Un an de contrats privés de la commande publique :
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Référence jurisprudentielle |
Portée |
Notion de contrat de la commande publique |
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Cass. Civ. 3ème, 26 octobre 2023, n° 22-19.444 |
Le contrat de vente d’immeubles du domaine privé d’une commune contre remise d’un local et de places de parking, ainsi que contre engagement à construire des logements sociaux n’est pas un marché public. |
Compétence juridictionnelle |
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C.A. de Poitiers, 21 novembre 2023, n° 23/01169 |
Nullité d’une clause attributive de compétence dérogeant aux règles de répartition entre les deux ordres juridictionnels. |
Procédure et contentieux de la passation |
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Cass. Com., 15 novembre 2023, n° 22-13.695 |
Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie spéficiquement adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur. |
Cass. Com., 13 avril 2023, n° 20-22.095. |
Difficile acclimatation des juges judiciaires à l’office du juge du référé précontractuel : cassation car il revient audit juge de vérifier si l’offre de l’attributaire était régulière. |
Cass. Com. 13 avril 2023, n° 21-23.457 |
En référé contractuel, en cas de demande fondée d’annulation d’un marché reposant sur la violation du délai de stanstill et sur des méconnaissances des règles de passation, le juge ne peut se contenter d’appliquer l’article 18 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et prononcer une sanction pécuniaire, mais doit également faire application de l’article 17 de ladite ordonnance. |
Cass. Com. 11 janvier 2023, n° 21-10.440 |
(i) Le délai de deux mois prévu par l’article 1441-2 du Code de procédure civile dans lequel le juge du référé précontractuel doit statuer n’est pas un impératif sous peine de nullité de la procédure. (ii) La seule communication des notes des attributaires du marché, sans autre motivation du rejet de la candidature ou de l’offre est suffisante. (iii) L’attribution de notes identiques lors de deux procédures successives à la suite de l’annulation de la première n’est pas per se contraire aux règles de la commande publique. |
Cass. Com. 22 mars 2023, n° 21-10.808 |
La signature d’un marché à la suite d’une ordonnance de référé précontractuel de rejet n’est pas de nature à rendre un pourvoi en cassation contre cette ordonnance irrecevable. |
Cass. Com. 17 mai 2023, n° 21-21.062 |
(i) Un candidat évincé qui n’est pas averti de la conclusion d’un marché public, durant le délai du recours précontractuel ne peut se voir opposer l’impossibilité de déposer un recours contractuel à la suite d’un premier recours précontractuel. (ii) Toutefois, la publication de l’avis d’attribution par la suite a pour effet qu’il ne se trouve plus en état d’ignorer cette attribution et qu’il n’est plus recevable à déposer un recours en référé contractuel au-delà du trente et unième jour suivant cette publication. |
T.J. de Paris, 8 mars 2023, n° 23/52248 |
Le juge du référé précontractuel ne peut enjoindre à l’acheteur public de communiquer le rapport d’analyse des offres (puisqu’il statue avant la signature du marché). |
Cass. Com. 11 janvier 2023, 21-16.739 |
Rappel de l’obligation du juge du référé précontractuel de faire application des articles L. 2132-1 du Code de la commande publique et L. 151-1 du Code de commerce (secret des affaires) avant d’enjoindre à un acheteur ou concédant de communiquer des éléments à un candidat évincé. |
Notion de pouvoir adjudicateur / entité adjudicatrice |
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T.J. de Paris, 12 avril 2023, n° 22/55253 |
Les associations gérant le financement et l’organisation de l’enlèvement et de la transformation des animaux trouvés morts en élevage pour l’ensemble du territoire métropolitain, au moyen de la conclusion de contrats d’équarrissage, ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs. |
C.A. de Nîmes, 29 juin 2023, n° 22/01769 et C.A. de Nîmes, 7 décembre 2023, n° 22/01769 |
Une association privée de gestion de l’enseignement catholique n’est pas un pouvoir adjudicateur, si la majorité de son financement provient de rémunérations publiques en contrepartie de prestations. |
Exécution du contrat de la commande publique |
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C.A. de Lyon, 20 juin 2023, n° 22/05634 |
En application des C.C.A.G. Travaux, un mémoire en réclamation doit être notifié à l’acheteur en cas de différend. Constitue un différend le refus de règlement opposé par un acheteur, motivé par l'existence de nombreux désordres |
Fin du contrat de la commande publique |
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Cass. Civ. 1ère, 14 juin 2023, n° 22-10.170 |
(i) La Cour de cassation vise les « règles générales applicables au contrat administratif pour énoncer qu’en cas de résiliation d’une concession en raison de son irrégularité, dans le cas où l’administration n’est pas fautive, le cocontractant ne peut prétendre, sur le terrain quasi-contractuel qu’au remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.
(ii) La Cour de cassation fait application de la règle selon laquelle la résiliation d’une concession en raison de son irrégularité fait obstacle à ce que le délégataire soit indemnisé du préjudice résultant du manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation. |
C.A. de Paris, 6 juillet 2023, n° 23/03612 |
La « règle générale applicable aux contrats administratifs » selon laquelle en cas de conclusion et exécution d’un marché de substitution suite à une mise en régie, l’ancien titulaire du marché public doit être en mesure de suivre l’exécution du marché de substitution afin de veiller à la sauvegarde de ses intérêts est applicable à un marché privé de la commande publique, pour lequel les documents contractuels ne prévoient pas un tel droit. |
Sommaire :
I. Notion de contrat de la commande publique
II. Compétence juridictionnelle
III. Procédure et contentieux de la passation
H. Cass. Com., 15 novembre 2023, n° 22-13.695 - Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie spéficiquement adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur.
IV. Notion de pouvoir adjudicateur / entité adjudicatrice
V. Exécution du contrat de la commande publique.
VI. Fin du contrat de la commande publique.
B. Cass. Civ. 1ère, 14 juin 2023, n° 22-10.170 – (i) La Cour de cassation vise les « règles générales applicables au contrat administratif pour énoncer qu’en cas de résiliation d’une concession en raison de son irrégularité, dans le cas où l’administration n’est pas fautive, le cocontractant ne peut prétendre, sur le terrain quasi-contractuel qu’au remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. (ii) La Cour de cassation fait application de la règle selon laquelle la résiliation d’une concession en raison de son irrégularité fait obstacle à ce que le délégataire soit indemnisé du préjudice résultant du manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation.
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I. Notion de contrat de la commande publique
A. Cass. Civ. 3ème, 26 octobre 2023, n° 22-19.444 – Le contrat de vente d’immeubles du domaine privé d’une commune contre remise d’un local et de places de parking, ainsi que contre engagement à construire des logements sociaux n’est pas un marché public.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, une commune confie la réalisation d’une consultation à l’établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d’Azur, puis conclu avec les sociétés Vinci immobilier promotion et Icade promotion une promesse synallagmatique de vente portant sur deux tènements fonciers relevant de son domaine privé.
Au titre des conditions suspensives stipulées comme déterminantes du consentement du vendeur, la convention prévoyait l’engagement des acquéreurs de construire plusieurs logements en mixité sociale, ainsi que la livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix de vente des terrains, d’un local brut et de places de stationnement. La vente devait être réitérée devant notaire.
En d’autres termes, il s’agissait d’une promesse de vente contre remise de locaux et places de parking, avec un engagement de construire des logements sociaux.
Dénonçant des irrégularités dans la procédure de passation de cette convention, le maire de la commune, après prorogation du délai de réalisation des conditions suspensives a informé les sociétés de son intention de ne plus vendre.
Celles-ci ont assigné la commune en réalisation forcée de la vente et paiement de la clause pénale stipulée à l’acte.
Le litige va en première instance, puis en appel. Le juge d’appel leur donne raison et considère que la vente est parfaite.
La commune fait grief à l’arrêt dans son pourvoi en cassation de rejeter l’exception d’incompétence des juridictions judiciaires au profit des juridictions administratives. En effet, elle considère que le contrat litigieux était en réalisé un contrat de la commande publique et partant un contrat administratif par qualification législative (personne morale de droit public passant un contrat de la commande publique).
2 – Question de droit. La question qui se pose est donc celle de savoir si la conclusion par des personnes publiques de contrats emportant cession d’un immeuble de leur domaine privé, dont l’objet principal est de confier à un opérateur économique la réalisation de travaux en vue de la construction, selon des spécifications précises imposées par lesdites personnes publiques, d’ouvrages qui, même destinés à des tiers, répondent à un besoin d’intérêt général défini par lesdites collectivités, est soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique.
3 – Solution juridique. La Cour de cassation commence par rappeler (i) la définition des marchés publics telle qu’énoncée par l’article 4 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 : « contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à cette ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services », puis (ii) celle des marchés publics de travaux, puisqu’en vertu de l’article 5-1 de la même ordonnance, « les marchés publics de travaux ont pour objet, soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux dont la liste est publiée au Journal officiel de la République française, soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ».
Puis reprenant à son compte la définition de la C.J.U.E. des marchés publics de travaux, la Cour de cassation énonce que « selon la Cour de justice de l’Union européenne, la notion de « marchés publics de travaux », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services impose que les travaux faisant l’objet du marché soient exécutés dans l’intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur (CJUE, arrêt du 25 mars 2010, [B] [M] GmbH contre Bundesanstalt für Immobilienaufgaben, C-451/08, point 54) ».
En premier lieu, concernant les logements sociaux, elle constate que les travaux prévus dans la convention, même s’ils comportaient la création de logements sociaux sur le territoire communal, n’avaient pas été exécutés dans l’intérêt économique direct de la commune et d’autre part, que celle-ci n’avait exercé aucune influence déterminante sur leur nature ou leur conception. En effet :
· D’une part, l’appel à candidatures initié par la commune mentionnait la réalisation d’environ 190 logements collectifs, avec un taux de 40 % de logements locatifs sociaux, ce qui correspondait à la proportion minimale prévue par le P.L.U. en vigueur sur la totalité de l’emprise du projet, tout en laissant aux candidats le choix de la répartition entre l’accession libre et le prix maîtrisé.
· D’autre part, le cahier des charges confiait aux opérateurs la mission « de concevoir et réaliser » le programme immobilier, en choisissant, sous réserve du respect de la servitude de mixité sociale, la répartition des différentes catégories de logement et modes d’acquisition, ainsi les termes de la convention ne révélaient pas que la commune avait défini et imposé les caractéristiques précises du projet litigieux.
Ainsi, la commune n’avait formulé aucune demande portant sur la structure architecturale des bâtiments.
En second lieu, concernant la remise de locaux et de parkings, la Cour de cassation rappelle que lorsque le contrat unique porte à la fois sur des prestations qui relèvent de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et des prestations qui n’en relèvent pas, elle n’est pas applicable si les prestations n’en relevant pas constituent l’objet principal du contrat et si les différentes parties au contrat sont objectivement inséparables. Lorsqu’il n’est pas possible de déterminer l’objet principal du contrat, l’ordonnance s’applique (article 23 de l’ordonnance du 23 juillet 2015).
Or, la promesse de vente conclue entre les parties avait pour objet la vente et l’acquisition de lots d’un lotissement, puisqu’au titre des conditions suspensives, il avait été stipulé que les acquéreurs s’obligeaient à réaliser, sur les parcelles vendues, un programme de construction de 250 logements collectifs représentant une surface de plancher de 16 350 mètres carrés, dont environ 650 mètres carrés destinés à un local brut et 17 places de stationnement, à remettre à la commune. Ce dont il en résulte qu’aucun élément probant n’établissait que ce local correspondait à la réalisation d’un équipement public, en l’occurrence une crèche, répondant à un besoin spécifiquement défini par cette collectivité et ce d’autant plus que cette obligation de livrer un local, qui constituait une modalité du paiement, ne représentait que 27 % du prix de vente total.
La Cour de cassation en déduit donc que les deux volets de l’opération étaient objectivement indissociables et que la convention, qui n’avait pour objet principal ni la réalisation d’une opération d’aménagement public, ni la fourniture d’un équipement répondant à un besoin spécifiquement défini par la commune, n’était pas soumise aux règles de la commande publique, et que le litige relevait de la compétence du juge judiciaire.
Le pourvoi en cassation est donc rejeté.
