La résiliation amiable du contrat administratif : tapi dans l’ombre
Pour reprendre les mots du Professeur Hoepffner : « la résiliation du contrat peut résulter d’un « divorce contractuel » ( D. Mazeaud), c’est-à-dire d’un accord de volonté entre les parties. En droit administratif, cette convention résolu-toire peut être spontanée ou être « suggérée » par le juge, les invitant à résoudre leur contrat ».
Si la résiliation pour faute, ou pour motif d’intérêt général ont beaucoup fait gloser la doctrine, il demeure un irrésistible mode de résiliation qui reste mis de côté : la résiliation amiable. Certes, il s’agit du mode qui débouche sur le moins de contentieux puisque les parties doivent se mettre d’accord contractuellement pour mettre un terme au contrat, mais comme toute rencontre de volontés, celle-ci peut connaître des difficultés dans son exécution.
I-Notion
La résiliation amiable du contrat administratif n’est pas une notion per se, et peut prendre la forme de l’expression du « mutus dissensus », ou bien d’une transaction en cas de différend.
A-Transaction
La résiliation peut intervenir dans le cadre d’une transaction au sens de l’article 2044 du code civil qui dispose que : « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ». Il convient de noter que les parties peuvent résoudre leur litige par voie amiable même en l'absence de prévision contractuelle. En effet, dans le cas où le contrat ne prévoit pas de clause relative au règlement amiable des litiges, les parties sont libres de chercher une solution alternative en faisant preuve d'imagination. Ainsi, par exemple, la médiation organisée dans le cadre de la construction d'Eurodisney a permis aux parties de résoudre leur différend (CE, 22 février 1989, n° 48393, Sté Viandest).
Cependant, les collectivités ayant souscrit une assurance de responsabilité voient leur liberté de transaction restreinte. En effet, selon l'article L. 124-2 du Code des assurances, si l'assureur a spécifié qu'aucune reconnaissance de responsabilité ou transaction réalisée en dehors de lui ne peut lui être opposée, ces collectivités sont soumises à cette limitation.
Les textes applicables aux transactions sont les suivants :
- la circulaire interministérielle du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l'exécution des contrats de la commande publique ;
- l’article L. 423-1 du CRPA ;
- la circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits ;
- la jurisprudence et la doctrine
Les textes juridiques, la jurisprudence et la doctrine ont établi des critères permettant de distinguer la transaction de l’avenant :
- En principe, un contrat doit être établi par écrit pour des raisons de sécurité juridique. Toutefois, certains échanges de courriers peuvent être considérés comme une transaction, bien que cela soit risqué, car un juge peut considérer que ces échanges ne sont pas suffisamment clairs pour attester d'un accord. En outre, pour être engageante, une proposition d'un acheteur doit être précise, claire et non ambiguë.
- Pour être considérée comme une transaction valable, un contrat doit :
- avoir un objet licite (CE, 20 juin 1975, n° 89785, Leverrier),
- éteindre un litige existant ou à venir (TA Bordeaux, 15 juill. 2019, n° 1902219 ; CE, 28 nov. 1990, n° 30875, OPHLM Meuse : JurisData n° 1990-647518)
- et contenir des concessions réciproques et équilibrées (CE, 5 juin 2019, n° 412732, Centre Hospitalier de Sedan).
Il est important de préciser le litige que la transaction a vocation à éteindre, car sans cette information, le contrat ne sera pas considéré comme une transaction valable. En outre, une fois qu'une transaction est conclue, aucune des parties ne peut saisir le juge du litige soldé par la transaction, sauf pour homologuer la transaction ou pour faire valoir l'inexécution de la transaction. La transaction se différencie ainsi de l'avenant, qui a pour objectif de modifier un contrat en cours, alors que la transaction a pour objectif de mettre fin à un litige.
B-Mutus dissensus
Néanmoins, la transaction n’est pas une obligation, et peut ne pas pouvoir être conclue, en l’absence de différend, ainsi que l’a récemment rappelé la Cour administrative d’appel de Marseille : « Le contrat approuvé par la délibération attaquée, qui a pour objet de prévoir la résolution amiable d'un contrat, ne peut s'analyser comme un contrat de transaction, lequel a pour seul objet, en vertu de l'article 2052 du code civil, de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître. Les parties ne peuvent donc utilement invoquer la méconnaissance des règles s'imposant à de telles conventions » (CAA de Marseille, 6ème chambre, 17/04/2023, 22MA03094).
