Introduction
1 – Introduction. Lors du début des discussions de la loi Sapin n°93-122 du 29 janvier 1993, M. Michel Sapin a affirmé que l'objectif de ce projet de loi était de rétablir un équilibre contractuel entre les collectivités décentralisées, dont le pouvoir de négociation a été considérablement affaibli face à leurs partenaires contractuels, notamment les grandes entreprises opérant dans les secteurs publics et privés ainsi que dans les travaux publics. En raison de l'internationalisation de leurs activités, ces entreprises ont été critiquées pour imposer leurs conditions aux responsables des contrats publics en France (Michel Sapin, Journal officiel de l’Assemblée nationale, 1992, p. 3606).
Le jugement qu’il nous reviendra de commenter met en exergue le fait que malgré les modifications législatives et réglementaires encadrant les contrats publics, il existe encore des contrats mal rédigés, au bénéfice des opérateurs privés.
Rentrons dans le vif du sujet.
I. Le jugement commenté
2 – Faits. Visionnaire, et avant l’explosion du « free floating », le syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ Métropole de Paris a octroyé en 2011 à la société Autolib' la responsabilité, pour une période de 12 ans, de mettre en place, gérer et entretenir un service d'automobiles électriques en libre-service ainsi qu'une infrastructure de recharge pour les véhicules électriques, par le biais d'une convention de délégation de service public. Cette concession prévoyait donc qu’à la manière d’un vélib’ (vélo qu’il est possible d’emprunter à une borne et de déposer à une autre), le concessionnaire devait permettre aux usagers d’emprunter une voiture électrique le temps d’un trajet et de la déposer ailleurs.
Cette concession stipulait en ses articles 63.2.1 et 63.2.2 et 63.3 que :
· d’une part, que la société Autolib’ pouvait notifier au SMAVM l’absence d’intérêt économique du contrat lorsque le Plan d’Affaire Actualisé ne permettait pas de constater le retour à un montant de pertes inférieur à 60 millions d’euros au terme de la concession,
· et que d’autre part, que le syndicat s’engageait alors à procéder, dans un délai de trois mois à compter de ladite notification, au versement d’une compensation financière correspondant à la différence entre le résultat net cumulé négatif jusqu’au terme de la concession tel que prévu dans le Plan d’Affaires Actualisé et le montant de 60 millions d’euros de pertes, le solde de cette différence étant divisé par le nombre d’années de la concession restant à courir et versé chaque année au concessionnaire par le concédant.
A défaut pour le concédant de verser les compensations stipulées, la concession devait être résiliée avec l’application du régime d’indemnisation pour résiliation pour motif d’intérêt général prévu à l’article 61, sans que soit exclue l’application du (vi) de cet article qui prévoit le versement par le syndicat à la société Autolib' de l’indemnité de compensation due au titre du dépassement du seuil de pertes prévue à l’article 63.
Voilà donc un contrat de concession très gracieux, avec une rémunération assurée pour le concessionnaire. Qu’il soit rentable ou pas, ce dernier avait donc droit à une indemnité, si le plancher de perte de 60 millions d’euros était dépassé.
Outre l’absence totale d’effet incitatif économique de ce mécanisme contractuel (voir notamment les travaux de Marcel Boiteux, Ronald Coase, Stephen Littlechild ou Jean Tirole), il y a là évidemment quelque chose de très choquant. On le sait, depuis plus d’un siècle, et tout étudiant l’apprend dès la Licence 2, le risque d’exploitation économique est consubstantiel à la qualification de contrat de concession. En 1916, dans l’affaire gaz de Bordeaux, le Commissaire du Gouvernement, Monsieur Chardenet (concl. sur CE 30 mars 1916, Gaz de Bordeaux, RD publ. 1916. 213) définissait la concession comme un « contrat qui charge un particulier ou une société d’exécuter un ouvrage public ou d’assurer un service public, à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d’intérêt, et que l’on rémunère en lui confiant l’exploitation de l’ouvrage ou l’exécution du service public avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l’ouvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public » (caractères gras ajoutés).
Nul besoin de faire durer le suspense, il était donc question de la légalité de ce mécanisme d’indemnité, puisqu’au cas présent, la société Autolib’, par un courrier de 2018, a notifié au syndicat l’absence d’intérêt économique de la concession et a demandé le versement de la compensation financière qu’elle estime lui être due à hauteur de 233,7 millions d’euros.
