC[4] et tuniso-camerounaise[5] stipulent qu’une installation d’affaires utilisée à des fins de publicité ne constitue pas un Etablissement Stable ; une telle installation pourrait donc être considérée comme exerçant une activité auxiliaire relevant d’un Bureau de Représentation. En revanche, les Conventions Fiscales canado-camerounaise[6] et franco-camerounaise considèrent qu’une telle installation constitue un Etablissement Stable. Egalement, les Conventions conclues avec le Canada et la France précisent qu’une installation fixe d’affaires utilisée dans le but de réunir des informations faisant l’objet même de l’activité de l’entreprise constitue un Etablissement Stable, alors que les deux (02) autres Conventions n’en font pas cas[7].
En tout état de cause, étant donné que le Législateur OHADA n’a pas défini les contours des notions d’activité « préparatoire » ou « auxiliaire » nul doute que l’Administration Fiscale prendra position sur cette question, et ce en attendant que le Juge se prononce éventuellement.
2.2. IMPOSITION DU BUREAU DE REPRESENTATION
Comme relevé ci avant, en l’absence de cadre légal national dédié au Bureau de Représentation, les Services de l’Administration Fiscale considéraient que le centre de coût constitué par le Bureau de Représentation devait déclarer un revenu imposable.
Désormais, eu égard à sa consécration en Droit des Sociétés OHADA, en dehors même de tout aménagement de la Loi Fiscale, le Bureau de Représentation devrait bénéficier d’un régime fiscal distinct de celui de la Succursale, en raison de sa spécificité juridique. Sous réserve du respect des conditions légales, notamment en ce qui concerne la nature de l’activité exercée, le Bureau de Représentation devrait donc être assujetti au régime ci-après :
2.2.1. Patente
Aux termes de l’Article C8 du Code Général des Impôts (CGI) est assujettie à la Contribution des Patentes toute personne exerçant « une activité économique, commerciale ou industrielle ou toute autre profession [non exemptée] ». L’Article C9 du CGI souligne le « but lucratif » exigé de l’activité patentable et l’Article C10 ajoute que la Patente est fixée en fonction du chiffre d’affaires.
Or, le Bureau de Représentation constitue essentiellement un centre de coûts, qui ne saurait générer de profits, car il est confiné à une activité préparatoire ou auxiliaire de celle de son siège et ne réalise donc aucun chiffre d’affaires.
En conséquence, le Bureau de Représentation n’exerce pas une activité à but lucratif au sens de l’Article C9 du CGI, à soumettre à la Contribution des Patentes.
2.2.2. Impôt sur le Revenu (IS ou IRPP)
Selon l’Article 2 du CGI, l’Impôt sur les Sociétés (IS) est assis sur les bénéfices ou revenus réalisés par les personnes morales, pour les entreprises exploitées ou sur les opérations réalisées au Cameroun. L’Article 24 du CGI prévoit également l’imposition des personnes physiques domiciliées au Cameroun, sur le revenu global net réalisé.
Conformément à ces dispositions, une entité qui ne réalise aucun chiffre d’affaires ne saurait être soumise à l’Impôt sur le Revenu, étant donné qu’elle n’enregistre ni revenu, ni bénéfice.
En conséquence, au plan de la Loi Fiscale, le Bureau de Représentation ne devrait pas être assujetti à l’Impôt sur le Revenu.
Cela étant, il convient de souligner qu’à ce jour, les Succursales créées à l’effet d’exercer une activité de Bureau de Représentation sont contraintes de s’acquitter de l’IS, en raison de la Doctrine de l’Administration Fiscale qui les oblige à facturer leurs "prestations" à leurs Sièges, sur la base d’un cost-plus, à défaut d’une autre méthode de rémunération choisie par l’entreprise. Le risque est donc élevé que dans le cadre du régime fiscal applicable au Bureau de Représentation, le fisc essaie de faire valoir ce régime dérogatoire du Droit Positif Fiscal et des Principes Généraux de Droit Fiscal.
2.2.3. Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA)
2.2.3.1. TVA aval
Selon les Articles 125, 126 et 132 du CGI, sont assujetties à la TVA les personnes qui réalisent une « activité économique exercée à titre onéreux » et relevant du régime réel d’imposition[8]. Aux termes de l’Article 126.2 « Les activités économiques s’entendent de toutes les activités de production, d’importation, de prestation de services et de distribution, y compris les activités extractives, agricoles, agro-industrielles, forestières, artisanales, et celles des professions libérales ou assimilées ».
Etant donné que le Bureau de Représentation ne réalise pas d’activité économique au sens de l’Article 126 du CGI susvisé, il ne saurait donc être un assujetti à la TVA.
