L’affirmation selon laquelle l’inarbitrabilité en droit français constitue un principe général remonterait à une décision du Conseil d’Etat du 7 novembre 1824. Par la suite, E. Lafferière dans son ouvrage canonique Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux affirmait qu’« il est de principe que l’Etat ne peut pas soumettre ses procès à des arbitres » et ce en raison des « conséquences aléatoires de l’arbitrage ».
§1 – Définition.
§1.1 – Arbitrage. Contrairement aux autres formes classiques de règlements alternatifs des différends (MARD), comme la médiation ou la conciliation, l’arbitrage se distingue, en étant un mode juridictionnel de règlement des conflits.
Aucune définition législative ou réglementaire de l’arbitrage n’existe en droit français. Ses éléments constitutifs ont été progressivement dégagés par la doctrine, et certains d’entre eux sont confirmés par la jurisprudence ou les règlements qui permettent de mieux cerner la notion. Ainsi, peut-on définir l’arbitrage, selon les Professeurs Ancel, Deumier et Laazouzi comme une institution complexe faisant reposer l’octroi de la fonction juridictionnelle, confiée à une ou plusieurs personnes dépourvues de toute investiture étatique (i), sur un fondement contractuel (ii), fruit de l‘accord des parties (iii) afin de trancher le litige qui les oppose (iv). L’arbitre tranche le litige soustrait à la connaissance des juridictions étatiques, par le prononcé d’une sentence (M-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Sirey, 2é édition).
De cette qualification découle un régime particulier, que l’on peut difficilement séparer de la notion, puisque la sentence arbitrale dispose de l’autorité de la chose jugée, mais non de la force exécutoire (articles 1476 et 1477 du code de procédure civile).
L’arbitrage met ainsi en exergue l’enjeu de l’organisation exclusivement étatique de la justice. Dans le cadre de celle-ci, l’État confie aux juridictions qu’il institue le pouvoir de dire le droit entre les parties qui les ont saisies. Il assure également la possibilité de recourir à la contrainte pour mettre les décisions ainsi rendues à exécution. Ce modèle articule trois facteurs : (i) l’investiture des juges par l’État, (ii) l’octroi à ces juges du pouvoir de dire le droit entre les parties et (iii) le recours possible à la contrainte étatique pour en assurer l’efficacité (M-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Sirey, 2é édition).
L’arbitrage consiste en une reconfiguration de ces trois éléments. (i) L’arbitrage implique que l’Etat accepte de laisser aux parties en litige la liberté de s’entendre pour recourir à des juges privés plutôt qu’aux juridictions qu’il institue. À côté du service public de la justice, l’arbitrage constitue un service privé. (ii) L’État remet entre les mains des juges privés que sont les arbitres choisis par les parties le pouvoir de dire le droit pour trancher le litige qui leur est soumis, la jurisdictio. (iii) L’institution de l’arbitrage ne peut se maintenir que si la sentence prononcée par les arbitres s’impose aux parties. Celle-ci doit revêtir entre les parties la puissance d‘un jugement rendu par un juge étatique (ibid.).
§1.2 – Arbitrage international. L’article 1504 du code de procédure civile énonce qu’« est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ».
Cette qualification pose donc la question du critère de l’internationalité de l’arbitrage, reposant sur la notion d’intérêt du commerce international. En l’absence de précision sur son contenu, la jurisprudence en a fixé la teneur.
Pour qualifier l’internationalité de l’arbitrage, il est possible de se référer à la définition proposée dans les conclusions du Procureur général Matter en 1927. Dans une affaire relative à la notion de paiement international et non à l’arbitrage, Matter a proposé d‘identifier l’internationalité à partir du « mouvement de flux et de reflux au-dessus des frontières » auquel donne lieu le contrat (Concl. Matter sur Civ. 17 mai 1927). C'est le cas par exemple d’« un flux de marchandises et un reflux de valeurs » (Civ 1ère, 4 mai 1964).
L'internationalité de l'arbitrage repose de ce fait sur une conception in concreto, c'est-à-dire qu'elle ne se limite pas à l'objet du contrat, mais prend en compte l'ensemble de l'objet du litige. En d'autres termes, la détermination du caractère international de l'arbitrage se fonde principalement sur la réalité de l'opération économique à l'occasion de laquelle l'arbitrage est intervenu (Paris 26 avril 1985). Cette opération économique doit impliquer un mouvement de biens, de services, ou un paiement transfrontalier. Lorsqu'il est difficile d'identifier un tel mouvement, le juge peut se référer à la sphère géographique des activités visées par le contrat (Paris 10 mai 2001).
Pour établir l'internationalité de l'arbitrage, le juge peut se baser sur plusieurs indices, notamment (Civ 1ère, 26 janvier 2011) : (i) la qualité ou la nationalité des parties, (ii) la loi applicable au fond du litige ou à l'arbitrage et (iii) le siège du tribunal arbitral.
En outre, contrairement à la doctrine Matter qui exigeait l'existence d'un double mouvement transfrontalier (le flux et le reflux), la jurisprudence actuelle se contente d'un mouvement unilatéral de flux. Ainsi, un mouvement de fonds de l'étranger vers la France pour financer une opération économique, comme la construction d'un pôle de recherche scientifique en partenariat avec un établissement public français, caractérise à lui seul l'internationalité de l'opération économique (Civ 1ère, 26 janvier 2011).
Lorsqu'un litige rend difficile l'identification de la mise en cause des intérêts du commerce international, en raison notamment de la dimension administrative de l'opération litigieuse, la définition de l'internationalité de l'arbitrage peut être plus concise. Elle se résume alors au fait que le litige soumis à l'arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État (Civ 1ère, 26 janvier 2011). Cette constatation est suffisante pour caractériser l'internationalité de l'arbitrage, et la notion de mise en cause des intérêts du commerce international n'est parfois même plus mentionnée (Paris 10 janvier 2012).
§2 – Histoire. Depuis quelques décennies, on a l’impression de redécouvrir l’arbitrage (en témoigne le rapport sur l’arbitrage en Droit public remis par D. Labetoulle au Garde des Sceaux en 2007), pourtant il s’agit d’une procédure vieille de plusieurs millénaires. Pour reprendre les termes du Professeur Clay « l’arbitrage n’est pas en plein développement depuis quelques années, il est en évolution depuis près de 4000 ans ».
En effet, les racines de l'arbitrage demeurent obscures. Même si l'on suppose que cette pratique est encore plus ancienne, étant donné sa présence dans les sociétés primitives, il est indiscutable que l'arbitrage était déjà une réalité dans les civilisations grecques et romaines de l'Antiquité. Cependant, à cette époque, il englobait divers mécanismes visant tous à échapper aux procédures formelles de la justice étatique conventionnelle (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Précis Domat, 2é édition, LGDJ).
En ancien droit français, l'émergence de l’urbanisation, l'organisation des foires et la formation des corporations ont contribué à l'établissement de l'arbitrage institutionnel. Des tribunaux arbitraux ont été créés au sein des foires et des corporations pour résoudre les litiges commerciaux, et les décisions de ces tribunaux avaient une certaine autorité, car le refus de les exécuter pouvait entraîner l'exclusion de la foire ou de la corporation en question. Le traitement de l’arbitrage a été variable selon la relation qui s’établissait entre pouvoirs politiques, arbitres et juges. Lorsque ces derniers étaient en de mauvais termes avec le pouvoir politique, l’arbitrage était favorisé. Ainsi, globalement, la monarchie était plutôt favorable à l'arbitrage. Deux édits sur l'arbitrage, promulgués en août 1560 sous le règne de François Ier et confirmés par l'ordonnance de Moulins en février 1566, ont même rendu l'arbitrage obligatoire dans certaines affaires. De plus, l'ordonnance sur le commerce de terre de mars 1673 a établi l'arbitrage obligatoire pour le règlement des litiges entre associés au sein d'une société (ibid.).
