Veille juridique (Droit public des affaires) de la semaine du 12 février 2024
Droit de la régulation audiovisuelle
II. Veille législative et réglementaire
I. Veille jurisprudentielle
Contrats publics
C.E., 9 février 2024, req. n° 471852 - En Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Îles Wallis et Futuna quand bien même l’acheteur ou le concédant n’est pas soumis à une obligation de standstill lorsqu’un référé précontractuel est intenté, si jamais il s’astreint à suspendre la conclusion du contrat, la porte du référé contractuel se ferme pour le requérant.
1 – Faits. En l’espèce, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Îles Wallis et Futuna, le régime des référés précontractuels et contractuels n’est pas le même qu’en metropole. En effet, le Code de justice administrative impose en métropole au pouvoir adjudicateur de suspendre la signature du contrat dès la saisie du juge du référé précontractuel jusqu'à la notification de l'ordonnance. Or les dispositions prévoyant cette obligation dite de « standstill » ne s’appliquent pas en Polynésie. En effet, le référé précontractuel est exclusivement régi par l'article L. 551-24 du même code dans ces régions qui ne renvoie pas aux dispositions du CJA qui imposent une telle suspension. Seul le juge peut imposer cette obligation de suspension.
En conséquence, et logiquement, l’impossibilité d’intenter un référé contractuel à la suite d’un référé précontractuel lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a suspendu la signature du contrat pendant le recours précontractuel, prévue à l'article L. 551-14 du même code, ne devrait pas ête applicable dans ces territoires.
Sur le fondement de ces dispositions, deux requérants ont demandé au juge des référés précontractuels du tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la procédure de passation, lancée en septembre 2022 par la commune de Bora-Bora, d'un marché d'assistance pour le renouvellement du contrat d'affermage de son service d'assainissement des eaux usées (lot n° 1) et du contrat d'affermage de son service de l'eau industrielle (lot n° 2).
2 – Procédure. Par ordonnance de février 2023 le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté leur demande. Le contrat a été signé le mois suivant et les requérants ont alors présenté devant le Conseil d'Etat de nouvelles conclusions tendant à son annulation, sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative relatifs au référé contractuel.
On voit donc la problématique : en Polynésie française il n’y a pas d’obligation de « standistill », donc le contrat peut être signé même en cas de référé précontractuel, mais en métropole un référé contractuel peut être intenté après un référé précontractuel, lorsque l’acheteur ou le concédant a méconnu son obligation de standstill.
3 – Question juridique. La question qui se posait était donc celle de la recevabilité d’un recours en référé contractuel en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Îles Wallis et Futuna, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a suspendu la conclusion d’un contrat alors qu’un référé précontractuel a été intenté, même en l’absence de toute obligation de standstill.
4 – Solution. En premier lieu, le CE rejette le pourvoi en cassation contre le référé précontractuel car le contrat a été signé postérieurement à l'introduction du pourvoi, rendant le pourvoi sans objet.
En second lieu, le CE rappelle que les dispositions relatives au référé contractuel du CJA sont applicables en Polynésieen vertu du 6° de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, qui dispose que sont applicables de plein droit dans cette collectivité les dispositions législatives et réglementaires ayant trait à la procédure administrative contentieuse.
Or, statuant sur le fondement de l’article R. 351-4 du CJA, qui permet malgré les règles de répartition des compétences à toute juridiction adinistrative saisie de conclusions relevant de la compétence d’une autre juridiction administrative, de rejeter les conclusions qui sont manifestement irrecevables, les juges du Palais royal vont déclarer le recours irrecevable.
En effet, l'article L. 551-14 du code de justice administrative, qui est applicable en Polynésie française en vertu du 6° de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, qui dispose que sont applicables de plein droit dans cette collectivité les dispositions législatives et réglementaires ayant trait à la procédure administrative contentieuse, ferme la voie du référé contractuel lorsque le requérant a intenté un référé précontractuel et que le délai de standstill s’imposant au pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice ont été respectées. Or comme vu précédemment, une telle obligation de suspension ne s’applique pas en Polynésie, dès lors que le référé précontractuel y est exclusivement régi par l'article L.551-24.
Il faut donc combiner ces règles et considérer que « l'article L. 551-14 doit être interprété, pour son application en Polynésie française, comme fermant la voie du référé contractuel lorsque le demandeur a formé un référé précontractuel en application de l'article L. 551-24 et que la personne publique a respecté la suspension de la signature du contrat ordonnée par le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué par lui et s'est conformée à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ».
Autrement formulé, quand bien même le pouvoir adjdudicateur ou l’entité adjudicatrice n’est pas soumis à une obligation de standstill lorsqu’un référé précontractuel est intenté, si jamais il s’y astreint, la porte du référé contractuel se ferme pour le requérant.
En l’espèce, l’adjudicateur ayant suspensud la conclusion du contrat jusqu’à l’ordonnance de référé précontractuel, les requérants sont irrecevables à intenter un référé contractuel.
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T.A. de Nancy, 1er février 2024, req. n°2102295 - La mise en place d’obligations de déports et l’interdiction faite à un agent d’un concédant d’intervenir à l’occasion d’une procédure de passation à laquelle soumissionnait plusieurs de ses anciens employeurs permet d’écarter tout risque de violation du principe d’impartialité, quand bien même l’agent serait intervenu en apportant des adaptations techniques mineures à la documentation précontractuelle pour faciliter l’usage des documents à destination des candidats.
1 – Faits. En l’espèce, la région Grand Est a lancé une procédure d'appel d'offre ouvert pour la passation d'un marché portant sur des services réguliers de transport routier de voyageurs destinés, à titre principal aux usagers scolaires, pour le département de la Meuse, divisé en 13 lots, au nombre desquels le lot n° 8 - Verdun Nord-Est transport routier de voyageurs sur le réseau Fluo Grand Est 55. La société SADAP a présenté sa candidature pour ce lot, qui a été attribué à un groupement constitué de la société Keolis sud Lorraine et de la société Cars Meunier.
Un agent public, ancien employé de la société Keolis, avait au regard de l’apparition de son nom sur un fichier informatique, soit été l'auteur de ce fichier, soit la dernière personne à avoir modifié le document, afin d’y à apporter des adaptations techniques mineures pour faciliter l'usage technique des documents à destination des candidats.
La société requérante demande, à l’occasion d’un recours Tarn-et-Garonne, au tribunal d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché en litige et de condamner la région Grand Est à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la signature du contrat avec le groupement auquel appartient la société Kéolis.
En effet, selon elle il y aurait d’abord eu méconnaissance du principe fondamental d’impartialité en raison de l’intervention de l’ancienne employée de l’attributaire à l’occasion de la procédure d’attribution.
2 – Question juridique. Se posait donc la question de la méconnaissance du principe fondamental d’impartialité par le pouvoir adjudicateur.
3 – Solution. Le TA commence par rappeler le cadre juridique du recours Tarn-et-Garonne.
En premier lieu, concernant le défaut d’impartialité du pouvoir adjudicateur, le TA rappelle qu’« au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Le principe d'impartialité implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat ». Puis faisant application de cette règle, le TA rejette le moyen car :
· L’ancienne employée de l’attributaire exerce la fonction de cheffe de projet contrôle de gestion-qualité, ainsi les missions dont elle est investie ne concernent pas la participation aux procédures de mise en concurrence des opérateurs de transport ;
· La région a mis en œuvre les procédures prévues pour écarter le risque de conflits d’intérêts, notamment en précisant à cet agent les obligations de déport s'imposant à elle et en lui interdisant d'intervenir, de participer à l'instruction ou à toute autre phase de traitement du sujet ou du dossier concernant ou susceptible de concerner, directement ou indirectement un de ses anciens employeurs ;
· La circonstance que le nom de l’agent public ancien employée de l’attributaire apparaisse sur un fichier informatique, ainsi que cela ressort d'une capture d'écran produit par la société requérante, comme étant soit l'auteur de ce fichier, soit la dernière personne à avoir modifié le document, n'est pas par elle-même de nature à établir qu'elle aurait participé à la procédure d'attribution du contrat, la région Grand Est précisant, sans être contredite sur ce point, qu'elle s'est bornée, sans participer à la procédure d'attribution du contrat, à apporter des adaptations techniques mineures pour faciliter l'usage technique des documents à destination des candidats.
