Le compte rendu du Conseil des ministres du 16 mai 2023 relatif au projet de loi relaltif à l'"Industrie verte" énonce que « dans toutes les interventions de l’État, les entreprises les plus vertueuses doivent être favorisées et encouragées. Le projet de loi prévoit une accélération de la prise en compte de critères environnementaux dans la commande publique et les dispositifs de soutiens publics. »
Ainsi, il est loin le temps où le Conseil d’Etat consacrait le principe de neutralité de la commande publique, selon lequel la dépense publique à l’occasion de la conclusion d’un marché public ne doit pas être l’instrument d’autres choses que la réalisation du meilleur achat au meilleur coût (CE, 25 juill. 2001, Cne de Gravelines). À propos de cette affaire le commissaire du gouvernement Denis Piveteau, considérait à propos de clauses sociales d’attribution d’un marché qu’elles étaient « prohibées à partir du moment où elles ne coïncident pas avec l’objet même du marché ou avec les nécessaires conditions de son exécution », étant donné que, ce type de clause allait à l’encontre de « la neutralité de la réglementation des marchés publics, c’est-à-dire l’idée selon laquelle la dépense publique qui s’effectue à l’occasion d’un marché ne doit pas être l’instrument d’autre chose que de la réalisation du meilleur achat au meilleur coût » (Conclusions de Denis Piveteau sur CE, 25 juillet 2001, Commune de Gravelines, n°229666).
C’est que ce projet de loi comporte plusieurs dispositions qui intéressent la commande publique, avec un Titre II qui lui est dédié, preuve de l’importance fondamentale qu’a pris la commande publique dans nos politiques publiques. Ainsi pour reprendre les termes du Professeur Braconnier « compte tenu de son objet, le droit public de l’économie transcende les idéologies et peut se déployer aussi bien dans un Etat à économie dirigée que dans un Etat libéral ». L’étude d’impact du projet de loi rajoute que « par son poids dans l’activité économique, la commande publique constitue également un moyen d’intervention efficace pour accélérer et consolider la transition vers des modes de production et de consommation plus vertueux afin de répondre aux enjeux liés à la protection de l’environnement et notamment celui d’une nécessaire diminution des émissions de gaz à effet de serre ». En effet, la commande publique représente 8 à 10 % du PIB français selon les méthodes de calcul utilisées.
Le projet de loi a ainsi pour mérite d’aller dans le sens de l’article 6 de la Charte de l’environnement prévoyant que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ». Cette disposition a valeur constitutionnelle (décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005 ; décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005 ; décision n°2013-666 DC du 11 avril 2013 ; décision n°2019-781 DC du 16 mai 2019), et complète l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, tel qu’il découle du préambule de la Charte de l’environnement (décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020).
I-Habilitation du Gouvernement à créer de nouveaux cas d’exclusion des procédures visant les entreprises ne respectant pas les obligations de publication d’informations en matière de durabilité (article 12 du projet de loi)
A-Contenu de la loi
Parmi les principales dispositions de ce texte il est possible de retrouver une modification de l’article 12 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (article 12 du projet de loi), visant à mettre en place un nouveau cas d’exclusion des procédures visant les entreprises ne respectant pas les obligations de publication d’informations en matière de durabilité.
C’est que la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi « climat et résilience » comporte notamment l’obligation de fixer un critère prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre, et autorise un acheteur ou une autorité concédante d’exclure un soumissionnaire, soumis à l’obligation d’établir un plan de vigilance en vertu de l’article L. 225-102-4 du code de commerce, qui ne satisfait pas à cette obligation pour l’année qui précède celle de l’engagement de la consultation (articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 du code de la commande publique). Cette nouvelle interdiction de soumissionner, à l’appréciation de l’acheteur ou de l’autorité concédante, est entrée en vigueur le 4 mai 2022.
Dans le prolongement de cette initiative, la modification de l'article 12 de la loi DDADUE, habilite le Gouvernement à agir par ordonnance pour transposer la directive "CSRD", visant à autoriser le gouvernement à légiférer afin d'introduire un nouveau mécanisme d'exclusion au sein du code de la commande publique (CCP). Ce mécanisme serait basé sur l'"appréciation de l'acheteur ou de l'autorité concédante" et s'appliquerait aux opérateurs économiques qui ne respecteraient pas les obligations de publication d'informations en matière de durabilité découlant de la directive "CSRD", une fois ces obligations intégrées dans le droit national.