Par une délibération, le comité syndical du SMAVM a constaté la résiliation de cette convention, a prévu l’indemnisation de la société Autolib’ sur justificatifs, a autorisé la présidente du syndicat à négocier avec la société Autolib’ un protocole de sortie de la convention et a décidé que le service public Autolib’ ne sera ni repris en régie, ni confié à un autre délégataire.
3 – Contentieux. L’indemnité de résiliation n’ayant pas été perçue, la société Autolib’ a donc demandé au tribunal de condamner le SMAVM à lui verser la somme de 235 503 866,45 euros en réparation du préjudice que lui a causé la résiliation de la convention, conformément au régime indemnitaire prévu à l’article 61 du contrat, assortie des intérêts moratoires et, le cas échéant, de la capitalisation des intérêts échus.
En défense, le syndicat soulevait deux moyens de défense :
· La requête serait irrecevable en raison de l'absence de saisine régulière du comité de conciliation ;
· La demande d'indemnisation de la société Autolib’ devrait être rejetée puisque (i) d'une part, le contrat doit être interprété comme excluant toute indemnité de résiliation si, à la date de la résiliation, la compensation financière de l'absence d'intérêt économique de la concession n'était pas exigible. (ii) D'autre part, l'application du seuil de perte de 60 millions d'euros au résultat net cumulé sur toute la durée de la concession aboutirait à imposer à la collectivité une indemnité manifestement disproportionnée par rapport au préjudice subi, qui, par définition, ne peut s'étendre au-delà de la date de résiliation de la convention. (iii) Enfin, (iii) la société Autolib’ a manqué à ses obligations contractuelles, constituant ainsi une cause exonératoire d'indemnisation au titre du paragraphe VI de l'article 61 de la concession.
4 – Question juridique. On l’a donc compris la question était celle de savoir si l’indemnité de résiliation était due.
5 – Solution.
5.1 – Rappel de l’office du juge de l’exécution du contrat. Le Tribunal administratif de Paris commence par rappeler l’office du juge saisi de contestations relatives à l’exécution d’un contrat (CE, 28 décembre 2009, Cne de Béziers I, req. n° 304802 ; CE, 20 septembre 2019, req. n° 419381) :
1. En principe, il incombe alors au juge, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat.
2. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
On l’a constaté dans l’énoncé des faits, aucune des parties ne contestait en l’espèce la régularité du contrat.
OUI MAIS, il était manifeste que ce contrat était illégal, et face à une telle évidence, le TA de Paris a logiquement fait usage des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, puisque le jugement était susceptible d’être fondé sur le moyen relevé d’office tiré de ce que le contrat conclu était entaché de nullité.
5.2 – Moyen relevé d’office : présence d’une libéralité publique et méconnaissance du régime des concessions. En effet, le Tribunal constate que le syndicat était susceptible de contribuer majoritairement aux pertes d’exploitation de la concession et, en particulier, de supporter la totalité de la part de ces pertes excédant le seuil limite de pertes acceptées par le concessionnaire fixé à 60 millions d’euros par le contrat, sans qu’au demeurant un montant maximal de pertes à compenser par la collectivité n’ait été convenu par les parties, et, d’autre part, que l’inexécution par le syndicat de son engagement contractuel de procéder au versement d’une compensation financière de l’excédent de déficit constaté passé le délai de trois mois suivants la notification par Autolib’ de l’absence d’intérêt économique du contrat, entraîne de plein droit la résiliation du contrat pour absence d’intérêt économique. En outre, Autolib’ pouvant également prétendre, même dans ce cas, au versement par le syndicat d’une indemnité de compensation due au titre du dépassement du seuil de pertes prévue à l’article 63.3.
Il en résulte nécessairement que « les clauses précitées doivent être regardées comme caractérisant une libéralité consentie par le [syndicat] au bénéfice de la société Autolib' en méconnaissance des règles générales du contrat administratif auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, et d’ailleurs en méconnaissance des règles applicables à une délégation de service public pour laquelle le risque financier doit être supporté par le concessionnaire ».
Les clauses du contrat de concession sont donc nulles à deux titres : (1) la méconnaissance de l’interdiction faite aux personnes publiques d’octroyer des libéralités et (2) la méconnaissance du régime des concessions en l’absence de risque financier significatif supporté par le concessionnaire.
5.3 – Conséquences. Étant donné que ces clauses ont joué un rôle décisif dans la conclusion de la convention de concession et qu'elles sont indissociables des autres dispositions de celle-ci, laquelle est résiliée en raison de l'absence d'intérêt économique, le tribunal en a donc exclu l'application dans son ensemble, la convention étant in fine entachée de nullité.