· En tout état de cause, à supposer même qu'en procédant à ces adaptations techniques, Mme A puisse être regardée comme ayant participé à la procédure d'attribution du contrat, elle n'a pu, compte tenu de ses fonctions au sein des services de la région Grand-Est et des précautions précitées, exercé aucune influence sur la procédure d'attribution.
Le recours est donc rejeté sur ce point.
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T.A. de Nancy, 1er février 2024, req. n°2102305 – La circonstance que l’attributaire n'ait pas respecté le nombre minimum de pages exigibles pour la production des éléments devant être contenus dans son mémoire technique n'est pas de nature à justifier l'annulation du contrat.
1 – Faits. En l’espèce, la région Grand Est a lancé une procédure d'appel d'offre ouvert pour la passation d'un marché portant sur des services réguliers de transport routier de voyageurs destinés, à titre principal aux usagers scolaires pour le département des Vosges, divisé en 11 lots, au nombre desquels figurait le lot n° 9 - Remiremont -transport routier de voyageurs sur le réseau Fluo Grand Est 88. La société SADAP a présenté sa candidature pour ce lot, qui a été attribué à un groupement constitué de la société Keolis sud Lorraine et de la société des Automobiles Marcot. La société SADAP est arrivée en troisième position.
En l'espèce, le RC exigeait la production d’un mémoire technique, et, de manière distincte, des copies des cartes grises ou du titre de propriété, bail ou document prouvant l'existence des dépôts utilisés ou, à défaut, tout document permettant d'attester d'un engagement écrit à disposer des dépôts au plus tard à la date de démarrage de l'exploitation, notamment. Toutefois, le cadre du mémoire technique indiquait quant à lui que le mémoire technique ne devait pas excéder 40 pages, annexes comprises hormis les cartes grises, créant ainsi une incertitude quant à la question de savoir si les documents relatifs aux dépôts utilisés devaient ou non intégrer les annexes du mémoire technique. Dans le cadre de la consultation, la région Grand Est, interrogée sur ce point, a toutefois expressément indiqué aux candidats que les documents prouvant la propriété ou l'engagement de propriété ou de location devaient être fournis en annexe du mémoire technique, de sorte que la preuve de l'existence et de la disposition des dépôts utilisés devait être regardée comme un élément à part entière du mémoire technique au sens des documents de la consultation. L'exigence ainsi faite aux candidats de produire un mémoire technique ne devant pas excéder 40 pages n'est pas manifestement inutile.
Or le mémoire technique du groupement auquel appartient la société Kéolis sud Lorraine renvoyait expressément à une annexe jointe, constituée de plusieurs pages, pour justifier de la preuve de l'existence ou de la disposition des dépôts utilisés dans le cadre de l'exécution du contrat litigieux. Le groupement attributaire avait dès lors dépassé le nombre de pages maximum du mémoire technique prévu par les documents de la procédure de passation.
La société requérante demandait donc au TA d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché en litige et de condamner la région Grand Est à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la signature du contrat avec le groupement auquel appartient la société Kéolis.
2 – Question juridique. Se posait donc la question de savoir si la circonstance que le groupement attributaire avait dépassé le nombre de pages maximum du mémoire technique prévu par les documents de la procédure de passation justifiait l’annulation de la procédure.
3 – Solution. Le TA faisant application de l’article L. 2152-2 du code de la Commande publique qui définit l'offre irrégulière comme l'offre « qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation », ne pouvait que constater que le concédant avait méconnu son obligation d’écarter l’offre de l’attributaire : « le moyen tiré de ce que l'offre du groupement attributaire aurait dû être écartée comme irrégulière doit être accueilli et constitue un vice entachant la validité du contrat, qui n'est pas susceptible d'être régularisé devant le juge ».
Restait à savoir quelles conséquences en tirer.
En premier lieu, le TA rappelle que le vice entachant la procédure de passation du contrat et consistant à retenir une société dont la candidature ou l'offre aurait dû être écartée comme irrégulière ne s'oppose pas nécessairement à la poursuite de l'exécution du contrat conclu avec cette société. Il incombe au juge saisi d'une contestation de la validité du contrat, au regard de l'importance et des conséquences du vice, d'apprécier les suites qu'il doit lui donner.
Puis étudiant l’importance du présent vice, le TA considère qu’il s’agit uniquement d’un manquement « purement formel » ne faisant pas obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat. En tout état de cause, cette circonstance est par elle-même sans incidence sur les critères d'appréciation des offres, lesquels tenaient notamment à la preuve matérielle de l'existence ou de la disposition des dépôts, et non au nombre de pages rendues nécessaires pour apporter cette preuve.
En second lieu, concernant une éventuelle indemnisation, le TA rappelle classiquement (voir par exemple CE, 18 juin 2003, req. n° 249630) que :
1.) Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché.
a. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité.
b. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre.
2.) Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché.
a. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
b. Á défaut elle n’a pas le droit à être indemnisée.
En l'espèce, le TA constate que l'offre de la société requérante a été classée en 3ème position. Elle était ainsi dépourvue de toute chance de remporter le marché juge le tribunal de Nancy.
Par suite, ses conclusions indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées.
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T.A. de Paris, 08/02/2024, req. n°s 2218061, 2212699 – Catalogue par le T.A de Paris des documents d’un contrat de la commande publique communicables.
1 – Faits et procèdure. En l’espèce, en novembre 2021, une société a sollicité des services
Île-de-France mobilités (IDFM) la communication :
· des motifs détaillés du rejet de son offre d’un accord cadre ayant pour objet l'acquisition de matériel roulant bus 100% électriques avec systèmes de charges associés,
· les caractéristiques et avantages de l'offre retenue,
· l'ensemble des pièces contractuelles du marché tel que notifié au groupement attributaire, notamment l'acte d'engagement et ses annexes, le CCAP et le CCTP,
· la lettre de notification du marché,
· la liste des candidats admis à déposer une offre,
· le rapport de présentation du marché, le dossier de candidature de l'attributaire,
· les marques et produits proposés dans son offre par le groupement attributaire,
· le procès-verbal d'ouverture des candidatures et des offres,
· les échanges avec les candidats admis à négocier, les procès-verbaux de réunion de la commission d'appel d'offres,
· le rapport d'analyse des candidatures et des offres et
· la délibération autorisant la signature du marché.
Par courrier, IDFM a accusé réception de cette demande et a communiqué plus tard des extraits du rapport d'analyse des offres.
Par la suite la société évincée a saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) qui a émis en avril 2022 un avis favorable sous certaines réserves.
Par suite la société évincée demande au juge administratif l'annulation de la décision implicite par laquelle IDFM a confirmé implicitement son refus de communication de l'ensemble des documents sollicités à la suite de l'avis de la CADA.
2 – Question juridique. La question qui se pose est donc celle de savoir quels documents d’un contrat de la commande publique sont communicables ?
3 – Solution. Tout d’abord, le TA commence par rappeler les dispositions applicables et le cadre juridique applicable au litige. En effet, l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que sauf certaines exceptions, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 du même Code sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande. Parmi ces exceptions demeure celles prévues à l’article L. 311-6 du CRPA, lequel exclut la communication des documents dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence. Dans le cas où un document comporte de telles informations, s’il est possible d'occulter ou de disjoindre ces informations protégées, le document peut être communiqué.
