Veille juridique de la semaine du 29 avril 2024
I.3. Droit de la régulation des transports
I.4. Contentieux administratif
II. Veille législative, réglementaire et autres
A. Synthèse de la consultation sur l'accélération du développement de l'éolien en mer.
A. T.A. de Poitiers, 18 avril 2024, req. n°2200016 - Bien que des modifications aient été apportées au CCAG, les parties contractantes d'un marché public conservent la possibilité d'opter pour l'application d'une version antérieure du CCAG, à condition d'en faire mention de manière explicite dans la liste des documents contractuels.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, le département des Deux-Sèvres a attribué à la société TTPL un marché de travaux structurels sur routes départementales pour un montant de 1 655 996,50 euros HT, soit 1 987 195,80 euros TTC.
Les travaux ont commencé le 7 octobre 2019, mais des difficultés ont eu lieu dans le déroulement des chantiers.
Le 28 juin 2021, la société TTPL a déposé un projet de situation avec demande de paiement final faisant apparaitre des prestations complémentaires pour un montant total de 107 000 euros HT, soit 128 400 euros TTC.
Par courrier du 30 juillet 2021, la société TTPL a notifié au maitre d'ouvrage et maitre d'œuvre son projet de décompte final.
Par courrier du 16 août 2021, le département des Deux-Sèvres a rejeté la demande de paiement de prestations complémentaires.
Par courrier du 26 octobre 2021, la société TTPL a mis en demeure le département des Deux-Sèvres de procéder au règlement du solde du marché à hauteur de 128 400 euros TTC.
Cette demande a été rejetée le 25 novembre 2021.
Par une ordonnance du 23 août 2022, le juge des référés a rejeté la demande de la société TPPL tendant au versement d'une provision. Le 15 septembre 2022, le département des Deux-Sèvres a notifié à la société requérante le décompte général.
La société TPPL demande au tribunal de condamner le département des Deux-Sèvres à lui verser la somme totale de 128 400 euros TTC au titre des surcoûts générés par les chantiers.
Elle soutient que :
- le CCAG travaux applicable au marché en litige est celui de 2009 dans sa version issue de l'arrêté du 3 mars 2014 ;
- en l'absence de notification d'un décompte général par le maitre d'ouvrage, le projet de décompte final établi par la société TPPL a acquis le caractère de décompte général définitif et donc intangible ;
- le déroulement des chantiers a engendré des surcoûts pour un montant total de 128 400 euros qu'il convient de prendre en compte pour déterminer le solde du marché ;
- ces surcoûts sont liés à quatre facteurs : l'amenée et le repli de l'atelier pour la mise en œuvre des accotements, les mesures d'adaptation en période tardive, les contraintes de l'agence technique territoriale du Niortais sur le chantier de la RD 948, les mesures de prévention du covid-19.
2 – Question de droit. Ainsi, la principale question était celle de savoir si les parties contractantes d'un marché public conservent la possibilité d'opter pour l'application d'une version antérieure du CCAG ?
3 – Solution juridique. En premier lieu, se posait donc la question de la version du CCAG travaux applicable. Le T.A. a jugé que le CCAG travaux applicable au marché en litige est celui issu de l'arrêté du 8 septembre 2009 dans sa version initiale.
En effet,
Ø D'une part, un arrêté du 3 mars 2014 a modifié certaines dispositions du CCAG travaux issue de l'arrêté du 8 septembre 2009. Cette nouvelle version du CCAG travaux est applicable aux marchés dont la procédure de passation a été engagée à compter du 1er avril 2014. Toutefois, il est toujours loisible aux cocontractants d'un marché public de choisir d'appliquer une version antérieure du CCAG, sous réserve de le mentionner explicitement dans la liste des documents contractuels.
Ø D'autre part, il résulte de l'article 5 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), que le département des Deux-Sèvres a entendu se référer à la version du cahier des clauses administratives générales (CCAG) approuvé par arrêté du 8 septembre 2009 dans sa version initiale.