Le Code civil, à l'article 1103 (anciennement 1134), pose le principe d'intangibilité du contrat, mais cela ne signifie pas que les parties ne peuvent pas modifier ou résilier leur contrat une fois conclu. En effet, les parties ont la possibilité de modifier ou résilier leur contrat ensemble, en utilisant le principe du mutus dissensus. Ce principe est étroitement lié à la force obligatoire du contrat. En effet, la formation d'un contrat implique la rencontre des volontés des parties, et sa résiliation implique également la rencontre de leurs volontés.
Pour un exemple de résiliation amiable sans transaction : CAA de LYON, 4ème chambre - formation à 3, 30 janvier 2014, 13LY00747.
II-Indemnisations pour le cocontractant
Premièrement l’article R. 2191-30 du code de la commande publique rappelle qu’« en cas de résiliation totale ou partielle du marché, les parties peuvent s'accorder, sans attendre la liquidation définitive du solde, sur un montant de dettes et de créances, hors indemnisation éventuelle, acceptées par elles, à titre provisionnel.
Si le solde est créditeur au profit du titulaire, l'acheteur lui verse 80 % de ce montant. S'il est créditeur au profit de l'acheteur, le titulaire lui reverse 80 % de ce montant. Un délai peut être accordé au titulaire pour s'acquitter de sa dette. Dans cette hypothèse, le titulaire doit fournir la garantie prévue à l'article R. 2191-44 ».
Le principe est qu’en l’absence de clause contraire, la résiliation est réputée sans dommages et intérêts de part et d’autre (CE, 5 décembre 1986, Syndicat intercommunal de distribution d’eau de la corniche des Maures, n°49345). Le titulaire du marché a, cependant, droit au paiement des prestations réalisées (CE, 12 décembre 1973, Consorts Stym-Popper, Rec. p.1034, 1037 et 1039).
Par exception, en cas de résiliation amiable d’un contrat administratif, et de clause prévoyant une indemnisation, celle-ci ne peut plus excéder le montant du préjudice subi par le cocontractant résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat (CE 16 déc. 2022, Société Grasse-vacances, n° 455186 (pour un bail emphytéotique) : « Les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, l'allocation au cocontractant d'une indemnisation excédant le montant du préjudice qu'il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu'il a normalement exposées et qui n'ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat ». Il s’agit de l’application de la règle constitutionnelle de l’interdiction faite aux personnes publiques d’effectuer des libéralités (CE, sect., 19 mars 1971, n° 79962).
À noter que le Conseil d’Etat a récemment « resserré la vis » de ces clauses dans l’affaire Société Grasse-vacances. En effet, dans les arrêts Chambre de commerce et d'industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, l'expression "disproportion manifeste" permettait à l'administration d'indemniser le cocontractant au-delà du montant du préjudice subi, à condition que cette indemnisation ne soit pas manifestement disproportionnée. Cependant, le rapporteur public Thomas Pez-Lavergne a proposé de suivre la jurisprudence constitutionnelle, qui est selon lui plus exigeante en matière d'égalité devant les charges publiques et de bon emploi des deniers publics. En effet, le Conseil constitutionnel considère que l'indemnisation ne doit pas excéder le montant du préjudice subi par le cocontractant. La formation de jugement a suivi les conclusions du rapporteur public en modifiant la rédaction du considérant de principe de l'arrêt, en précisant que les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, à condition que cela n'entraîne pas une indemnisation excédant le montant du préjudice subi.
Il a par exemple pu être inclus les indemnisations suivantes :
- résiliation amiable sans indemnisation (CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 04/04/2022, 19BX04834)
- résiliation amiable avec paiement des factures et en contrepartie la société s’engage en garantie (CAA de LYON, 4ème chambre - formation à 3, 30/01/2014, 13LY00747)
- rappel que la résiliation amiable n’exclut pas le droit pour le cocontractant de se faire rémunérer les prestations exécutées (CAA de Nantes, 4ème chambre, du 30 décembre 2005, 05NT00284, inédit au recueil Lebon)