Ainsi, le TA juge que « les marchés publics et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens des dispositions de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration. Saisis d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient aux juges du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret industriel et commercial et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions du 1° de l'article L. 311-6 de ce même code ».
Ainsi, « au regard des règles de la commande publique, doivent ainsi être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché ».
Puis faisant application de ce cadre juridique, le TA dresse une liste des documents communicables sans occulation, communicables avec occultation et non communicables :
1. Sont ainsi communicables sans réserve selon les juges administratifs parisiens :
· le CCAP,
· le CCTP,
· la lettre de notification du marché,
· la liste des candidats admis à déposer une offre,
· le rapport de présentation du marché,
· l'offre de prix globale de l'attributaire,
· les notes et classements et éventuelles appréciations de l'entreprise attributaire du marché,
· et les motifs détaillés du rejet de l'offre de la société requérante
2. Sont communicables, sous réserve d'occulter les mentions susceptibles de porter atteinte au secret des affaires :
· l'acte d'engagement et ses annexes,
· le dossier de candidature de l'attributaire,
· le procès-verbal d'ouverture des candidatures et des offres,
· les échanges avec les candidats admis à négocier,
· les procès-verbaux de réunion de la commission d'appel d'offres,
· le rapport d'analyse des candidatures et des offres,
· la marque et le type de matériel ou produits proposés par l'attributaire sont communicables,
· et la délibération autorisant la signature du marché
3. Ne sont pas communicables en ce qu'ils reflètent la stratégie commerciale de l'entreprise attributaire dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires :
· les caractéristiques et avantages de l'offre retenue,
· le bordereau unitaire de prix de l'entreprise attributaire,
· l'offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires,
· la décomposition du prix global et forfaitaire,
· le détail quantitatif estimatif,
· le mémoire technique,
· le détail technique et financier,
· le dossier de candidature de l'attributaire,
· les notes et classements des entreprises non retenues, à l'exception de la pétitionnaire,
· et les marques et produits proposés dans son offre par le groupement attributaire.
Par ailleurs, doivent être occultés des documents communiqués les mentions relatives :
1. Pour les documents émanant du candidat :
· aux moyens techniques et humains,
· à la certification des systèmes de qualité,
· aux certifications tierces parties,
· aux certificats de qualification concernant la prestation demandée,
· au chiffre d'affaires,
· aux coordonnées bancaires,
· et aux références autres que celles qui correspondent à des marchés publics
2. Pour les documents préparatoires à la passation :
· les procès-verbaux,
· le rapport d'analyse des offres,
· les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
Puis faisant application de ces règles, le TA juge que c'est à tort que IDFM a refusé de communiquer à la société requérante certains documents et que celle-ci est dès lors fondée à demander l'annulation de la décision refusant de communiquer les dits documents.
Enfin, le TA enjoint à l’IDFM de communiquer à la société requérante les documents sollicités, après occultation des mentions portant atteinte au principe du secret en matière commerciale et industrielle dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
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T.A. de Cergy Pontoise, 1er février 2024, req. n° 1603140 – Evaluation du préjudice subi à la suite de la résiliation du contrat Eco Taxe pour motif d’intérêt général.
1 – Faits. En l’espèce, la société DKV Euro Service a demandé au TA de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat, sur le terrain de la responsabilité pour faute ou sans faute, à lui verser la somme de 18 972 346,86 €, soit 7 702 950,86 € au titre des dépenses exposées pour les besoins du projet de l'écotaxe et 11 269 396 € au titre du bénéfice manqué, augmentée des intérêts de droit à compter de 14 décembre 2015 et de la capitalisation des intérêts.
En effet, en 2011, l'Etat a conclu un contrat de partenariat avec la société Ecomouv', chargée de la collecte de l'écotaxe poids lourds. Six contrats ont été signés pour la mise en place d'un service de télépéage pour le paiement de cette taxe. En 2014, l'Etat a résilié son contrat avec la société Ecomouv'. Quatre sociétés ont saisi le TA de Cergy-Pontoise de requêtes indemnitaires. Le TA a estimé que l'Etat avait commis une faute et a ordonné la nomination d'un expert pour évaluer les préjudices (TA Cergy-Pontoise, 18 juill. 2018, n° 1507487). En appel, la cour administrative d'appel de Versailles a jugé que la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture du principe d'égalité devant les charges publiques était engagée (CAA, 16 déc. 2021, n° 18VE03215, Ministre de la transition écologique c/ Société Axxès).
L’expert nomé par le TA a rendu son rapport au greffe du TA en décembre 2022.
Il s’est fondé, pour calculer le préjudice subi par la société DKV Euro Service sur :
· les recettes perdues et sur une période de cinq ans, de 2014 à 2019, comprenant les rémunérations, redevances et autres produits, évaluées à 77 438 844 €
· ce à quoi il a soustrait les charges qui auraient dû être engagées sur la même période, soit 48 852 616 € incluant les frais généraux pour 48 119 282 € et le coût des garanties financières pour 733 335 €
Le manque à gagner revenait donc à 28 586 228 €.
L’expert a encore soustrait à ce manque à gagner :
· 7 728 924 € au titre de l'indemnisation par l'Etat de la valeur non amortie de 55 488 équipements embarqués,
· 594 276 € au titre de leur valeur amortie,
· 8 176 800 € d'investissements dans 54 512 équipements embarqués nécessaires à la réalisation des bénéfices manqués commandés mais non payés du fait de la résiliation du contrat,
· et 636 115 € de frais accessoires à engager et à payer pour 54 512 équipements embarqués complémentaires.
Après ajustement, le manque à gagner revenait à 11 450 073 €.
La société DKV Euro Service reprend à son compte ces chiffres, mais l'évaluation de ce manque à gagner n'ayant pas intégré les frais inhérents à la mise en œuvre du projet de l'écotaxe, évalués par l'expert à 2 137 359 €, elle demande non seulement qu'elle vienne en surplus de l'évaluation de son préjudice mais également qu'y soient ajoutés 65 113 € de coûts externes de mise en œuvre du projet, 2 364,41 € de coûts de commercialisation, 817 280 € de coûts de personnel inhérents à la mise en œuvre du projet et 2 387 840 € de coûts internes engagés par les services informatique et administratif EBC.
L'Etat se borne à soutenir que le préjudice allégué par la société DKV Euro Service doit être évalué sur la base non pas de 110 000 équipements embarqués, mais sur celle des 45 728 effectivement facturés par la société Ecomouv'.
2 – Question de droit. Se posait donc la question de savoir quel était le montant du préjudice qui devait être indemnisé à la suite de la résiliation du contrat par l’État pour motif d’intérêt général.
3 – Solution. Le TA rappelle qu’il a été définitivement jugé que l'Etat a engagé sa responsabilité sans faute en résiliant le contrat de partenariat qu'il avait conclu avec la société Ecomouv' dans le cadre du projet de mise en œuvre de l'écotaxe poids lourds et en informant ultérieurement la société DKV Euro Service qu'il ne souhaitait pas reprendre le contrat la liant à cette dernière pour fournir un service de télépéage.
Prenant acte de l’absence de défense par l’État sur ce point, le TA énonce que dans cette circonstance le préjudice de la société DKV Euro Service doit être regardé comme certain, ce qui lui donne donc droit à la réparation des préjudices présentant un lien direct et certain avec la résiliation en cause.
En premier lieu, en ce qui concerne l’assiette du préjudice, le TA rejette l’argument de l’État selon lequel le préjudice allégué par la société DKV Euro Service doit être évalué sur la base non pas de 110 000 équipements embarqués, mais sur celle des 45 728 effectivement facturés par la société Ecomouv'. Il adopte les conclusions de l’expert et les conclusions de la requérante, puisque la société DKV Euro Service a effectivement commandé 110 000 équipements embarqués auprès de la société Ecomouv', dès le printemps 2013, en amont de la résiliation du contrat. Or le volume d'équipements embarqués livrés finalement inférieur aux prévisions initiales, alors que selon l'expert si le projet avait été mené à bien, l'objectif de 110 000 équipements embarqués aurait pu être atteint ne peut qu’être imputable aux « atermoiements de l'Etat, qui a suspendu le projet avant de décider finalement de résilier son contrat avec la société Ecomouv' ». Ce sont donc bien sur la base des véhicules commandés et non pas sur ceux finalement livrés qu’il y a lieu d’évaluer le bénéfice manqué et le préjudice qui en découle pour la requérante.