En deuxième lieu, la détermination du solde du marché se fonde sur plusieurs points. Le T.A. rappelle que l'entrepreneur a droit à une compensation pour les travaux supplémentaires exigés par des ordres de service ou nécessaires à l'exécution adéquate de l'ouvrage. Cependant, seules les difficultés techniques exceptionnelles, imprévues au moment de la signature du contrat et extérieures aux parties, peuvent être considérées comme des obstacles imprévus justifiant une compensation. Dans le cas d'un marché à prix unitaires, cette compensation n'est pas conditionnée par un bouleversement économique du contrat.
Or, concernant les demandes spécifiques de la société requérante, celle-ci réclame un paiement supplémentaire de 128 400 euros TTC. Toutefois, les éléments avancés ne justifient pas cette demande. Par exemple, l'absence de prévision dans le bordereau des prix unitaires concernant l'installation et le retrait de l'atelier pour le rechargement des accotements n'est pas valide, car ces actions sont considérées comme faisant partie intégrante des tâches nécessaires à l'exécution du contrat, comme le stipulent les termes du bordereau. De plus, les modifications du planning d'intervention dues aux exigences de l'agence technique territoriale et à des conditions météorologiques pluvieuses n'ont pas été imputables à des fautes du département, comme le démontre l'extension des délais d'exécution pour tenir compte des conditions météorologiques défavorables. En outre, la société elle-même a été reconnue responsable de plusieurs défaillances, comme des retards, des problèmes d'organisation, des incidents matériels et des manquements aux normes de sécurité.
Ainsi, les difficultés rencontrées pendant l'exécution du marché ne peuvent être considérées comme imprévues, ni comme des travaux supplémentaires non spécifiés dans le contrat et réalisés sur ordre de service ou nécessaires à l'exécution de l'ouvrage dans les règles de l'art.
B. T.A. de Versailles, 25 avril 2024, req. n°2203272 - Le maître de l'ouvrage peut effectuer une compensation entre les soldes de marchés distincts, mais cette action est soumise à la condition que les créances correspondantes soient certaines et exigibles.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Nagla Peinture, dans le cadre d’un marché public n°18-051 conclu avec la commune des Ulis pour le lot n°8 concernant la peinture lors de la réhabilitation du centre Jacques Prévert avec création d'une salle de cinéma, a vu toutes ses factures liées à ce marché entièrement réglées par la commune des Ulis, avec le solde payé le 27 juillet 2020.
Cependant, lors du règlement d'une facture de 12 964,20 euros TTC pour une commande distincte de la commune passée le 2 octobre 2019 pour le nettoyage et la peinture sur support métallique avant la pose de nouvelles enseignes pour le centre Jacques Prévert, la commune a déduit par compensation une somme de 8 750 euros au titre de pénalités de retard applicables au marché initial conclu le 11 juillet 2018.
La société Nagla Peinture conteste ces pénalités et demande simplement à la commune des Ulis de lui restituer la somme de 8 750 euros, assortie des intérêts légaux.
Elle soutient que :
- le titre de recette n°2105 du 30 juillet 2020 émis à son encontre, d'un montant de 8 750 euros, ne lui a jamais été notifié ;
- elle n'est pas redevable des pénalités de retard qui lui sont opposées dès lors qu'elle n'est pas responsable des retards d'exécution constatés par la commune des Ulis ;
- cette somme de 8 750 euros a été prélevée par compensation légale sur le solde d'une facture de 12 964,20 euros correspondant à l'exécution d'un marché distinct alors même que la créance n'est pas certaine, liquide et exigible.
2 – Question de droit. La question qui se posait en l’espèce était celle de savoir si le maître de l'ouvrage peut effectuer une compensation entre les soldes de marchés distincts ?
3 – Solution juridique. La réponse du T.A. est positive : « s'il est possible au maître de l'ouvrage d'opérer une compensation entre les soldes de marchés distincts, c'est à la condition que les créances correspondantes soient certaines et exigibles. »
1. Tout d'abord, bien que la société Nagla affirme que la commune ne lui a pas notifié le titre de recette émis le 30 juillet 2020 pour les pénalités du marché n°18-051, cette absence de notification n'a pas d'incidence sur la validité de la créance en question.