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II. Compétence juridictionnelle
A. C.A. de Poitiers, 21 novembre 2023, n° 23/01169 – Nullité d’une clause attributive de compétence dérogeant aux règles de répartition entre les deux ordres juridictionnels.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, une psychologue a conclu en décembre 2020 une convention de prestation de service pour l’année 2021 avec un E.H.P.A.D.
La convention prévoyait notamment que « pour toute contestation résultant de l’interprétation, l’exécution ou la résiliation par l’une des parties signataires, le règlement des contestations se fera en premier lieu sous forme d’une conciliation amiable. / En cas de désaccord après la phase amiable, il sera fait expressément attribution de compétences au tribunal de commerce de Niort ».
L’E.H.P.A.D décide de résilier, résiliation contestée par la psychologue devant le tribunal de commerce de Niort. L’E.H.P.A.D. considérait le tribunal de commerce incompétent, s’agissant d’un litige relevant du juge administratif. Toutefois, le tribunal de commerce de Niort considérant que ni la demanderesse, ni l’E.H.P.A.D. n’ayant la qualité de commerçant, s’est déclaré incompétent en raison de l’existence d’une règle de compétence d’attribution d’ordre public au profit du tribunal judiciaire et a constaté la nullité de la clause attributive de compétence insérée dans le contrat de prestation de service. En effet, il a considéré qu’il ne s’agissait pas d’un contrat administratif car certes, le contrat est en lien avec une mission d’intérêt général, mais non avec un service public et il ne contient pas de clause caractérisant un rapport de droit public.
En appel, l’E.H.P.A.D. soutient que le juge administratif est bien seul compétent car le contrat litigieux est un contrat administratif de commande publique conclu par une personne morale de droit public, qu’il a été conclu avec un opérateur économique pour répondre aux besoins d’une personne morale de droit public en contrepartie d’un prix.
2 – Question de droit. La question était donc celle de la compétence du juge pour connaître du litige, nécessitant de déterminer la validité de la clause attributive de compétence et la qualification du contrat.
3 – Solution juridique. La Cour d’appel va se placer sur un autre terrain que la commande publique et va considérer que la psychologue est en réalité un agent public : « il est de droit constant que les personnels non statutaires des personnes morales de droit public travaillant pour le compte d’un service public administratif sont des agents de droit public quel que soit leur emploi ».
Ce dont il en résulte que « le contentieux relatif à l’indemnisation éventuelle des préjudices subis du fait de la résiliation du contrat relève de la compétence exclusive du tribunal administratif ».
Or la clause stipulée à la convention ne peut déroger à ce principe, juge la Cour d’appel.
Le jugement est donc infirmé et il reviendra donc au juge administratif de trancher le litige.
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III. Procédure et contentieux de la passation
A. Cass. Com., 13 avril 2023, n° 20-22.095 – Difficile acclimatation des juges judiciaires à l’office du juge du référé précontractuel : il revient audit juge de vérifier si l’offre de l’attributaire était régulière.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes a procédé à un appel à concurrence pour l’attribution d’un marché à bon de commandes portant sur la réalisation de travaux de signalisation sur les chaussées de l’aéroport Guadeloupe Pôle Caraïbes.
La société Rugoway candidate pour les deux lots du marché. Ses offres sont rejetées et intente un référé précontractuel devant le juge judiciaire sur le fondement de l’article 2 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 demandant, notamment, l’annulation de la décision de rejet de son offre et qu’il lui soit enjoint de reprendre la procédure afférente au marché au stade de l’analyse des offres. En effet, elle estimait que l’offre retenue était irrégulière, en ce qu’elle ne remplissait pas les conditions de recevabilité posées par le règlement de la consultation.
Son référé est rejeté car elle n’était « pas en mesure de démontrer quels sont les éléments chiffrés avancés par la société concurrente » La requérante se pourvoit en cassation. Elle fait grief au juge de première instance de ne pas avoir recherché si la société attributaire avait produit, à l’appui de son offre, d’une part, les éléments justifiant de sa capacité économique et financière et, d’autre part, les éléments, tels ses références professionnelles, justifiant de sa capacité technique.
2 – Question de droit. Le juge du référé précontractuel judiciaire peut-il rejeter un tel recours car la requérante n’est pas en mesure de démontrer quels sont les éléments chiffrés avancés par la société concurrente ?
3 – Solution juridique. La Cour de cassation rappelle que les acheteurs et les autorités concédantes doivent respecter le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique (article L. 3 du Code de la commande publique). Ce dont il en résulte que « le pouvoir adjudicateur ne puisse, sans commettre une erreur d’appréciation, attribuer le marché à un candidat dont l’offre ne respecte pas les exigences et conditions du cahier des charges ou du règlement de consultation ».
La Cour de cassation désavoue le juge de première instance qui ne devait pas se contenter de constater que la requérante « n’est pas en mesure de démontrer quels sont les éléments chiffrés avancés par la société concurrente », mais qui devait rechercher « si la société attributaire avait produit, à l’appui de son offre, les éléments justifiant de sa capacité économique et financière, le président du tribunal judiciaire n’a pas donné de base légale à sa décision ».
L’ordonnance de première instance est donc cassée.
B. Cass. Com. 13 avril 2023, 21-23.457 – En référé contractuel, en cas de demande d’annulation d’un marché fondée sur la violation du délai de stanstill et sur des méconnaissances des règles de passation, le juge ne peut se contenter d’appliquer l’article 18 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et prononcer une sanction pécuniaire, mais doit également faire application de l’article 17 de ladite ordonnance.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société AT patrimoine, qui exerce des activités de formation, a vu sa candidature rejetée par l’Opérateur de compétence des entreprises de proximité (l’OPCO) pour des lots d’un marché relatif à la formation professionnelle des gardiens, concierges et employés d’immeubles.
Elle intente donc un référé précontractuel devant le juge judiciaire. En dépit de l’assignation qui lui avait été délivrée, l’OPCO a conclu les marchés pour les lots concernés par ce recours.
La société AT patrimoine a, dans ces circonstances, modifié ses demandes devant le tribunal, transformant le recours précontractuel en recours contractuel, et conclu au prononcé de l’annulation du contrat, ainsi que d’une sanction pécuniaire.
Le juge de première instance va prononcer une pénalité financière sanctionnant l’acheteur sans annuler le marché, considérant qu’en application des dispositions de l’article 18 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, dans le cas où l’adjudicateur conclut le contrat sans respecter la suspension prévue par l’article 4 de la même ordonnance, le juge précontractuel est tenu soit de priver d’effets le contrat en l’annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou une réduction de la durée du contrat, au besoin d’office.
2 – Question de droit. La question posée était donc celle de savoir si le juge de première instance pouvait simplement prononcer une pénalité financière.
3 – Solution juridique. La Cour de cassation casse l’ordonnance de première instance car « en statuant ainsi, alors, d’une part, que les demandes de la société AT patrimoine étaient fondées non seulement sur la signature du contrat en méconnaissance du délai prévu à l’article 4 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, mais aussi sur la violation par l’OPCO de ses obligations de mise en concurrence, d’autre part, que l’article 18 ne s’applique que lorsque la demande est fondée sur la seule conclusion du contrat avant l’expiration du délai de suspension exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article 4 ou à l’article 8 de la même ordonnance, le délégataire du président du tribunal, a violé les textes susvisés ».
C. Cass. Com. 11 janvier 2023, 21-10.440 – (i) Le délai de deux mois prévu par l’article 1441-2 du Code de procédure civile pour que le juge du référé précontractuel statue n’est pas un impératif sous peine de nullité de la procédure. (ii) La seule communication des notes des attributaires du marché, sans autre motivation du rejet de la candidature ou de l’offre est suffisante. (iii) L’attribution de notes identiques lors de deux procédures successives à la suite de l’annulation de la première n’est pas en soi contraire aux règles de la commande publique.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, société CDC Habitat a publié au J.O.U.E. un appel d’offres portant sur un accord-cadre relatif à des prestations de réparations, entretien courant, dépannages et remises en état de logements à la suite duquel la société TBS a déposé une offre pour plusieurs lots.
Après l’annulation de la première procédure d’attribution, une nouvelle procédure a été lancée pour laquelle la société TBS a déposé une offre identique à la première.
Par la suite, la société CDC Habitat a informé par une lettre de rejet non motivée la société TBS qu’elle était pressentie pour le lot menuiserie sur l’ensemble des secteurs géographiques pour lesquels elle s’était portée candidate, mais que ses offres relatives à d’autres lots pour lesquels elle avait été pressentie lors du premier appel d’offres n’avaient pas été retenues. Les notes des sociétés attributaires lui ont toutefois été communiquées.
Concernant les lots pour lesquels ses offres ont été rejetées, la notation finale divergeait par rapport à celles identiques déposées lors de la première procédure.
La société TBS a alors intenté un référé précontractuel demandant la suspension de la procédure de passation de l’accord-cadre portant sur les prestations de remise en état de logements pour un certain nombre de lots géographiques, l’annulation de chaque décision d’attribution de l’accord-cadre pour ces prestations et pour ces lots et qu’il soit enjoint à la société CDC Habitat de reprendre la procédure pour ces lots à l’étape de la publication d’un avis d’appel public à la concurrence, subsidiairement à celle de l’analyse des offres.
Elle considère en effet :
(i) qu’il y a eu atteinte au principe d’égalité, car pour des offres identiques, lors de la première procédure annulée et la seconde contestée, la note finale de son offre comportait une différence de 5,15 points,
(ii) et que le défaut de motivation de la lettre de rejet constitue une méconnaissance de l’obligation de publicité et de mise en concurrence, et entraîne en conséquence la nullité de la procédure.
Le référé est rejeté par une ordonnance rendue dans un délai supérieur au délai de vingt jours prévu par l’article 1441-2 du Code de procédure civile. Le juge de première instance considère que (i) la seule différence de points ne pouvait constituer, en l’absence d’autres éléments, et alors même que la société est attributaire d’autres lots du marché, une discrimination illégale, et (ii) que le pouvoir adjudicateur, en communiquant un récapitulatif des notes obtenues par les sociétés attributaires et celles obtenues avait respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
La société TBS se pourvoit en cassation contre cette ordonnance. Elle considère en sus que l’ordonnance doit être annulée car elle a été rendue en violation de l’article 1441-2 du Code de procédure civile.
2 – Question de droit. Le délai de vingt jours prévu par l’article 1441-2 du Code de procédure civile est-il impératif pour le juge ?
3 – Solution juridique. En premier lieu, la Cour de cassation considère que le délai de vingt jours n’est pas impératif : « le délai de vingt jours dans lequel, en application de l’article 1441-2 I° du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire doit statuer sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, n’est pas prescrit à peine de nullité, de sorte que son inobservation ne peut pas donner lieu à cassation ».
En second lieu, la Cour de cassation confirme l’ordonnance de première instance sur le fond.
(i) En effet, certes la différence de notes obtenues entre une première candidature et une seconde, identique à la première, à un appel d’offres dont la procédure a dû être recommencée peut constituer une discrimination illégale entre les candidats, toutefois c’est à la condition que d’autres éléments soient apportés par la requérante
(ii) Ensuite, selon l’article R. 2181-3 du Code de la commande publique, la notification prévue à l’article R. 2181 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l’offre et lorsque la notification de rejet intervient après l’attribution du marché, l’acheteur communique en outre le nom de l’attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre de même que la date à laquelle il est susceptible de signer le marché. Or le jugement en retenant que le pouvoir adjudicateur, en communiquant un récapitulatif des notes obtenues par les sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, n’a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Ainsi, « le juge délégué par le président du tribunal, appréciant souverainement la portée des précisions contenues dans le récapitulatif des notes attribuées aux sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, a pu estimer que les éléments figurant dans la notification du rejet d’une partie de l’offre de celle-ci lui permettaient suffisamment d’en connaître et d’en apprécier les motifs ».
Le pourvoi est donc rejeté.
D. Cass. Com. 22 mars 2023, 21-10.808 - La signature du marché à la suite d’une ordonnance du référé précontractuel de rejet n’est pas de nature à rendre un pourvoi en cassation irrecevable.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société SIA Habitat, société de gestion d’habitations à loyer modéré, a publié au J.O.U.E. un avis d’appel public à la concurrence relatif au renouvellement du marché de « vérification préventive et maintenance corrective des équipements de prévention et de sécurité incendie », pour le renouveler.