En deuxième lieu, concernant l’évaluation des charges à retenir dans l’évaluation du préjudice, le TA donne également raison à la requérante, l'expert aurait dû tenir compte des frais engagés en amont et inhérents au seul projet de l'écotaxe, à savoir les coûts externes de mise en œuvre et de commercialisation du projet, les coûts du personnel qui lui sont propres et ceux correspondant aux prestations informatiques refacturées pour le mener à bien. Le TA retient donc en sus du préjudice de 11 450 073 € correspondant au manque à gagner de la société DKV Euro Service, la somme de 2 137 359 € correspondant aux frais spécifiquement exposés pour le projet de l'écotaxe, soit 2 610 618 € au titre des coûts externes de mise en œuvre du projet, 779 112 € au titre des refacturations de services informatiques et 619 347 € au titre des autres frais (frais de personnalisation, frais d'envoi aux clients, frais de reprise des équipements embarqués auprès des clients, frais de renvoi de Ratingen à Géidos, droits de douane et coûts MOS de distribution des équipements embarqués), sous déduction de l'indemnisation de 1 871 718 € accordée par l'Etat après qu'il eut résilié le contrat.
En troisième lieu, la société DKV Euro Service demande que le préjudice subi, estimé par l’expert à hauteur de 2 137 359 €, soit rehaussé :
· à hauteur de 6 886 € correspondants aux coûts externes de mise en œuvre du projet, dont elle soutient que c'est à tort que l'expert a refusé de la prendre en charge. Toutefois, le TA estime qu’elle ne le justifie puisqu’elle ne démontre pas que les dépenses en cause sont mentionnées dans la comptabilité analytique avec le code de rattachement du projet écotaxe ;
· à hauteur de 58 227 €, en raison d'une omission de la part de l’expert, qu’elle tente de démontrer par l’existence de mentions contradictoires « ne pas réintégrer dans préjudice pièce 93 » et « à réintégrer dans préjudice pièce 87 » figurant dans le rapport d'expertise. Une nouvelle fois, le TA rejette cette prétention puisque la requérante ne détaille pas quels coûts recouvre la somme de 58 227 € en cause.
· à hauteur de 2 364,41 € incluse selon la requérante dans les frais de commercialisation du projet de l'écotaxe. Une fois encore le TA rejette cette prétention car n'en justifie pas en se bornant à soutenir, sans plus de détails, que l'expert aurait omis de retenir cette somme dans les pièces justificatives produites au stade de son dire n° 7.
En quatrième lieu, la société DKV Euro Service soutient que doit être ajoutée au préjudice né des dépenses inhérentes à la mise en œuvre du projet de l'écotaxe la somme de 817 280 € correspondant aux frais inutilement exposés, en raison de la résiliation du contrat, du personnel affecté au projet. Le TA rejette encore cette prétention en se basant sur le rapport d’expertise qui souligne que si les effectifs du département « péages » de la société sont passés de 21 en 2011 à 30 en 2014, ils sont ensuite restés stables en 2015 et 2016, de sorte qu'il n'est pas établi que les nouveaux personnels en cause, qui n'ont été recrutés ni en intérim ni en contrat à durée déterminée, auraient été embauchés pour les besoins exclusifs de l'écotaxe, sans être affectés à une autre mission. De plus, l'expert n'est pas contesté lorsqu'il affirme, page 44 de son rapport, que la société n'a pas été en mesure de lui communiquer des feuilles de temps susceptibles de justifier des coûts du personnel exclusivement dédié au projet de l'écotaxe, tandis qu'elle ne lui a pas davantage produit la justification des coûts de personnels affectés au centre de coût 843095 de la comptabilité analytique, ni même une éventuelle clé de répartition. Même sur la base de l'extrapolation qu'il a été contraint de faire sur la base de l'effectif ETP total, l'expert n'a donc pas été en mesure de recouper la somme de 827 280 € dont la société DKV Euro Service réclame l'indemnisation, alors par ailleurs qu'il a relevé une distorsion de la répartition dans le temps des frais de personnel entre les pièces 11 et 36. Dès lors, il ne saurait être reproché à l'expert de ne pas avoir intégré cette somme dans le calcul du préjudice indemnisable de la société DKV Euro Service. Dans ces conditions, et quand bien même il est vraisemblable que la société a mobilisé un nombre important de salariés pour le projet de l'écotaxe, comme l'attestent les comptes rendus des comités de suivi nos 7 et 9, elle ne saurait solliciter à ce titre une indemnisation supplémentaire.
En cinquième et dernier lieu, la société DKV Euro Service soutient qu'il y a lieu d'ajouter à la somme de 2 137 359 € retenue par l'expert celle de 2 387 840 € qu'elle indique correspondre aux coûts internes engagés par le service informatique et administratif EBC pour le projet de l'écotaxe. Le TA rejette une fois encore les prétentions de la requérante, puisqu’elle n'en justifie pas en se bornant à soutenir que de telles charges n'ont pas été retenues à un autre titre dans l'indemnisation de son préjudice, que les frais en cause ont été identifiés avec un code de numérotation analytique et qu'ils étaient exclusivement affectés au projet de l'écotaxe, alors par ailleurs que l'expert, s'il n'a pu obtenir de données sur les effectifs du service informatique de la société EBC-DKV Mobility, qui appartient au même groupe que la requérante, a néanmoins accepté d'indemniser les frais informatiques qu'elle lui a refacturés en application du contrat « service level agreement » (SLA) à concurrence de 779 112 €, dont rien n'indique qu'ils ne feraient pas double emploi, fût-ce en partie seulement, avec la somme de 2 387 840 € sollicitée.
Ainsi, le préjudice de la société DKV Euro Service doit être évalué à 13 587 432 €, dont 2 137 359 € au titre des frais et dépenses engagés pour les besoins exclusifs du projet de l'écotaxe et 11 450 073 € au titre de son bénéfice manqué sur une période de cinq ans, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette somme d'une actualisation des flux futurs, le préjudice ayant cessé à la date du présent jugement.
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T.A. de Mayotte, 26 janvier 2024, req. n°2304704 – Possibilité de sélectionner les candidats sur la base d’un critère tiré de l’expérience en matière de construction en milieu tropical.
1- Faits. En l’espèce, par un avis de marché publié en août 2023 au JOUE et au BOAMP, une commune de Mayotte a appelé à la concurrence en vue de l'attribution, dans le cadre d'une procédure avec négociation restreinte à trois candidats, d'un marché de conception-réalisation pour la réalisation d'un groupe scolaire comportant dix-sept classes élémentaires, une classe ULIS, neuf classes de maternelles et un satellite de restauration.
Par une décision d’octobre 2023, la commune a informé la société Fayolle construction international SAS, mandataire d'un GME, que sa candidature était rejetée aux motifs, d'une part, que « le groupement ne présente pas suffisamment de références en conception-réalisation pour la partie architecturale proposée » et, d'autre part, que « le groupement ne présente pas suffisamment d'expériences de construction scolaire en milieu tropical pour l'entreprise générale mandataire du groupement ».
La société Fayolle construction international SAS intente alors un référé précontractuel afin d'annuler, à compter de la phase d'analyse des candidatures, la procédure, ainsi que la décision rejetant sa candidature. Elle conteste les deux motifs de rejet de sa candidature et soutenait notamment que le critère relatif aux expériences de construction scolaire en milieu tropical, prévu par le RC, serait injustifié, disproportionné et discriminatoire, car pas justifié par les spécifictés du marché.