B-Compétence du pouvoir réglementaire
Conformément à notre répartition traditionnelle des compétences, législateur et pouvoir réglementaire disposent d’un champ d’intervention bien défini (articles 34 et 37 de la Constitution).
Or, en vertu de l’article 34 de la Constitution, le législateur est en principe compétent pour déterminer les « principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales », tandis que selon l’article 37, l’autorité réglementaire n'est quant à elle compétente que pour «préciser le champ d'application des obligations civiles et commerciales ».
Comme le souligne le Professeur Hoepffner (Droit des contrats administratifs, Dalloz, première édition), « cette formulation étant générale, elle semblait englober tous les contrats, de droit privé ou administratif, conclus par les personnes privées ou publiques. Cette interprétation était d'autant plus probable que les conditions d’exercice de la liberté contractuelle, reconnue par le conseil constitutionnel, devraient relever du seul législateur. Aux termes d‘une jurisprudence constante pourtant, il n‘en est rien : l’article 34 de la Constitution est considéré comme ne s'appliquant pas aux contrats de droit privé. Plus précisément, il est établi que la répartition des compétentes entre la loi et le règlement dépend de la qualité de la personne publique signataire ».
Pris ensemble, les articles 34 et 72 de la Constitution permettent d’affirmer que le législateur est compétent à l’égard des contrats des collectivités territoriales, il est le seul habilité pour fixer les conditions de passation et d’exécution de leurs contrats de la commande publique. De même, il est le seul compétent en ce qui concerne les contrats conclus par des personnes privées relevant du droit de la commande publiques
Par contre, le pouvoir réglementaire est compétent à l’égard des contrats de l’État : « ni l’article 34 de la Constitution, ni aucune autre règle de valeur constitutionnelle n’exigent que les conditions de passation des marchés et contrats par l’État soient définies par la loi » (Cons. const. no 2002- 460 DC, 22 août 2002 et no 2015- 257 L, 13 août 2015 ; CE, ass., 5 mars 2003, Ordre des avocats à la CA de Paris, no 238039). Dans le même sens, les juges de la rue de Montpensier ont pu juger que « la définition des éléments quantitatifs tels que les montants des marchés et accords-cadres » autorisant le recours à certaines procédures de passation plutôt qu’à d’autres relèvent du domaine réglementaire (Cons. const. no 2015- 257 L, 13 août 2015).
Comme le souligne le Professeur Hoepffner, « c’est donc cette notion, difficile à circonscrire, d’éléments quantitatifs qui départage la compétence du législateur de celle du pouvoir réglementaire : l’essentiel, c’est- à- dire l’existence même d’un régime ou d’un droit, doit être prévue par le législateur alors que l’accessoire, c’est- à- dire les éléments techniques ou chiffrés ( durée, montant, date), peuvent être fixés par le pouvoir réglementaire. Comme l’a souligné F. Lombard, cela n’est guère satisfaisant dès lors que ce sont généralement lesdits éléments chiffrés (réglementaires) qui déclenchent la mise en oeuvre d’un régime juridique (législatif) ».
Ainsi, le projet de loi modifie une loi habilitant le Gouvernement à agir pour voie d’ordonnance pour modifier le code de la commande publique, ce qui permet d’éviter tout débat sur la compétence. En effet, ces règles ne valent qu’en l’absence de loi d’habilitation autorisant le pouvoir réglementaire à réglementer les contrats des collectivités territoriales et des personnes privées relevant du droit de la commande publique (DC, 14 août 2015 no 2015- 257).
II-Diverses modifications du code de la commande publique (article 13 du projet de loi)
A-Contenu de la loi
1.)Extension des schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables
a.)Droit positif
Le projet de loi prévoit d’abord d’étendre les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables introduits par l’article 13 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (loi ESS).
En effet, l’article L. 2111-3 du code de la commande publique dispose que :
« Les collectivités territoriales et les acheteurs soumis au présent code dont le statut est fixé par la loi adoptent un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables lorsque le montant total annuel de leurs achats est supérieur à un montant fixé par voie réglementaire.
Ce schéma détermine les objectifs de politique d'achat comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l'intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés et des éléments à caractère écologique ainsi que les modalités de mise en œuvre et de suivi annuel de ces objectifs. Ce schéma contribue également à la promotion d'une économie circulaire. Il est rendu public notamment par une mise en ligne sur le site internet, lorsqu'il existe, des pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices mentionnés au premier alinéa.