Pendant la période révolutionnaire, peut-être en réaction aux institutions judiciaires anciennes fortement critiquées à la veille de la Révolution, le législateur révolutionnaire a cherché à promouvoir l'arbitrage. L'Assemblée Constituante a élevé l'arbitrage volontaire au statut de principe constitutionnel. L'article 196 du décret des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire déclarait solennellement que « l'arbitrage étant le moyen le plus raisonnable de résoudre les litiges entre les citoyens, les législateurs ne pouvaient adopter aucune disposition visant à réduire la faveur ou l'efficacité des compromis ». De plus, la Constitution du 3 septembre 1791 énonçait que « le droit des citoyens de résoudre définitivement leurs litiges par voie d'arbitrage ne pouvait être restreint par des actes du Pouvoir législatif ». Le législateur révolutionnaire a réglementé favorablement l'arbitrage volontaire et a élargi la portée de l'arbitrage forcé, du moins dans un premier temps. L'arbitrage a été imposé dans divers domaines (ibid.).
Cependant, une réaction d'hostilité envers l'arbitrage s'est rapidement manifestée. Cette aversion pour l'arbitrage et la reprise en main du système judiciaire par l'État se sont accentuées sous Napoléon au début du XIXe siècle, marquant une volonté législative de restreindre l'arbitrage et de le soumettre à un contrôle strict (ibid.).
§3 – Principe d’inarbitrabilité en droit public français. Comme le met en exergue le Professeur Plessix (B. Plessix, Dans « Le rôle des tiers dans la procédure administrative contentieuse », Cairn, 2021, pages 33 à 42), l’inarbitrabilité en droit public français remonte donc au Code de procédure civile de 1806 qui a ses articles 1004 et 83 prohibait déjà les personnes publiques de recourir à l’arbitrage. Plusieurs justifications sont avancées.
Une première serait d’ordre « psychologique » : selon Jean Rivero il serait curieux que l’État ne fasse pas confiance à sa propre justice et ce d’autant plus dans un pays connaissant le dualisme juridictionnel, où la juridiction administrative a été spécifiquement créée pour lui soumettre les litiges impliquant des personnes publiques (J. Rivero, Personnes morales de droit public et arbitrage, Rev. arb. 1973, p. 263.).
Une deuxième justification plus juridique reposerait sur le caractère d’ordre public de la compétence du juge administratif, puisque comme l’affirmait E. Laferrière « la juridiction judiciaire, la juridiction administrative est d’ordre public pour l’État » (É. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, Berger-Levrault, 2e éd., 1896, t. II, p. 152).
Une troisième justification pourrait enfin être le principe de l’indisponibilité des compétences des personnes publiques, qui contrairement aux personnes privées ne disposent pas de droits subjectifs : « dans un droit public français forgé dans un esprit objectiviste, l’action des personnes publiques est l’expression de la mise en œuvre finalisée de compétences et non de l’exercice souverain de droits subjectifs » (B. Plessix, Dans « Le rôle des tiers dans la procédure administrative contentieuse », Cairn, 2021, pages 33 à 42).
§4 – Droit comparé. Toutefois, comme le soulignait Blaise Pascal « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». En effet, certains droits étrangers laissent les personnes publiques recourir librement à cette procédure. Par exemple, en droit canadien, l’article 1376 du code civil canadien prévoit l’application des règles en matière d’arbitrage à l’Etat, avec comme limite l’inarbitrabilité des questions relatives à l’ordre public (article 2639 du code civil canadien), ce qui comprend par exemple les règles de passation des marchés publics (Procon Ltd c. Golden Eagle Co.[1976] C.A. 26). En droit belge, la loi du 19 mai 1998 a modifié le code judiciaire belge a autorisé les personnes morales de droit public à recourir à l’arbitrage « lorsque celle-ci a pour objet le règlement de différends relatifs à une convention » (article 1676 du code judicaire belge).
En droit français, certains aménagements à ce principe ont été mis en place, notamment lorsque la loi ou des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne le prévoient (CE, 9 novembre 2016, Société Fosmax, req. n° 388806).
§5 – La décision commentée. Dans la décision commentée, le Syndicat mixte des aéroports de Charente (ci-après le « SMAC ») avait conclu des conventions en 2008 avec la société Ryanair et sa filiale Airport Marketing Services (ci-après « Ryanair »), visant à développer une liaison aérienne régulière entre les aéroports de Londres-Stansted et d'Angoulême à partir du printemps 2008. Ces conventions étaient soumises au droit français, mais prévoyaient un recours à l'arbitrage international de Londres (sur le fondement de la Convention de Genève du 21 avril 1961 ratifiée par la France le 16 décembre 1966 et publiée au Journal officiel par décret du 26 janvier 1968) pour résoudre tout différend découlant des conventions.
En 2010, Ryanair a décidé de supprimer la liaison aérienne, mettant fin aux conventions. Les sociétés Ryanair et Airport Marketing Services ont saisi la cour d'arbitrage internationale de Londres, qui a déclaré sa compétence pour traiter le litige et a rendu une sentence en 2012. Cette sentence a validé la résiliation des contrats et imposé des coûts au SMAC.
Parallèlement, le SMAC a saisi le Tribunal administratif de Poitiers de conclusions tendant à la résiliation des conventions et à la condamnation des sociétés à l’indemniser des préjudices causés par cette résiliation. Ces conclusions ont été successivement rejetées par le TA de Poitiers puis par la CAA de Bordeaux. Dans son arrêt du 12 juillet 2016, devenu définitif, celle-ci a en effet estimé que le différend relevait de la compétence d’un arbitre, en application d’une clause compromissoire du contrat.
L’arbitre désigné s’est d’abord déclaré compétent pour connaître du litige puis, par une seconde sentence du 18 juin 2012, a confirmé la validité de la résiliation des conventions, rejeté les conclusions indemnitaires des sociétés au titre d'un manquement à la clause d'arbitrage et mis à la charge du syndicat les frais juridiques et d'arbitrage, d'un montant total d'environ 400 000 euros.
Deux procédures contentieuses relatives à ces sentences arbitrales se sont alors déroulées en parallèle.
La première a été engagée par le SMAC, qui a demandé l’annulation des sentences. A cette occasion, le Conseil d’Etat avait rappelé que le juge administratif français n’était pas compétent pour connaître d’un recours en contestation d’une sentence arbitrale internationale rendue à l’étranger (CE, 19 avril 2013, Syndicat mixte des aéroports de Charente, req. n°352750, 362020).
La seconde a été engagée par Ryanair qui a demandé l’exéquatur de la sentence arbitrale londonienne. La société avait saisi le Président du TGI de cette demande, le litige est monté jusqu’à la Cour de cassation qui prenant le contrepied de la jurisprudence INSERM (TC, 17 mai 2010, INSERM) reconnut la compétence de la juridiction judiciaire. La cour d’appel de Versailles, à qui l’affaire avait été renvoyée, a ensuite décidé, contre son juge de cassation, de saisir le Tribunal des conflits. Celui-ci, par un arrêt du 24 avril 2017 (TC, 24 avril 2017, Syndicat mixte des aéroports de Charente c/ sociétés Ryanair Limited et Airport Marketing Services Limited, req. n°4075), a confirmé que la juridiction administrative est compétente pour connaître des litiges en matière d’arbitrage international concernant les contrats de la commande publique et les contrats d’occupation domaniale, que ceux-ci portent sur la validité d’une sentence arbitrale rendue en France ou qu’ils portent sur son exequatur. Le Tribunal des conflits a donc attribué le litige à la juridiction administrative, les conventions entre le SMAC et les deux sociétés étant constitutives d’un marché public (ce qui pose une intéressante question sur la théorie des « ensembles contractuels », mais ceci est un autre sujet…).
Le TA de Poitiers, a rejeté la demande, ce qui a été confirmé par la CAA de Bordeaux. Les juges du fond se sont en effet livrés au contrôle que définit dans l’arrêt Fosmax du 9 novembre 2016 (CE, 9 novembre 2016, req. n° 388806). Et, contrairement à ce qu’elle avait jugé en 2016, la cour, comme le TA avant elle, a considéré que la clause compromissoire était illicite, aucune stipulation internationale ni aucune disposition interne n’autorisant le syndicat mixte à déroger à l’interdiction de principe des personnes publiques de recourir à l’arbitrage.
En l’espèce, la question portait donc sur la licéité de la clause compromissoire, conditionnant donc la validité de la sentence arbitrale étrangère et donc son exéquatur.
Le Conseil d’Etat rappelle que l’exécution forcée d’une sentence arbitrale rendue dans le cadre de l’application d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécutée sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, ne saurait être autorisée par le juge administratif si elle est contraire à l’ordre public.
Le Conseil poursuit en rappelant que parmi les éléments de l’ordre public français se trouve notamment l’arbitrabilité du litige.