Par voie de conséquence, le litige ne pouvait être réglé sur le fondement contractuel, puisque le contrat de concession est annulé. Or, la société Autolib’ ne s’est prévalue d’aucun autre fondement de responsabilité avant la date de clôture de l’instruction et, en dernier lieu, en réponse au moyen relevé d’office, de sorte que ses prétentions devaient nécessairement être rejetées.
5.4 – Dispositif. Le recours d’Autolib’ est donc logiquement rejeté.
II. Commentaire
6 – Fondements. Le Tribunal s’est donc fondé sur deux moyens relevés d’office : (A) la méconnaissance de l’interdiction faite aux personnes publiques d’octroyer des libéralités et (B) la méconnaissance du régime des concessions en l’absence de risque financier significatif supporté par le concessionnaire.
A. L’interdiction pour les personnes publiques de consentir des libéralités
7.1 – L’interdiction pour les personnes publiques d’octroyer des libéralités. Le Conseil d’Etat depuis bien longtemps considère que « les personnes morales de droit public ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas ; que cette interdiction est d'ordre public et doit être soulevée d'office par la juridiction à laquelle une telle condamnation est demandée » (CE, 19 mars 1971, Mergui, n° 79962 ; voir avant : CE 6 mars 1914, Synd. de la boucherie de Châteauroux, Lebon 308; CE 25 nov. 1917, Sté Arbel, Lebon 1114). Mais attention, l’interdiction de condamner les personnes publiques à des sommes qu’elles ne doivent pas ne doit pas être confondue avec l’interdiction de consentir des libéralités (CE, avis, 6 décembre 2002, n° 249153, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de L'Haÿ-les-Roses).
Or, on le sait, le contrat peut « organiser les conséquences financières de la résiliation, c’est-à-dire aménager l’étendue et les modalités de l’indemnisation » (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs, 3é édition, 2022). Toutefois, c’est à la condition que le contrat ne prévoie pas le versement d’une indemnité qui revient in fine à verser une somme que la personne publique ne doit pas.Cela aurait en outre pour effet de dissuader l’administration de résilier le contrat et mettre en cause l’exercice de son pouvoir (CE 22 juin 2012, CCI Montpellier, no 348676, CMP 2012, comm. 246, G. Eckert ; CE 11 mai 2016, Rouveyre, no 383768, v. ss 378 ; CE, avis, 26 avr. 2018, no 394398 CMP 2019, comm. 54, G. Eckert).
7.1.1 – Un moyen d’ordre public. Le juge administratif n’avait jamais avant 2017, à notre connaissance, consacré l’interdiction de consentir des libéralités en tant que moyen d’ordre public (voir notamment J-P. Ferreira, Le principe d'interdiction des libéralités par les personnes publiques, AJDA 2023, p. 2028). En effet, après sa consécration par l'avis L'Haÿ-les-Roses de 2002 (CE, avis, 6 décembre 2002, n° 249153, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de L'Haÿ-les-Roses), cette règle a été reconnue comme une règle d'ordre public, au même titre que l'interdiction de condamner une personne publique à payer une somme indue. Cependant, à la différence de cette dernière, elle n'avait pas à être soulevée automatiquement par le juge. Bien que des liens existent entre les règles et les moyens d'ordre public, ils ne se confondent pas, comme le souligne la distinction établie par E. Akoun dans sa thèse (p. 25 et s.).
Logiquement, la violation de cette règle a été consacrée en tant que moyen d'ordre public pouvant être soulevée à toute hauteur de la procédure, y compris d'office par le juge (CE, 3 mars 2017, n° 392446, Société Leasecom). A noter toutefois, que la doctrine était divisée sur cette question (voir notamment J-P. Ferreira, Le principe d'interdiction des libéralités par les personnes publiques, AJDA 2023, p. 2028).
En l’espèce, le Tribunal administratif fait bien de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir une libéralité un moyen d’ordre public.
7.1.2 – L’intensité du contrôle opéré. Par ailleurs, l'interdiction pour les personnes publiques d’octroyer des libéralités a fait l’objet d’un contrôle fluctuant par le juge administratif.