2. Deuxièmement, selon l'article 4.3 du CCAP, en cas de dépassement du délai contractuel, des pénalités de retard peuvent être appliquées sans préavis, comme cela a été fait dans ce cas précis.
3. Ensuite, il est établi qu'un retard de 35 jours a été constaté dans la livraison des travaux, entraînant l'application de pénalités pour un montant total de 8 750 euros, tel que spécifié dans divers documents contractuels et notifiés à la société Nagla peinture.
4. Concernant les procédures de réclamation et de contestation de ces pénalités, il ressort des articles 13.4.3 et 50 du CCAG Travaux que la société avait la possibilité de contester ces pénalités dans un délai spécifié, mais aucune contestation efficace n'a été menée dans ce laps de temps.
5. Enfin, la décision du maître de l'ouvrage de procéder à la compensation légale est basée sur des documents contractuels valides et définitifs, et aucun recours n'a été entrepris contre cette décision, de sorte que la créance était bien certaine, liquide et exigible.
En conséquence, les demandes de la société Nagla peinture visant à obtenir le remboursement de la somme de 8 750 euros, avec intérêts légaux, doivent être rejetées.
C. T.A. de Polynésie française, 16 avril 2024, req. n° 2300345 – Une déclaration de procédure sans suite pour motif d’intérêt général ne peut être justifiée par un motif d’intérêt général imprécis.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la direction de la santé a lancé une consultation pour un marché public à bons de commande mono-attributaire via un avis d'appel public à la concurrence paru le 10 février 2023 dans le J.O. de la Polynésie française.
Ce marché, concernant des prestations de service pour la prise en charge des patients dans les lits de SSR des hôpitaux de Taravao, Uturoa et Nuku Hiva, a été divisé en trois lots.
Suite à une décision du 24 avril 2023, les lots n° 1 et 3 ont été attribués à la Sarl SSRP Te Ora Ora, tandis que le lot n° 2 a été attribué à la société Te Tiare.
Malgré la requête de la société Te Tiare visant à annuler la décision de rejet de ses offres et la procédure de passation du marché pour le lot n° 1, cette demande a été rejetée par une ordonnance du juge des référés en date du 3 juin 2023.
Ensuite, par une décision du 16 juin 2023, le directeur de la santé a notifié à la Sarl SSRP Te Ora Ora une déclaration de procédure sans suite pour l'ensemble du marché public en question, une décision contestée par ladite société.
Pour opposer à la Sarl SSRP Te Ora Ora la déclaration sans suite en litige, le ministre de la santé a formulé les termes suivants : « l'acheteur public décide de déclarer la consultation sans suite au motif qu'il existe des risques tenant aux incertitudes ayant affecté la consultation des entreprises notamment induits par des erreurs dans les exigences techniques, rendant impossible le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse. Il considère en effet que des précisions doivent être apportées aux exigences techniques des prestations, notamment aux dispositions du cahier des clauses techniques particulières ».
La requérante soutient que :
- l'auteur de l'acte est incompétent ;
- la déclaration sans suite du marché en litige n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses motifs lesquels ne sauraient d'ailleurs répondre à une préoccupation d'intérêt général ;
- la décision attaquée est entachée d'un détournement de procédure en ce qu'elle caractérise l'intention de l'évincer et de permettre la passation d'un nouveau marché.
2 – Question de droit. La question de droit qui se posait dans cette espèce est la suivante : l’abandon de procédure était-il suffisamment motivé ?
3 – Solution juridique. Le T.A. commence par rappeler que conformément à l'article LP. 322-9 du code polynésien des marchés publics, l'autorité compétente peut déclarer un appel d'offres infructueux pour diverses raisons, notamment lorsque aucune offre admissible n'a été soumise ou lorsque les offres reçues sont jugées inappropriées, irrégulières ou inacceptables. De plus, elle peut décider à tout moment de déclarer la procédure sans suite pour des motifs d'intérêt général. Dans ce cas, les candidats doivent être informés conformément aux dispositions de l'article LP 332-1.