Par suite, les juges du Palais Royal refusent de faire application de la jurisprudence Galakis de la Cour de cassation (Civ. 1ère 2 mai 1966), selon laquelle il n’est pas possible d’opposer les règles juridiques internes pour se soustraire à un arbitrage international, et soumettent l'arbitrabilité d'un litige concernant une personne publique à l'existence de « dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne ».
A ce titre, la Convention de Genève sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 1961 doit s'entendre comme applicable uniquement lorsque les deux parties au contrat ont leur siège social au sein des pays signataires de ladite convention (CE, 17 octobre 2023, SMAC c/ Ryanair, req. n° 465761).
Revenons donc sur le régime de l’arbitrage international en contentieux public.
De façon didactique, seront étudiés successivement : le principe d’inarbitrabilité en droit public (I), puis les différentes situations où un juge peut connaître d’une sentence arbitrale (II). Enfin le contrôle effectué par le juge administratif sur la sentence sera mis en exergue (III).
I. L’arbitrabilité en droit public
Comme rappelé en introduction, il existe donc un principe d’inarbitrabilité des litiges en droit public français (A), assorti de nombreuses exceptions (B).
A-Le principe : l’inarbitrabilité des litiges des personnes publiques
§6 – Principe et fondement de l’inarbitrabilité des litiges publics. En principe donc, les personnes publiques ne peuvent recourir à l’arbitrage. C’est ce que rappelle l’article 2060 du code civil : « on ne peut compromettre [...] sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public ». L’article L. 311-6 du code de la justice administrative énonce également ce principe, tout en citant les différentes exceptions en droit interne. L’article L. 432-1 du code des relations entre le public et l’administration synthétise une troisième fois cette règle. Trois textes pour dire trois fois la même chose, il y a anguille sous roche…
Il s’agit même d’un principe général du droit public, puisque le Conseil d’État considère en conséquence qu’« il résulte des principes généraux du droit public français, confirmés par les dispositions du premier alinéa de l’article 2060 du Code civil que, sous réserve des dérogations découlant de dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales incorporées dans l’ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties et qui se rattachent à des rapports relevant de l’ordre juridique interne » (CE, avis, 6 mars 1986, Eurodisneyland ; CE, 23 déc. 2015, Territoire des îles Wallis et Futuna).
§7 – Valeur juridique de l’inarbitrabilité des litiges publics. Toutefois, l’interdiction du recours à l’arbitrage pour les personnes publiques n’a pas valeur constitutionnelle (DC, 2 déc. 2004, n° 2004-506 : « Considérant, en premier lieu, que « le principe de l'interdiction du recours à l'arbitrage par les personnes publiques », invoqué par les requérants, a valeur législative et non constitutionnelle »), elle peut de ce fait être aménagée par le législateur.
B-Les exceptions
Ainsi, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans la décision commentée : « il résulte des principes généraux du droit public français que, sous réserve des dérogations découlant de dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d'un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties » (CE, 17 octobre 2023, req. n° 465761). Il existe donc deux exceptions : la loi (1) et les conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne (2). Un principe, des exceptions, les juristes sont donc satisfaits.
Là où le bât blesse, c’est que le juge administratif refuse de faire application de la jurisprudence Galakis de la Cour de cassation (Civ. 1ère 2 mai 1966), selon laquelle les personnes publiques ne peuvent invoquer leur droit interne pour refuser de respecter les conventions d’arbitrage qu’elles ont conclues. Autrement dit, selon cette approche, l’inarbitrabilité ne concernerait pas les litiges internationaux. Le Conseil d’Etat prend l’exact contrepied de la décision commentée : « contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la seule circonstance qu'un contrat a été passé par une personne publique pour les besoins du commerce international ne permettait pas de déroger au principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage » (CE, 17 octobre 2023, SMAC c/ Ryanair, req. n° 465761).
On a donc des exceptions légales et conventionnelles, et une opposition entre juge administratif et judiciaire concernant une éventuelle troisième exception…
1. La loi
§8 – Dérogations législatives au principe d’inarbitrabilité des litiges publics. La loi peut donc déroger à la règle d’inarbitrabilité des litiges des personnes publiques qui n’a donc que valeur législative (DC, 2 déc. 2004, n° 2004-506). C’est ce qu’elle a fait à de nombreuses reprises.
Ainsi, l’article L. 311-6 du code de la justice administrative dispose-t-il que « Par dérogation aux dispositions du présent code déterminant la compétence des juridictions de premier ressort, il est possible de recourir à l'arbitrage dans les cas prévus par :
1° Les articles L. 2197-6 et L. 2236-1 du code de la commande publique ;
2° L'article 7 de la loi n° 75-596 du 9 juillet 1975 portant dispositions diverses relatives à la réforme de la procédure civile ;
3° L'article L. 321-4 du code de la recherche ;
4° Les articles L. 2102-6, L. 2111-14 et L. 2141-5 du code des transports ;
5° L'article 9 de la loi n° 86-972 du 19 août 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales ;
6° L'article 28 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ;
7° L'article 24 de la loi n° 95-877 du 3 août 1995 portant transposition de la directive 93/7 du 15 mars 1993 du Conseil des Communautés européennes relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un Etat membre »
Cette liste à la Prévert a été rappelée dans un article très récent d’E. Landot (E. Landot, Droit public et arbitrage : le droit est enfin (presque entièrement) clair, Brèves et articles, Contrats, gestion publique et aménagement (dont domaine public)).
Ainsi, parmi les dérogations se trouvent :
Fondement |
Dérogation |
Personnes concernées |
Article L. 2197-6 du code de la commande publique (dont l’origine remonte à l’article 69 de la loi du 17 avril 1906) |
· Litiges relatifs à l'exécution financière des marchés publics de travaux et de fournitures |
Etat Collectivités territoriales et des établissements publics locaux |
Article L. 2236-1 du code de la commande publique |
· Marchés publics de partenariat |
Toute personne publique |
Article 3 de la loi n° 2011-617 du 1er juin 2011 |
· Certains litiges propres à l’organisation du championnat d’Europe de football en 2016 |
Toute personne publique
|
Article 6 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 |
· Litiges relatifs au contrat de ville hôte, signé le 13 septembre 2017 entre, d'une part, le Comité international olympique et, d'autre part, la Ville de Paris et le Comité national olympique et sportif français, ainsi que les conventions d'exécution de ce contrat conclues à compter du 13 septembre 2017 entre les personnes publiques et le Comité international olympique ou le Comité international paralympique en vue de la planification, de l'organisation, du financement et de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 peuvent comporter des clauses compromissoires. |
Ville de Paris Personnes publiques exécutant le contrat de ville hôte |
Article 7 de la loi n° 75-596 du 9 juillet 1975 portant dispositions diverses relatives à la réforme de la procédure civile (article 2060 du code civil) |
Tout type de litiges dans les conditions fixées par le pouvoir réglementaire |
Par exemple : · Etablissements publics industriels et commerciaux mentionnés à l' article 146 du Code minier et aux articles 2 et 3 de la loi du 8 avril 1946 modifiée sur la nationalisation de l'électricité et du gaz (Décret 2002-56 du 8 janvier 2002) · Etablissement public d’aménagement de La Défense Seine Arche – EPADESA (article 7 du décret n° 2010-743 en date du 2 juillet 2010)
· Etablissement public d’aménagement de Paris-Saclay (art. 10 du décret n° 2010-911 du 3 août 2010) |
Article L. 321-4 du code de la recherche |
Litiges nés de l’exécution de contrats de recherche passés avec des organismes étrangers après approbation du conseil d’administration |
Etablissements publics à caractère scientifique et technologique |
Articles L. 2102-6, L. 2111-14 et L. 2141-5 du code des transports |
Tout type de litiges |
SNCF, à SNCF Réseau et à SNCF Mobilités.
|
Article 9 de la loi n° 86-972 du 19 août 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales et portant sur les OIN (dérogation à l’origine faite pour Eurodisney) |
Litiges liés à l’application et l’interprétation des contrats conclues avec des sociétés étrangères pour la réalisation d’opérations d’intérêt national |
Etat Collectivités territoriales Etablissements publics |
Article 28 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications |
Tout type de litiges |
La Poste |
Article 24 de la loi n° 95-877 du 3 août 1995 portant transposition de la directive 93/7 du 15 mars 1993 du Conseil des Communautés européennes relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un Etat membre |
Mettre en œuvre la procédure de retour d'un bien culturel |
Etat |
2. Les conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne
§9 – Dérogations conventionnelles à l’inarbitrabilité des litiges publics. Les autres dérogations au principe d’inarbitrabilité des litiges des personnes publiques sont issues des conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne. En d’autres termes, le Traité ou la Convention internationale doit avoir été signé, puis ratifié ou approuvé par le Parlement ou le corps électoral (article 53 de la Constitution du 4 octobre 1958), le Conseil constitutionnel ne doit pas l’avoir déclaré contraire à la Constitution (article 54 de la Constitution du 4 octobre 1958), et la convention doit avoir été publiée au Journal officiel de la République française (CE, 18 décembre 1998, SARL du Parc d’activité de Blotzheim ; CE, 5 mars 2003 Aggoune).