Quatre offres ont été déposées, parmi lesquelles celle de la société Sopro, précédente attributaire du marché.
La société SIA Habitat a informé la société Sopro, que la commission d’appel d’offres, tenue le même jour, n’avait pas retenu son offre et que le marché avait été attribué à la société Sorehal.
La société Sopro décide d’intenter un référé précontractuel afin d’obtenir la suspension de la signature du marché, ainsi que son annulation. En effet, elle se prévaut d’actes de concurrence déloyale qui auraient été effectués par l’attributaire, en se prévalant de personnels qui ne figuraient pas parmi ses employés et par le débauchage de certains de ses salariés.
Le juge de première instance rejette le référé, car selon lui, il n’était pas démontré que la société SIA Habitat ait été informé des prétendues pratiques de concurrence déloyale de la société Sorehal, ni même qu’elle n’aurait pas procédé aux vérifications suffisantes, de sus un tel manquement n’avait pu entraîner une lésion des intérêts de la demanderesse.
Le marché est signé, puis la société Sopro se pourvoit en cassation. Les défenderesses se prévalent de la signature du marché pour considérer qu’il n’y a pas lieu à statuer sur le pourvoi.
2 – Question de droit. La signature du marché à la suite d’une ordonnance du référé précontractuel de rejet est-elle de nature à priver un pourvoi en cassation de toute recevabilité ?
3 – Solution juridique. En premier lieu, concernant le non-lieu à statuer soutenu par la défense, la Cour de cassation va considérer qu’elle n’est pas de nature à priver le pourvoi de sa recevabilité : « si cette circonstance met fin aux pouvoirs du juge saisi en matière précontractuelle, elle ne prive pas d’objet le pourvoi contestant la décision prise par celui-ci avant que cette signature n’intervienne ».
En deuxième lieu, concernant les personnels faussement déclarés dans l’offre de l’attributaire, la Cour de cassation rappelle que l’office du juge du référé précontractuel, tel que prévu par l’article 2 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 impose « de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. La prise en compte, par un acheteur public, de renseignements erronés relatifs aux ressources humaines et donc aux capacités professionnelles du candidat retenu, qui conditionnent la recevabilité de son offre, est de nature à caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement entre les candidats ». Ainsi, le juge de première instance en ne recherchant pas comme il y était pourtant invité, si le pouvoir adjudicateur n’avait pas pris en compte des renseignements erronés relatifs aux ressources humaines et donc aux capacités professionnelles du candidat retenu, lesquelles, conditionnant la recevabilité de son offre, étaient de nature à caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement entre les candidats, n’a pas donné de base légale à sa décision.
En troisième lieu, la Cour de cassation désavoue une nouvelle fois le juge de première instance, puisqu’en rejetant le recours par voie d’affirmation en considérant que l’irrégularité de l’offre n’avait pu entraîner une lésion des intérêts de la demanderesse, « alors qu’il aurait dû rechercher si le choix de l’offre d’un candidat retenu au regard d’informations éventuellement trompeuses sur ses capacités à réaliser le marché était de nature à léser le candidat concurrent qui invoquait ce manquement », le juge a violé le texte susvisé.
L’ordonnance encourt donc cassation, toutefois, la Cour de cassation considère que « le contrat ayant été conclu, il n’y a plus lieu à référé précontractuel et la cassation n’implique donc pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond ».
E. Cass. Com. 17 mai 2023, 21-21.062 – (i) Un candidat évincé qui n’est pas averti de la conclusion d’un marché public, durant le délai du recours précontractuel ne peut se voir opposer l’impossibilité de déposer un recours contractuel à la suite de ce recours précontractuel. (ii) Toutefois, ma publication de l’avis d’attribution par la suite a pour effet qu’il ne se trouve plus en état d’ignorer cette attribution et qu’il ne soit plus recevable à déposer un recours contractuel au-delà du trente et unième jour suivant cette publication ?
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Flandre Opale habitat, société d’HLM, a engagé une procédure d’appel d’offres ouvert ayant pour objet la construction de logements collectifs.
La société Tommasini construction candidate pour un lot. Son offre est rejetée, le marché ayant été attribué, puis signé avec la société Eiffage.
Entre le délai de signature et la publication de l’avis d’attribution, la candidaté évincée intente un référé précontractuel, puis soutenant avoir appris postérieurement que le contrat avait été conclu, la société Tommasini a intenté un référé contractuel, plus de 31 jours après la publication de l’avis d’attribution.
Le juge du référé déclare le société Tommasini irrecevable.
La demanderesse se pourvoit en cassation arguant que les dispositions de l’article 12 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 qui prévoient que le référé contractuel n’est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours du référé précontractuel, n’ont pas pour effet de rendre irrecevable ce recours en référé contractuel lorsqu’il est exercé par un concurrent évincé qui a antérieurement présenté un recours précontractuel et qui, bien qu’informé du rejet de son offre par le pouvoir adjudicateur, ne l’a pas été, contrairement à ce qu’exige l’article R. 3181-3 du code de la commande publique, du délai de suspension que ce dernier doit s’imposer entre la date d’envoi de la notification du rejet de l’offre et la conclusion du marché ; que les demandes additionnelles que ce candidat peut alors présenter au juge initialement saisi d’une demande relevant du référé précontractuel ne sont pas soumises aux dispositions de l’article 1441-3 du code de procédure qui prévoient que la juridiction peut être saisie d’un référé contractuel au plus tard le trente et unième jour suivant la publication au journal officiel de l’Union européenne d’un avis d’attribution du contrat ; qu’en décidant le contraire, le magistrat délégué du président du tribunal judiciaire a méconnu les articles 11 et 12 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et 1441-3 du code de procédure civile.
La société demande la transmission d’une question préjudicielle à la C.J.U.E. sur cette question.
2 – Question de droit. Un candidat évincé qui n’est pas averti de la conclusion d’un marché public, durant le délai du recours précontractuel, peut-il se voir opposer l’impossibilité de déposer un recours contractuel à la suite de ce recours précontractuel ? La publication de l’avis d’attribution par la suite a-t-elle pour effet qu’il ne se trouve plus en état d’ignorer cette attribution et qu’il ne soit plus recevable à déposer un recours contractuel au-delà du trente et unième jour suivant cette publication ?
3 – Solution juridique. La Cour de cassation rejette le pourvoi et donne raison au juge de première instance.
En effet, après avoir rappelé que l’article 1441-3 du Code de procédure civile prévoit que le référé contractuel doit être intenté au plus tard le trente et unième jour suivant la publication d’un avis d’attribution du contrat, elle interprète cette disposition en considérant que « si une entreprise évincée d’un appel d’offres, qui, s’étant trouvée, durant le délai du recours précontractuel, dans l’ignorance de la date à laquelle serait conclu le marché ou de la conclusion de celui-ci, ne peut se voir opposer l’impossibilité de déposer un recours contractuel à la suite de ce recours précontractuel, prévue à l’article 12 de l’ordonnance précitée, en revanche, dès lors que l’attribution du contrat a été publiée et qu’elle ne se trouve plus en état d’ignorer cette attribution, elle n’est plus recevable à déposer un recours contractuel au-delà du trente et unième jour suivant cette publication ».
Poursuivant, la Cour de cassation souligne que ce « principe découlant sans difficulté d’interprétation de l’application de l’article 2 septies de la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics ne nécessite donc pas que soit posée une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne ».
La demanderesse était donc bien forclose et le pourvoi est rejeté.
F. T.J. de Paris, 8 mars 2023, n° 23/52248 - Le juge du référé précontractuel ne peut enjoindre à l’acheteur public de communiquer le rapport d’analyse des offres.
1 – Faits et procédures. En l’espèce, le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (ci-après C.O.J.O.) a publié au J.O.U.E. un avis d’appel public à la concurrence en vue de l’attribution d’un accord-cadre de services portant sur la réalisation de prestations polyvalentes de déclinaisons et adaptations graphiques de Look et de Signalétiques pour les sites de compétition et de non compétition des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
La SARL SEV COMMUNICATION a déposé une offre, laquelle n’a pas été retenue par le C.O.J.O..
Dans le cadre d’un référé précontractuel, la candidate évincée demande avant dire droit la communication du Rapport d’analyse des offres expurgé des mentions couvertes par le secret des affaires et souhaite obtenir l’annulation de la procédure de passation.
En effet, (i) d’abord elle soutient que l’exigence imposée par le pouvoir adjudicateur d’une présence de l’équipe dédiée au sein des locaux de Paris 2024 contrevient à l’égalité de traitement des candidats, par la discrimination géographique qu’elle implique, puisqu’elle a pour conséquence de favoriser les candidats parisiens, et ce, sans aucune justification et alors que l’objet du marché porte sur des prestations intellectuelles qui ne nécessitent pas la présence sur place d’une équipe. Elle estime que l’explication donnée par la défenderesse reposant sur une fluidité des relations opérationnelles avec le Manager du studio design manque de sérieux.
(ii) Ensuite, elle soutient que la défenderesse aurait manqué à son obligation de transparence en faisant usage de critères occultes d’analyse des offres, non annoncés dans les documents de consultation, résultant d’une part, du degré de présence de l’équipe dédiée dans ses locaux, et d’autre part, d’une compétence et d’une expertise particulière dans les grands projets, ces deux éléments n’étant pas mentionnés au titre des critères et s’étant révélés, en réalité, déterminants dans la notation des offres. Elle soutient que dès lors que sa candidature a été jugée recevable, notamment au regard de ses capacités financières, techniques et/ou professionnelles, le groupement est réputé avoir l’expérience nécessaire pour exécuter le marché.
(iii) Encore, elle soutient qu’il ressort de l’article 3 du CCTP l’existence de prestations distinctes telles que le look, la signalétique et des prestations transverses qui aurait dû conduire le pouvoir adjudicateur à allotir son marché conformément aux dispositions de l’article L.2113-10 du code de la commande publique. Elle fait observer que la défenderesse ne démontre pas la réalité de l’impossibilité de segmenter les différents domaines d’intervention.
(iv) Enfin, la requérante soutient que les manques qui lui sont reprochés dans son offre ne sont pas fondés et qu’ainsi son offre a été dénaturée. Plus précisément, elle fait valoir : concernant le critère n°2, que la compétence en design graphique n’est pas prise en compte dans le cadre des commentaires ; que l’expérience de son groupement dans le cadre d’événements sportifs n’est pas contestable, notamment sur de grands projets, tels que l’EURO 2016, le Tour de France, la Finale de la ligue des champions 2022 ; que si ces grands projets ont été présentés au stade du dossier de candidature, il aurait dû en être tenu compte au stade de l’appréciation de l’offre, le pouvoir adjudicateur ne pouvant se contenter d’examiner les CV de l’équipe dédiée pour estimer qu’elle ne disposait pas d’une expertise sur des projets sportifs ; concernant le critère n°3, qu’elle a développé sa méthodologie dans le cadre de son mémoire technique sur différents points, de sorte que le pouvoir adjudicateur ne pouvait répondre que « le mode opératoire n’est pas décrit ».
2 – Question de droit. Le juge du référé précontractuel peut-il enjoindre à l’acheteur public de communiquer le rapport d’analyse des offres ? Et la procédure de passation était-elle régulière ?
3 – Solution juridique. En premier lieu, concernant la communication du Rapport d’Analyse des Offres, le T.J. va juger que la demande doit être rejetée.
En effet, l’article R. 2181-1 du Code de la commande publique dispose que l’acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre et mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l’offre (article R.2181-3 du Code de la commande publique). De sus, « lorsque la notification de rejet intervient après l’attribution du marché, l’acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l’attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l’article R. 2182-1 » (ibid.).
Or, la Commission d’accès aux documents administratifs décide que ce n’est qu’une fois le marché signé, que les contrats de la commande publique et les documents qui s’y rapportent, y compris le rapport d’analyse des offres, document préparatoire, sont des documents administratifs soumis au droit d’accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.
Ainsi, « et dans la mesure où le contrat n’a pas encore été signé, la demande sera rejetée, la requérante ne justifiant d’aucun fondement juridique au soutien de celle-ci ».
En second lieu, concernant la demande d’annulation de la procédure de passation du marché, le T.J. va rejeter tous les moyens de la demanderesse.