Comme susmentionnée, en l’espèce, pour justifier la déclaration sans suite contestée, le ministre de la santé a mentionné des risques liés à des incertitudes dans la consultation des entreprises, notamment en raison d'erreurs dans les exigences techniques, rendant difficile le choix de l'offre la plus avantageuse. Il a souligné la nécessité de clarifier les exigences techniques, en particulier celles du cahier des clauses techniques particulières.
En effet, une insuffisance de précision a été reprochée aux « exigences techniques des prestations », notamment celles du CCAP. Cependant, l'entreprise Sarl SSRP Te Ora Ora était censée avoir une connaissance approfondie du matériel disponible dans les hôpitaux en raison de son expérience. Néanmoins, l'article 4 du CCTP prévoyait que le titulaire devait prendre contact avec l'établissement concerné pour prendre en compte le matériel existant sur place. Par conséquent, bien que les irrégularités de la procédure puissent justifier une déclaration sans suite pour motif d'intérêt général, le motif invoqué ici n'est pas suffisamment précis et étayé, compte tenu du fait que les preuves disponibles ne permettent pas d'établir que l'entreprise requérante avait des informations cruciales lors de la soumission des offres, auxquelles les concurrents n'auraient pas eu accès.
Par conséquent, le T.A. juge que la décision contestée est illégale et, par conséquent l’annule. Ainsi, le président de la Polynésie française doit reprendre la procédure de passation en notifiant à la Sarl SSRP Te Ora Ora l'attribution du marché litigieux pour les lots 1 et 3.
A. C.E. 26 avril 2024, req. n° 475259 – La délibération par laquelle un conseil municipal constate que sont réunies les conditions permettant à la commune d’acquérir la propriété d’un bien sans maître continue à produire ses effets tant que la commune ne renonce pas à exercer ses droits sur ce bien ou ne le cède.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, par une délibération du 25 février 2023, le conseil municipal de Gourdon (Alpes-Maritimes), constatant que la dernière propriétaire connue de la parcelle cadastrée B n° 1613, située sur le territoire de cette commune, était décédée en 1970 et qu'aucun successible ne s'était présenté dans un délai de trente ans a, d'une part, « exercé ses droits en application des dispositions de l'article 713 du code civil » et, d'autre part, autorisé son maire « à signer tout acte relatif à l'incorporation de [cette] parcelle au domaine communal ».
MM. Jean-Claude et Daniel Bottero se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 5 juin 2023 par laquelle le juge des référés du T.A. de Nice a prononcé un non-lieu à statuer sur leur demande tendant à ce qu'il ordonne, en référé-suspension, la suspension de l'exécution de cette délibération.
2 – Question de droit. La délibération par laquelle un conseil municipal constate que sont réunies les conditions permettant à la commune d’acquérir la propriété d’un bien sans maître continue-elle à produire ses effets tant que la commune ne renonce pas à exercer ses droits sur ce bien ou ne le cède ?
3 – Solution juridique. Le C.E. commence par rappeler que :
Ø l'article L. 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose que « sont considérés comme n'ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l'article L. 1122-1 et qui : / 1° (...) font partie d'une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s'est présenté (...) » ;
Ø l'article L. 1123-2 du même code prévoit que « les règles relatives à la propriété des biens mentionnés au 1° de l'article L. 1123-1 sont fixées par l'article 713 du code civil » ;
Ø aux termes de l'article 713 du code civil : « les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l'Etat si la commune renonce à exercer ses droits ».
Ensuite, il va annuler l’ordonnance du juge des référés qui a estimé que leurs conclusions avaient perdu leur objet en raison de l'exécution complète de ladite délibération, notamment par la signature d'actes relatifs à l'incorporation d'une parcelle dans le domaine communal.
En effet, la délibération d'un conseil municipal constatant l'incorporation d'un bien sans maître dans le domaine communal continue de produire ses effets même après l'exécution d'actes par le maire pour concrétiser cette incorporation, juge le C.E.
Ainsi, en considérant que l'exécution des actes par le maire rendait sans objet les conclusions des requérants, le juge des référés a fait erreur. La délibération municipale conserve ses effets juridiques même après l'accomplissement d'actes par le maire en relation avec ladite délibération.