Plusieurs conventions ont donc été ratifiées et permettent de recourir à l’arbitrage. La pyramide de Kelsen, s’en sort donc saine et sauve !
a. L’arbitrage CIRDI
§9.1 – Arbitrage public CIRDI. La France a ratifié la convention de Washington du 18 mars 1965 créant le CIRDI (Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements) qui prévoit que si une opération entre une entreprise étrangère et une personne publique française est qualifiée d’investissement au sens de la Convention et du traité d’investissement, elle doit pouvoir être soumise à un arbitrage CIRDI (décret du 18 déc. 1967). En effet, l’article 25 de la Convention dispose-t-elle que « La compétence du Centre s’étend aux différends d’ordre juridique entre un Etat contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu’il désigne au Centre) et le ressortissant d’un autre Etat contractant qui sont en relation directe avec un investissement et que les parties ont consenti par écrit à soumettre au Centre. Lorsque les parties ont donné leur consentement, aucune d’elles ne peut le retirer unilatéralement. […] Le consentement d’une collectivité publique ou d’un organisme dépendant d’un Etat contractant ne peut être donné qu’après approbation par ledit Etat, sauf si celui-ci indique au Centre que cette approbation n’est pas nécessaire. ».
Toutefois, la France n’a pas voulu que les collectivités territoriales soient attraites devant le CIRDI et a donc limité la compétence du CIRDI aux litiges concernant uniquement l’État.
Néanmoins, dans son avis Eurodisney, le Conseil d’État a considéré que cette convention « n’emporte aucune conséquence quant à la possibilité de compromettre d’une personne publique française » (CE, avis, 6 mars 1986, 339710).
Reste à savoir ce qu’est un investissement au sens du CIRDI… En effet, lorsque la procédure est engagée devant un tribunal arbitral du CIRDI, il est fréquent que le tribunal arbitral mette en œuvre ce qu’il est convenu de dénommer le « double test », ou « double-barrelled test » en anglais. Il vérifiera alors que l’opération litigieuse peut être qualifiée d'investissement non seulement au regard de la définition que donne de cette notion le traité fondant sa compétence, mais aussi à l’aune de l’article 25 de la Convention de Washington du 18 mars 1965 (Sent. CIRDI, 8 février 2013, Ambiente Ufficio S.p.A. c/Argentine (compétence), n° ARB/08/, 8471: Sent. CIRDI, 24 mai 1999, Ceskoslovenska Obchodni Banka, a.s. (CSOB) c. République Slovaque (compétence), n° ARB/97/4, § 68).
L'investissement n’a pas été défini et ce de manière intentionnelle par la Convention de Washington, et on lui fait référence de différentes manières dans les traités d'investissement et dans les droits nationaux (L-J-E. TimmEer, « The Meaning of “Investment” as a Requirement for Jurisdiction Ratione Materiae of the ICSID Centre », J. Int. Arb., 2012, p. 363 ; N. MONEBHURRUN, « The Political Use of the Economic Development Criterion in Defining Investments in international mvestment Arbitration », J. Int. Arb., 2012, p. 547; À. RAaPUuR, « Defining “Invesunent": À Developmental Perspective », Indian Journal of Arbitration Law, 201). Dans l'affaire Malaysian Historical Salvors SBN BHD c. Malaysia (Sentence arbitrale du 16 avril 2009, Malaysian Historical Saivors SDN BHD c. Malaysia, FPborts CIRDI), le Tribunal a affirmé : « La signification du terme “investissement” peut être vue comme “ambiguë [...]” aux termes de l’article 32 de la Convention de Vienne, d’où la justification du recours au travail préparatoire de la Convention “pour en déterminer la signification” »).
Trois catégories d’investissements peuvent être distinguées : les investissements directs, les investissements indirects et les investissements portfolio.
Schreuer a identifié cinq critères pour définir si une transaction donnée représente un investissement : (i) une certaine durée ; (ii) le but de générer du profit et de la rentabilité ; (iii) la participation des deux parties à un risque ; (iv) un engagement substantiel de capital ; et (v) une contribution au développement économique de l’État hôte. La condition d’une certaine durée est intrinsèque au concept d’investissement, qui ne peut consister simplement en une rapide transaction. Dans l'affaire Malaysian Historical Salvors SDN BHD c. Malaysia (Sent. Malaysian Historical Salvors SDN BHD c. Malaysia), le Tribunal a affirmé : « Le sens “ordinaire” du terme “investissement” est l'engagement d'argent ou d'actifs dans le but d’engendrer une rentabilité [...] ». Le Tribunal a ensuite : « procéd{é] à l'application de chaque critère ou standard qui avait été suggéré initialement par le tribunal arbitral dans l'affaire Fedax v. Venezuela et réaffirmé en particulier dans Salini v. Morocco, à savoir (i) durée (ïi) régularité du profit et de la rentabilité (ïii) prise de risque (iv) engagement substantiel et (v) importance pour le développement de l'État hôte ».
b. Convention de Genève de 1961 sur l’arbitrage commercial international
§9.2 – Arbitre public en matière de commerce international. Une autre exception est prévue par la convention de Genève du 21 avril 1961 sur l’arbitrage commercial international (décret du 26 janv. 1968). En effet, les articles 1 et 2 de cette convention organisent la possibilité pour les personnes publiques de recourir à l’arbitrage « pour le règlement de litiges nés ou à naître d’opérations de commerce international » dans le cas où les parties ont « leur résidence habituelle ou leur siège dans des États contractants différents ».
Une redondance remarquable est à signaler, puisqu’un arbitrage sera international s’il met en jeu les intérêts du commerce international (cf. §1.2), critère d’application de la présente convention. Ainsi, il y aura opération économique internationale s’il est possible de caractériser un mouvement de biens, de services ou un paiement à travers les frontières (Paris, 25 mars 1999).
Justement, la décision commentée apporte une précision importante quant à l’applicabilité de la Convention de Genève. En effet, la convention de Genève, stipule en son article I, § 1, que l'arbitrage est applicable lorsque deux parties ont « au moment de la conclusion de la convention, leur résidence habituelle ou leur siège dans des États contractants différents ». Cependant, la mise en application de ce critère a conduit à une interprétation surprenante par les juges du fond de la présente affaire. A l’occasion du premier recours intenté par le SMAC contre la résiliation de Ryanair, la cour administrative d'appel de Bordeaux a interprété la convention de Genève afin de valider la convention d'arbitrage stipulée, en omettant de relever que les contractants de l'Administration et les parties à l'arbitrage ne répondaient pas à la condition de la convention, puisqu'ils n'avaient pas leur « résidence habituelle ou leur siège dans des États contractants ». Malgré le fait que les deux sociétés étrangères avaient leur siège en Irlande, le rapporteur public a conclu que « les clauses compromissoires litigieuses sont licites en vertu de la Convention européenne sur l'arbitrage commercial international du 21 avril 1961 » (RFDA 2016, p. 1145, spéc. p. 1150, concl. D. Katz), une assertion que la cour administrative d'appel de Bordeaux a également avalisée (CAA Bordeaux, 12 juill. 2016, n° 13BX02331, SMAC).
