Par un arrêt rendu le 12 février 2025 (pourvoi n° 23-22.310), la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé les sanctions applicables au licenciement injustifié ou mal motivé de la femme enceinte ou accouchée.
1. Exposé des faits
Une salariée a été engagée par une association le 6 juillet 2017, en qualité d’animatrice socioculturelle.
Elle a informé son employeur de sa grossesse le 28 mai 2018.
Le 4 juillet 2018, le directeur de l’association a procédé à son licenciement pour faute grave, avant son congé maternité, pendant la période de protection légale dite relative.
Or, pendant cette période de protection dite relative, l’employeur ne peut licencier une salariée l’ayant informé de sa grossesse autrement que pour faute grave dument établie ou pour une impossibilité de maintenir son contrat pour un motif étranger à sa grossesse (art. L. 1225-4 du code du travail).
La salariée a contesté ce licenciement devant la juridiction prud'homale, puis l’affaire a été portée devant la cour d’appel de Lyon.
Par un arrêt du 13 septembre 2023 (RG n°20/04081), la cour d’appel de Lyon a jugé le licenciement nul.
Elle a considéré que la salariée avait, certes, droit :
- à une indemnité pour licenciement nul, égale au minimum à ses 6 derniers mois de salaires,
- à une indemnité de préavis,
- et à une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.
Néanmoins, la cour d’appel a jugé que la salariée ne pouvait, sans justifier d’un préjudice, prétendre au cumul de ces indemnités avec une indemnité correspondant aux salaires qu’elle aurait dû percevoir entre son licenciement et la fin de son congés maternité.
Les parties ont toutes deux contesté cet arrêt devant la chambre sociale de la Cour de cassation : la salariée a formé un pourvoi principal et l’employeur un pourvoi incident.
2. Arguments des parties
2.1 argument de la salariée
Par un moyen composé de 2 branches (i.e. de 2 arguments), la salariée a fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de l’avoir déboutée de sa demande en paiement d’une somme correspondant aux salaires qu’elle aurait perçus entre son licenciement et la fin de son congé maternité, outre les congés payés y afférents.
Dans une première branche, la salariée reprochait à la cour d’appel d’avoir dénaturé ses conclusions (i.e. mésinterpréter ses arguments). Cette branche ne sera pas commentée, car la Cour de cassation se fonde uniquement sur la seconde branche pour rendre sa décision.
Dans une seconde branche, la salariée reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande au motif qu’elle ne justifiait pas d’un préjudice lui permettant distinct de celui couvert par l’indemnité pour licenciement nul.
2.2 arguments de l’employeur
L’employeur, quant à lui, formulait, dans le cadre d’un pourvoi incident, un moyen de cassation reprochant à la cour d’appel considéré le licenciement nul au motif que le directeur de l’association n’avait pas le pouvoir de licencier la salariée.
Il expliquait que la cour d’appel avait privé sa décision de base légale, car elle n’avait pas recherché, au préalable, si une faute grave pouvait fonder le licenciement de la salariée.
3. Solution de la Cour de cassation
3.1 La solution relative au pourvoi incident
Dans un premier temps, la Cour de cassation a répondu au pourvoi incident de l’employeur.
Elle a considéré que la cour d’appel n’était pas tenue de rechercher si une faute grave pouvait fonder le licenciement de la salariée, dès lors qu’elle avait constaté que les statuts de l’association ne conféraient pas au directeur le pouvoir de licencier.
Il s’agit là d’une position constante de la Cour de cassation et d’une spécificité propre aux associations.
En effet, dans les associations, le licenciement doit nécessairement être prononcé par la personne ou l’organe désigné à cette fin par ses statuts. A défaut de précision, seul le président de l’association dispose du pouvoir de licencier.
Si le licenciement est prononcé par une personne non habilitée, il est considéré comme étant injustifié, voire nul (en ce sens, not. : Soc., 25 novembre 2003, n° 01-42.111, Bull.n° 292 ; Soc., 29 septembre 2004, n° 02-43.771, Bull.,n° 236 ; Soc., 17 novembre 2011, n° 10-19.242 ; Soc., 21 septembre 2017, n° 16-10.305 ; Soc., 14 mars 2018, n° 16-12.578 ; Soc., 14 octobre 2020 n° 19-18.574).
Au cas particulier, seul le comité de direction disposait, selon les statuts de l’association, du pouvoir de licencier.
Tel n’était pas le cas du directeur.
Le directeur avait donc procédé au licenciement de la salarié, sans en avoir le pouvoir, de sorte que la rupture du contrat était nécessairement nul.
Le moyen de l’employeur était donc inopérant : il importait de rechercher si la faute grave était établie, dès lors que la cour d’appel avait constaté que le licenciement avait été prononcé par une personne qui n’en avait pas le pouvoir.
3.2. Solution relative au pourvoi principal
Dans un second temps, la Cour de cassation a considéré qu’outre l’indemnité pour licenciement nul, la salariée avait nécessairement droit à une indemnité forfaitaire correspondant aux salaires qu’elle aurait perçus entre son licenciement et la date de fin de son congé de maternité.
Il s’agit là, en effet, d’une réparation forfaitaire, découlant de l’article L. 1235-3-1 du code du travail. La cour d’appel ne pouvait donc exiger que la salariée justifie d’un préjudice à cette fin.
4. Analyse et portée de l’arrêt
Cet arrêt rappel qu’en cas de licenciement intervenant en violation de la protection des femmes enceintes ou accouchées, cette dernière peut bénéficier, si elle ne demande pas sa réintégration dans l’entreprise :
- d’une indemnité pour licenciement nul,
- et d’une indemnité couvrant la période débutant à la date de son licenciement et expirant à la fin de la période de protection prévue par l’article L. 1225-4 du code du travail.
Le réel intérêt de cet arrêt découle du fait que la Cour de cassation a recouru au droit de l’Union européenne pour consolider sa position.
En effet, la réécriture des articles L. 1225-71 et L. 1235-3-1 du code du travail avait pu, pour quelques-uns, laisser planer un doute sur la possibilité de cumuler ces indemnités.
Pour dire qu’un tel cumul d’indemnité était encore possible, la Cour de cassation a, notamment, interprété les articles L. 1225-71 et L. 1235-3-1 du code du travail à la lumière :
- de l’article 10 de la directives 92/85/CEE du 19.10.199 sur la santé et la sécurité des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes,
- et de l’article 18 de la directive 2006/54/CE du 5.07.2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail, que la salariée, qui n'est pas tenue de demander sa réintégration.
La Cour de cassation a donc signalé que le droit de l’Union européenne ne s’opposait pas, à son sens, à un tel cumul.
Ce faisant, elle a confirmé sa position établie dans un arrêt rendu le 6 novembre 2024 (pourvoi n° 23-14.706) et incite davantage les justiciables à recourir au droit de l’Union européenne pour défendre leurs droits.