D’abord, le Conseil d'État considérait que l'étendue et les modalités de l'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation ou de non-renouvellement du contrat pouvaient être déterminées librement par les clauses contractuelles, à condition que cela ne conduise pas à une disproportion manifeste, préjudiciable à la personne publique, entre l'indemnité fixée et le montant du préjudice subi par le concessionnaire en termes de dépenses engagées et de gain perdu (CE 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan ; position confirmée par la Cour de cassation, Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 18-15.356, publié au Bulletin ; AJDA 2019. 2195, note M. Amilhat).
Toutefois, à la suite de l'arrêt SNC Grasse vacances, les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent toujours déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, à condition que cela ne se traduise pas, au détriment de la personne publique, par l'octroi au cocontractant d'une indemnisation dépassant le montant du préjudice qu'il a effectivement subi, résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses normalement engagées et non couvertes en raison de la résiliation du contrat (CE, 16 décembre 2022, req. n° 455186).
Cette évolution semble avoir été motivée par le Conseil constitutionnel, qui a souligné que le respect du principe d'égalité devant les charges publiques et l'exigence de bon emploi des deniers publics ne seraient pas assurés si des indemnités excédant le montant du préjudice étaient allouées à des personnes privées (Cons. const. 20 janv. 2011, n° 2010-624 DC ; Cons. const. 5 août 2015, n° 2015-715 DC ; Cons. const. 4 août 2016, n° 2016-736 DC ; Cons. const. 16 mai 2019, n° 2019-781 DC).
Or dans le jugement commenté, la motivation est lapidaire, le juge se contentant de relever que « les clauses précitées doivent être regardées comme caractérisant une libéralité consentie par le SMAVM au bénéfice de la société Autolib' en méconnaissance des règles générales du contrat administratif auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger » (considérant 6).
Ainsi, si ce jugement est utile en tant qu’il vient énoncer que l’interdiction des libéralités est bien un moyen d’ordre public, sa motivation demeure succincte et peu exploitable.
B. La nécessité pour une concession de transférer un risque opérationnel significatif au concessionnaire
8.1 – Un risque consubstantiel au contrat de concession. Le deuxième moyen appelle moins d’observations. On rappellera classiquement que :
« Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix.
La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d'exploitation lorsque, dans des conditions d'exploitation normales, il n'est pas assuré d'amortir les investissements ou les coûts, liés à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, qu'il a supportés. » (article L. 1121-1 du code de la commande publique).
Le critère organique et celui matériel ne posent pas véritablement de difficultés en l’espèce, quoiqu’il soit possible de rappeler qu’il a récemment été jugé qu’un contrat ayant pour objet de développer un réseau d'infrastructures de recharge pour véhicules électriques sur le domaine public n'est pas une concession (TA Strasbourg, 05 septembre 2023, req. n°2305837 et mon article à ce sujet : Un contrat ayant pour objet de développer un réseau d'infrastructures de recharge pour véhicules électriques sur le domaine public n'est pas une concession - Légavox (legavox.fr)). Toutefois, le système Vélib’ étant un service public (CE, 11 juillet 2008, req. n° 312354), on voit mal pourquoi Autolib’ ne pourrait pas l’être.
On s’attardera davantage sur le critère financier. Il nécessite de qualifier (article L. 1121-1 du code de la commande publique précité) :
· un droit d’exploitation : la rémunération du délégataire devant être « substantiellement assurée par les résultats de l‘exploitation » (CE, 15 avril 1996, Préfet des Bouches du Rhône) ;
· un risque d’exploitation opérationnel : le mode de rémunération de la concession doit être de nature à faire prendre en charge par le prestataire un risque d‘exploitation lié à l’activité (CJCE, 13 oct. 2005, Parking Brixen ; CJUE 10 nov. 2011, Norma). Par voie de conséquence, un contrat dans lequel le prestataire bénéficie d’une rémunération minimale garantie par l'autorité concédante qui ne lui fait courir aucun risque ne peut pas être qualifié de concession (CJCE 18 juillet 2007, Comm. c/Italie). Le risque d’exploitation « doit être compris comme étant le risque d'exposition aux aléas du marché », c’est-à-dire un « risque exogène, lié aux aléas économiques », à l’exclusion du risque lié à la mauvaise exécution (S. Braconnier, Précis du droit de la commande publique, Le Moniteur), ou autrement dit comme étant le « risque d‘exposition aux aléas du marché lequel peut notamment se traduire par le risque de concurrence de la part d'autres opérateurs, le risque d'une inadéquation entre l'offre et la demande de services, le risque d’insolvabilité des débiteurs du prix des services fournis, le risque d'absence de couverture des dépenses d'exploitation par les recettes ou encore le risque de responsabilité d'un préjudice lié à un manquement dans le service » (CJUE, 21 mai 2015, Kansaneläkelaitos). Cette définition avait été précisée par la directive 2014/23 : le risque d‘exploitation comprend « le risque lié à la demande, le risque lié à l’offre ou les deux » ;