Pourtant, l'Irlande n'est pas signataire de la convention de Genève, ce qui aurait dû entraîner la conclusion de l'illicéité du recours à l'arbitrage. Cela a été souligné dans une décision du tribunal administratif de Poitiers (TA Poitiers, 15 déc. 2020, n° 1900269). La même solution fut retenue par la Cour administrative de Bordeaux, et surtout par le Conseil d’Etat : « Il résulte des termes mêmes de ces stipulations que la convention européenne sur l'arbitrage commercial international n'est applicable qu'aux conventions d'arbitrage conclues entre des parties ayant leur résidence ou leur siège dans des Etats parties à la convention européenne sur l'arbitrage commercial international différents. / 8. En jugeant, après avoir relevé que les sociétés Ryanair et Airport marketing services ont leur siège en Irlande, Etat qui n'est pas partie à la convention européenne sur l'arbitrage commercial international, que la convention d'arbitrage conclue entre le SMAC et les sociétés Ryanair et Airport marketing n'entrait pas dans le champ des stipulations de cette convention et que, par suite, le SMAC ne tenait pas de ces stipulations le droit de déroger au principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit » (CE, 17 octobre 2023, SMAC c/ Ryanair, req. n° 465761).
Le juge administratif entend donc restrictivement la Convention de Genève.
c. Conventions ponctuelles
§9.3 – Arbitrage public issu de conventions internationales ponctuelles. Les accords internationaux peuvent aussi inclure des exceptions temporaires au principe de non-arbitrabilité des entités publiques et des contrats administratifs, habituellement dans le contexte d'initiatives transfrontalières.
Tel est le cas par exemple de :
· L’article 19 du traité de Cantorbéry du 12 février 1986 relatif à la construction et l’exploitation par des sociétés privées concessionnaires d’une liaison fixe Transmanche pour le tunnel de la Manche ;
· Les articles 16 et 17 de la convention franco-italienne du 14 mars 1953 pour le tunnel du Mont-Blanc ;
· L’article 10 de l’accord de Madrid du 10 octobre 1995 pour la ligne ferroviaire à grande vitesse entre la France et l’Espagne ;
· L’accord conclu le 6 mars 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis visant à la création du Louvre d’Abou Dhabi.
II. Les procédures contre les sentences arbitrales
Ainsi, les personnes publiques peuvent donc parfois recourir à l’arbitrage. Mais une fois obtenue que devient la sentence ?
Si le principe de l’arbitrage est l’édiction d’une sentence « privée », en ce sens qu’elle n’est pas rendue par un juge étatique, les magistrats ne sont pour autant pas exclus totalement du régime arbitral. Tel le sparadrap du capitaine Haddock, la justice étatique refait toujours surface.
Elle le fait de différentes manières : les juges étatiques peuvent être saisis d’un recours en contestation de la sentence arbitrale (A), ils peuvent également être saisis d’une demande en exéquatur pour donner la force de la chose jugée à la sentence (B). Leur intervention peut également être requise de façon plus subsidiaire, soit en cas de difficultés à l’occasion de la procédure arbitrale, comme « juge d’appui » (C), ou encore tout simplement pour prendre acte de l’existence de la sentence (D).
A-Le recours contre la sentence
1. Notion
Le Code de procédure civile prévoit deux voies de recours possibles contre la sentence arbitrale : l'appel et le recours en annulation (articles 1489 et 1491 du Code de procédure civile).
§10 – Appel. Tout d’abord, l’appel n’est possible qu’en cas d’arbitrage interne (donc pas international), et à la condition que les parties l’aient autorisé (article 1489 du Code de procédure civile). Dans le cas où les parties autorisent l’appel, le recours en annulation n’est plus possible (article 1491 du Code de procédure civile).
La voie de l’appel n’est donc pas possible en cas d’arbitrage international. L’article 1518 du Code de procédure civile dispose en effet que « La sentence rendue en France en matière d'arbitrage international ne peut faire l'objet que d'un recours en annulation ».
§11 – Recours en annulation. Ensuite, le second recours en contestation est le recours en annulation, possible en cas d’arbitrage international si la sentence est rendue en France uniquement, comme le rappelle l’article 1518 du Code de procédure civile « la sentence rendue en France en matière d'arbitrage international ne peut faire l'objet que d'un recours en annulation ». Comme énoncé précédemment ce recours est également possible en arbitrage de droit interne dans le cas où les parties n’ont pas prévu d’appel.
Par contre, le recours en annulation n’est pas possible à l’encontre d’une sentence arbitrale internationale rendue à l’étranger (CE, 19 avril 2013, n° 352750, Syndicat mixte des aéroports de Charente c. Ryanair et Airport Marketing Services ; CE, 9 novembre 2016, n° 388806, Fosmax c. Tecnimont ; CE, 20 juillet 2021, n° 443342, Tecnimont c. Fosmax).
Le recours en annulation permettra d’obtenir la nullité totale ou partielle de la sentence ou d’annuler seulement les dispositions qui la vicient, par exemple lorsque certains éléments du dispositif sont ultra petita ou contraires à l'ordre public.
Le contrôle juridictionnel demeure limité, le juge administratif ne doit pas « se saisir de l’entier litige ». Sinon il empiéterait sur la compétence du tribunal arbitral et méconnaîtrait son autonomie. Le contrôle doit être « très distancié » (Le Corre, conclusions dans l’arrêt Tecnimont c. Fosmax).
Les moyens permettant d’obtenir une telle annulation sont limitativement énumérés à l’article 1492 du Code de procédure civile :
1° le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent ;
2° le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ;
3° le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée ;
4° le principe de la contradiction n'a pas été respecté ;
5° la sentence est contraire à l'ordre public ;
6° la sentence n'est pas motivée ou n'indique pas la date à laquelle elle a été rendue ou le nom de ou des arbitres qui l'ont rendue ou ne comporte pas la ou les signatures requises ou n'a pas été rendue à la majorité des voix.
Si le Conseil d’État rejette le recours, la sentence reçoit l’exequatur. Si le Conseil d’État annule la sentence parce qu’il estime que la convention d’arbitrage était nulle, il peut renvoyer les parties devant le tribunal administratif compétent ou évoquer l’affaire et statuer lui-même au fond (CE, 9 novembre 2016, n° 388806, Fosmax c.Tecnimont ; CE, 3 mars 1989, n° 79532, Société des autoroutes de la région Rhône-Alpes c. GIE Isère, Savoie Autoroutes). Si le Conseil d’État annule la sentence pour d’autres raisons, il ne peut évoquer l’affaire que si les deux parties le lui demandent ou si la convention d’arbitrage le prévoit.
Dans le cadre du litige inhérent à la décision commentée, le SMAC avait justement demandé l’annulation des sentences. A cette occasion, le Conseil d’Etat avait rappelé que le juge administratif français n’était pas compétent pour connaître d’un recours en contestation d’une sentence arbitrale internationale rendue à l’étranger (CE, 19 avril 2013, Syndicat mixte des aéroports de Charente, n°352750, 362020).
2. Compétence
§12 – Compétence en matière de recours en contestation. Le recours en appel (1), tout comme le recours en annulation (2) connaissent une répartition bien définie de la compétence juridictionnelle.
2.1.En cas d’appel
§12.1 – Compétence en matière de recours en appel. En matière d’appel, il est nécessaire de définir qui du juge administratif ou judiciaire est compétent (a), puis quel juge administratif saisir (b).
a. Entre les deux ordres juridictionnels
§12.1.1 – Compétence entre les deux ordres juridictionnels en matière de recours en contestation. La compétence de l’ordre juridictionnel qui aura à connaître l’appel contre la sentence dépend de la nature du litige ; s’il est de la compétence du juge administratif ou du juge judiciaire (CE, 23 décembre 2015, Broadband Pacific, req. n° 376018).
b. Au sein de la juridiction administrative
§12.1.1 – Compétence territoriale en matière de recours en contestation. Au sein de l’ordre administratif, le Conseil d’Etat demeure compétent sur le fondement de l’article L. 321-2 qui dispose que « Dans tous les cas où la loi n'en dispose pas autrement, le Conseil d'Etat connaît des appels formés contre les décisions rendues en premier ressort par les autres juridictions administratives ». Le Conseil d’État a jugé « qu'au sein de la juridiction administrative, le Conseil d’État est compétent pour connaître des recours dirigés contre une telle sentence arbitrale, en application de l' article L. 321-2 du Code de justice administrative » (CE, 9 novembre 2016, n° 388806, Sté Fosmax). Mais, à la seule condition, que la sentence arbitrale ait été rendue en France (CE, 19 avril 2013, n° 352750, SMAC c/ Ryanair).
