Le Conseil d’Etat vient de rendre public son avis n° 407003 du 8 juin 2023, portant sur la sécurisation des mesures permettant d’assurer une meilleure prise en compte de l’intérêt public dans l’équilibre des contrats de concession autoroutière.
En résumé :
1.) Quel critère pourrait être retenu pour apprécier la rentabilité d’un concessionnaire et justifier une décision unilatérale de réduction de la durée d’une concession ?
- Le CE rappelle qu’il est possible de résilier une concession pour motif d’intérêt général (article L. 6 du code de la commande publique (CCP)) « dans le cas où l’évolution économique constatée aurait pour effet d’accélérer sensiblement, contrairement aux prévisions, l’amortissement des ouvrages et la rémunération raisonnable du concessionnaire, au point que la durée initialement convenue n’aurait plus de justification. Une telle mesure supposerait une appréciation globale de l’amortissement des investissements et de la rémunération du concessionnaire » (CE, avis des 5 février 2015 et 6 février 2020).
- Pas de méthode particulière imposée par le CCP pour évaluer la rentabilité d’une concession (possibilité d’utiliser par exemple le TRI projet (Dette + fonds propres) ou le TRI actionnaire (fonds propres) ou toute autre méthode), tant qu’elle prend en compte de tous les flux financiers en raison du modèle économique particulier des concessions autoroutières.
- En tout état de cause, cette évaluation rentre dans le cadre du pouvoir de contrôle dont dispose le concédant (L. 6 CCP), qui peut être aménagé contractuellement. Ce pouvoir de contrôle n’impose pas une méthode particulière, si ce n’est qu’il faut obligatoirement contrôler les conditions d’exécution, y compris les aspects financiers, en prenant en compte les résultats du passé, le plan d’affaires du concessionnaire et les projections financières.
2° S’agissant des sociétés concessionnaires d’autoroutes historiques et sur la base de l’indicateur qui serait retenu, dans quelle mesure une rémunération peut-elle être jugée excessive ?
- La durée normale d'amortissement est légalement définie par les dispositions du Code de la commande publique (R. 3114-2 CCP) et de la directive de 2014 (article 18 D. 2014/23). Selon ces textes, « Pour les contrats de concession d'une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat ». Cette période débute en principe à la date d'achèvement et de mise en service, conformément à la jurisprudence (CE, 8 février 2010, Commune de Chartres, n° 323158). Il convient de noter que la rémunération des capitaux investis (fonds propres et dette) peut sembler avoir été ajoutée comme condition supplémentaire en raison de la jurisprudence et du droit de l'Union européenne, mais en réalité, elle vise simplement à harmoniser les différentes définitions historiquement utilisées pour évaluer l'équilibre financier du contrat.
- En matière de concession, il n’est pas possible de séparer rémunération des capitaux investis et amortissement des investissements, à défaut de quoi on retomberait sur le régime du marché public. En cas d’importante augmentation de la rémunération du concessionnaire en cours d’exécution, il est nécessaire d’étudier le transfert du risque économique et financier qui en découle. Or le risque économique comporte des facteurs exogènes au contrat (tels que la baisse ou la hausse des taux d’intérêt, l’absence ou l’existence d’une inflation, l’évolution des coûts de construction ou de matières premières comme le pétrole).
- Le risque joue dans un sens défavorable comme favorable au profit du concessionnaire. Ainsi, la circonstance que celui-ci optimise le financement de sa dette en raison de taux historiquement bas, voire négatifs, ou qu’une baisse des coûts de construction et d’entretien, corrélée à une inflation particulièrement faible, lui ait procuré des bénéfices importants ne suffit pas à établir un motif d’intérêt général de résiliation.
- En outre ce risque favorable est encadré dans les concessions autoroutières historiques grâce à des clauses de durée endogène prévoyant la réduction de la durée initiale après une certaine durée d’exécution du contrat et lorsqu’est atteint, par le concessionnaire, un certain niveau de résultats.
3° Dans l’hypothèse où une rémunération excessive serait identifiée, quelles seraient les modalités juridiques que devrait respecter l’Etat, autorité concédante, pour résilier, par anticipation, une concession autoroutière ? Des solutions alternatives, telles qu’une baisse unilatérale des tarifs des péages, pourraient-elles être envisagées ?
- Une résiliation anticipée d'un contrat de concession implique que le concédant ait déjà élaboré le modèle d'organisation future du service public après résiliation et qu’il l'ait défini.
- Il est nécessaire de prévoir un délai de préavis adéquat entre la décision de résiliation et son entrée en vigueur, et éventuellement, de prévoir un délai d'exécution différé. Ce délai différé doit être calculé de manière à permettre l'amortissement complet des investissements, en se basant sur des évaluations financières visant à maintenir un équilibre raisonnable.
- Lors d'une résiliation pour motif d'intérêt général, il convient de prendre en considération l'existence de clauses de rachat « pour motif d'intérêt général ».
- Enfin, le Conseil d'État rappelle que les parties à un contrat conclu par une entité publique peuvent déterminer la portée et les modalités des droits à indemnisation du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, à condition que cela n'entraîne pas une indemnisation excessive pour le cocontractant, au détriment de l'entité publique. Cette indemnisation ne doit pas dépasser le montant du préjudice réellement subi par le cocontractant, résultant de la perte de bénéfices et des dépenses non couvertes du fait de la résiliation du contrat (CE, 16 décembre 2022, Société Grasse-vacances, n° 455186).