Ce schéma comporte des indicateurs précis, exprimés en nombre de contrats ou en valeur et publiés tous les deux ans, sur les taux réels d'achats publics relevant des catégories de l'achat socialement et écologiquement responsable parmi les achats publics réalisés par la collectivité ou l'acheteur concerné. Il précise les objectifs cibles à atteindre pour chacune de ces catégories, notamment ceux relatifs aux achats réalisés auprès des entreprises solidaires d'utilité sociale agréées au sens de l'article L. 3332-17-1 du code du travail, d'une part, ou auprès des entreprises employant des personnes défavorisées ou appartenant à des groupes vulnérables, d'autre part. »
Ce montant est de 50 millions d’euros hors taxes, depuis le décret n° 2022- 767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique en application de la loi « climat et résilience ».
b.)Contenu de l’article 13 du projet de loi
L’article 13 comporte les dispositions suivantes :
« 1° A l’article L. 2111-3 :
a ) Le premier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« Les acheteurs soumis au présent code dont le montant total annuel des achats est supérieur à un montant fixé par voie réglementaire adoptent un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables. » ;
b ) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ces éléments peuvent être mis en commun par plusieurs acheteurs au sein d’un schéma élaboré conjointement. » »
L’objectif de ce dispositif est dès lors triple :
- Intégrer l’Etat dans les acheteurs soumis à la rédaction de ce schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, dans la mesure où comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi, et les débats parlementaires de la loi ESS, « à ce jour, près de 300 collectivités territoriales sont concernées par cette obligation, alors même que l’Etat n’y est pas soumis ». Ainsi, « il est nécessaire d’inclure l’Etat dans le champ d’application de cette obligation dans la mesure où il a un rôle important à jouer en matière d’exemplarité s’agissant de la programmation des achats responsables. »
- Simplifier et clarifier le champ d’application de ce schéma
- Permettre à des acheteurs de « développer les synergies entre acheteurs » en élaborant un schéma commun. Comme le souligne l’étude d’impact : « cette mesure permet de réduire les coûts administratifs pour les acheteurs et d’avoir une stratégie d’achat responsable plus ambitieuse et cohérente par rapport au territoire des bassins d’activité et d’emploi. De même, cette mise en commun des SPASER, notamment par des acheteurs d’un même territoire, a également vocation à favoriser la visibilité auprès des opérateurs économiques locaux de la stratégie d’achat sur un territoire donné ».
2.)Renforcement de la prise en compte des aspects environnementaux dans la commande publique
a.)Droit positif
Le projet de loi prévoit ensuite de renforcer la prise en compte des aspects environnementaux dans la commande publique.
C’est que le premier alinéa de l’article L. 2152-7 du code de la commande publique dispose aujourd’hui que :
« Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. »
Ainsi, aujourd’hui l’article L. 2152-7 du code de la commande publique ne mentionne pas clairement la possibilité de recourir à des critères environnementaux. Toutefois, l’article R. 2152-7 du même code dispose que :
« Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde :
1° Soit sur un critère unique qui peut être :
a) Le prix, à condition que le marché ait pour seul objet l'achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d'un opérateur économique à l'autre ;
b) Le coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie défini à l'article R. 2152-9 ;
2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants :
a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l'accessibilité, l'apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, d'insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ;
b) Les délais d'exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l'assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ;
c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché.
D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution.
Les critères d'attribution retenus doivent pouvoir être appliqués tant aux variantes qu'aux offres de base. »
b.)Contenu du projet de loi
L’article 13 du projet de loi est ainsi rédigé :
« 3° Après la première phrase du premier alinéa de l’article L. 2152-7, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « L’offre économiquement la plus avantageuse est déterminée sur la base du prix ou du coût, selon une approche fondée sur le rapport coût-efficacité, et peut tenir compte du meilleur rapport qualité-prix, qui est évalué sur la base de critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. » »
Comme le souligne l’étude d’impact : « la mesure proposée permet de conforter l’utilisation dans le code de la commande publique de la terminologie issue des directives « marchés publics » de 2014 en faisant désormais expressément référence, au niveau législatif, à la prise en compte des aspects qualitatifs, environnementaux et sociaux lors de la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse à l’article L. 2152-7 du code. Elle devrait en outre inciter les acheteurs à développer la prise en compte des incidences environnementales tout au long de la vie de la prestation : extraction des matières premières énergétiques et non énergétiques nécessaires à sa fabrication, production, commercialisation et ses conditions, transport, utilisation et maintenance, réemploi, réutilisation, recyclage, valorisation, collecte et élimination vers les filières de fin de vie ».
