La modification du contrat qui concerne une caractéristique minimale du contrat n’apporte pas nécessairement une modification substantielle

Publié le Modifié le 23/08/2023 Vu 2 533 fois 0
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Commentaire du jugement TA Grenoble, 11/08/2023, n°2200469

Commentaire du jugement TA Grenoble, 11/08/2023, n°2200469

La modification du contrat qui concerne une caractéristique minimale du contrat n’apporte pas nécessairement une modification substantielle

TA Grenoble, 11/08/2023, n°2200469

Résumé :

·      La modification du contrat qui concerne une caractéristique minimale du contrat n’apporte pas nécessairement une modification substantielle.

·   Une étude de la modification de l’équilibre économique d’une concession ne saurait se faire entre un compte d’exploitation en euros courants et un compte d’exploitation en euros constants

Pour reprendre les termes du Professeur Demogue, « le contrat qui est une chose vivante ne peut être absolument rigide. Vivre, c’est transformer en restant dans une certaine direction générale » (R. Demogue, Traité des obligations, t. III, 1931).

On le sait la mutabilité du contrat de la commande publique a fait l’objet de restrictions (voir sur ce point mon article sur la Mutabilité du contrat administratif), notamment afin de préserver l’effet utile des règles de la commande publique. Le présent jugement commenté souligne toutefois que le juge administratif sait se montrer souple en la matière.

En l’espèce, il est question d’une convention de délégation de service public d’aménagement et d’exploitation du domaine skiable, conclue entre les communes des Deux Alpes et de Saint Christophe en Oisans et la société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez et des Grandes Rousses (ci-après la SATA) en 2020. Celle-ci est avenanté en 2021 afin de tenir compte des retards constatés sur la réalisation des travaux qu’il prévoyait, compte tenu, d’une part, des conséquences de la pandémie de la Covid19, et d’autre part, des difficultés rencontrées par la commune des Deux Alpes pour obtenir les autorisations administratives nécessaires pour la construction de la retenue collinaire de la Murat. Il résulte de cet avenant que :

·         la mise en service d’un télésiège et les investissements relatifs à un restaurant d’altitude  sont décalés du mois de décembre 2022 à la saison d’hiver 2024/2025,

·         la réimplantation prévue d’un ancien télésiège est abandonnée, en contrepartie de la mise en service anticipée d’un télémix, d’une télécabine, et d’une piste, ainsi que d’un investissement supplémentaire permettant l’augmentation du début d’un autre,

·         les investissements de neige de culture sont également décalés de trois ans.

Par la suite, le Préfet de l'Isère a déposé un déféré demandant l'annulation de l'avenant. Le Préfet avance que cet avenant méconnaît des dispositions du code de la commande publique et viole les principes fondamentaux de la commande publique, en plus de n'avoir pas été publié au Journal officiel de l'Union européenne. En effet, le préfet de l’Isère soutient que les modifications introduites par l’avenant, s’agissant notamment du décalage de la mise en service du télésiège, introduisent des modifications substantielles au contrat de délégation, qui aurait dès lors dû faire l’objet d’une nouvelle mise en concurrence.

Les trois questions qui se posent en l’espèce sont les suivantes :

·         L'avenant apporté constitue-t-il une modification substantielle, nécessitant une nouvelle mise en concurrence du contrat initial de délégation ?

·         La modification de l'avenant a-t-elle enfreint les dispositions de l'article L. 1411-6 du code général des collectivités territoriales ?

·         L'absence de publication de l'avenant au Journal officiel de l'Union européenne influence-t-elle sa validité ?

I-L'avenant apporté constitue-t-il une modification substantielle, nécessitant une nouvelle mise en concurrence du contrat initial de délégation ?

Pour rappel une modification d’une concession de service public ne saurait entraîner une modification substantielle (articles L. 3135-1 et R. 3135-7 du code de la commande publique). Parmi les cas de modifications substantielles énoncées dans le code de la commande publique demeurent :

·         La modification qui « introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l’admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d’une offre autre que celle initialement retenue » ;

·         Et la modification qui « modifie l’équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d’une manière qui n’était pas prévue dans le contrat de concession initial ».

A-Le report d’un an de l’exécution d’un contrat est une modification d’une caractéristique minimale du contrat qui n’apporte pas de modification substantielle  

Le Tribunal administratif considère que la simple prolongation d'un an de l'exécution d'une prestation prévue dans le contrat, en l'absence de contestation sur le fait que cette prestation à la date initialement convenue « l’une des caractéristiques minimales du contrat », ne peut être considérée comme une modification substantielle du contrat au sens des articles L. 3135-1 et R. 3135-7 du Code de la commande publique.

B-L’augmentation du chiffre d’affaires sur la durée du contrat induite par ce report ne saurait s’interpréter comme une modification de l’équilibre économique de la concession, ni comme permettant d’attirer plus de candidats lors de la procédure de passation car la comparaison effectuée par le Préfet concerne le compte d’exploitation issu de l’avenant en euros courants et le compte d’exploitation initial en euros constants

Par ailleurs, le report de cette mise en service ne peut être interprété comme altérant l'équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire par rapport aux prévisions initiales. La pertinence de cet investissement n'est pas contestée et l'exécution du télésiège selon le calendrier initial aurait en réalité favorisé sa rentabilité sur la durée du contrat. Le préfet avance que le compte d'exploitation prévisionnel modifié et inclus dans l'avenant contesté prévoit une augmentation de 160 645 603 euros, soit 10,94% du montant initial, du chiffre d'affaires réalisé par la SATA sur la durée du contrat. Cependant, cette comparaison est incorrecte, car le préfet compare le montant du compte d'exploitation prévisionnel du contrat exprimé en euros constants avec le montant du compte d'exploitation prévisionnel de l'avenant exprimé en euros courants. Les communes délégantes et la SATA, non contestées à ce sujet, soulignent que les modifications apportées au compte d'exploitation prévisionnel par l'avenant entraînent en réalité une diminution de 3,55% du chiffre d'affaires en euros constants et de 4,40% en euros courants.

Enfin, le Tribunal souligne que « pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point précédent, il ne résulte pas de l’instruction que le report de la mise en service du télésiège 3S à la saison d’hiver 2024/2025 aurait été susceptible d’attirer davantage de candidats ou permis l’admission d’autres soumissionnaires s’il avait figuré dans la procédure de passation initiale ».

Le Tribunal en conclut donc qu’il s’agit d’une modification du contrat légale.

II-La modification de l'avenant a-t-elle enfreint les dispositions de l'article L. 1411-6 du code général des collectivités territoriales ?

L’article L. 1411-6 du code général des collectivités territoriales dispose que « Tout projet d’avenant à une convention de délégation de service public entraînant une augmentation du montant global supérieure à 5% est soumis pour avis à la commission visée à l’article L. 1411-5. L’assemblée délibérante qui statue sur le projet d’avenant est préalablement informée de cet avis ».

Or, comme cela a été expliqué plus haut, en l’espèce l'avenant entraîne en réalité une diminution de 3,55% du chiffre d'affaires en euros constants et de 4,40% en euros courants.

III-L'absence de publication de l'avenant au Journal officiel de l'Union européenne influence-t-elle sa validité ?

Enfin, le Tribunal juge que « la circonstance que l’avenant du 25 juin 2021 n’aurait pas été publié au journal officiel de l’Union européenne, à la supposer établie à la date du présent jugement, est sans incidence sur sa légalité ».

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A propos de l'auteur
Blog de Droit public des affaires by Florent Cedziollo

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Du fait de ma formation universitaire, étant notamment Normalien en Droit-Économie-Management, j'aime allier pratique et théorie.

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