2 – Question juridique. Les motifs tirés de l’insuffisannce de références et d'expériences de construction scolaire en milieu tropical pour le mandataire d’un groupement d’entreprises peuvent-ils justifier le rejet d’une candidature ?
3 – Solution. En premier lieu, concernant le motif tiré de l'insuffisance de présentation par le groupement de références en conception-réalisation pour la partie architecturale proposée, le TA souligne que le règlement de la consultation n'exige pas des candidats qu'ils présentent un nombre minimum de références en conception-réalisation ni au titre des conditions de participation ni au titre de la sélection des candidats. En effet, le règlement impose seulement aux architectes du groupement de présenter trois références significatives. Or le dossier de candidature du groupement composé de la société requérante respecte bien cette condition, d’autant plus qu’il résulte du rapport d'analyse des candidatures produit par la commune que les références produites par l'architecte ont été jugées « de bonne qualité » et « correspondant aux attentes » sans qu'à aucun moment leur insuffisance supposée ne soit relevée. Or le dossier de candidature du groupement composé de la société requérante respecte bien cette condition, d’autant plus qu’il résulte du rapport d'analyse des candidatures produit par la commune que les références produites par l'architecte ont été jugées « de bonne qualité » et « correspondant aux attentes » sans qu'à aucun moment leur insuffisance supposée ne soit relevée.
Ainsi, sur ce premier point il y a bien une irrégularité.
Toutefois, la candidature du groupement composé de la société requérante n'a pas été notée et évaluée au regard de ce motif illégal qui n'apparait que dans la décision de rejet de sa candidature, comme cela ressort du document d'analyse des candidatures.
En effet, il ressort du document d'analyse des offres que la candidature du groupement composé de la société requérante a été notée et évaluée moins favorablement que ses concurrentes uniquement au niveau du critère des capacités professionnelles au motif de l'insuffisance de ses expériences de construction scolaire en milieu tropical.
Par voir de conséquence, ce manqueemnt n'est pas susceptible d’avoir lésé la requérante, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
En second lieu, concernant le motif tiré de l'insuffisance des expériences de construction scolaire en milieu tropical de l'entreprise générale mandataire du groupement, le TA juge qu’eu égard à l'objet du marché qui vise à la construction d'un groupe scolaire, la commune pouvait valablement se fonder sur un motif tiré de l'insuffisance des capacités professionnelles du groupement en matière de construction scolaire en milieu tropical pour rejeter sa candidature, puisque ce critère était prévu dans le RC.
Par ailleurs, le TA rejette l’argument de la requérante qui soutenait que les constructions en milieu tropical ne nécessitent pas de savoir-faire et de compétences techniques particulières, puisque le climat tropical présente des caractéristiques particulières en matière de chaleur, de pluie et d'humidité. Le critère n’est donc pas injustifié, disproportionné et discriminatoire.
Rejetant également d’autres moyens, le TA refuse de faire droit aux conclusions de la requérante.
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C.E, 2 février 2024, req. n°475639 – Précision du pouvoir de contrôle du maître d’ouvrage sur les prestations réalisées par la sous-traitant dans le cadre du paiement direct.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, un syndicat intercommunal de gestion des déchets a confié la conception et la réalisation d’une nouvelle installation de traitement des fumées de son unité de valorisation énergétique des déchets ménagers à une société de droit suisse. Cette dernière a fait intervenir, en qualité de sous-traitante acceptée par le maître d'ouvrage, la société Eiffage Energies Systèmes-IT Rhône-Alpes.
La société Eiffage Energies Systèmes-IT Rhône-Alpes a saisi le TA de Lyon d’un référé provision afin de condamner le syndicat à lui verser une provision au titre du paiement direct de trois factures d'un montant total de 711 438,40 euros hors taxes, en se prévalant de l'accord tacitement acquis du titulaire du marché. Le syndicat soutenait que de nombreuses réserves à la réception n’avait pas été levées.
La juge des référés a partiellement fait droit à cette demande en condamnant le syndicat à lui verser une provision de 665 788,10 euros toutes taxes comprises correspondant au montant des factures émises les 30 août et 15 octobre 2021.
Sur appel du syndicat, le juge des référés de la CAA de Lyon a annulé cette ordonnance en ce qu'elle avait accordé la provision et rejeté le surplus de la demande de cette société. En effet, elle a jugé que si « le titulaire du marché dispose d'un délai de quinze jours à compter de la présentation des pièces justifiant de la réalité et de la valeur de la prestation pour se prononcer sur le paiement, son silence étant sanctionné par un accord tacite dont le sous-traitant peut se prévaloir à l'appui de sa demande de paiement direct, cette procédure ne fait pas obstacle au contrôle par le maître d'ouvrage du bienfondé de cette créance, compte tenu de la qualité des travaux exécutés ». Autrement dit, au titre du droit au paiement direct le pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice pourrait contrôler la qualité des travaux exécutées.
La société Eiffage Energies Systèmes-IT Rhône-Alpes se pourvoit en cassation contre cette ordonannce de la CAA de Lyon, considérant que le juge d’appel a fait une inexacte application de la loi, le maître d'ouvrage pouvant uniquement vérifier que la consistance correspond bien à ce qui était prévu par le marché et non pas la qualité des travaux exécutés.
2 – Question juridique. Dès lors se pose la question de l’étendue du pouvoir de contrôle du maître d’ouvrage sur les prestations réalisées par le sous-traitant au titre du paiement direct. Doit-il vérifier la qualité des travaux ou doit-il se contenter de leur consistance ?
3 – Solution. Le CE juge que « dans l'hypothèse d'une rémunération directe du sous-traitant par le maître d'ouvrage, ce dernier peut contrôler l'exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant. Au titre de ce contrôle, le maître d'ouvrage peut s'assurer que la consistance des travaux réalisés par le sous-traitant correspond à ce qui est prévu par le marché » (caractères gras ajoutés).
Autrement dit, en cas de paiement direct du sous-traitant par le maître d'ouvrage, ce dernier a la possibilité de surveiller la consistance réele des travaux sous-traités ainsi que le montant de la créance du sous-traitant. Dans le cadre de cette surveillance, le maître d'ouvrage peut vérifier que l'étendue des travaux accomplis par le sous-traitant correspond bien aux stipulations prévues dans le contrat.
Toutefois, le CE juge que le maître d’ouvrage ne peut contrôler la qualité des travaux, il doit s’en tenir à leur consistance : « dès lors, en jugeant que le maître d'ouvrage pouvait exercer un contrôle sur la qualité des travaux exécutés alors que ce dernier pouvait seulement s'assurer que leur consistance correspondait à ce qui était prévu par le marché, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit ».
Le CE annule donc l’ordonannce d’appel, puis faisant application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative il décide de statuer sur le fond.
Il rappelle qu’en vertu de l'article R. 541-1 du CJA, le juge des référés peut accorder une provision lorsque l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable. Pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.
Or en l’espèce, le TA avait prescrit une expertise, dont les opérations ont été étendues à la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône Alpes, en vue notamment de déterminer les causes, la nature, et l'étendue des désordres et défauts de conformité affectant l'unité de valorisation énergétique des déchets ménagers de Bellegarde-sur-Valserine à la suite des travaux de remplacement de l'installation du traitement des fumées, de déterminer la nature des travaux susceptibles d'y remédier ainsi que leur coût, et d'apporter tous éléments utiles aux fins de déterminer les responsabilités encourues.
Le syndicat argue notamment du non-respect par la société requérante des règles fixées par des normes de sécurité incendie reprises au cahier des clauses techniques particulières du marché de conception et de réalisation.
