Dans son arrêt CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 03/10/2023, 22BX01897, la CAA de Bordeaux rappelle qu’un marché de substitution ne peut être conclu qu’en cas de défaillance du titulaire du marché initial et d’équivalence des prestations.
En effet, comme le rappelle le Rapporteur public Mme Le Corre, « Le recours à un marché de substitution peut intervenir dans deux hypothèses : soit après la résiliation du marché principal, soit avant même la résiliation, après le constat de l’inexécution d’une prestation du marché principal qui, par sa nature, ne peut souffrir aucun retard (Section, 5 novembre 1982, Société Propétrol, n° 19413). […] Le titulaire défaillant est alors dans l’obligation de supporter les frais résultants du marché de substitution, sauf en cas de faute lourde commise par la personne publique elle-même » (conclusions sous CE, 18 décembre 2020, req. n° 433386).
En l’espèce, il est question d'un contrat conclu en 2018 entre le Grand port maritime de la Guyane et un groupement d'entreprises composé de deux entreprises. Ce contrat porte sur la fourniture, la livraison et l'installation de deux grues au port de commerce de Dégrad des Cannes, en Guyane. Le groupement avait pour responsabilité la conception, la fabrication, le transport, le déchargement, le montage des grues, ainsi que leur pose sur les rails du quai portuaire et leur mise en service.
En 2021, un accident s'est produit lors du déchargement d'une des grues, entraînant sa chute sur le quai du terminal à conteneurs. En réponse à cet incident, le Grand port maritime de la Guyane a émis un ordre de service en août 2021, demandant au groupement titulaire de prendre des mesures pour dégager la grue endommagée à ses frais et respecter les termes du contrat dans les délais prévus. Un second ordre de service en octobre 2021 a renforcé cette mise en demeure en précisant que, faute de respect des engagements, les travaux seraient entrepris aux frais et risques du Groupement.
Plus tard en 2021, le Grand port maritime de la Guyane a attribué un marché de démantèlement et de mise en stock de la grue accidentée à une autre société, informant par la suite le Groupement que ces opérations seraient exécutées à leurs frais et risques.
Suite à ces événements, le Grand port maritime de la Guyane a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane en vertu de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, demandant une condamnation solidaire des sociétés membres du Groupement à lui verser une provision de 10 563 827,14 euros. Le Grand port maritime de la Guyane sollicite cette provision qu’il estime correspondre aux sommes versées au Groupement à titre d'avances et d'acomptes, ainsi qu'aux frais qu'il aurait exposés en pure perte dans le cadre de l'exécution d'un marché.
L'ordonnance rendue le 13 juillet 2022 par le juge des référés a condamné solidairement les membres du Groupement à verser une provision de 1 580 000 euros au Grand port maritime de la Guyane, tout en rejetant le surplus de la demande et les demandes d'appel en garantie.
En conséquence, une des deux sociétés membre du Groupement a interjeté appel de cette ordonnance.
Cependant, les éléments de l'instruction révèlent que le marché initial conclu en 2018 est toujours en cours d'exécution. Le Grand port a annoncé en mars 2022 qu'il verserait une somme forfaitaire de 1 000 000 d'euros au Groupement pour le préfinancement d'une nouvelle grue. Le Groupement a répondu qu'il avait l'intention d'exécuter le marché, avec un planning prévisionnel établi jusqu'en avril 2023. De plus, un avenant au marché initial a été signé en avril 2022, modifiant les conditions de paiement et prolongeant le délai d'exécution.
Par ailleurs, le nouveau marché conclu en 2021 pour le démantèlement et la mise en stock de la grue accidentée diffère des prestations initialement prévues avec le Groupement.
Or, le Grand port maritime de la Guyane réclame des frais exposés au titre de ce marché de substitution, argumentant que le Groupement est défaillant. Néanmoins, en l'absence de résiliation du marché initial et d’équivalence totale des prestations, le nouveau marché de 2021 ne peut être qualifié de marché de substitution. De plus, les prestations ne sont pas équivalentes. Par conséquent, l'obligation dont se prévaut le Grand port maritime de la Guyane pour obtenir une provision relative aux dépenses encourues pour le marché de démantèlement n'est pas non sérieusement contestable.
Le Grand port a également justifié des frais supplémentaires liés à la passation du marché de démantèlement.
La Cour retient que le marché initial est toujours en cours d'exécution, ce qui remet en question la prétendue non-exécution du Groupement. Par conséquent, la demande de provision relative aux sommes versées au Groupement pour l'exécution du marché initial n'est pas non sérieusement contestable.
En ce qui concerne les frais exposés au titre du second marché, la Cour conclut que le nouveau marché ne peut être qualifié comme tel, et par conséquent, la demande de provision à ce titre n'est pas non sérieusement contestable.
Toutefois, le Grand port a supporté des coûts supplémentaires en relation avec la défaillance du Groupement, en particulier le marché de démantèlement.
Par conséquent, la Cour rejette les demandes de provision concernant le marché initial et le prétendu marché de substitution, mais accorde une provision de 1 749 330 euros pour les frais exposés par le Grand port maritime de la Guyane.