(i) Concernant le moyen tiré d’une atteinte au principe de non-discrimination, le T.J. rappelle que l’article R.2111-4 du Code de la commande publique dispose que les spécifications techniques définissent les caractéristiques requises des travaux, des fournitures ou des services qui font l’objet du marché. Ces caractéristiques peuvent se référer au processus ou à la méthode spécifique de production ou de fourniture des travaux, des produits ou des services demandés ou à un processus propre à un autre stade de leur cycle de vie même lorsque ces facteurs ne font pas partie de leur contenu matériel, à condition qu’ils soient liés à l’objet du marché et proportionnés à sa valeur et à ses objectifs.
Il souligne également que la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi rappelé, aux termes de sa décision du 20 septembre 2018 (C-546/16 point 38) que « les pouvoirs adjudicateurs doivent, tout au long de la procédure, respecter les principes de passation des marchés énoncés à l’article 18 de la directive 2014/24, au nombre desquels figurent, notamment, les principes d’égalité de traitement, de transparence et de proportionnalité ».
Puis faisant application de ces règles au cas présent, le tribunal constate que l’implantation de l’équipe dédiée n’est pas présentée comme un critère mais comme une condition d’exécution du marché. En effet, le règlement de consultation précise que les ressources mises à disposition par le Titulaire seront intégrées au studio de design graphique du C.O.J.O. et ainsi présentes physiquement dans les bureaux du C.O.J.O.. Ainsi, il s’agit d’une condition d’exécution du marché « qui n’est pas proscrite dès lors qu’elle est en rapport avec l’objet du marché, qu’elle est proportionnée et qu’elle n’a pas pour conséquence de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence en favorisant notamment un soumissionnaire local ».
Or cette condition d’exécution est :
· En rapport avec l’objet du marché : En effet, le marché a pour objet des prestations de design graphique dans le cadre de l’organisation des jeux olympiques et paralympiques de l’été 2024, qui suppose une centralisation de la prise de décisions compte tenu de la nécessaire réactivité qu’impose l’organisation d’un événement sportif pluridisciplinaire international. Or, la non intégration d’une partie de l’équipe dédiée au sein du studio de design graphique parisien est susceptible de nuire d’une part, à la fluidité des relations entre les équipes et d’autre part, à la rapidité d’exécution des directives du manager du studio design, s’agissant de prestations visuelles sur lesquelles les commentaires et les demandes de modification sont facilités par la proximité des équipes amenées à travailler de façon collaborative.
· Proportionnée : En effet, à une question posée par un soumissionnaire, relative au degré d’intégration de l’équipe dédiée, l’acheteur a ainsi répondu : « Notre préférence est d’avoir toutes les équipes en présentiel afin de fluidifier les relations avec le manager du studio design ainsi qu’avec tous les équipiers Look et Signalétique qui seront en présentiel. Toutefois les candidats peuvent proposer en option une organisation mixte (présentiel + distanciel) étant entendu qu’il serait alors préférable que les graphistes seniors (en charge de cluster de sites) soient en présentiel ». De sorte qu’étant donné qu’une option mixte est proposée par l’acheteur, cette condition apparaît proportionnée à l’objectif poursuivi.
(ii) Concernant le moyen tiré de l’atteinte au principe de transparence, le T.J. souligne qu’aux termes de l’article L. 2152-7 du code de la commande publique, le marché est attribué au soumissionnaire, ou le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. Selon l’article L. 2152-8, les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’acheteur et garantissent la possibilité d’une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat.
Or, en application de ces textes, le pouvoir adjudicateur a l’obligation d’indiquer dans les documents de consultation les critères d’attribution du marché et leurs conditions de mise en œuvre. Il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation retenue pour apprécier les offres au regard de chacun de ces critères, conservant une liberté d’appréciation du mérite des différentes offres.
Par ailleurs, le T.J. souligne que si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en œuvre les critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.
Puis faisant application de ces règles au cas présent, le T.J. constate que le règlement de la consultation dresse la liste des critères d’analyse des offres en précisant leur pondération respective. Le C.C.T.P. prévoyait que le critère « Qualité de l’équipe proposée » serait appréciée notamment au regard de l’expérience de ses membres, mais également du niveau de présence de l’équipe au sein du studio parisien.
Ainsi, le T.J. constate que la demanderesse a clairement averti de l’utilisation de ce critère, ce qui ressort de son dossier de candidature et d’une question adressée au C.O.J.O..
En outre, elle ne démontre pas que cet élément d’appréciation, annoncé, ait pris une place prépondérante dans l’appréciation de l’acheteur des mérites de son offre et qu’il a été déterminant de son choix.
Par ailleurs, l’expérience des membres de l’équipe dédiée dans des grands projets et des projets sportifs se rattache avec évidence au sous-critère “Expertise / Compétence de l’équipe dédiée sur des projets de déclinaisons et adaptations graphiques, notamment dans le cadre d’événements sportifs” et n’est pas distincte de ce critère. Elle avait également été portée à la connaissance des soumissionnaires dans le cahier des clauses techniques particulières.
Le moyen est donc rejeté par le T.J. faute pour la requérante de démontrer que cet élément d’appréciation constituerait un critère occulte qui a influencé de manière significative le pouvoir adjudicateur, alors qu’il s’agit d’un élément d’appréciation qui découle nécessairement et intrinsèquement de l’objet même du marché portant sur l’organisation de jeux olympiques, grand projet par nature. En tout état de cause, le T.J. met en exergue que ces éléments avaient été communiqués aux soumissionnaires dans le cadre du C.C.A.T.P. et leur prise en considération par le pouvoir adjudicateur était connue de la société SEV COMMUNICATION, qui a donc eu la possibilité de présenter son offre en conséquence.
(iii) Concernant le moyen tiré de l’absence d’allotissement, le T.J. constate qu’il ressort de l’examen des documents de la consultation et notamment de l’article 2.2 du R.C. que l’acheteur a pris soin de motiver sa décision de ne pas allotir le marché comme suit : « Au regard de l’homogénéité de la prestation et de l’impossibilité a priori de segmenter les différents domaines d’intervention, le Pouvoir Adjudicateur a décidé de ne pas allotir le Marché, ainsi que le permet l’article L.2113-11 du code de la commande publique. Il n’est pas prévu de décomposition en tranches ».
Puis, le T.J. juge qu’il était bien possible de déroger à l’obligation d’allotir, en se fondant sur le fait que la dévolution en lots séparés risquait de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations (article L. 2113-11 du Code de la commande publique). En effet, l’imbrication des prestations Look et Signalétique, qui participent toutes deux à l’identité visuelle de la marque « Paris 2024 », établit l’existence d’un risque pour l’acheteur de rendre techniquement difficile l’exécution des prestations si elles étaient confiées à plusieurs prestataires. En outre, si les jeux sont situés sur plusieurs sites, les prestations n’apparaissent pas distinctes d’un site à l’autre, de sorte qu’un allotissement géographique n’apparaît pas nécessaire.
Il n’est donc pas démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le pouvoir adjudicateur.
(iv) Enfin, concernant le moyen tiré de la dénaturation de l’offre, le T.J. rappelle qu’ « il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats. Le contrôle de dénaturation de l’offre repose sur une appréciation manifestement erronée de son contenu par le pouvoir adjudicateur ».
Or selon le T.J., il résulte du Dossier Offre de la société SEV COMMUNICATION, sur lequel se fonde le pouvoir adjudicateur pour apprécier les mérites des offres, que seuls les C.V. des membres de l’équipe dédiée permettent de déterminer leur degré d’expérience et d’expertise. Il est manifeste que ces derniers mentionnent uniquement des projets culturels, artistiques et routiers et ne comportent aucune référence à des expériences relatives à des événements sportifs. Aucun autre document n’est communiqué sur ce point concernant les membres de l’équipe dédiée. Enfin, dans la mesure où seule l’équipe dédiée était destinée à travailler sur le présent marché, les références sportives du groupement apparaissent indifférentes à l’appréciation de l’offre.
En conséquence, PARIS 2024 n’a pas méconnu les termes de l’offre de la société SEV Communication, qui a proposé une équipe dédiée justifiant d’une expérience et d’une expertise uniquement dans le domaine culturel et artistique.
Ensuite, en ce qui concerne le troisième critère « Qualité de la méthodologie proposée », le T.J. souligne que si la page de garde du mémoire technique du soumissionnaire présente, de la page 4 à la page 22, un plan relatif à la méthodologie, la description technique et les ressources, force est de constater que dans le corps du dossier, la méthodologie décrite pourrait être jugée comme n’étant pas suffisamment précise et circonstanciée, notamment quant à la planification des ressources dans le cadre d’une montée en charge, l’offre se contentant de généralités après avoir exposé « Il est illusoire à ce stade de prétendre définir un planning réaliste car de nombreuses données nous demeurent inconnues ».
Dès lors, le jugement par le pouvoir adjudicateur d’une méthodologie non décrite, parce qu’insuffisante et imprécise, ne relève pas de la dénaturation et l’appréciation manifestement erronée du contenu de l’offre n’apparaît pas démontrée.
Il s’ensuit que la demande d’annulation de la procédure de passation du marché est rejetée par le T.J..
G. Cass. Com. 11 janvier 2023, 21-16.739 – Rappel de l’obligation du juge du référé précontractuel de faire application des articles L. 2132-1 du code de la commande publique et L. 151-1 du Code de commerce (secret des affaires) avant d’enjoindre à un acheteur ou concédant de communiquer des éléments à un candidat évincé.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes, entité adjudicatrice, a publié au J.O.U.E. un avis en vue de l’attribution d’un marché public ayant pour objet la maintenance de ses installations de climatisation.
La société Guadeloupe entretien maintenance candidate. Son offre est classée en deuxième position, derrière l’offre de la société Idex énergie Antilles Guyane.
La société Guadeloupe entretien maintenance a alors assigné la société Aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes en référé précontractuel en demandant la communication des caractéristiques et des avantages de l’offre de la société Idex énergie Antilles Guyane et, en particulier, le montant de son offre pour chacun des sous-critères financiers. Elle se prévaut notamment du fait que les éléments d’information contenus dans la lettre de rejet de son offre sont insuffisants pour lui permettre de contester utilement les motifs du rejet de son offre et ne sont pas conformes aux obligations d’information du soumissionnaire évincé et de lui ordonner de communiquer à cette société.
Le T.J. accueille les moyens de la demanderesse et ordonne à la défenderesse de lui communiquer dans un délai de 15 jours, les caractéristiques et avantages de l’offre de la société Idex énergie Antilles Guyane, les montants relatifs à la partie prix unitaires du BPU et la part du taux de marge constituant respectivement les 2e et 3e sous-critères financiers de l’offre.
L’entité adjudicatrice se pourvoit en cassation car elle estime que les dispositions de l’article L. 2132-1 du Code de la commande publique qui imposent à l’acheteur de « ne pas communiquer des informations confidentielles dont il a eu connaissance à la faveur d’une procédure de passation », ainsi que les dispositions de l’article L. 151-1 du code de commerce, protégeant le secret des affaires ne lui permettait pas de communiquer ces éléments. Elle invoque notamment un arrêt de la Cour de cassation (Com. 6 décembre 2016, n° 15-26.414, publié au bulletin) ayant jugé que « l’acheteur soumis aux règles de la commande publique doit communiquer aux candidats dont l’offre a été écartée pour un autre motif que son caractère inapproprié, irrégulier ou inacceptable les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue et notamment, dans le cadre d’un appel d’offres mettant en œuvre des critères de sélection fondés sur cet élément, son prix, sauf à établir, ce qui n’était pas invoqué en l’espèce, qu’une telle divulgation serait contraire à la loi, en particulier violerait le secret industriel et commercial, serait contraire à l’intérêt public, ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques « , pour en conclure qu’elle » n’était pas tenue, dans le cadre de la présente procédure, de communiquer les informations demandées sauf à méconnaître les droits de l’attributaire à entraver le jeu de la concurrence, a fortiori en Guadeloupe »
2 – Question de droit. L’entité adjudicatrice devait-elle communiquer ces éléments ?