Puis sur le fond, le C.E. rappelle que l'urgence justifie la suspension d'un acte administratif lorsque son exécution porte gravement atteinte à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il défend. Cette appréciation se fait objectivement en considérant toutes les circonstances.
Or, d’une part, les éléments fournis par MM. Bottero, notamment le projet de vente imminent de la parcelle litigieuse et les conséquences irréversibles qui en résulteraient pour eux, caractérisent une situation d'urgence, indépendamment de la volonté de la commune de maintenir la destination des lieux, et d’autre part, la confusion entre la parcelle litigieuse et une autre parcelle dont MM. Bottero sont propriétaires, attestée par des actes notariés et des documents fiscaux, crée un doute sérieux sur la légalité de la délibération contestée.
Ainsi, la suspension de l'exécution de la délibération permet d'empêcher la commune d'exercer ses droits de propriétaire sur le bien litigieux en attendant le jugement au fond, rendant ainsi sans objet les injonctions demandées par MM. Bottero.
Par voie de conséquence, MM. Bottero sont fondés à obtenir la suspension de la délibération de la commune de Gourdon.
I.3. Droit de la régulation des transports
A. C.E. 25 avril 2024, req. n° 488540 – Le seuil minimum de capacité de survol des espaces aériens en cas de grèves validé.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, par un courrier du 31 mai 2023, les sociétés Aer Lingus, British Airways PLC, Easyjet, Iberia Lineas Aereas de Espana, Compania Operadora de Corto y Medio Radio Iberia Express, Ryanair et Vueling Airlines ont saisi la Première ministre et le ministre chargé des transports d'une demande tendant, d'une part, à accroître le seuil minimum de capacité de survol des espaces aériens gérés par les autorités françaises assuré en cas de cessation concertée du travail dans les services de navigation aérienne, tel que prévu par le 3 de l'article 1er du décret du 17 décembre 1985, et, d'autre part, à prendre toutes les mesures législatives et règlementaires ainsi que d'organisation du service permettant de rendre effectif le droit de survol de ces espaces et d'assurer la nécessaire conciliation entre d'une part, le droit de grève des agents publics et, d'autre part, le principe constitutionnel de continuité du service public et ce droit de survol, en introduisant notamment une obligation de déclaration individuelle des agents participant à un mouvement de grève au moins 72 heures avant ce dernier.
Cette demande a été rejetée implicitement.
2 – Question de droit. La limitation de la capacité offerte pour les survols du territoire français en cas de grève est-elle légale ?
3 – Solution juridique. Le C.E. commence par rappeler que :
Ø L'article L. 114-4 du code général de la fonction publique, issu de la loi du 31 décembre 1984, énonce les obligations en cas de cessation concertée du travail dans les services de la navigation aérienne en cas de grève dans les services de la navigation aérienne, visant notamment la continuité de l'action gouvernementale, la préservation des intérêts vitaux de la France, la sauvegarde des personnes et des biens, le maintien des liaisons avec la Corse et les collectivités ultramarines, ainsi que la protection des installations et du matériel. Un décret du 17 décembre 1985 a été édicté pour appliquer ces dispositions.
Ø L'article L. 114-5 confère au ministre chargé de l'aviation civile le pouvoir de désigner les agents indispensables à l'exécution des missions définies à l'article L. 114-4.
Ø En outre, l'article L. 114-5-1, introduit par la loi du 28 décembre 2023, impose des obligations spécifiques en cas de préavis de grève dans les services publics.
Les sociétés requérantes contestent donc la légalité du 3 de l'article 1er du décret du 17 décembre 1985, concernant la limitation de la capacité offerte pour les survols du territoire français en cas de grève.
Les autres conclusions de la requête, qui portent sur la conciliation entre le droit de grève et le principe de continuité du service public, ainsi que sur le refus de modifier le décret du 17 décembre 1985, sont jugées irrecevables en raison de leur imprécision et de l'intervention de la loi du 28 décembre 2023.
Ainsi, concernant les conclusions à fin d'annulation du refus de modifier le décret du 17 décembre 1985, les sociétés requérantes argumentent que la réduction de la capacité de survol à 50 % en cas de grève viole le principe constitutionnel de continuité du service public.