2.2.En cas de recours en annulation
§12.2 – Compétence en matière de recours en annulation. En matière de recours en annulation, il est nécessaire de définir qui du juge administratif ou judiciaire est compétent (a), puis quel juge administratif saisir (b).
a. Entre les deux ordres juridictionnels
§12.2.1.1 – Compétence entre les deux ordres juridictionnels en matière de recours en annulation en arbitrage interne. La juridiction compétente varie en fonction de la nature du litige soumis à l'arbitrage. Le Tribunal des conflits, à l'instar de la transaction, détermine la compétence du juge chargé de statuer sur la demande d'annulation d'une sentence arbitrale en fonction de la nature de la convention d'arbitrage. Pour cette qualification, il se réfère aux critères jurisprudentiels des contrats administratifs. Dans une affaire particulière, un établissement public industriel et commercial avait conclu une convention d'arbitrage avec une société mutuelle d'assurance. Le Tribunal des conflits rappelle, en s'inscrivant dans la continuité de ses décisions antérieures (Tribunal des conflits, 29 décembre 2004, Époux Blanckeman : Lebon, p. 525) : « lorsque la loi accorde à un établissement public la qualité d'établissement industriel et commercial, les contrats conclus pour répondre à ses besoins opérationnels relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires, sauf ceux qui, par leur nature, relèvent des prérogatives de puissance publique ». Il conclut que, dans cette affaire, la convention d'arbitrage relève du domaine du droit privé, car elle ne comporte aucune clause exceptionnelle du droit commun et concerne les missions opérationnelles industrielles et commerciales de l'établissement public (TC, 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance)
§12.2.1.2 – Compétence entre les deux ordres juridictionnels en matière de recours en annulation en arbitrage interne en arbitrage international. En matière de sentence arbitrale internationale rendue en France, la solution est légèrement différente. En principe, du fait de l’extranéité de la sentence le juge judiciaire est compétent (l’article 1519 du code de procédure civile disposant que « Le recours en annulation est porté devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue »), toutefois le juge administratif retrouve sa compétence lorsqu’il est question de contrats de la commande publique et de contrats relatifs au domaine publique. Ainsi, dans le cas d'un recours formé contre une sentence arbitrale rendue en France, en vertu d'une convention d'arbitrage conclue entre un établissement public à caractère scientifique et technologique (l'INSERM) et un organisme étranger (une association de droit norvégien) concernant un litige découlant de l'inexécution d'un accord pour la construction d'un pôle de recherche en neurobiologie sur un terrain appartenant à l'université Aix Marseille, le Tribunal des conflits rappelle qu’en principe le juge judicaire demeure compétent : « dans un litige découlant de l'exécution ou de la résiliation d'un contrat entre une personne morale de droit public française et une personne étrangère, exécuté en France, impliquant des intérêts du commerce international, même s'il relève du domaine administratif en vertu des critères du droit interne français, doit être porté devant la cour d'appel où la sentence a été rendue, conformément à l'article 1505 du Code de procédure civile ». Néanmoins, le Tribunal des conflits rappelle immédiatement les deux exceptions à cette compétence: « lorsque le recours [...] nécessite l'examen de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l'occupation du domaine public ou à celles régissant la commande publique et applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public ».
Autrement dit, si le contrat à l'origine du litige relève d'un régime administratif d'ordre public, le recours contre une sentence arbitrale concernant un litige né de l'exécution ou de la résiliation d'un tel contrat relève de la compétence du juge administratif (TC, 17 mai 2010, Inserm c/ Fondation Letten F. Sausgstad). Dans le cas évoqué, le tribunal administratif a estimé que le protocole d'accord conclu entre l'Inserm et la fondation norvégienne relevait pas d'un régime administratif d'ordre public.
La situation diffère lorsque le recours en annulation d'une sentence arbitrale concerne un contrat entre un établissement public industriel et commercial et un groupement d'entreprises étrangères pour la construction d'un terminal méthanier sur la presqu'île de Fos Cavaou. Le Tribunal des conflits considère, d'une part, que ce contrat est un contrat de droit public et, d'autre part, qu'il relève d'un régime administratif d'ordre public, à savoir le droit de la commande publique. Par conséquent, la juridiction administrative est seule compétente pour contrôler la sentence arbitrale, ce qui implique d'évaluer sa conformité avec les règles impératives de la commande publique (TC, 11 avril 2016, n° 4043, Sté Fosmax LNG).
b. Au sein de la juridiction administrative
§12.2.2 – Compétence territoriale en matière de recours en annulation. Le recours contre toutes les sentences rendues en France dans des affaires impliquant des entités publiques est porté devant le Conseil d'État, conformément à l'article L. 321-2 du Code de justice administrative, qui dispose que « Dans tous les cas où la loi n'en dispose pas autrement, le Conseil d'État connaît des appels formés contre les décisions rendues en premier ressort par les autres juridictions administratives ».
Le Conseil d'État a clarifié cette compétence, y compris pour les sentences internationales (CE, 9 novembre 2016, n° 388806, Fosmax c.Tecnimont ; CE, 19 avril 2013, n° 352750, Syndicat mixte des aéroports de Charente c. Ryanair et Airport Marketing Services).
Il a également accepté d'examiner des recours contre des sentences nationales (CE, 3 mars 1989, n° 79532, Société des autoroutes de la région Rhône-Alpes c. GIE Isère, Savoie Autoroutes ; CE, sect., 2 mars 1956, n° 9860, SARL Le secteur électrique de Reuilly ; CE, ass., 4 janvier 1957, n° 95921, Sieur L.).
En l'absence d'autres dispositions légales, il est logique de se référer aux règles de compétence générale en matière de contentieux administratif.
B-La demande d’exequatur
1. Notion
§13– Notion d’exequatur. La mise en exécution forcée d'une sentence arbitrale requiert l'obtention d'une décision d'exequatur. En effet, pour rappel la sentence arbitrale dispose de l’autorité de la chose jugée mais pas de la force exécutoire (articles 1476 et 1477 du code de procédure civile). L’exéquatur justement vise à permettre l’exécution forcée de la sentence (article 1477 du code de procédure civile). L'exequatur d'une sentence arbitrale est une procédure impliquant l'intervention d'une autorité judiciaire étatique visant à « achever le travail des arbitres » (J.-C. Delvolvé, L'intervention du juge dans le décret du 14 mai 1980 : Rev. arb. 1980, p. 619). Cette intervention est nécessaire car le tribunal arbitral, en tant que juridiction privée, ne possède pas d'imperium. L'exequatur représente ainsi un point de convergence et de confrontation entre la juridiction privée et la juridiction publique.
Les articles 1487 (pour l’arbitrage interne) et 1516 (pour l’arbitrage international) du code de procédure civile disposent que « La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en vertu d'une ordonnance d’exequatur ».
Or avant d’exequaturer la sentence, le juge doit vérifier que celle-ci n’est pas contraire à l’ordre public français (CE, 19 avril 2013, SMAC c./ Ryanair, req. n° 352750). Le juge doit donc contrôler la sentence. Nous reviendrons plus tard sur ce contrôle.
A noter que dans la décision commentée, les requérants se prévalaient de la Convention de New-York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, et notamment de son article V qui stipule que « la reconnaissance et l'exécution de la sentence ne seront refusées, sur requête de la partie contre laquelle elle est invoquée, que si cette partie fournit à l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont demandées la preuve : / a) Que les parties à la convention visée à l'article II étaient, en vertu de la loi à elles applicable, frappées d'une incapacité, ou que ladite convention n'est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l'ont subordonnée ou, à défaut d'une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue ; ou / b) Que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n'a pas été dûment informée de la désignation de l'arbitre ou de la procédure d'arbitrage, ou qu'il lui a été impossible, pour une autre raison, de faire valoir ses moyens ; ou / c) Que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu'elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire; toutefois, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l'arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l'arbitrage, les premières pourront être reconnues et exécutées ; ou / d) Que la constitution du tribunal arbitral ou la procédure d'arbitrage n'a pas été conforme à la convention des parties, ou, à défaut de convention, qu'elle n'a pas été conforme à la loi du pays où l'arbitrage a eu lieu ; ou / e) Que la sentence n'est pas encore devenue obligatoire pour les parties ou a été annulée ou suspendue par une autorité compétente du pays dans lequel, ou d'après la loi duquel, la sentence a été rendue. / 2. La reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale pourront aussi être refusées si l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont requises constate : / a) Que, d'après la loi de ce pays, l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage ; ou / b) Que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public de ce pays ». Le Conseil d’Etat écarte l’application de cet article puisque « ces stipulations ne font pas obstacle à ce que le juge administratif refuse l'exequatur d'une sentence arbitrale relative à un litige qui n'était pas arbitrable » (CE, 17 octobre 2023, SMAC c/ Ryanair, req. n° 465761).