3 – Solution juridique. La Cour de cassation considère qu’en ordonnant à la société Aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes de communiquer à la société Guadeloupe entretien maintenance, dans un délai de 15 jours, les caractéristiques et avantages de l’offre de la société Idex énergie Antilles Guyane, les montants relatifs à la partie prix unitaires du BPU et la part du taux de marge constituant respectivement les 2e et 3e sous-critères financiers de l’offre, sans répondre aux conclusions par lesquelles la société Aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes faisait valoir qu’elle était tenue, en application de l’article L. 2132-1 du code de la commande publique et de l’article L. 151-1 du code de commerce, protégeant le secret des affaires, de ne pas communiquer des informations confidentielles dont elle a eu connaissance à la faveur d’une procédure de passation de marché, ce dont elle déduisait qu’elle ne pouvait communiquer les informations demandées sauf à méconnaître les droits de l’attributaire, le président du tribunal a violé le texte susvisé.
L’ordonnance est donc cassée.
H. Cass. Com., 15 novembre 2023, n° 22-13.695 - Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie spéficiquement adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur.
1 - Faits et procédure. En l’espèce, la société publique locale de développement touristique du Cotentin (ci-après « la SPL » ou « l’acheteur ») a engagé une procédure d’attribution d’un marché de fourniture, installation, mise en service et maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office du tourisme du Cotentin. Il s’agissait d’une procédure adaptée, conformément à l’article R. 2123-1,1° du code de la commande publique, le marché étant sous les seuils de procédure formalisée.
Pour rappel certaines personnes privées, telles que les sociétés parapubliques sont soumises aux règles de la commande publique (voir mon manuel pratique à ce sujet : https://www.legavox.fr/blog/droit-public-des-affaires-florent-cedziollo/recours-candidat-evince-contre-contrat-34432.htm).
Par la suite, la SPL a informé la société Cartel (ci-après le « concurrent évincé ») du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Kalkin (ci-après « l’attributaire » ou « l’ancien titulaire candidat »).
Le concurrent évincé a contesté par un référé pré-contractuel devant le juge judiciaire (selon les règles de procédure de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009), en arguant que l’attributaire qui avait précédemment fourni à la SPL des tables tactiles intérieures intégrant une solution cartographique 3D développée par elle dans le cadre d’un autre marché, avait, de ce fait, bénéficié d'un avantage financier dans la présentation de son offre.
L’attributaire avait donc fourni le même type de prestations et le même type de logiciel, mais pour des bornes intérieures, tandis qu’en l’espèce il s’agit de bornes extérieures. En tout état de cause, les prestations sont quasiment identiques. En effet, le marché contesté impliquait donc également l’utilisation du même logiciel que celui du premier marché.
Il y aurait eu selon la requérante méconnaissance du principe fondamental de la commande publique de l’égalité entre les candidats (articles L. 3 du code de la commande publique) du fait (i) de la non-divulgation des montants des coûts pour le marché précédent, et de l’offre du prestataire pour le nouveau marché, et (ii) étant donné que l’acheteur ne démontre pas en quoi les prestations intellectuelles de l’attributaire étaient nécessaires. Dit autrement, pour le candidat évincé, les critères de sélection favorisaient nécessairement l’ancien titulaire candidat.
Le juge judiciaire a suivi ce moyen en concluant que le titulaire du marché a bénéficié d'un avantage concurrentiel en raison de son expérience antérieure. Il a par voie de conséquence annulé la procédure et a enjoint à la SPL, si elle entendait conclure le marché litigieux, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres.
C’est donc en pourvoi en cassation que l’acheteur conteste l’ordonnance de référé.
La SPL soutient que « le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur, si bien qu'en annulant la procédure de mise en concurrence du marché de fourniture, d'installation, de mise en service et de maintenance de bornes tactiles (…) au seul motif que la société Kalkin était titulaire des droits sur une solution logicielle cartographique pouvant répondre aux besoins de l'acheteur, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3, L. 2141-8 et R. 2111-2 du code de la commande publique ».
2 - Question de droit. La question posée à la Cour de cassation concerne donc la consistance du principe fondamental de la commande publique de l’égalité entre les candidats. Dit autrement, le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur constitue-t-il un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur ?
3 - Solution juridique. Au visa de l’article L. 3 du code de la commande publique, les juges du quai de l’horloge considèrent que « le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur ».
Ainsi, la cassation est prononcée puisqu’« en se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi le seul fait pour la société déclarée attributaire d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché, le président du tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision ».
En résumé, la Cour de cassation considère en l’espèce qu'il n’y a pas eu un avantage inapproprié compromettant l’égalité entre les candidats du nouveau marché simplement parce que l'un d'eux possède une technologie adaptée aux besoins de l’acheteur. Cependant, la Cour émet une réserve à ce sujet, puisque tel ne sera pas le cas si l’acheteur impose aux candidats l’utilisation de la technologie précédemment utilisée par un titulaire d’un ancien marché candidat au nouveau marché.
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IV. Notion de pouvoir adjudicateur / entité adjudicatrice
A. T.J. de Paris, 12 avril 2023, n° 22/55253 – Les associations gérant le financement et l’organisation de l’enlèvement et de la transformation des animaux trouvés morts en élevage pour l’ensemble du territoire métropolitain, au moyen de la conclusion de contrats d’équarrissage ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la Société pour la Transformation de Sous-produits Animaux (ci-après la société SOPA) s’est vue confier, aux termes d’un appel d’offre privé, par les associations Animaux Trouvés Morts (ci-après les ATM) les prestations de collecte et de transformation des cadavres d’animaux sur la zone géographique d’une partie des départements du Cantal, Lot, Corrèze, et du Nord Aveyron à compter de l’année 2013.
Les ATM gèrent le financement et l’organisation de l’enlèvement et de la transformation des animaux trouvés morts en élevage pour l’ensemble du territoire métropolitain, au moyen de la conclusion de contrats d’équarrissage.
A compter du 2 août 2021, des négociations ont été entreprises, dans le cadre d’un appel d’offres, sur l’initiative du groupement de commandes des ATM constitués par plusieurs ATM avec les différentes sociétés d’équarrissage pour la réalisation de prestations de collecte, transformation/valorisation des cadavres d’animaux dans les élevages dont les ATM ont la charge et pour la période 2022-2024.
La société SOPA a présenté une offre de prestations, puis elle a été avisée que son offre n’était pas retenue pour certains départements, au motif de la « nécessité de faire bénéficier l’ensemble des éleveurs et filières d’élevage françaises des meilleurs tarifs pour l’équarrissage, tout en garantissant un service de qualité rendu aux éleveurs défini strictement dans notre cahier des charges techniques » et de la date du début d’exécution du marché.
Par la suite les contrats d’equarissage relatifs à ces départements sont conclus par les ATM.
Par suite la SOPA intente des référés contractuels contre ces contrats, considérant que les ATM sont des pouvoirs adjudicateurs soumis aux règles de la commande publique et soutient qu’en l’absence de respect des procédures prévues pour la commande publique en matière de publicité et mise en concurrence, la décision d’attribution et les contrats passés en exécution, au profit de la société SECANIM SUD-EST, sont nuls, en faisant valoir :
- que ces associations ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial en ce que le seul objet de ces organismes concerne la gestion de l’équarrissage des animaux des animaux morts en ferme, ce qui correspond à une mission d’intérêt public voire général, correspondant à des besoins liés à la santé publique, dès lors que les opérations d’équarrissage sont nécessaires en matière de salubrité publique, de santé, voire de lutte contre la pollution et le développement d’épizooties, laquelle fait l’objet d’un contrôle permanent par les services de l’Etat ; qu’une partie de l’équarrissage demeure d’ailleurs sous la responsabilité de l’Etat et que si l’Etat s’est désengagé partiellement du service public de l’équarrissage pour le confier aux filières de producteurs d’animaux d’élevage, cette activité demeure sous le contrôle de l’Etat ;
- que les ATM n’ont aucune activité industrielle ni commerciale; qu’elles n’ont aucune activité d’équarrissage, n’interviennent pas dans un marché concurrentiel, et ont pour seul but de mutualiser et responsabiliser les éleveurs dont elles sont garantes ; que leur objet tend essentiellement à assurer la gestion des contributions obligatoires des éleveurs et à s’acquitter des factures de prestations liées à l’équarrissage ; qu’elles sont uniquement l’intermédiaire entre les éleveurs et les sociétés d’équarrissage ; qu’elles ne tirent aucun profit d’une activité commerciale ou industrielle et que la recherche d’une activité lucrative ne répond pas au surplus à l’objet d’une association ; que leurs ressources sont constituées de contributions professionnelles ou interprofessionnelles volontaires, volontaires obligatoires, de cotisations de leurs membres et de subventions publiques ou de personnes physiques privées ; que cette activité d’intermédiaire comptable entre éleveurs et sociétés d’équarrissage n’est ni commerciale ni industrielle ; qu’elles ont été créées conformément aux dispositions des articles L.632-1 du code rural pour satisfaire les seuls besoins d’intérêt général autre qu’industriel et commercial et consistant à assurer la salubrité et la santé publique ; que les dispositions de l’article L.1211-1 du code de la commande publique n’exigent pas que la personne morale concernée soit créée spécifiquement pour ce besoin d’intérêt général autre que commercial ou industriel ; que cette exigence est compatible avec un besoin de salubrité et de santé publique impliquant par ailleurs le recours à des process industriels et commerciaux ;
- que leur gestion est soumise au contrôle d’un pouvoir adjudicataire ; qu’elles sont aux termes des dispositions de l’article L.632-1 du code rural, des organisations professionnelles agricoles constituées sous la forme associative ; qu’elles ne disposent d’un tel statut particulier qu’après validation et accord de l’autorité publique attestant d’une tutelle de l’Etat dès lors que cette même reconnaissance par les services de l’Etat peut être retirée par arrêté ministériel ; que ces associations et notamment l’ATM PORC, disposent d’un statut particulier pour le recouvrement dérogatoire des cotisations volontaires obligatoires dont le paiement a ainsi été rendu obligatoire par extension de l’accord interprofessionnel par arrêté et qui peuvent au-delà d’un seuil fixé par arrêté du ministre du budget faire l’objet d’une procédure de recouvrement spécifique au regard des dispositions réglementaires du code rural ; que leur financement par contributions obligatoires est ainsi réalisé au moyen d’un arrêté d’extension de l’autorité administrative de tutelle étatique et selon des dispositions dérogatoires du droit commun ; que leur gestion est par ailleurs contrôlée par l’Etat en ce que leur reconnaissance en tant qu’organisation interprofessionnelle et la perte de cette reconnaissance dépendent de l’autorité administrative compétente ; qu’elles doivent par ailleurs conformément aux dispositions du code rural rendre compte chaque année aux autorités administratives compétentes et notamment fournir un rapport d’activité et le compte-rendu des assemblées générales, un bilan d’application de chaque accord étendu ainsi que tous documents dont la communication est demandée pour l’exercice du pouvoir de contrôle desdites autorités ; qu’ainsi la mission d’appui à la direction générale de l’alimentation témoigne d’un contrôle régulier et constant des services de l’Etat sur l’action des ATM et des sociétés d’équarrissage ; que les ATM sont en outre soumis en exécution des dispositions de l’article 1 du décret du 26 mai 1955 à uner contrôle économique et financier de l’Etat en leur qualité d’organismes professionnels ou interprofessionnels autorisés à percevoir des taxes, redevances ou cotisations de caractère obligatoire, dispositions rappelées dans les statuts de certaines des ATM défenderesses ; que ce contrôle confère aux agents chargés du contrôle un pouvoir d’investigation sur pièces et sur place, un droit de communication des informations utiles à la mission ainsi qu’un droit d’assister avec voix consultative aux séances du conseil d’administration et de surveillance ;
- qu’en toute hypothèse, cette situation justifie ainsi que l’a envisagée la Cour de Cassation, dans le cadre d’un précédent recours concernant l’application des dispositions des marchés publics aux ATM, de saisir la Cour de justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle sur leur qualité de pouvoir adjudicateur ; que les conclusions adverses s’opposant au recours au renvoi préjudiciel se fondent sur une jurisprudence de la Cour de justice antérieure à l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 8 mars 2016 et ne portant pas sur la qualification de pouvoir adjudicateur ; que cette question pose une difficulté sérieuse au regard de la précédente question posée par la Cour de Cassation.
Les ATM nient cette qualification.
2 – Question de droit. Les ATM sont-elles des pouvoirs adjudicateurs ?