Toutefois, le Conseil d'État considère que la limitation de la capacité de survol à 50 % en cas de grève est justifiée pour concilier le droit de grève avec les nécessités de l'ordre public et les besoins essentiels du pays.
En effet, « si ce principe a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle, il en va de même pour le droit de grève et il appartient au législateur et, dans le respect des dispositions édictées par ce dernier, au pouvoir réglementaire et à l'autorité administrative chargée d'un service public d'opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel la grève peut être de nature à porter atteinte, en apportant des limitations au droit de grève en vue d'assurer la continuité du service public, dans la mesure de ce qu'imposent les nécessités de l'ordre public et les besoins essentiels du pays ».
Or au cas présent, « les sociétés requérantes se bornent à faire essentiellement état des difficultés qu'engendre, pour elles, l'organisation en temps de grève des services de la navigation aérienne en matière de survol du territoire français et des conséquences qu'elle emporte sur leur activité commerciale et la satisfaction de leurs clients. Si elles se prévalent du principe de continuité du service public, ce dernier doit, ainsi qu'il a été dit, être concilié avec le droit de grève eu égard aux nécessités de l'ordre public et aux besoins essentiels du pays et il n'implique pas, par lui-même et de façon générale, qu'un service normal doive être assuré en cas de grève. Par suite, les sociétés requérantes, qui n'apportent pas d'éléments de nature à établir que la capacité minimale de 50 % du service en matière de survol du territoire français serait insusceptible d'assurer la conciliation nécessaire entre la défense du droit de grève et la sauvegarde de l'intérêt général, ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions du 3 de l'article 1er du décret du 17 décembre 1985 seraient illégales comme méconnaissant le principe constitutionnel de continuité du service public ».
Par ailleurs, si l'article 12 de la convention relative à l'aviation civile internationale stipule que chaque État contractant doit prendre des mesures pour garantir que tout aéronef, qu'il survole son territoire ou y manœuvre, ou qu'il arbore sa nationalité où qu'il se trouve, se conforme aux règles en vigueur en matière de vol et de manœuvre des aéronefs dans ce lieu et que la section 1 de l'article 1er de l'accord sur le transit des services aériens internationaux accorde aux États contractants le droit de traverser leur territoire sans atterrir pour les services aériens internationaux réguliers.
Or, d'une part, il résulte du texte même des stipulations précitées de l'article 12 de la convention qu'elles n'ont pas pour objet de créer pour tout aéronef un droit inconditionnel de survol du territoire d'un Etat partie. D'autre part, si la section 1 de l'article 1er de l'accord citée ci-dessus prévoit que chaque Etat membre garantit un droit de survol, la section 2 du même article stipule que l'exercice de ce droit " sera conforme aux dispositions de la Convention relative à l'Aviation Civile Internationale ", c'est-à-dire notamment à son article
Ainsi, en fixant la capacité offerte aux survols du territoire français en cas de grève à la moitié de la capacité normale, les dispositions contestées du décret du 17 décembre 1985 ne méconnaissent pas ces stipulations.
Par ailleurs, d'une part, l'article 56 du TFUE stipule que les restrictions à la libre prestation des services au sein de l'Union sont interdites pour les ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. De même, l'article 16 de la CDFUE reconnaît la liberté d'entreprise conformément au droit de l'Union et aux législations nationales. D'autre part, selon le 1° de l'article 15 du règlement (CE) n° 550/2004 du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2004, les transporteurs aériens communautaires sont autorisés à exploiter des services aériens intracommunautaires.
Or le taux de capacité de survols assurés en cas de grève, fixé à la moitié de la capacité normale par le décret du 17 décembre 1985, peut affecter toutes les compagnies aériennes. Cependant, cela n'a ni pour objectif ni pour effet, même indirect, de restreindre la libre prestation de services ou la liberté d'entreprise, en accord avec le droit de l'Union. De plus, il est difficile de soutenir sérieusement que ce taux violerait les dispositions invoquées du règlement (CE) n° 550/2004 du Parlement européen et du Conseil, qui n'a pas pour vocation de garantir le droit de survol.