Puis le CE rejette le recours en considérant qu’en l'état de l'instruction, les éléments soumis par la société Eiffage Energies Systèmes - IT Rhône-Alpes ne sont pas de nature à établir l'existence d'une obligation non sérieusement contestable avec un degré suffisant de certitude, permettant de lui accorder une provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
Droit de la concurrence
C.E., 15 février 2024, req. n° 454475 – (i) Rappel de la définition d’une infrasctructure essentielle et (ii) lorsqu'elle estime qu'une opération est de nature à porter atteinte à la concurrence malgré les engagements présentés par les parties, l'Autorité de la concurrence peut autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Toutefois, l'Autorité de la concurrence, qui doit se prononcer en respectant l'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale de la procédure d'examen des projets d'opération de concentration, ne saurait se substituer aux parties, auxquelles il incombe en premier lieu de proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. Lorsque tel n'est pas le cas des engagements proposés, l'Autorité de la concurrence ne saurait être tenue d'y substituer ou d'y ajouter des injonctions dont, eu égard notamment à la nature et à l'importance des effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration envisagée et à la difficulté de déterminer des mesures adéquates pour les compenser, la faisabilité ou l'efficacité n'aurait pas été établies par l'instruction du dossier, ou qui modifieraient substantiellement la nature de l'opération concernée, et peut alors, sans porter une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, décider d'interdire l'opération.
1 – Faits. En l’espèce, la société Transport stockage énergie (ci-après « TSE »), filiale de fonds gérés par la société Ardian, a adressé en septembre 2020 à l'Autorité de la concurrence un dossier de notification relatif à la prise de contrôle exclusif de la société du pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après « SPMR »), résultant de son acquisition des actions et droits de vote détenus au sein de celle-ci par la société ENI. Avant cette opération, le capital social de la SPMR, propriétaire du pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après « PMR »), réseau de canalisations d'environ 760 kilomètres de long qui approvisionne en produits pétroliers raffinés les dépôts du sud-est de la France, était partagé entre TSE, pour 47,2 %, la société Trapil, pour 32,8 % et à qui la SPMR a délégué l'exploitation de l'oléoduc, la société Esso, pour 14,2 %, ENI, pour 5 % et la société Thevenin Ducrot Distribution, pour 0,8 %.
Par une décision du 8 décembre 2020, l'Autorité a décidé l'ouverture d'un examen approfondi de l'opération dans les conditions prévues aux articles L. 430-5 à L. 430-7 du code de commerce.
Par une décision du 12 mai 2021, l'Autorité a interdit l'opération, estimant que les engagements proposés par les parties n'étaient pas suffisants pour prévenir les risques d'atteinte à la concurrence sur le marché du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France induits par l'opération et qu'aucune autre mesure, prenant la forme d'injonctions, ne permettait d'assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur ce marché.
En effet, l'Autorité de la concurrence a estimé que le PMR était en situation de monopole de fait sur le marché pertinent du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France. Elle a considéré qu'il s'agissait d'une infrastructure essentielle compte tenu de son caractère incontournable et non duplicable par d'éventuels concurrents. Elle a relevé qu'avant l'opération, aucun actionnaire n'exerçait une influence déterminante sur la SPMR, de sorte que la prise de décision au sein de la société nécessitait un certain consensus entre des actionnaires ayant des intérêts divergents, certains étant utilisateurs de l'oléoduc, contribuant ainsi à limiter les hausses de prix. Après l'opération, elle a estimé qu'Ardian aurait la capacité et l'incitation à mettre en oeuvre une stratégie de hausse de prix ou de dégradation de la qualité de service, dès lors, d'une part, qu'elle exercerait un contrôle exclusif sur la SPMR lui permettant de prendre seule les décisions relatives à la politique commerciale et tarifaire de la société et que le contrôle exercé par le commissaire du Gouvernement et le ministre chargé de l'économie sur la SPMR, bien que réel, se limite pour l'essentiel au champ de la politique énergétique et à la continuité d'approvisionnement en produits pétroliers du territoire français et non aux questions de concurrence, d'autre part, qu'Ardian n'exerçant pas d'activité en amont ou en aval du transport de produits pétroliers par oléoduc et n'étant donc pas une utilisatrice de l'infrastructure, n'avait pas d'intérêt à modérer les hausses de prix, enfin, qu'une dégradation de l'offre de la SPMR n'occasionnerait pas de perte de clientèle significative, les opérateurs répercutant eux-mêmes les hausses de prix sur le consommateur final.
Les sociétés TSE et Ardian demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
2 – Question juridique. La question se posait donc de la légalité de la décision qui a interdit l'opération d’acquisition litigieuse.
3 – Solution. Nous ne développerons pas la réponse à tous les moyens et nous concentrerons sur celles essentielles. Ainsi, concernant la légalité interne trois points retiendront notre attention.
3.1 – L'analyse des effets de l'opération sur la concurrence opérée par le régulateur. En premier lieu, les requérantes contestaient l'analyse des effets de l'opération sur la concurrence opérée par le régulateur.
Le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’« il appartient à l'Autorité de la concurrence saisie d'une opération de concentration, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération et d'apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte ».
3.1.1 – Qualification d’infrastructure essentielle. Les requérantes contestaient d’abord la qualification d’infrastructure essentielle. En effet, l'Autorité de la concurrence a considéré que le PMR constituait une infrastructure essentielle sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés dans le sud de la France. Cette qualification repose sur l'absence de « produits ou de services constituant des solutions alternatives crédibles, même moins avantageuses, et qu'il existait des obstacles techniques, réglementaires ou économiques de nature à rendre impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute entreprise entendant opérer sur ce marché, de créer, éventuellement en collaboration avec d'autres opérateurs, des produits ou des services alternatifs ». Les requérantes ont contesté cette analyse en invoquant la pression concurrentielle exercée par d'autres modes de transport. Cependant, les éléments produits, tels que les tests de marché, ont confirmé que les investissements élevés et les contraintes réglementaires associées rendent improbable l'entrée d'un nouvel acteur en tant qu'alternative crédible au PMR sur l'ensemble de son tracé. Les autres modes de transport de produits pétroliers raffinés, tels que le transport par camion, barge, ou train, ne constituent pas des alternatives crédibles en raison de coûts plus élevés, de volumes limités, et de contraintes logistiques. Ainsi, l'Autorité de la concurrence a correctement conclu que le PMR était une infrastructure essentielle, non soumise à une pression concurrentielle significative.
3.1.2 – Le contrôle opéré par l’État. Ensuite, les requérantes contestaient l’analyse de l’Autorité de la concurrence du contrôle de l’Etat sur la société qui aurait été contrôlée. Les requérantes avançaient que le contrôle exercé par l'État sur la SPMR lui confère la capacité de s'opposer à toute décision contraire à l'intérêt général, notamment en préservant la concurrence sur le marché. Ce contrôle serait ainsi une mesure corrective pour atténuer tout risque d'atteinte à la concurrence résultant de l'opération en question.
Le Conseil d’État rejette ce moyen. En effet, d’une part, un décret de 1967 autorise la construction et l'exploitation du PMR et instaure un commissaire du Gouvernement, nommé par le ministre chargé de l'énergie, capable de s'opposer à des décisions contraires à la politique gouvernementale en matière de carburants, combustibles, et transports. De plus, les statuts de la SPMR détaillent les pouvoirs du commissaire du Gouvernement, qui assiste aux assemblées générales, dispose de pouvoirs d'investigation, et peut émettre des réserves sur toute décision incompatible avec la politique gouvernementale. Ces réserves suspendent l'exécution de la décision jusqu'à une nouvelle réunion du conseil d'administration, où le commissaire peut lever ses réserves, les maintenir, ou notifier son désaccord. D'autre part, l'Autorité de la concurrence estime que ce contrôle ne vise pas à garantir une concurrence suffisante, mais plutôt à assurer la sécurité de l'approvisionnement pétrolier, évitant des perturbations dans le trafic de l'oléoduc. Ainsi, bien que le contrôle exercé par l'État puisse limiter certains effets de l'opération, il n'empêcherait pas effectivement Ardian d'exercer son pouvoir de marché découlant de l'opération.