2. Compétence
§14 – Compétence en matière d’exequatur. Là encore il faut distinguer la compétence au sein du dualisme juridictionnel (a) et au sein de l’ordre administratif (b).
a. Entre les deux ordres juridictionnels
§15 – Compétence en matière d’exequatur entre les deux ordres juridictionnels. La compétence en matière d’exéquatur est similaire à celle en matière de recours en contestation.
§15.1 – Compétence en matière d’exequatur entre les deux ordres juridictionnels en matière d’arbitrage interne. Comme en matière de recours en contestation, la juridiction compétente varie en fonction de la nature du litige soumis à l'arbitrage interne. S’il s’agit d’un litige relevant du juge administratif, celui-ci sera compétent, s’il s’agit d’un litige relevant du juge judiciaire, celui-ci sera compétent (CAA Lyon, 27 décembre 2007, req. n° 03LY01017).
§15.1 – Compétence en matière d’exequatur entre les deux ordres juridictionnels en matière d’arbitrage international. Une solution similaire à celle définie en matière de recours en contestation de la sentence arbitrale internationale a également été transposée en matière d’exéquatur, pour déterminer la juridiction compétente pour connaître d'une demande d'exequatur d'une sentence arbitrale internationale, quel que soit le siège de la juridiction arbitrale qui a statué : la France ou l'étranger. Pour rappel, l’article 1519 du code de procédure civile dispose que « Le recours en annulation est porté devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue ». En principe, le juge judiciaire est donc compétent, sauf exceptions.
Le Conseil d'État a établi cette règle dans le contexte du marché conclu entre le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) et la Société. Le Conseil d'État a jugé que ce marché relevait d'un régime administratif d'ordre public, étant un marché public. Néanmoins, étant donné que la sentence arbitrale avait été rendue en Angleterre, la juridiction administrative n'était pas compétente pour statuer sur le recours en annulation. Le Conseil d'État a toutefois affirmé que « quelle que soit la juridiction arbitrale qui a tranché un litige découlant de ce type de contrat, le juge administratif conserve sa compétence pour examiner une demande d'exequatur de la sentence, si son exécution forcée est contraire à l'ordre public » (CE, 19 avril 2013, n° 352750, SMAC c/ Ryanair).
Cependant, la Cour de cassation a pris une position contraire, affirmant formellement dans une décision de principe : « la sentence internationale, qui n'est liée à aucun système juridique national, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée en fonction des règles applicables dans le pays où la reconnaissance et l'exécution sont demandées ; [et que] il ressort des textes susmentionnés [Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères et article 1516 du Code civil] que la procédure d'exequatur des sentences arbitrales rendues à l'étranger exclut toute contestation du fond et relève de la compétence des tribunaux judiciaires » (Cass. 1re civ., 8 juillet 2015, n° 13-25.846).
Le Tribunal des conflits a finalement validé en partie la position du Conseil d'État, synthétisant ainsi la solution établie dans l'affaire Inserm pour l'appliquer aux demandes d'exequatur : « Lorsqu'une sentence arbitrale a été rendue en vertu d'une convention d'arbitrage dans un litige découlant de l'exécution ou de la résiliation d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, impliquant des intérêts du commerce international, il revient en principe à la juridiction judiciaire, agissant conformément aux dispositions du livre IV du Code de procédure civile, d'une part, de statuer sur un recours contre la sentence si elle a été rendue en France, et d'autre part, de décider sur une demande d'exequatur pour que la sentence, qu'elle ait été rendue en France ou à l'étranger, soit revêtue de l'exequatur ; cependant, dans le cas où le contrat à l'origine du litige sur lequel l'arbitre a statué est soumis aux règles impératives du droit public français relatives à l'occupation du domaine public ou aux règles régissant la commande publique, le recours contre la sentence rendue en France et la demande d'exequatur relèvent de la compétence de la juridiction administrative » (TC, 24 avril 2017, n° 4075, Syndicat mixte des aéroports de Charente c/ Sté Ryanair).
En d'autres termes, seuls les contrats portant sur l'occupation du domaine public et les contrats relevant du champ d'application du droit de la commande publique sont considérés comme des contrats soumis à un régime administratif d'ordre public. Pour les demandes d'exequatur d'une convention d'arbitrage relative à d'autres contrats conclus par une personne publique, seule la juridiction judiciaire est compétente.
b. Au sein de l’ordre administratif
§16 – Compétence en matière d’exequatur au sein de l’ordre administratif. En ce qui concerne la compétence territoriale pour les demandes d'exequatur, les principes du contentieux administratif doivent être appliqués, mais il peut y avoir une certaine incertitude quant à la qualification de la demande d'exequatur. Si l'on considère que cette demande est liée à la matière contractuelle, puisque la sentence arbitrale a généralement résolu un litige découlant d'un contrat administratif, l'article R. 312-11 du Code de justice administrative s'applique. Le tribunal compétent est alors celui dans le ressort duquel se trouve le lieu prévu pour l'exécution du contrat. Si l'exécution du contrat s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif ou si le lieu d'exécution n'est pas spécifié dans le contrat, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel l'autorité publique compétente pour signer le contrat ou la première des autorités publiques dénommées dans le contrat a son siège.
Dans l'affaire Ryanair, le Tribunal administratif de Poitiers a accordé l'exequatur à la sentence. Il était compétent si le lieu d'exécution du contrat était l'aéroport d'Angoulême ou, en supposant que cette exécution s'étende au-delà du ressort du tribunal, parce que le siège du SMAC est à Angoulême (M. Lahouazi, note sous TA Poitiers, 15 décembre 2020). Si le lieu d'exécution du contrat litigieux est situé hors de France, le juge administratif n'est pas compétent, selon la jurisprudence du Tribunal des conflits. Dans ce cas, il faut saisir le tribunal judiciaire du lieu où la sentence a été rendue ou, si elle a été rendue à l'étranger, le Tribunal judiciaire de Paris (article 1516 du code de procédure civile).
Cependant, on pourrait argumenter que même lorsqu'une demande d'exequatur est portée devant le juge administratif, le tribunal administratif du lieu où la sentence a été rendue pourrait être compétent. En effet, la demande d'exequatur n'est pas véritablement liée à un litige contractuel, car à ce stade, le litige a déjà été résolu par le tribunal arbitral. L'objet de l'exequatur est plutôt de donner force exécutoire à la sentence. Dans ce contexte, l'article R. 312-11 du Code de justice administrative pourrait être écarté au profit de l'article R. 312-1, qui énonce le critère général de compétence des tribunaux administratifs. Selon l'article R. 312-1, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée. Lorsque l'acte a été signé par plusieurs autorités, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel a son siège la première des autorités dénommées dans cet acte. Cette règle s'applique sous réserve en cas de recours préalable à celui qui a été introduit devant le tribunal administratif.
Si la sentence a été rendue en France, il faudrait alors saisir le tribunal administratif dans le ressort duquel elle a été rendue. Cependant, si l'on considère que l'article R. 312-1 est inapplicable aux sentences rendues en France, car le tribunal arbitral n'est pas une autorité au sens de ce texte, que son siège n'est pas fixé légalement, ou que la procédure d'exequatur ne vise pas à attaquer la sentence, le tribunal administratif de Paris serait compétent en vertu de l'article R. 312-19. Cet article dispose également que si la sentence a été rendue hors de France, le tribunal administratif de Paris est compétent.
C-L’intervention en tant que « juge d’appui »
1. Notion
§17 – Notion de juge d’appui. Le juge d'appui joue un rôle essentiel en tant qu'auxiliaire de l'arbitrage, visant à aider l'arbitrage à se dérouler de manière fluide. Selon la Cour de cassation, le juge d'appui a pour mission de résoudre les difficultés liées à la constitution du tribunal arbitral afin d'instaurer la confiance des parties (Cass. 1re civ., 20 juin 2006, Société Prodim).