3.)Création au sein du code de la commande publique (articles L. 2141-7-2 et L. 3123-7-2) d’un nouveau motif d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur ou de l’autorité concédante pour méconnaissance de l’obligation d’établir un bilan d’émission de gaz à effet de serre (BEGES), prévue à l’article L. 229-25 du code de l’environnement
L’article 13 vise à créer un nouveau motif d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur ou de l’autorité concédante pour méconnaissance de l’obligation d’établir un bilan d’émission de gaz à effet de serre (BEGES), prévue à l’article L. 229-25 du code de l’environnement.
Ainsi, cette disposition permettrait d'exclure les opérateurs économiques, soumis à l'article L. 229-25 du code de l'environnement, qui ont enfreint leur obligation d'établir un Bilan des Émissions de Gaz à Effet de Serre (BEGES) pour l'année précédant celle de la publication de l'avis d'appel à la concurrence ou de l'engagement de la consultation.
B-Inutilité relevée par le Conseil d’Etat de la modification des critères de sélection
Dans son avis sur le projet de loi, « le Conseil d’Etat recommande au Gouvernement de ne pas retenir cette disposition. En effet, l’explicitation de cette notion d’offre économiquement la plus avantageuse a été inscrite jusqu’à présent dans la partie réglementaire du code de la commande publique et aucune raison valable ne conduit à revenir sur le partage entre loi et règlement auquel il a ainsi été procédé. Le Conseil d’Etat note à cet égard que la partie réglementaire du code prévoit déjà que des critères environnementaux peuvent être pris en compte au titre de l’offre économiquement la plus avantageuse, de sorte que la disposition proposée ne change rien au droit positif.
En outre, le Conseil d’Etat relève que les dispositions de l’article L. 2152-7 ont déjà fait l’objet d’une modification, qui n’est pas encore entrée en vigueur, par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, consistant à rendre obligatoire la prise en compte d’au moins un critère environnemental. Dans la rédaction issue de la saisine rectificative, il est prévu en conséquence que la phrase insérée par le projet de loi disparaîtra à l’entrée en vigueur de celle résultant de la loi du 22 août 2021, soit au plus tard le 21 août 2026. Le Conseil d’Etat estime qu’un tel enchaînement de textes, dans un temps aussi court, n’est pas de bonne méthode législative et est inutilement complexe, dès lors surtout que, ainsi qu’il a été dit, la disposition prévue n’ajoute rien au droit de la commande publique ».
C’est que comme exposé précédemment, le code de la commande publique permet déjà dans sa partie réglementaire de recourir aux critères environnementaux, et que la jurisprudence a connu un assouplissement important par rapport au principe de neutralité posé en 2001 (CE, 25 juillet 2001, Commune de Gravelines, n°229666).
1.)Les conditions pour recourir au critère environnemental
C’est que pour être légal, le critère retenu doit être : (1) objectifs, (2) précis et (3) liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution, selon l’article L. 2152-7 du code de la commande publique.
Ces critères doivent aussi être précis et détaillés dans les documents de la consultation. Par exemple, le Conseil d’Etat juge qu’est irrégulier un critère « impact environnemental » sur la base d’un « bilan carbone » dont ni le contenu, ni les modalités d’appréciation ne sont indiqués (CE 15 févr. 2013, Sté Derichebourg, no 363921).
De plus, ils ne doivent pas être discriminatoires. Ainsi, un critère qui se contente de comparer la quantité globale de CO2 émise lors du transport de marchandises pourrait pénaliser les entre-prises les plus éloignées du lieu de livraison et donc s’apparenter a un critère géographique interdit ( CE 12 sept. 2018, Sté la Préface, no 420585) mais un critère relatif a la quantité de CO2 emise par kilomètre parcouru a été admis (TA Nice, 20 janv. 2015, no 1202066).
Comme les anciens textes applicables aux contrats de la commandes publiques posaient ces conditions, les juges ont pu refuser la légalité de critères sociaux ou environnementaux, tels qu’un critère « relatif aux propositions concrètes faites par les soumissionnaires en matière de création d’emplois, d’insertion et de formation » (CE 29 juill. 1994, Cne de Ventenac-en-Minervois, no 131562).