3.2 – Sur l’insufisance des engagements. En deuxième lieu, les requérantes estimaient que les engagements proposés permettaient de garantir les conditions de réalisation de l’acquisition au regard des risques concurentiels.
Le Conseil d’État commence par rappeler que lorsqu'une opération de concentration est notifiée à l'Autorité de la concurrence, cette dernière a le pouvoir d'user de diverses mesures, telles que l'interdiction, l'injonction, la prescription ou la subordination de son autorisation à la réalisation d'engagements pris par les parties. Ces pouvoirs sont définis par les articles L. 430-6 et suivants du code de commerce et visent à maintenir une concurrence suffisante sur les marchés impactés par l'opération. Il n'est pas obligatoire pour l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle identifie un effet anticoncurrentiel, d'adopter des mesures correctives visant à supprimer intégralement cet effet, pourvu que ces mesures garantissent le maintien d'une concurrence suffisante. De plus, les engagements acceptés doivent être suffisamment précis et mesurables pour prévenir les effets anticoncurrentiels à court terme.
3.2.1 – Premiers engagements : renforcement de des autres actionnaires au conseil d’administration, notamment pour les votes tarifaires. Concernant les engagements proposés le 21 janvier 2021 et complétés le 30 mars 2021, ils visaient principalement à restreindre la capacité d'Ardian à décider seul des hausses tarifaires. Cela impliquait la nomination de six des neuf membres du conseil d'administration de la SPMR par Ardian, tandis que les autres seraient nommés par les actionnaires minoritaires Trapil et Esso. De plus, deux administrateurs d'Ardian s'abstiendraient de voter sur les propositions de hausse tarifaire, nécessitant ainsi l'approbation d'au moins un autre administrateur. Ardian devait également accroître le rôle du commissaire du Gouvernement dans les décisions non-tarifaires.
Malgré ces engagements, l'Autorité de la concurrence les a rejetés, soutenant notamment que le contrôle négatif maintenu par Ardian pourait bloquer des majorités alternatives. De plus, selon le régulateur Ardian conserverait le pouvoir de prendre seul des décisions non-tarifaires, ce qui ne contriburait pas au maintien d'une concurrence suffisante.
Les requérantes contestent cette décision en argumentant que, en ce qui concerne la politique tarifaire, les autres administrateurs n'avaient jamais formé une majorité alternative excluant Ardian avant l'opération. Pour la politique non-tarifaire, elles affirment qu'Ardian, en tant qu'actionnaire principal, aurait intérêt à maintenir la qualité des services et préserver la valeur de la société, et que le contrôle exercé par l'État sur la politique tarifaire et non-tarifaire pourrait prévenir les effets anticoncurrentiels.
Cependant, le Conseil d’État estime que ces arguments ne remettent pas en cause la crédibilité du scénario anticoncurrentiel lié au pouvoir d'Ardian de prendre des décisions non-tarifaires.
3.2.2 – Second engagement : nomination d'un administrateur indépendant. Concernant les engagements supplémentaires proposés le 21 avril 2021, l'Autorité de la concurrence les a rejetés, arguant que la nomination d'un administrateur indépendant ne garantissait pas que Ardian ne pourrait pas utiliser son pouvoir de marché.
Les requérantes contestent cette décision en soulignant que l'administrateur indépendant aurait pu représenter les utilisateurs de la SPMR et que les avis du comité des utilisateurs auraient pu avoir un caractère contraignant pour rétablir des incitations similaires à celles existant avant l'opération.
Cependant, le Conseil d’Etat approuvant l’analyse du régulateur estime que l'administrateur indépendant aurait probablement une position proche de celle d'Ardian, selon les réponses au test de marché, ce qui aurait entraîné une détérioration de la situation concurrentielle.
3.3 – Sur les injonctions qu’aurait pu prononcer le régulateur. En ce qui concerne les injonctions que l'Autorité de la concurrence aurait pu prononcer, les requérantes soutiennent que l'Autorité aurait dû autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre des mesures assurant une concurrence suffisante.
Elles évoquent la possibilité que l'administrateur indépendant représente les utilisateurs et que les avis du comité des utilisateurs aient un caractère contraignant.
Cependant, ce moyen est rejeté puisque les requérantes n'ont pas formalisé de proposition d'engagement correspondant à ces mesures.
De plus, ces injonctions auraient substantiellement modifié la nature de l'opération et excédé le cadre des engagements habituellement acceptés par l'Autorité de la concurrence : « ces injonctions, dont la mise en oeuvre aurait largement privé Ardian du contrôle de la SPMR, auraient substantiellement modifié la nature même de l'opération envisagée, et excèdent ainsi largement le cadre des engagements que les requérantes avaient proposés à l'Autorité de la concurrence ainsi que, d'ailleurs, le cadre des engagements et injonctions habituellement acceptés ou prononcés par celle-ci ».
Le recours est donc rejeté.
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Droit de la régulation audiovisuelle
C.E., 13 février 2023, Association Reporters sans frontières, req. n° 463162 - Le Conseil d'État étend les pouvoirs de l’ARCOM en imposant une surveillance approfondie du pluralisme et de l'indépendance des chaînes de télévision : (i) l'Arcom est chargée d'assurer la préservation du pluralisme de l’information à travers l'intégralité de la programmation, ce qui lui impose de ne pas simplement prendre en compte le temps d'antenne accordé aux personnalités politiques et (ii) les obligations d'un éditeur de service en matière d'indépendance de l'information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l'Arcom non seulement au regard d'un programme donné, mais également au regard de l'ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation.
1 – Faits. En l’espèce, par un courrier de novembre 2021, l'association Reporters sans frontières (RSF) a demandé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'adresser à la société d'exploitation d'un service d'information (SESI), éditrice du service de télévision à vocation nationale CNEWS, diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique, une mise en demeure, sur le fondement des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, de se conformer à ses obligations relatives à sa qualité de « service consacré à l'information » prévue par sa convention d'autorisation ainsi qu'aux principes d'honnêteté de l'information, de pluralisme et d'indépendance de l'information.
Par une décision d’avril 2022, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui s'est substituée au CSA a refusé de faire droit à cette demande. Elle a notamment estimé que le respect du pluralisme doit s’apprécier uniquement au regard du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques et qu’elle ne pouvait intervenir en matière d’indépendance de l’information que si la matérialité d'un tel manquement était établie au cours d'une séquence identifiée.
L'association RSF demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, notamment car d’une part l’ARCOM ne doit pas uniquement prendre en compte le temps d'antenne accordé aux personnalités politiques pour l'appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l'information, et d’autre part, l’ARCOM doit également prendre en compte des éléments extérieurs à une séquence identifiée au titre du contrôle de l’indépendance de l'information, au cas d’espèce l'immixtions du principal actionnaire de la chaîne dans la programmation.
2 – Question juridique. Se posait donc la question de l’étendue des pouvoirs du régulateur audiovisuel :
· Doit-elle apprécier le respect du pluralisme uniquement au regard du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques ?
· Doit-elle protéger l’indépendance de l’information uniquement si la matérialité d'un tel manquement est établie au cours d'une séquence identifiée ?