Le rôle du juge d'appui est central à divers stades de l'arbitrage. Il peut intervenir lors de la constitution du tribunal arbitral pour désigner un arbitre complémentaire en cas de convention d'arbitrage prévoyant un nombre pair d'arbitres, si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur la désignation de cet arbitre complémentaire, ou en cas d'absence d'accord sur les modalités de désignation des arbitres. Il peut également intervenir pour régler d'autres difficultés liées à la constitution du tribunal arbitral. Pendant le déroulement de l'instance arbitrale, le juge d'appui peut être compétent pour statuer sur la révocation d'un arbitre ou pour prolonger la mission du tribunal. Enfin, il peut intervenir pour prolonger le délai initial de trois mois accordés au tribunal arbitral pour compléter ou rectifier sa sentence.
Cependant, il est essentiel de noter que l'intervention du juge d'appui est subsidiaire, car lorsque les parties ont opté pour un centre d'arbitrage pour organiser la procédure, ce dernier sera généralement chargé de résoudre les difficultés rencontrées par les parties. De plus, lorsqu'il intervient pour résoudre les litiges liés à la constitution du tribunal arbitral, le juge d'appui peut seulement écarter la convention d'arbitrage et refuser de désigner un arbitre si cette convention est manifestement nulle ou inapplicable, ce qui signifie qu'il effectue un contrôle prima facie.
Il n’existe qu’un seul cas à notre connaissance d’intervention de juges administratifs en tant que juge d’appui (CE, 5 nov. 1986, M. Rajaonarison).
2. Compétence
§18 – Compétence en matière de juge d’appui Il semble que les solutions retenues en matière d’exéquatur et de recours en contestation puissent être transposées en la matière (CE, 5 nov. 1986, M. Rajaonarison ; voir en ce sens également S. Boussard, JurisClasseur Justice administrative - Encyclopédies - Fasc. 120 : Modes alternatifs de règlement des litiges).
D-La reconnaissance de la sentence
1. Notion
§19 – Notion de reconnaissance d’une sentence arbitrale. La reconnaissance d'une sentence arbitrale est une formalité distincte de l'exequatur en droit de l'arbitrage international. La reconnaissance signifie que la sentence est traitée comme un jugement français à tous égards, à l'exception de la force exécutoire, tandis que l'exequatur lui confère également la force exécutoire. Cette distinction est bien établie en droit international de l'arbitrage, comme en témoignent l'intitulé et les articles de la Convention de New York du 10 juin 1958. Les articles 1514 et 1516 du Code de procédure civile en France reflètent également cette distinction.
2. Compétence
§20 – Compétence en matière de juge d’appui. Cette distinction a des implications en termes de compétence. Seul le juge de l'exequatur est compétent pour statuer sur une demande visant à doter la sentence de la force exécutoire. En revanche, n'importe quelle juridiction peut, à titre incident, reconnaître une sentence arbitrale. Par exemple, elle peut en tenir compte pour décider des conséquences de son autorité de chose jugée (Trib. com. Nanterre, 5 septembre 2001, Technip France c. Banque extérieure d’Algérie). Même si les juridictions administratives en France n'ont peut-être pas eu l'occasion de se prononcer spécifiquement sur cette question, il est raisonnable de supposer qu'elles ont la compétence pour reconnaître une sentence arbitrale de manière incidente. Cette approche est justifiée, comme en droit civil, par la nécessité d'efficacité. Ainsi, une partie souhaitant invoquer les effets d'une sentence arbitrale dans le cadre d'une procédure administrative contentieuse n'aurait pas besoin de demander à la juridiction saisie de suspendre sa décision en attendant que le tribunal administratif, voire le tribunal judiciaire si la sentence relève de sa compétence, statue sur la demande d'exequatur.
III. Le contrôle effectué sur les sentences arbitrales
§21 – Contrôle effectué sur les sentences arbitrales. En cas de recours en contestation contre la sentence, ou bien en cas de demande d’exéquatur, le juge administratif doit contrôler celle-ci. Ainsi, de manière prétorienne, à l’instar de ce qu’il a pu faire en matière de transaction (CE, avis, 6 décembre 2002, n° 249153), le juge a dégagé son office en matière de contrôle des sentences arbitrales.
Dans l'affaire Société Fosmax, le Conseil d’État a élaboré un cadre de contrôle appliqué par la juridiction administrative concernant les sentences arbitrales dans le contexte de l'arbitrage international, que ce soit par le biais d'un recours en annulation ou d'une demande d'exequatur. Ce contrôle est composé de trois étapes bien définies, comme établi par les décisions judiciaires suivantes:
· En premier lieu, le contrôle se concentre sur la licéité de la convention d'arbitrage, ce qui implique de vérifier l'arbitrabilité du litige. Concrètement, le juge administratif doit s'assurer que la personne publique en question était autorisée à recourir à l'arbitrage. Cette exigence est mise en évidence dans une décision du Conseil d’État de 2016 (CE, ass. 9 nov. 2016, n° 388806, Sté Fosmax).
· La deuxième étape requiert du juge administratif un contrôle approfondi de la régularité de la sentence arbitrale. Cela englobe la vérification de la compétence de l'arbitre, la composition du tribunal arbitral (y compris l'indépendance et l'impartialité des arbitres), et le respect du principe du contradictoire. L'ensemble de ces éléments fait l'objet de contrôles rigoureux par le juge administratif, comme énoncé dans les arrêts de la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 23 mars 2022, n° 22BX00596, Sté Ryanair Ltd c/ SMAC).
· Enfin, la troisième étape consiste à vérifier que la sentence arbitrale ne contrevient pas à l'ordre public. Cette phase comprend l'examen de divers aspects, tels que l'application d'un contrat ayant un objet illicite ou présentant un vice particulièrement grave relatif aux conditions du consentement des parties. Le juge administratif doit également s'assurer que la sentence arbitrale ne méconnaît pas les règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public, ou de renoncer à des prérogatives d'intérêt général au cours de l'exécution du contrat. Les décisions judiciaires, y compris l'arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux, soulignent l'importance de ce contrôle en cas d'application du droit de l'Union européenne (CAA Bordeaux, 23 mars 2022, n° 22BX00596, Sté Ryanair Ltd c/ SMAC).
Si une illégalité de la sentence arbitrale est confirmée par le biais d'un recours en annulation, cela entraîne l'annulation de la sentence. En cas d'annulation, le Conseil d’État peut renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif compétent pour qu'il statue sur le litige, à moins que les parties décident de porter leur litige devant un tribunal arbitral, conformément à un accord préalable.
Lorsqu'une illégalité de la sentence arbitrale est identifiée via une demande d'exequatur, cette demande est rejetée. L'exemple de l'affaire SMAC c/ Sté Ryanair Ltd démontre comment la cour administrative d’appel de Bordeaux a appliqué cette grille de contrôle en se penchant sur les demandes liées à une sentence arbitrale dans le cadre de l'exécution d'un contrat administratif entre une personne morale de droit public français et une personne de droit étranger, lorsque cela implique les intérêts du commerce international et est soumis à un régime administratif d'ordre public. La cour a rejeté la demande d'exequatur en raison de l'inarbitrabilité du litige et de la violation des règles du droit européen des aides d'État, rappelant la jurisprudence antérieure du Conseil d’État (CE, 23 déc. 2015, n° 376018, Territoire des îles Wallis-et-Futuna). En somme, le contrôle rigoureux exercé par le juge administratif sur les sentences arbitrales dans le contexte de l'arbitrage international suit ces étapes clairement définies, conformément aux critères établis par les arrêts judiciaires de référence.
Pourtant dans la décision commentée, le Conseil d’Etat rattache à l’ordre public le principe général du droit public français selon lequel « sous réserve des dérogations découlant de dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d'un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties ». Erreur de rédaction ? Office particulier en matière d’exequatur ? Distinction entre les trois étapes qui sont toutes des règles d’ordre public que l’on pourrait appeler « procédurale » (en ce sens qu’elles sont toutes obligatoires) et les règles d’ordre public de « fond » (en ce sens qu’elles concernent les règles de fond de droit français). L’arbitrage public international nous réserve encore bien des secrets, même s’ils commencent à être découverts, avec le dégagement d’un office clair du juge administratif.