3 – Solution juridique. D’abord, le T.J. rappelle que sont des pouvoirs adjudicateurs au sens de l’article L. 1211-1 du Code de la commande publique, les personnes morales de droit privé qui ont été (i) créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général (ii) ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, (iii) dont : a) Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ; c) Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ;
ou les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun.
(i) Le T.J. souligne que « les “besoins d’intérêt général” ont été définis, en matière de procédures de passation des marchés publics, comme une notion autonome de droit communautaire. Ainsi, au sens des directives communautaires relatives à la coordination des procédures de passation des marchés publics, les besoins d’intérêt général constituent des besoins qui d’une part, sont satisfaits d’une manière autre que par l’offre de biens ou de services sur le marché et d’autre part, que pour des raisons liées à l’intérêt général, l’Etat choisit de satisfaire lui-même ou à l’égard desquels il entend conserver une influence déterminante. L’existence d’une concurrence développée ne permet pas, à elle- seule, de conclure à l’absence d’un besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial. Il doit être apprécié l’existence ou non d’un tel besoin en prenant en compte l’ensemble des éléments juridiques et factuels pertinents tels que les circonstances ayant présidé à la création de l’organisme concerné et les conditions dans lesquels il exerce son activité (arrêt de la CJCE rendu le 27 février 2003- AA AB AC – C-373/00) ».
(ii) Il constate également que « la notion de besoin d’intérêt général autre qu’industriel et commercial n’exclut pas les besoins qui sont également satisfaits ou pourraient l’être par des entreprises privées. Il est également indifférent qu’outre sa mission de satisfaire des besoins d’intérêt général, une entité soit libre d’accomplir d’autres activités. Le fait que la satisfaction des besoins d’intérêt général ne constitue qu’une partie relativement peu importante des activités réellement entreprises par cette entité, est, lui aussi, sans pertinence, dès lors qu’elle continue à se charger des besoins qu’elle est spécifiquement obligée de satisfaire (arrêt de la CJCE du 10 novembre 1998 – BFI Holding BV- C-360/96). […] Le caractère d’intérêt général autre qu’industriel et commercial est établi lorsque l’organisme ne poursuit pas un but lucratif, n’assume pas le risque économique de son exploitation et la charge des pertes éventuelles pouvant en résulter, et n’exerce pas son activité dans les conditions normales du marché (arrêt de la CJCE du 10 mai 2001 – Ente Autonomo Fiera Internazionale di Milano – C. 223/99 et C.260/99) ».
Puis, il donne l’exemple des activités mortuaires et de pompes funèbres qui sont susceptibles de répondre à un besoin d’intérêt général, en ce sens que notamment pour des motifs évidents d’hygiène et de santé publique, l’Etat conserve sur ces activités une influence déterminante et prend des mesures lorsque les funérailles ne sont pas organisées dans un certain délai (arrêt de la CJCE rendu le 27 février 2003- AA AB AC – C-373/00). De même, il a pu être retenu que l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères peuvent être considérés comme constituant un besoin d’intérêt général (arrêt du 10 novembre 1998 – BFI Holding BV- C-360/96).
(i) Or, faisant application de ces règles au cas présent, le T.J. souligne d’abord que la réforme de 2009 relative à l’activité de collecte, transformation et élimination dans les élevages illustre le fait que les ATM ont bien une activité d’intérêt général :
· Avant la réforme de 2009 : il ne saurait être contesté que l’activité d’équarrissage a été organisée par l’Etat français jusqu’en juillet 2009 en ce qu’elle était considérée comme une activité répondant à un besoin de salubrité publique. L’enlèvement des animaux morts, leur transformation ou leur élimination peuvent en effet être considérés comme constituant un besoin d’intérêt général pour des motifs évidents d’hygiène et de santé publique. La satisfaction de ce besoin pouvant ne pas être atteint par l’offre de services par des opérateurs économiques privés induit que cette activité fait partie de celles dont un Etat peut décider qu’elles doivent être exercées par des autorités publiques ou à l’égard desquelles il entend conserver une influence déterminante. Ainsi, en application de l’article 264-1 du code rural ancien, dans le cadre d’une politique de sécurité sanitaire, le service public de l’équarrissage était confié à des entreprises titulaires de marchés publics conclus avec les préfets de chaque département. Le service de la collecte et de l’élimination des animaux et déchets d’abattoirs était fourni gratuitement aux éleveurs et abattoirs. Toutefois, il a été retenu que la charge financière occasionnée par l’élimination des cadavres d’animaux et de déchets d’abattoirs doit être considérée comme un coût inhérent à l’activité économique des éleveurs et abattoirs (Arrêt de la CJCE du 20 novembre 2003 – GEMO SA – C-126/01- considérant n° 31).
· Depuis la réforme de 2009 : En conséquence, les dispositions de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 applicable au 18 juillet 2009 ont abouti à décharger l’Etat de l’activité de collecte, transformation et élimination dans les élevages sauf dans les situations qu’il a définies, notamment aux termes du Décret n° 2005-1220 du 28 septembre 2005, pris pour l’application de l’article L.226-1 du code rural et de la pêche maritime, s’agissant des cadavres d’animaux morts outre-mer, dans les fourrières, refuges et parcs zoologiques ou dont le propriétaire est inconnu, ou encore par décision du Préfet de Département, pour des raisons de salubrité publique, dans le cadre de la lutte contre les maladies animales réputées contagieuses.
Les éleveurs sont depuis eux-mêmes tenus de s’assurer de la collecte des animaux morts dans leurs exploitations dans les conditions fixées au code rural et de la pêche maritime. Il persiste toutefois une réglementation des conditions dans lesquelles se réalisent la collecte et le traitement des animaux trouvés morts dans les élevages, notamment en lien avec des considérations de salubrité publique. Selon les dispositions de l’article L.226-3 du code rural, les éleveurs doivent être en mesure de justifier de la conclusion d’un contrat avec une entreprise d’équarrissage, qu’ils cotisent à une structure ayant conclu un contrat leur garantissant l’enlèvement et le traitement des animaux trouvés morts dans leur exploitation ou encore justifier qu’ils disposent d’un outil de traitement agréé.
Ce dont il en résulte que les ATM ont répondent bien à des besoins d’intérêt général.
(ii) Ensuite, concernant le critère tenant à la création et l’objectif de satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial, le T.J. va étudier les statuts des ATM de chaque ATM :
· L’ATM PORC a pour objet notamment la représentation et la défense des intérêts de la filière porcine vis à vis des pouvoirs publics et des sociétés d’équarrissage concernant l’équarrissage, l’étude et la mise en place de tous les moyens nécessaires pour respecter les obligations des éleveurs ainsi que de l’ensemble de la filière en matière d’équarrissage, la recherche, la centralisation puis la gestion des sommes collectées à partir des contributions volontaires des éleveurs voire obligatoires, ou de toutes subventions publiques ou privées, en vue d’acquitter les factures correspondant aux prestations liées à l’équarrissage ou plus généralement au traitement des animaux trouvés morts quotidiennement dans les élevages, l’étude et le développement de solutions alternatives de traitement des cadavres, la négociation des charges et toutes conditions financières relatives à cette action avec les sociétés d’équarrissage, toutes activités susceptibles de concourir à l’amélioration des performances du dispositif,
· L’ATM RUMINANTS a pour objet notamment l’optimisation des coûts liés à l’équarrissage des animaux morts dans les élevages dans l’intérêt des opérateurs des filières bovine, ovine et caprine, la représentation et la défense des intérêts desdites filières vis à vis des pouvoirs publics et des sociétés d’équarrissage concernant l’équarrissage, l’étude et la mise en place de tous les moyens nécessaires pour respecter les obligations, la recherche, la centralisation puis la gestion des sommes collectées à partir des contributions volontaires des éleveurs voire obligatoires, ou de toutes subventions publiques ou privées, en vue d’acquitter les factures correspondant aux prestations liées à l’équarrissage ou plus généralement au traitement des animaux trouvés morts quotidiennement dans les élevages, l’étude et le développement de solutions alternatives de traitement des cadavres, la négociation des charges et toutes conditions financières relatives à cette action avec les sociétés d’équarrissage, toutes activités susceptibles de concourir à l’amélioration des performances du dispositif,
· L’ATM AVICOE a pour objet l’étude, la gestion et la mise en place de tous les moyens nécessaires pour respecter les obligations en matière d’équarrissage et d’élimination des déchets d’élevage, de négocier tous cahiers des charges et toutes conditions financières relatives à cette action avec les opérateurs chargés de l’exécution de ce service privatisé, d’assurer par convention la gestion opérationnelle du dispositif d’appels de cotisations auprès des acteurs de la filière mandatée et le règlement des factures établies par les opérateurs chargés de la prestation d’équarrissage,
· L’ATM EQUIDES ANGEE a pour objet notamment de contribuer à l’organisation efficace de l’équarrissage des équidés trouvés morts et à son financement et a pour mission, d’assurer la gestion des cotisations volontaires perçues, d’assurer la représentation et la défense des éleveurs, détenteurs et propriétaires d’équidés tant vis-à-vis des pouvoirs publics que des tiers pour toutes les questions relevant de sa compétence, de passer, le cas échéant avec ses membres, les conventions nécessaires à la réalisation de son objet,
· S’agissant des statuts du CLIPP, du CNPO et le CIFOG, il est poursuivi des buts intéressant essentiellement le développement, la promotion et la défense des filières interprofessionnelles autour du lapin, de la ponte et des palmipèdes à foie gras.
Il sera rappelé que la charge financière occasionnée par l’élimination des cadavres d’animaux dans les élevages doit être considérée comme un coût inhérent à l’activité économique des éleveurs.
De plus, tous les éleveurs, qu’ils soient ou non regroupés au sein des ATM, ont cette charge avec la possibilité de l’exécuter soit en souscrivant directement un contrat avec une société d’équarrissage, soit en cotisant à une ATM ou encore en disposant des équipements agréés.
Ce dont il en résulte que « la création des associations défenderesses ne ressort pas spécifiquement d’un besoin d’intérêt général de la puissance publique s’étant désengagée de l’offre d’équarrissage pour les animaux morts dans les élevages, mais, du souhait des éleveurs et des filières d’élevage de se regrouper pour faciliter l’exécution de leurs obligations réglementaires en matière d’équarrissage et de négocier dans de meilleures conditions les contrats visés par la loi aux fins d’obtenir des coûts financiers les plus intéressants mais aussi de mutualiser les conséquences financières du risque encouru par tout éleveur de trouver des animaux morts sur son exploitation ».
Ainsi, « lesdites associations, si elles ne sont pas des personnes de droit privé à but lucratif et si elles interviennent dans un secteur de l’équarrissage réglementé, ont été créées pour répondre à la satisfaction de besoins d’intérêts privés, dès lors que leur mission ou gestion repose sur des critères de rendement/rentabilité, de performances et d’efficacité au bénéfice des membres de la filière qui les composent, lesquels ne caractérisent pas des besoins autres que commerciaux et/ou industriels ».
En effet, le T.J. souligne que les ATM ont été créées spécifiquement par les organisations professionnelles d’élevage, pour répondre depuis 2009 à la charge financière de l’équarrissage inhérente à l’activité économique des éleveurs qui y adhèrent, dans l’intérêt privé des membres de ces différentes filières d’élevage, lesquels exercent une activité commerciale et/ou industrielle, et en vue d’offrir des prestations négociées au meilleur prix des contrats d’équarrissage qu’elles souscrivent pour ceux-ci, alors qu’elles sont elles-mêmes soumises à un cadre concurrentiel au vu de l’absence d’obligation pour tous les éleveurs d’adhérer à un ATM pour s’acquitter de leur obligation individuelle d’équarrissage, lesquels conservent le libre choix de recourir directement aux services d’une société d’équarrissage ou d’effectuer eux-mêmes les prestations d’équarrissage au moyen d’un équipement réglementé.
Par voie de conséquence, « il n’est pas démontré que les ATM ont été créées ni qu’elles ont pour fins de satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ».
(iii) De sus, la société SOPA ne parvient pas à prouver le financement prédominant des ATM par des fonds publics. Les diverses associations exercent leurs missions grâce à des contributions professionnelles volontaires ou obligatoires, des cotisations des membres et des subventions publiques ou privées, dont les modalités sont autonomement fixées par les ATM. Même si des accords professionnels peuvent rendre obligatoires certaines contributions, cela n'altère pas leur nature privée, car elles proviennent d'opérateurs économiques privés sans implication du budget de l'État.
