Maître Karim de Medeiros

Droit du travail et de la sécurité sociale

Précisions sur l'action des syndicats de salariés dans l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent

Publié le Modifié le 11/02/2025 Vu 117 fois 0
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Retour sur les arrêts rendus en 2023 (pourvois n° 22-11.238 et 22-14.807) et 2024 (pourvoi n°22-22.803) par la Cour de cassation sur l'action des syndicats dans l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Retour sur les arrêts rendus en 2023 (pourvois n° 22-11.238 et 22-14.807) et 2024 (pourvoi n°22-22.803) par

Précisions sur l'action des syndicats de salariés dans l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent

D’abord consacrée par la jurisprudence en 1913, puis cristallisée par le législateur via la loi du 12 mars 1920, l’action des syndicats de salariés dans l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent est aujourd’hui inscrite à l’article L. 2132-3 du code du travail.

La jurisprudence lui trouve également des racines plus profondes, puisqu’elle la rattache notamment au bloc de constitutionnalité et à l’article 2 de la Convention de l’Organisation Internationale du Travail n°87 (en ce sens, notamment : Soc., 22 janv. 2014, no 12-27.478).

Par opposition au principe selon lequel « nul ne plaide par procureur », l’action des syndicats dans l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent peut, de prime abord, paraître comme une anomalie.

En effet, l’action dans l’intérêt collectif de la profession que représente un syndicat ne se confond pas avec l’action dans l’intérêt général et est distincte de l’action du syndicat en défense de ses intérêts propres ou encore de l’action en substitution des intérêts personnels des salariés.

Dans le silence du législateur, la jurisprudence a dû tenter de borner cette action. Tel a été le cas dans des arrêts rendus en 2023 (pourvois n° 22-11.238 et 22-14.807) et 2024 (pourvoi n°22-22.803), par lesquels la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser l'objet de l’action du syndicat dans l’intérêt collectif de la profession qu’il représente.

Ces arrêts sont l’occasion de revenir sur les contours de cette action.

 

I) Définition de l'action du syndicat dans l'intérêt collectif de la profession qu'il représente

 

Aux termes de l’article L. 2132-3 du code du travail :

"Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice.

Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent"

 

La lecture de ce texte permet de dégager plusieurs points :

•             Premièrement : les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice (al. 1 de l’art. L. 2132-3 du code du travail).

Cela ne concerne pas que les syndicats de salariés, puisque la chambre sociale de la Cour de cassation a également étendu cette action aux organisations patronales (en ce sens, voir not. : Soc. 2 juin 1983, no 81-40.103).

De plus, cette action est ouverte sans condition de représentativité.

 

•             Deuxièmement : les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice devant toutes les juridictions  (al. 2 de l’art. L. 2132-3 du code du travail)

Un syndicat professionnel peut donc, sans que cela ne soit exhaustif, autant agir devant le conseil de prud’hommes que devant le tribunal administratif, le tribunal judiciaire ou les juridictions pénales…

La nature de l’action du syndicat diffèrera, cependant, en fonction de la juridiction devant laquelle il agit.

A titre d'illustration, il ne pourra que se joindre à une instance déjà engagée par un salarié devant le conseil de prud'hommes, mais pourra agir à titre principal ou accessoire devant d’autres juridictions telles que le tribunal judiciaire, voire le tribunal administratif….

 

•             Troisièmement : les syndicats professionnels peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent

Ainsi, un syndicat peut exercer l’action civile dans les affaires relatives à des faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente.

Même si la défense de l’intérêt collectif de la profession peut {in fine} bénéficier à ses adhérents, un syndicat n’est pas tenu de démontrer qu’un adhérent a subi un préjudice qui lui serait personnel pour que sa demande soit recevable.

Seule compte l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente.

Néanmoins, la ligne de partage entre intérêt individuel et intérêt collectif est parfois tenue et la lecture de la jurisprudence ne permet pas de tracer une ligne de partage claire à ce sujet.

Au dernier état, et dans la droite lignée des propos tenus par Monsieur Jean-Guy Huglo, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation lors l'édition 2024 de la conférence de la Cour de cassation sur les questions sensibles en droit du travail, diffusée le 4 octobre 2024, il semble falloir considérer qu'il y a atteinte à l'intérêt collectif de la profession lorsqu'il y a atteinte à l'intérêt de la communauté de travail (Soc., 5 février 2025, 23-21.250).

 

II) Portée des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation les 22 novembre 2023 (pourvois n° 22-11.238 et 22-14.807) et 10 juillet 2024 (22-22.803)

 

Dans deux arrêts de 2023, puis dans un arrêt de 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a énoncé :

"9. Aux termes de ce texte, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

 

10. Il en résulte qu'un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d'égalité de traitement et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'avenir à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte."

 

Partant, la chambre sociale souligne que, dans le cas d'une action en défense de l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, un syndicat n'a pas la possibilité d'enjoindre à l'employeur de procéder à une régularisation des situations individuelles.

En effet, la chambre sociale a déjà eu l'occasion de préciser qu'une telle demande était susceptible d'empiéter sur la liberté personnelle des salariés (Soc., 20 avril 2023, QPC n° 23-40.003, publié).

En revanche, la chambre sociale de la Cour de cassation affirme nettement :

 

  • le syndicat peut demander des dommages-intérêts en réparation des atteintes commises par l'employeur à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent,

     

  • et qu'il peut demander que l'employeur mette fin à l'avenir, éventuellement sous astreinte, à l'irrégularité constatée.

 

La demande du syndicat en cessation des manquements de l'employeur est donc nécessairement tournée vers l'avenir et peut être assortie d'une astreinte.

Or, aux termes de l’article R. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, l'astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut être antérieure à la date à laquelle la décision est devenue exécutoire. Toutefois, elle peut prendre effet dès le jour de son prononcé si elle assortit une décision qui est déjà exécutoire.

L’employeur dispose donc de la durée de l’instance pour régulariser la situation et tenter d’échapper à une astreinte (à supposer que la situation soit régularisable).

L’action du syndicat peut, ainsi, constituer un moyen de le dissuader de perpétuer une pratique illicite.

 

III) Exemples d'actions de syndicats dans l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent

 

Il peut être cité différents exemples d'actions dans l'intérêt collectif de la profession.

Tel est le cas :

  • de la mauvais application des stipulations d'une convention collective (Cour d'appel d'Orléans, 16 avril 2024, 22/00369),

     

  • de l'entrave à l'exercice du droit de grève résultant d'une retenue de salaire illicite (Soc., 5 février 2025, 23-21.250),

     

  • de l'action portant sur des manquements graves et délibérés de l'employeur en matière de réorganisation, contraignant les salariés à faire grève pour faire respecter leurs droits essentiels (Soc., 22 janvier 2025, 23-17.782),

     

  • de l'intervention d'un syndicat aux côtés d'un salarié pour objet le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail (Soc., 12 juillet 2017, n° 16-10.460).

 

***

Karim de Medeiros

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