De plus, le critère ne devant pas être discriminatoire, il n’est pas possible de fixer un critère de sélection basé uniquement sur la politique sociale générale de l’entreprise soumissionnaire (CE, 25 mai 2018, Nantes Métropole, n°417580, publié au Recueil ; CE, 15 février 2013, Société Derichebourg polyurbaine, n°363921). La même solution prévaut pour les conditions d’exécution du marché (TA Rennes, Ord., 9 février 2018, Société Aquaterra Solutions, n°1800194).
Néanmoins, la commande publique ne pouvait totalement tourner le dos à l’achat durable ou solidaire, et donc la jurisprudence a assoupli l’application du principe de neutralité. Les juges maintiennent la condition du lien entre objet du contrat et critère et ont assoupli le lien de corrélation entre les deux. Ils ont par exemple autorisé. Il a donc été admis la prise en compte du processus de réalisation et du lien avec l’utilisateur (CJUE 10 mai 2012, Commission c. Pays- Bas, aff. C- 368/ 10 ; CJUE 17 nov. 2015, RegioPost, aff. C- 115/ 14 ; CE 25 mars 2013, Dpt. De l’Isère).
Comme le souligne le Professeur Hoepffner dans son ouvrage Dalloz, les textes européens (directive 2014/ 24 du 26 février 2014) sont allés dans le même sens, en prévoyant la possibilité de tenir compte de ces considérations au titre des conditions d’exécution (art. 70) ou des critères d’attribution des marchés ( art. 67.2) à condition qu’elles soient liées à l’objet du marché puis, afin de faciliter l’admission de tels critères, met en place une présomption : « Les critères d’attribution sont réputés être liés à l’objet du marché public lorsqu’ils se rapportent aux travaux, fournitures ou services à fournir en vertu du marché à quelque égard que ce soit et à n’importe quel stade de leur cycle de vie. ».
Et cette règle a donc été transposée en droit interne (CPP, art. L. 2152- 7 et R. 2152- 7).
Le lien avec l’objet du contrat est donc entendu de plus en plus souplement, par exemple selon le Tribunal de l’Union Européenne, la mise en œuvre d’un critère relatif au « bien être des salariés » n’est pas sans lien avec l’objet d’un marché portant sur un service d’assistance pour des collaborateurs du Parlement Européen (T. UE, 10 février 2021, Sophia Group, aff. T-578/19).
En tout état de cause, le juge exerce sur ce choix un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation. Il peut annuler une procédure au motif que les critères retenus ne seraient pas pertinents (CE 9 nov. 2018, Sté Savoie, no 413533 ; CE 22 nov. 2019, Sté Autocars Faures, no 418460).
2.)Le caractère obligatoire ou facultatif du critère environnemental
Jusqu’à récemment rien n’imposait le recours à un critère environnemental. Par exemple, même dans le contexte d'un marché de traitement des déchets, où l'inclusion de clauses environnementales semble nécessaire, une décision du juge dans l'affaire de la Communauté urbaine de Nice Côtes d'Azur (CE, 23 novembre 2011, n°351570, mentionné aux Tables) a statué que le pouvoir adjudicateur n'était pas obligé d'incorporer de telles clauses.
Néanmoins cela n’est plus le cas depuis la loi Climat et résilience. Comme le met en exergue le Professeur Hoepffneur : « ces dispositions ont été modifiées par la loi Climat et ses décrets d’application qui ont introduit une obligation pour l’acheteur d’inclure au moins un critère de choix prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. Une telle obligation n’existe pas en droit de l’Union. Parce qu’elle instille l’idée qu’un critère environnemental a nécessaire-ment un lien avec l’objet du contrat, on peut s’interroger sur sa parfaite conformité au droit de l’Union » (Droit des contrats administratifs, Dalloz).
En effet, l’article 35 de la loi Climat et résilience introduit l’obligation pour les acheteurs et les autorités concédantes, de retenir au moins un critère d’attribution prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre.
En outre, la loi n°2020- 105 du 10 févr. 2020, relative à la lutte contre le gaspillage a également pu permettre de recourir à un critère destiné à réduire la consommation de plastiques à usage unique, la profusion de déchets et privilégiant les matières recyclées.