Toutefois, dans l’hypothèse où le Bureau de représentation serait contraint d’opérer une facturation à l’adresse de son Siège, conformément à nos observations du point 2.2.2 ci-dessus, ladite facturation devrait être soumise à la TVA au taux général de 19,25%, sauf à appliquer la Doctrine Administrative Fiscale[9] de l’application du taux zéro de TVA sur les prestations de services immatérielles rendues au profit de bénéficiaires domiciliés à l’étranger. En fonction de ce risque fiscal, il serait envisageable que le Bureau de représentation recoure uniquement à des appels de fonds pour équilibrer ses dépenses.
2.2.3.2. TVA d'amont
Dans tous les cas, le Bureau de Représentation supporte la TVA sur ses acquisitions de biens et de services non exonérés. Cette TVA amont constitue un coût, étant donné que le Bureau ne génère pas de TVA aval permettant l’imputation de ladite TVA amont.
Cependant, cette TVA d’amont deviendrait récupérable si le Bureau de Représentation émettait des factures pour ses "prestations" rendues au Siège, car ce faisant elle génèrerait une TVA aval, et ce même dans le cas de l’application du taux zéro[10].
2.2.4. Droits d’Enregistrement
Les Droits d’Enregistrement constituent des droits d’acte et sont dus même en l’absence de toute activité économique.
Le Bureau de Représentation est donc redevable des Droits d’Enregistrement, toutes les fois où ils sont dus, notamment dans le cas d’un bail professionnel ou d’habitation signé par le Responsable du Bureau de Représentation, lequel serait assujetti au Droit Proportionnel d’Enregistrement de 10%[11].
2.2.5. Redevable légal des impôts de tiers
Bien qu’il soit en principe exempté de tout Impôt sur le Revenu, sous réserve de nos observations du point 2.2.2 in fine ci avant, le Bureau de Représentation demeure responsable du reversement de tous les impôts de tiers dont il est le redevable légal. Le Bureau de Représentation doit obligatoirement obtenir une immatriculation fiscale pour remplir ces obligations, lesquelles concernent notamment :
- l’IRPP dû à raison des rémunérations servies aux salariés ;
- le précompte sur loyers versés aux bâilleurs ne relevant pas de la Direction des Grandes Entreprises ou d’un Centre des Impôts des Moyennes Entreprises ;
- la Taxe Spéciale sur les Revenus au titre des prestations de toute nature rendues par les personnes domiciliées hors de la CEMAC, quoique le Bureau de représentation n’enregistre pas de charges[12].
Au demeurant, le régime fiscal exposé ci-dessus résulte de l’interprétation stricte des dispositions générales de la Loi Fiscale en vigueur à ce jour. Ce régime pourrait être :
- soit modifié, soit conforté par le Législateur Fiscal, par l’insertion de références expresses au Bureau de Représentation dans le CGI, ce qui aurait le mérite de clarifier la situation ;
- soit interprété par la Doctrine Administrative Fiscale, en l’absence probable de modification législative à court terme, avec un risque d’interprétation opportuniste, à connotation budgétaire.
[1] Ci-après AUDSC.
[2] C’était le cas au Sénégal où la Doctrine Administrative Fiscale tenait compte, de la réalité des opérations effectuées, au lieu de la qualification formelle retenue par l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit des Sociétés Commerciales. A un degré moindre, l’Article 169.5 du Code des Impôts Equato-Guinéen évoquait la notion sans en définir les contours.
[3] A la tonne par exemple.
[4] Article 2.2.
[5] Article 5.3.d.
[6] Article 3.2.k.
[7] Toutefois, il convient de relativiser ce constat, puisque les listes fournies ne sont pas limitatives.
[8] Relèvent de ce régime les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires annuel hors TVA supérieur ou égal à cinquante millions (50.000.000) de francs CFA.
[9] Voir correspondance du Directeur Général des Impôts du 16 Décembre 2011.
[10] Dans ce dernier cas, elle se retrouverait alors en situation de crédit structurel de TVA amont, lequel pourrait poser un problème de remboursement, si le fisc considère que le Bureau n’a pas la qualité d’ « exportateur », nonobstant la position doctrinale du 16 Décembre 2011.
[11] Ce Droit est ramené à 5% si le bail à usage d’habitation est signé par le salarié en son nom propre.
[12] Pour mémoire, la TSR est appliquée sur les paiements des entreprises soumises au régime libératoire dit de la TSRP, alors même que lesdites entreprises ne sont pas astreintes à la tenue d’une comptabilité à des fins fiscales au Cameroun. Ainsi, les Services de l’administration fiscale pourraient estimer que même en l’absence de comptabilisation de charges, la TSR demeure due à raison du paiement des rémunérations du prestataire domicilié à l’étranger.