CE, 29 décembre 2023, n°488288, Société Pacific Mobile Télécom
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Portée : la législation de la Polynésie française qui a pour effet de dispenser de toute obligation de publicité et de mise en concurrence la conclusion des délégations de service public (ci-après également « DSP ») entre un établissement public et une société dont il possède plus de la moitié du capital est contraire aux principes fondamentaux de la commande publique et plus précisément à la liberté d'accès à la commande publique et à l'égalité de traitement des candidats. Elle est donc inconstitutionnelle.
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§1 – Faits et procédure. En l’espèce, par un jugement avant dire droit le tribunal administratif de la Polynésie française a demandé au Conseil d'État d'examiner la conformité des alinéas 2 à 5 de l'article LP. 28 de la loi du pays n° 2009-21 du 7 décembre 2009 aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures applicables en matière de commande publique, ainsi qu'à l'article 28-1 de la loi organique du 27 février 2004 (en application de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française).
Pour commencer, exposons ces dispositions :
· l'article 28-1 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que « la Polynésie française fixe les règles applicables à la commande publique de la Polynésie française et de ses établissements publics dans le respect des principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement des candidats, de transparence des procédures, d'efficacité de la commande publique et de bon emploi des deniers publics » (caractères gras ajoutés) ;
· le deuxième alinéa de l'article LP. 28 de la loi du pays du 7 décembre 2009 relative au cadre réglementaire des DSP de la Polynésie prévoit que les dispositions des articles LP. 1er à LP. 27 de la même loi du pays, qui fixent notamment les règles de publicité et de mise en concurrence des DSP, ne s'appliquent pas lorsqu'un établissement public confie la gestion d'un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du Code de commerce, c'est-à-dire une société dont il possède plus de la moitié du capital. Les alinéas 3 à 5 du même article définissent les conditions d'application de cette dérogation.
§2 – La ratio legis de cette absence de mise en concurrence. La Polynésie française justifiait cette dérogation par la configuration particulière du territoire, qui, selon elle, nécessiterait que les établissements publics polynésiens gardent la maîtrise, par l'intermédiaire de leurs filiales, des services publics assurant l' « interconnexion » entre les îles de l'archipel et rendrait la gestion de ces services publics insuffisamment rentable pour des opérateurs privés.
Cet argument n’est pas sans rappeler la décision Conseil d'État, 10 juillet 2013, req. n° 361607 dans laquelle les juges du Palais royal avaient pu considérer :
(i) que les principes fondamentaux de la commande publique s’appliquaient en Polynésie française, comme le dispose l'article 49 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
(ii) que l'applicabilité de ces principes n'impliquait pas l'applicabilité de plein droit des textes qui en aménagent les conditions de mise en œuvre, notamment de ceux qui régissent la distribution d'électricité sur le territoire métropolitain ;
(iii) puis faisant application de ces règles, le Conseil d’État avait juger « qu'en l'absence de toute disposition mettant en œuvre les principes fondamentaux de la commande publique en application de l'article 49 de la loi organique portant statut de la Polynésie française et jusqu'à leur adoption, des motifs d'intérêt général peuvent justifier qu'un pouvoir adjudicateur en aménage les conditions de mise en œuvre, sous le contrôle du juge, afin de tenir compte, notamment, s'agissant des délégations de service public, des particularités du service public délégué » (CE, 10 juillet 2013, req. n° 361607 (caractères gras ajoutés)).
§3 – Inconstitutionnalité de la loi du pays du 7 décembre 2009 relative au cadre réglementaire des DSP de la Polynésie. Au cas présent, le Conseil d’État juge l’argumentation de la Polynésie française insuffisante, ne permettant donc pas de caractériser un motif d’intérêt général :
« de telles affirmations très générales, et au demeurant peu étayées, ne sont pas de nature à établir que, par les spécificités de leur statut, seules les filiales des établissements publics pourraient assurer la gestion déléguée des services publics dont ces derniers ont la charge, quelle que soit l'activité en cause. »
Ainsi, en dispensant par principe de toute obligation de publicité et de mise en concurrence la conclusion des délégations de service public entre les établissements publics de la Polynésie française et leurs filiales, les dispositions litigieuses méconnaissent les exigences constitutionnelles de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats, rappelées à l'article 28-1 de la loi organique du 27 février 2004.