Cass. com., 15 novembre 2023, req. n° 22-13.695
Portée : le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie spéficiquement adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur.
En l’espèce, la société publique locale de développement touristique du Cotentin (ci-après « la SPL » ou « l’acheteur ») a engagé une procédure d’attribution d’un marché de fourniture, installation, mise en service et maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office du tourisme du Cotentin. Il s’agissait d’une procédure adaptée, conformément à l’article R. 2123-1,1° du code de la commande publique, le marché étant sous les seuils de procédure formalisée.
Pour rappel certaines personnes privées, telles que les sociétés parapubliques sont soumises aux règles de la commande publique (voir mon manuel pratique à ce sujet : https://www.legavox.fr/blog/droit-public-des-affaires-florent-cedziollo/recours-candidat-evince-contre-contrat-34432.htm).
Par la suite, la SPL a informé la société Cartel (ci-après le « concurrent évincé ») du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Kalkin (ci-après « l’attributaire » ou « l’ancien titulaire candidat »).
Le concurrent évincé a contesté par un référé pré-contractuel devant le juge judiciaire (selon les règles de procédure de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009), en arguant que l’attributaire qui avait précédemment fourni à la SPL des tables tactiles intérieures intégrant une solution cartographique 3D développée par elle dans le cadre d’un autre marché, avait, de ce fait, bénéficié d'un avantage financier dans la présentation de son offre.
L’attributaire avait donc fourni le même type de prestations et le même type de logiciel, mais pour des bornes intérieures, tandis qu’en l’espèce il s’agit de bornes extérieures. En tout état de cause, les prestations sont quasiment identiques. En effet, le marché contesté impliquait donc également l’utilisation du même logiciel que celui du premier marché.
Il y aurait eu selon la requérante méconnaissance du principe fondamental de la commande publique de l’égalité entre les candidats (articles L. 3 du code de la commande publique) du fait (i) de la non-divulgation des montants des coûts pour le marché précédent, et de l’offre du prestataire pour le nouveau marché, et (ii) étant donné que l’acheteur ne démontre pas en quoi les prestations intellectuelles de l’attributaire étaient nécessaires. Dit autrement, pour le candidat évincé, les critères de sélection favorisaient nécessairement l’ancien titulaire candidat.
Le juge judiciaire a suivi ce moyen en concluant que le titulaire du marché a bénéficié d'un avantage concurrentiel en raison de son expérience antérieure. Il a par voie de conséquence annulé la procédure et a enjoint à la SPL, si elle entendait conclure le marché litigieux, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres.
C’est donc en pourvoi en cassation que l’acheteur conteste l’ordonnance de référé.
La SPL soutient que « le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur, si bien qu'en annulant la procédure de mise en concurrence du marché de fourniture, d'installation, de mise en service et de maintenance de bornes tactiles (…) au seul motif que la société Kalkin était titulaire des droits sur une solution logicielle cartographique pouvant répondre aux besoins de l'acheteur, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3, L. 2141-8 et R. 2111-2 du code de la commande publique ».
La question posée à la Cour de cassation concerne donc la consistance du principe fondamental de la commande publique de l’égalité entre les candidats. Dit autrement, le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur constitue-t-il un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur ?
Au visa de l’article L. 3 du code de la commande publique, les juges du quai de l’horloge considèrent que « le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur ».
Ainsi, la cassation est prononcée puisqu’« en se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi le seul fait pour la société déclarée attributaire d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché, le président du tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision ».
En résumé, la Cour de cassation considère en l’espèce qu'il n’y a pas eu un avantage inapproprié compromettant l’égalité entre les candidats du nouveau marché simplement parce que l'un d'eux possède une technologie adaptée aux besoins de l’acheteur. Cependant, la Cour émet une réserve à ce sujet, puisque tel ne sera pas le cas si l’acheteur impose aux candidats l’utilisation de la technologie précédemment utilisée par un titulaire d’un ancien marché candidat au nouveau marché.