La Cour de justice de l'Union européenne précise d’ailleurs qu’une extension d’accord interprofessionnelle par une autorité nationale n'est pas considérée comme une aide d'État. Ainsi, les contributions volontaires obligatoires perçues par certaines ATM ne démontrent pas un financement majoritairement public, et il n'est pas prouvé que les ATM ne supportent pas seules les risques de leurs activités (arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 30 mai 2013 – Doux Elevage SNC – C-677/11).
Concernant le contrôle actif par un pouvoir adjudicateur, il ressort de la jurisprudence que le contrôle doit influencer les décisions en matière de marchés publics. Les statuts des ATM mentionnent un engagement à se soumettre au contrôle économique et financier de l'État, mais ce contrôle, défini par le décret n° 55-733 du 23 mai 1955 modifié, se limite à un examen a posteriori de la légalité, ne conférant pas un contrôle actif sur la gestion des ATM. Les missions de contrôle budgétaire et économique et financier ne démontrent pas non un contrôle actif de l'État dans la gestion des ATM.
De plus, la société SOPA ne prouve pas que l'organe de direction des ATM est majoritairement composé de membres désignés par un pouvoir adjudicateur.
Par conséquent, la décision d'attribution du marché n'a pas été prise par un pouvoir adjudicateur, et les demandes de la société SOPA sont rejetées.
B. C.A. de Nîmes, 29 juin 2023, n° 22/01769 et C.A. de Nîmes, 7 décembre 2023, n° 22/01769 - Une association privée de gestion de l’enseignement catholique n’est pas un pouvoir adjudicateur, si la majorité de son financement provient de rémunérations publiques en contrepartie de prestations.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, l’association OGEC, organisme de gestion de l’enseignement catholique, a conclu avec la SAS SBI 36 contrats de maintenance de photocopieurs.
Les conditions générales de vente stipulent : « En cas de résiliation anticipée du contrat, SBI exigera le versement d’une indemnité contractuelle égale à 95 % du montant total des facturations minimales semestrielles hors taxes qui auraient été dues jusqu’à l’expiration de la durée de l’engagement du client ».
En application des dispositions du Code de la commande publique entrée en vigueur par la suite, l’association OGEC a décidé de procéder à un appel d’offre portant sur les prestations confiées à la SAS SBI en 2015.
La SAS SBI n’ayant pas été retenue comme attributaire du marché, elle a procédé à la résiliation de l’ensemble des contrats précités. En application des C.G.V., elle a demandé à sa cocontractante de lui payer la somme de 64 591,33 euros représentant la totalité des indemnités de résiliation.
Par la suite, SAS SBI a assigné l’association OGEC devant le T.J. d’Avignon en règlement des indemnités de résiliation d’un montant total de 60 115 euros.
Le T.J. d’Avignon l’a débouté de l’intégralité de ses demandes, considérant que les conditions générales dont la société SBI réclame l’application n’ont pas été portées à la connaissance de sa cocontractante et ne lui sont pas opposables. Il a écarté la demande d’annulation des contrats formée à titre reconventionnelle par l’OGEC au motif que les dispositions des articles L.1111-1 et suivants du Code de la commande publique n’étaient pas applicables aux contrats conclus.
La SAS SBI a interjeté appel de cette décision, soutenant que sa cocontractante ne peut refuser de payer les indemnités de résiliation contractuellement prévues dans les conditions générales de vente, lesquelles sont pleinement opposables à l’association puisque conformes au dispositions de l’article 1119 du code civil. Elle estime par ailleurs que l’intimée ne saurait invoquer la nullité des contrats litigieux en l’absence de texte prévoyant une telle sanction pour la passation des marchés publics par les organismes d’enseignement catholique.
L’association OGEC quant-à-elle considère que ses contrats avec la SAS SBI sont nuls et à titre subsidiaire que les conditions générales des contrats et notamment les clauses relatives à la durée et à la résiliation lui sont inopposables, que les contrats souscrits sont à durée indéterminée, que les clauses relatives à la résiliation du contrat sont illicites. Elle considère que les contrats litigieux sont nuls car contraires aux règles de passation des marchés public telles que prévues aux articles L.1111-1 et suivants du Code de la commande publique et révèlent par ailleurs un délit de favoritisme au sens de l’article 432-14 du code pénal.
La C.A. de Nîmes dans un premier temps (3.1) invite l’association à justifier soit qu’elle est financée majoritairement par l’Etat et/ou les collectivités locales, soit que sa gestion est soumise au contrôle d’un pouvoir adjudicateur soit que son organe d’administration, de direction et de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par un pouvoir adjudicateur.
2 – Question de droit. Une association privée de gestion de l’enseignement catholique est-elle un pouvoir adjudicateur, si la majroité de son financement provient de rémunérations publiques en contrepartie de prestations ?
3 – Solution juridique.
3.1 – L’arrêt du 29 juin 2023. La C.A. de Nîmes va bien qualifier l’association de pouvoir adjudicateur.
En effet, elle rappelle que « pour être qualifié de pouvoir adjudicateur, l’organisme de droit privé doit remplir deux critères cumulatifs, le premier étant la satisfaction spécifique des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, le second étant le lien de dépendance avec un pouvoir adjudicateur ( Etat ou collectivité locale) au travers soit de son financement, soit du contrôle de sa gestion, soit de la désignation des membres composant son organe d’administration et de direction ».
Or, la C.A. souligne que l’association respecte ces deux critères :
· Concernant la satisfaction spécifique des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, elle participe à la réalisation des objectifs et à l’accomplissement des missions de service public de l’enseignement définis par le code de l’éducation et a bien été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial et elle y satisfait effectivement (Cour de cassation, chambre commerciale, 7 mars 2018 n°16-138 ) ;
· Concernant la dépendance à un pouvoir adjudicateur, contrairement à ce qu’affirme l’intimée, l’arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 7 mars 2018 n’a pas énoncé que l’OGEC concerné avait la qualité de pouvoir adjudicateur : il a au contraire cassé l’arrêt de la cour d’appel qui l’avait retenu en affirmant péremptoirement que ses ressources se composaient majoritairement de contributions, subventions et participations versées par l’Etat et les collectivités locales. Si la cour de cassation a suivi l’argumentation de la cour d’appel sur le premier critère - satisfaction spécifique des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial -, elle lui a reproché de ne pas avoir vérifié concrètement si elle remplissait le second critère.
La C.A. ordonne donc la réouverture des débats et invite l’OGEC à justifier soit qu’elle est financée majoritairement par l’Etat et/ou les collectivités locales, soit que sa gestion est soumise au contrôle d’un pouvoir adjudicateur soit que son organe d’administration, de direction et de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par un pouvoir adjudicateur.
3.2 – L’arrêt du 7 décembre 2023. En premier lieu, concernant la qualification de pouvoir adjudicateur, invitée dans le cadre de la réouverture des débats à justifier soit qu’elle est financée majoritairement par l’Etat et/ou les collectivités locales, soit que sa gestion est soumise au contrôle d’un pouvoir adjudicateur soit que son organe d’administration, de direction et de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par un pouvoir adjudicateur, l’OGEC a produit son compte de résultat détaillé pour l’exercice comptable clos le 31 août 2022. Ce dont il en résulte qu’elle n’est pas majoritairement financée par un pouvoir adjudicateur.
Ainsi, la C.A. en conclut que l’OGEC ne démontre donc pas qu’elle est un pouvoir adjudicateur. En effet, le caractère majoritaire du financement public signifie « plus de la moitié », d’une part, et les versements effectués par l’État et/ou les collectivités locales sont considérés comme des financements publics à condition de ne pas représenter la rémunération d’une prestation spécifique, tels que les forfaits d’externat qui représentent la majorité des produits de tiers financeurs perçus par l’association Ogec Saint-Jean Baptiste de La Salle.
Elle n’est donc pas en mesure de demander l’annulation des contrats.
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V. Exécution du contrat de la commande publique.
A. C.A. de Lyon, 20 juin 2023, n° 22/05634 - En application des C.C.A.G. Travaux, un mémoire en réclamation doit être notifié à l’acheteur en cas de différend, ce qui est le cas d’un refus de règlement opposé par un acheteur, motivé par l'existence de nombreux désordres.
1 – Faits et procédure. La société publique locale Lyon Confluence (SPL), une société régie par les dispositions de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales et du livre II du code de commerce, est chargée de l'aménagement du projet urbain de reconversion du sud de la presqu’île de Lyon.
Dans le cadre d'un projet de démolition partielle et de réhabilitation de la halle Girard, un ancien bâtiment industriel, la SPL a confié la maîtrise d'œuvre du programme à un groupement d'opérateurs économiques dont le mandataire est la société Vurpas architectes (le maître d’œuvre). De plus, la SPL a attribué à la société Farjot constructions (la société) le lot n°2 « maçonnerie – dallage » selon un marché de travaux du 29 juin 2017.
Le marché comprenait une tranche ferme d'un montant initial de 855 673,53 euros HT et deux tranches optionnelles, à savoir la tranche optionnelle 1 « Télésurveillance du chantier » d'un montant de 11 900 euros HT, et la tranche optionnelle 2 « Création porte de communication avec l’Hôtel 71 » d'un montant de 850 euros HT. La durée d’exécution des travaux était fixée à quinze mois.
La SPL, invoquant de nombreux désordres, a réceptionné les travaux avec réserves le 31 janvier 2019. Par la suite, l'assureur protection juridique de la société a prétendu à la levée des réserves et a demandé le paiement de 134 335,13 euros par courrier du 5 juin 2019. En l'absence de versement, la société a assigné la SPL en référé devant le tribunal de commerce pour obtenir le paiement des situations de travaux n°11, n°12 et n°17, d'un montant total de 99 985 euros TTC, ainsi que 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par ordonnance du 4 juillet 2022, le juge des référés a rejeté toutes les demandes de la société.
La société a interjeté appel de cette ordonnance, sollicitant de la cour l'infirmation de l'ordonnance et le paiement provisionnel de la somme due au titre des situations impayées, des intérêts, des frais de recouvrement, et une indemnité forfaitaire de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts.
En réponse, la SPL demande la confirmation de l'ordonnance en toutes ses dispositions et la condamnation.
2 – Question de droit. Un tel recours est-il recevable ?
3 – Solution juridique. La cour confirme l'ordonnance du premier juge qui a rejeté les demandes de la société, notamment pour non-respect de la procédure fixée par le cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux 2009. La société n'ayant pas suivi la procédure énoncée dans le CCAG, la cour estime que ses demandes sont irrecevables.
La cour rappelle que, selon l'article 50 du CCAG, en cas de différend entre les parties, le titulaire doit rédiger un mémoire en réclamation exposant les motifs de son différend, indiquant les montants des réclamations et fournissant les justifications nécessaires. La notification de la décision motivée du représentant du pouvoir adjudicateur intervient dans un délai de trente jours à compter de la réception du mémoire en réclamation.
La cour considère que le refus de règlement opposé par la SPL, motivé par l'existence de nombreux désordres, constitue un différend au sens de l'article 50 du CCAG. La société n'ayant pas respecté la procédure de réclamation préalable, la cour confirme le rejet de ses demandes par le premier juge.
L’appel est donc rejeté.
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VI. Fin du contrat de la commande publique.
A. C.A. de Paris, 6 juillet 2023, n° 23/03612 – La règle générale applicable aux contrats administratifs selon laquelle en cas de conclusion et exécution d’un marché de substitution suite à une mise en régie, l’ancien titulaire du marché public doit être en mesure de suivre l’exécution du marché de substitution afin de veiller à la sauvegarde de ses intérêts est applicable à un marché privé de la commande publique, pour lequel les documents contractuels ne prévoient pas un tel droit.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, un groupement constitué par la SA Régie immobilière, la société l’Habitat social français, et la société Hénéo a conclu un accord-cadre multi-attributaires, notamment avec la SA E-Pango, qui avait pour activité la fourniture de gaz et d’électricité.
En octobre 2021, la SA E-Pango a informé la SA Régie immobilière que le marché du gaz subissait des perturbations résultant de circonstances exceptionnelles, en particulier géopolitiques, avec une augmentation sans précédent du prix du gaz livré en Europe, conduisant à une situation économique intenable à court terme. Elle précisait que le niveau des prix d’achat sur le marché du gaz était disproportionné par rapport aux prix figurant dans le contrat, concluant qu'il en résultait une impossibilité concrète d’exécution du marché.