· une certaine intensité du risque transféré : Enfin, il est nécessaire de caractériser un risque minimal. Ainsi, la jurisprudence a admis qu’un contrat puisse être qualifié de DSP alors même qu’une partie de la rémunération du délégataire était constituée d‘un prix versé par l'administration dès lors que celui-ci n’était pas suffisant pour assurer l'équilibre économique du contrat, c’est-à-dire que les ressources risquées atteignaient environ 30 % du total des recettes (CE, 30 juin 1999, SMITOM). Elle a ensuite admis que le risque encouru pouvait être limité notamment en raison d'une prise en charge partielle de ce risque par l’acheteur (CJUE, 10 mars 2011, Privater Rettungstdienst). Il est désormais prévu que la part du risque ne doit pas être « nominale ou négligeable » (article L. 1121-1 du code de la commande publique). Autrement dit, si le risque peut être limité (notamment par un mécanisme de compensation partielle), il ne saurait être éliminé grâce à la réglementation en vigueur, au caractère captif de la clientèle ou à un mécanisme de garantie prévoyant la prise en charge par l'autorité concédante des pertes pouvant résulter du contrat (CE, 24 mai 2017, Sté Régal des îles ; CAA Bordeaux, 8 oct. 2018).
En l’espèce, le tribunal administratif considère que le contrat a été « en méconnaissance des règles applicables à une délégation de service public pour laquelle le risque financier doit être supporté par le concessionnaire » puisque « le SMAVM est susceptible de contribuer majoritairement aux pertes d’exploitation de la concession et, en particulier, de supporter la totalité de la part de ces pertes excédant le seuil limite de pertes acceptées par le concessionnaire et fixé à 60 millions d’euros par le contrat, sans qu’au demeurant un montant maximal de pertes à compenser par la collectivité n’ait été convenu par les parties » (caractères gras ajoutés).
Une nouvelle fois la motivation est lapidaire, puisque comme exposé le risque d’exploitation significatif est caractérisé dès lors que le cocontractant prend à sa charge le risque d’environ 30% du total des recettes, or le Tribunal ne précise pas à combien s’élèverait ce risque supporté au-delà du seuil de 60 millions d’euros. On rappellera à ce titre qu’il a été jugé que le concédant peut légalement prendre en charge partiellement le risque d’exploitation (CJUE, 10 mars 2011, Privater Rettungstdienst).
8.2 – Enseignements contentieux. Au regard du prisme contentieux, deux remarques peuvent être formulées.
En premier lieu, il est étonnant que le tribunal déduise de l’absence de risque d’exploitation la nullité du contrat. En effet, en présence d’un contrat dénommé « contrat de concession » ne présentant pas les caractéristiques d’un tel contrat, en l’absence de risque d’exploitation, le juge devrait alors requalifier le contrat et non pas l’annuler.
En effet, il existe des marchés publics de services publics (voir par exemple Fasc. 126-12 : SERVICES PUBLICS LOCAUX. – Règles générales - Lexis 360 Intelligence).
Et surtout, dans le cas où il n’y a pas de risque d’exploitation suffisant, le juge requalifie la concession en marché public (voir par exemple : CE, 24 mai 2017, req. n° 407213).
On peine donc à comprendre pourquoi il y aurait annulation.
En second lieu, le tribunal a (cette fois) dûment considéré que cette absence de risque suffisant d’exploitation était un moyen d’ordre public. C’est ce que fait traditionnellement le juge en cas de requalification d’un contrat (voir par exemple : CAA Nantes, 30 mars 2020, req. n°18NT02671).
Conclusion
9 – Conclusion. En conclusion, le jugement commenté très peu disert, implique en revanche un commentaire bavard. Si l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir à des libéralités semble un fondement légitime en l’espèce, l’annulation du contrat sur le fondement d’une requalification du contrat de concession en marché public demeure bien plus contestable.
En tout état de cause, ce jugement mériterait davantage de développements, tant il pose de nombreuses questions. Toutefois, pour reprendre les mots de Georg Christoph Lichtenberg : on en deviendrait tellement bavard qu’on se couperait nous-même la parole (Le miroir de l’âme).