En dernier lieu, d'une part, l'article L. 114-4 du code général de la fonction publique assigne notamment au service minimum dans les services de la navigation aérienne, en cas de grève, le respect des engagements internationaux de la France, notamment le droit de survol du territoire. Contrairement à ce qui est soutenu, selon le C.E., cela n'implique pas que cet article confère un effet direct à des engagements internationaux dépourvus de celui-ci. D'autre part, en fixant un taux de 50 % des capacités de survols assurés, le pouvoir réglementaire n'a pas enfreint ces dispositions, contrairement à ce qui est allégué.
Ainsi, le Conseil d'État rejette le recours.
I.4. Contentieux administratif
A. C.E. 1er mai 2024, req. n° 493898 – Est un acte de gouvernement le refus du Premier ministre et du ministre des armées de suspendre ou de réexaminer les licences d'exportation de matériels de guerre pour des exportations vers un Etat étranger.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, l'association Amnesty International France a demandé au juge des référés du T.A. de Paris, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du CJA, d'enjoindre au Premier ministre et au ministre des armées de suspendre ou de réexaminer les licences d'exportation de matériels de guerre pour les catégories ML 5 et ML 15 délivrées par le Premier ministre pour des exportations vers l'Etat d'Israël, jusqu'à ce que cet Etat se conforme aux obligations internationales. Elle relève appel de l'ordonnance du 13 avril 2024 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Elle soutient que :
- elle a intérêt pour agir ;
- l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée ;
- la compétence de la juridiction administrative doit être admise sans qu'y fasse obstacle la théorie des actes de gouvernement compte tenu, d'une part, de l'invocation de la coutume internationale, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la quatrième convention de Genève et de l'obligation, indépendamment de l'effet direct du traité sur le commerce des armes et de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008, d'interpréter les dispositions de l'article L. 2335-4 du code de la défense conformément aux engagements internationaux et à la coutume internationale et, d'autre part, des violations graves du droit international commises par l'Etat d'Israël et des risques prépondérants ou manifestes que l'exportation de matériels de guerre participe à la commission de ces crimes et, en tout état de cause, eu égard au fait que la demande de suspension, qui ne concerne que deux catégories de matériels de guerre spécifiques, n'est pas de portée générale et n'a pas trait à la politique d'exportation d'armes conduite par la France ;
- il est porté atteinte au droit à la vie, au droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, à l'intérêt supérieur de l'enfant, à la dignité humaine et au droit pour la population civile de ne pas être victime de violations graves du droit international humanitaire ;
- l'atteinte portée est grave et manifestement illégale au regard de l'article L. 2335-4 du code de la défense, des stipulations des articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, de l'article 2 de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et des principes du droit international humanitaire ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'il existe un risque majeur que des atteintes aux libertés fondamentales précédemment évoquées aient lieu dans la bande de Gaza et compte tenu de l'annonce d'une offensive sur la ville de Rafah.
2 – Question de droit. Un recours tendant à enjoindre au Premier ministre et au ministre des armées de suspendre ou de réexaminer les licences d'exportation de matériels de guerre pour des exportations vers un Etat étranger est-il recevable ?
3 – Solution juridique. Le C.E. va rejeter le recours en cassation au motif que la décision contestée est un acte de gouvernement :
« Les injonctions sollicitées par l'association requérante ont pour objet la suspension de l'ensemble des autorisations préalables d'exportation de matériels de guerres relevant des catégories ML 5 et ML 15 à destination d'Israël afin de faire cesser l'exportation de tels matériels de la France vers cet Etat étranger. Contrairement à ce qui est soutenu et alors même qu'elle ne porterait que sur deux catégories de matériels de guerre, une telle demande a une portée générale et n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France. Par suite, comme l'a jugé à bon droit le juge des référés du tribunal administratif de Paris par une ordonnance suffisamment motivée, la juridiction administrative n'est pas compétente pour en connaître. »
II. Veille législative, réglementaire et autres
A. Publication du guide pratique de l’OECP sur les modes amiables de règlement des différends dans la commande publique.
A. Synthèse de la consultation sur l'accélération du développement de l'éolien en mer.