La SA Régie immobilière a répondu en reprochant à la SA E-Pango d’avoir été imprudente, rappelant son obligation contractuelle d’exécution du marché, et indiquant qu'en cas d'arrêt, un marché de substitution serait conclu. La SA E-Pango a maintenu sa position et annoncé rechercher une solution alternative.
Par la suite, la SA Régie immobilière a envisagé une autre solution : la conclusion d’un nouveau marché avec la société Picoty.
La SA E-Pango a réclamé la signature d’un avenant, ce que la SA Régie immobilière a refusé, lui indiquant que faute d’accord, elle enclencherait la procédure de résiliation du contrat pour force majeure.
La SA E-Pango a informé officiellement la SA Régie immobilière de l’impossibilité de poursuivre le contrat, la menaçant de résiliation. Un nouveau marché a été conclu entre la SA Régie immobilière, la société Hénéo, la société l’Habitat social français, et une société de Gaz, entraînant la résiliation du marché initial notifiée à la SA E-Pango.
La SA Régie immobilière, la société Hénéo et la société l’Habitat social français ont mis la SA E-Pango en demeure de payer les sommes de 1 123 029,96 euros, 45 789,77 euros et 61 540,05 euros au titre du remboursement des surcoûts.
Elles obtiennent des ordonnances sur requête rendues par le juge de l'exécution afin de procéder à des saisies conservatoires.
La SA E-Pango saisi alors le juge de l'exécution de Paris de contestations de ces saisies conservatoires. Le juge rejette ces contestations.
La demanderesse relève appelle de ce jugement. En effet, elle considère que ces sommes ne sont pas dues au groupement dans la mesure où les règles procédurales encadrant le recours à un marché de substitution suite à la mise en régie du marché n’ont pas été respectées puisqu’il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que « si l’Administration peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l’achèvement des prestations à une autre entreprise aux frais et risques de son cocontractant, il lui appartient de permettre au cocontractant défaillant de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin qu’il puisse veiller à la sauvegarde de ses intérêts » (C.E. 5 avril 2023, req. n° 463554).
Les défendeurs ont logiquement souligné que la procédure de résiliation du marché a été respectée, puisque les marchés privés de la commande publique ne sont soumis à aucune règle formelle quant à la notification de l’attribution du marché de substitution au titulaire et qu’en l’espèce, cette notification a été faite mais n’avait pas à l’être de manière préalable. En effet, l’article 36 des CCAG-FCS de 2009 applicable au présent marché ne prévoit pas de droit de suivi.
2 – Question de droit. La règle générale applicable aux contrats administratifs selon laquelle en cas de conclusion et exécution d’un marché de substitution suite à une mise en régie, l’ancien titulaire du marché public doit être en mesure de suivre l’exécution du marché de substitution afin de veiller à la sauvegarde de ses intérêts est-elle applicable à un marché privé de la commande publique, pour lequel les documents contractuels ne prévoient pas un tel droit ?
3 – Solution juridique. La Cour d’appel rappelle que l’article 32.1 du cahier des clauses administratives générales, relatif à la résiliation du marché pour faute du titulaire, prévoit que le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute dans certains cas, notamment si le titulaire déclare, indépendamment des cas prévus à l’article 30.1, ne pas pouvoir exécuter ses engagements. L’article 26 autorise également la résiliation du marché lorsque le titulaire est placé dans l’impossibilité de l’exécuter du fait d’un événement ayant le caractère de force majeure. Enfin, l’article 36.1 du règlement de consultation du marché dispose que le pouvoir adjudicateur peut faire procéder à l’exécution du marché par un tiers, aux frais et risques du titulaire.
La C.A. souligne d’abord que la SA E-Pango, déclarant ne pas pouvoir exécuter le marché, elle devait régler les sommes en question. Cependant, elle fait valoir que ses droits n’ont pas été respectés, arguant que la décision d’attribution du marché à l’entreprise substituée aurait dû lui être notifiée préalablement, avant le commencement d’exécution du marché de substitution, ce qui n’a pas été le cas. Le règlement de consultation du marché ne contenait aucune disposition sur l’ordre dans lequel la SA Régie immobilière de la ville de devait procéder.
La SA E-Pango soutient plus particulièrement que le droit de la commande publique doit s’appliquer, spécialement en son mécanisme de garantie des droits de l’entreprise dont le marché a été résilié, afin qu’elle puisse vérifier ce qui est demandé au titulaire suivant et surveiller ainsi le coût qui lui sera finalement réaffecté.
Par une considération générale, la C.A. va énoncer qu’en vertu des règles de la commande publique « le co-contractant défaillant doit être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution afin de veiller à la sauvegarde de ses intérêts ».
Or au cas présent, la SA Régie immobilière aurait dû notifier le marché de substitution à la SA E-Pango, titulaire du marché résilié, avant le commencement de son exécution. Elle ne l’a fait que deux mois après la conclusion dudit marché et un peu moins de deux mois après la notification de la résiliation du marché initial.
Ainsi, la C.A. considère que la SA E-Pango n’a pas été informée au préalable de l’attribution du marché à une entreprise concurrente, la privant de la possibilité de vérifier en temps et en heure le montant des sommes que la SA Régie immobilière de la ville aurait à verser à la société Gaz, et donc des indemnités dont elle serait redevable.
Par voie de conséquence, compte tenu du défaut de respect de cette règle de procédure, applicable aux marchés privés de commande publique, la C.A. considère que la créance de la SA Régie immobilière, de la société Hénéo et de la société l’Habitat social français ne paraît pas suffisamment fondée en son principe, au titre de la différence entre le coût du marché initial et celui du marché de substitution.
La Cour d’appel ordonne ainsi la mainlevée de l’ensemble des mesures conservatoires.
B. Cass. Civ. 1ère, 14 juin 2023, n° 22-10.170 – (i) La Cour de cassation vise les « règles générales applicables au contrat administratif pour énoncer qu’en cas de résiliation d’une concession en raison de son irrégularité, dans le cas où l’administration n’est pas fautive, le cocontractant ne peut prétendre, sur le terrain quasi-contractuel qu’au remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. (ii) La Cour de cassation fait application de la règle selon laquelle la résiliation d’une concession en raison de son irrégularité fait obstacle à ce que le délégataire soit indemnisé du préjudice résultant du manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, par une convention de 1978, un syndicat communautaire d'aménagement d'agglomération nouvelle l'exploitation du marché couvert d’une commune, pour une durée de trente ans. Ce contrat prévoyait l'obligation, pour les concessionnaires, de construire à leurs frais le marché, pour un coût fixé forfaitairement à 1 100 000 francs, et en contrepartie, ces derniers étaient libérés du paiement de la redevance pendant les quinze premières années du contrat.
Un nouveau « traité de concession », regroupant cette fois-ci deux marchés a été conclu en 1989 entre, d'une part, la commune, d'autre part, les anciens concessionnaires et une société nouvelle, pour une durée de 99 ans renouvelable par tacite reconduction pour 10 ans. En sus de la reprise des engagements financiers stipulés dans la convention de 1978, les parties sont convenues que la commune réaliserait les travaux d'extension du marché du Centre (un des deux marchés concédé), que la participation financière des concessionnaires à cette opération consisterait en une redevance complémentaire égale aux annuités de l'emprunt contracté par la commune pour la construction et qu'en contrepartie, ils seraient exonérés du paiement de redevances pour les 15 premières années d'exploitation du marché du Centre.
Un des deux marchés a dû être déplacé et en 1997 les parties ont avenanté la concession, prévoyant que ces travaux seraient réalisés par la commune, que l'exploitant devrait verser une redevance annuelle supplémentaire correspondant à l'annuité théorique de l'emprunt souscrit par la commune pour cette opération, que la durée du traité conclu en 1989 était prorogée jusqu'en 2038 et qu'une résiliation entraînerait une purge préalable de tout report déficitaire actualisé ainsi que le versement par la commune d'une indemnité au titre de ses engagements initiaux.
En 2011, la commune a informé les concessionnaires de sa décision de résilier, pour un motif d'intérêt général, le traité de 1989 et son avenant, avec effet au mois de septembre 2012.
Les concessionnaires saisissent alors le juge judiciaire afin d’obtenir l'exécution de la clause indemnitaire prévue à l'avenant de 1997. Cette demande est rejetée en première instance, puis en appel. En effet, les juges du fond ont considété la durée de la concession excessive, en violation de l’article 40 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993. Ils allouent toutefois aux concessionnaires la somme de 82 969 euros au titre du report déficitaire, avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2012, sur le fondement de la clause indemnitaire prévue à l'avenant de 1997 prévoyant la purge préalable de tout report déficitaire actualisé.
Les concessionnaires contestent l’arrêt d’appel, en tant que, selon eux, la durée de la concession n’est pas excessive et quand bien même le concédant serait fondé à résilier pour motif d’intérêt général le contrat pour durée excessive, cette circonstance n’est pas de nature à les priver du droit à être indemnisé en cas de résiliation fondée sur ce motif d’intérêt général.
Le concédant conteste également en cassation la somme dont il a été condamné à verser aux concessionnaires, puisque la résiliation sans faute par la personne publique d'un contrat de délégation de service public, fondée sur l'irrégularité de celui-ci, ne peut donner lieu, sur un terrain quasi-délictuel, qu'au remboursement des dépenses faites par le cocontractant qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'est engagé.
2 – Question de droit. La question qui se posait était donc celle de savoir si la résiliation pour motif d’intérêt général pour durée excessive était-elle de nature à priver les concessionnaires de toute indemnité ?
3 – Solution juridique.
3.1 – Concernant l’indemnité de résiliation réclamée par les concessionnaires. La Cour de cassation va rejeté la demande des concessionnaires en rappelant préalablement qu’« aux termes de l’article 40 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre ».
Puis la Cour va considérer cette disposition comme étant d’ordre public au regard des principes fondamentaux de remise en concurrence périodique, de liberté d’accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et de transparence des procédures de passation.
Ainsi, « la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d’une délégation de service public constitue un motif d’intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique (CE, 7 mai 2013, société auxiliaire de parcs de la région parisienne, n° 365043, A ; CE, 10 juillet 2020, société Comptoir négoce équipements, n° 430864, A) 10. Ce motif de résiliation de la convention fait obstacle à ce que le délégataire soit indemnisé du préjudice résultant du manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation (CE, 6 octobre 2017, n° 395268, société CEGELEC Perpignan, A) ».
Faisant donc application des jurisprudences du Conseil d’Etat en la matière la Cour va rejeter la demande des demanderesses car « le seul investissement sur fonds propres réalisé par les consorts [T] résidait dans la construction du marché couvert de [Localité 3] pour un montant de 1 100 000 francs et que cet investissement était amorti à la date de la résiliation, sans que l’avenant litigieux ait mis à leur charge de nouveaux investissements ». Ainsi, l’avenant de 1997 était irrégulier et les concessionnaires n’avaient le droit à aucune indemnité.
3.2 – Concernant l’indemnité fixée par les juges du fond contestée par le concédant. La Cour de cassation, au visa des « règles générales applicables aux contrats administratifs », va souligner que ces règles prévoient que « lorsqu'une personne publique résilie unilatéralement un contrat administratif pour un motif d'intérêt général tenant à son irrégularité, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé, que, si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration et que, saisi d'une demande d'indemnité sur le fondement d'une faute de l'administration, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre cette faute et le préjudice (CE, 10 juillet 2020, n° 430864, précité) ».
Ainsi, va-t-elle casser l’arrêt contesté en tant qu’il fait application de la clause indemnitaire prévue à l'avenant de 1997 prévoyant la purge préalable de tout report déficitaire actualisé, puisque la Cour avait constaté que la résiliation du contrat de concession avait été prononcée par la commune pour un motif d'intérêt général tenant à son irrégularité, de sorte que concessionnaires ne pouvaient se voir allouer une indemnité contractuelle et ne pouvaient, le cas échéant, prétendre qu'au remboursement de dépenses utiles à la commune pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, et, en cas de faute de celle-ci, qu' à la réparation du dommage en lien de causalité directe avec cette faute, la cour d'appel a violé les règles susvisées.
L’arrêt est donc cassé.