3 – Faits. En premier lieu, l’ARCOM contestait l’intérêt à agir de l’association RSF. Le CE après avoir rappellé qu’une personne qui a demandé à l'Arcom de faire usage des prérogatives qui lui sont conférées par la loi à l'égard des opérateurs qui manquent à leurs obligations peut déférer son refus au juge de l'excès de pouvoir si elle justifie, eu égard à l'incidence sur ses intérêts du comportement de l'opérateur concerné, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, souligne que l'article 1er de ses statuts que cette association, reconnue d'utilité publique, a pour but de " défendre la liberté de la presse " ainsi que le " droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique (...) celui de chercher, de recevoir et de répandre (...) les informations et les idées (...) " et que par voie de conséquence l'association RSF doit être regardée comme une organisation de défense de la liberté de l'information reconnue d'utilité publique au sens du troisième alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 cité au point 2, habilitée par la loi à demander à l'Autorité de faire usage de ses pouvoirs de mettre en demeure un opérateur de service.
En deuxième lieu, l’association RSF contestait la légalité externe de la décision. Elle considérait que la décision de rejet n’était pas suffisamment motivée. Le CE rejette ce moyen, puisque « le refus de l'Arcom d'adresser une mise en demeure à un éditeur de service n'entre ni dans les catégories de décisions que les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration imposent de motiver, ni dans celles pour lesquelles la loi du 30 septembre 1986 ou tout autre texte ou principe prévoit une telle obligation ».
En troisième lieu, l’association contestait également la légalité interne. D’abord était soulevé l’inconstitutionnalité et l’inconventionnalité des articles 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986. Le CE rejette ces moyens.
Ensuite, était contesté (…). Sur ce point, le CE énonce par un considérant de principe que « l'exercice par l'Arcom de sa faculté d'adresser à un opérateur, en cas de manquement de ce dernier à ses obligations, une mise en demeure sur le fondement de dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, peut porter, en fonction de la nature de l'obligation dont la méconnaissance est invoquée, tant sur un manquement ponctuel relevé dans une séquence déterminée, que sur le non-respect par l'opérateur, dans la durée et au regard d'une appréciation globale de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation, des dispositions de son autorisation d'émettre et des engagements conventionnels dont elle est assortie. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens à l'appui de conclusions dirigées contre le refus de l'Arcom de faire usage de ce pouvoir, de vérifier si les faits litigieux sont constitutifs d'un manquement et, dans l'affirmative, d'apprécier, compte tenu du large pouvoir d'appréciation de l'Autorité dans la mise en œuvre des prérogatives qui lui sont conférées par la loi, si sa décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ».
L’association requérante soutenait que CNEWS avait méconnu l'exigence d'honnêteté de l'information prévue par les dispositions de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986. Pour ce faire elle fait d'abord état d'un article de presse affirmant qu'une séquence, diffusée le 25 octobre 2021 et montrant un échange, présenté comme spontané, entre M. B... et une femme portant un voile, avait été mise en scène. Sur ce poinr le CE considère qu’en se bornant à se prévaloir de ce seul article, la requérante n'apporte pas d'éléments suffisants au soutien de son allégation que cette séquence constituerait un manquement à l'exigence d'honnêteté de l'information.
Ensuite, l'association requérante mentionne également, à l'appui de ce même grief, deux autres séquences, relatives, d'une part, à une émission diffusée le 26 avril 2021 offrant une présentation déséquilibrée d'une tribune controversée signée par des militaires et, d'autre part, à une émission du 27 octobre 2021 dans laquelle un sondage a été présenté de manière trompeuse. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le CSA, par des délibérations a mis en garde la chaîne contre la répétition de tels manquements. Ainsi, et en tout état de cause, en refusant au motif de ces mises en garde de faire droit à la demande de mise en demeure dont elle était saisie, l'Autorité n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
L’association requérante soutenait également que CNEWS avait méconnu ses obligations en matière de pluralisme de l'information. En effet, l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 et les articles 3-1 et 13 de la même loi disposent que l'Arcom a pour mission de garantir le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l'information. Il lui appartient à cet effet d'apprécier le respect par les éditeurs de service de cette exigence, dans l'exercice de leur liberté éditoriale, en prenant en compte, dans l'ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés.
Or l'association, tout en critiquant les conditions de décompte du temps de parole d’un intervenant de la chaîne au mois de septembre 2021, faisait valoir que la chaîne n'assurait pas une diversité suffisante des points de vue exprimés à l'antenne, notamment à l'occasion des débats sur des questions prêtant à controverse. Or, pour refuser de mettre en demeure l'éditeur de ce service de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme, l'Arcom s'est bornée à apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques, en considérant, comme cela ressort de sa réponse à la demande de mise en demeure ainsi que de ses écritures en défense, que le non-respect allégué de la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés n'était pas susceptible, par lui-même, de constituer un manquement à cette exigence. Or le Conseil d’Etat juge-t-il qu’ « en s'en tenant ainsi à la seule prise en compte du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques pour l'appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l'information, l'Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 ».
L’association requérante soutenait encore que l’ARCOM n’avait pas correctement protégé l'indépendance de l'information. En effet, il résulte des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 citées au point 1 que l'Arcom garantit l'indépendance de l'information en veillant notamment à ce que les conventions avec les éditeurs de services assurent le respect de l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la protection des journalistes et aux chartes déontologiques tandis qu'un comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes est prévu par l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 pour contribuer au respect de ces principes. De plus, l'article 2-3-8 de la convention du service CNEWS signée le 27 novembre 2019 relatif à l'indépendance éditoriale de la rédaction précise que « L'éditeur s'engage à préserver son indépendance éditoriale, notamment à l'égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses éditeurs. / Il garantit que l'information et les programmes qui y concourent qu'il diffuse (...) sont réalisés dans des conditions qui garantissent l'indépendance de l'information, notamment à l'égard des intérêts économiques de ses actionnaires, directs et indirects, et de ses annonceurs. (...) Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut également demander à tout moment à l'éditeur des informations sur le respect de cet article ».
Le Conseil juge qu’ « eu égard à leur nature, les obligations d'un éditeur de service en matière d'indépendance de l'information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l'Arcom non seulement au regard d'un programme donné, mais également au regard de l'ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation »
Or, dans sa demande adressée au CSA, l'association requérante faisait notamment état, de la part du principal actionnaire de la chaîne, d'immixtions dans la programmation de la chaîne contraires aux exigences d'indépendance. Le Conseil juge « qu'en se bornant, pour rejeter la demande qui lui était adressée sur ce point par l'association requérante, à relever qu'elle ne pouvait intervenir que si la matérialité d'un manquement était établie au cours d'une séquence identifiée, l'Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986. 20 ».
Le Conseil prononce donc l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle rejette sa demande de mettre en demeure l'éditeur du service CNEWS de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information et enjoint à l'Arcom de procéder à ce réexamen et de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision rendue.
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Droit des aides d’État
CJUE, 7 février 2024, n° T-146/22 – Pour étudier les effets sur la concurrence d’un cumul d’aides d’État au sein d’un même groupe, étude préalable à l’examen de la nécessité et de la proportionnalité de l’aide, il incombe à la Commission d’examiner (i) les liens capitalistiques, (ii) organiques, (iii) fonctionnels et (iv) économiques entre les sociétés du même groupe, (v) le cadre contractuel de l'aide, (vi) le type de mesure octroyée, ainsi que (vii) le contexte global.
1 – Faits et procédure. En l’espèce, en 2020, la Commission européenne a validé une aide d’Etat néerlandaise accordée à KLM, comprenant une garantie d'État pour un prêt bancaire et un prêt d'État, totalisant 3,4 milliards d'euros. Cette mesure visait à fournir temporairement des liquidités à KLM en raison de la crise liée à la pandémie de Covid-19.
Cependant, en 2021, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission pour défaut de justification quant à la désignation du bénéficiaire de l'aide. Il a également décidé de suspendre les effets de cette annulation jusqu'à l'adoption d'une nouvelle décision par la Commission.
Le 16 juillet 2021, la Commission a émis une nouvelle décision, considérant l’aide d'État compatible avec le marché intérieur et identifiant KLM et ses filiales comme les seuls bénéficiaires, excluant les autres sociétés du groupe Air France-KLM.
2 – Solution. En réponse à un recours de la compagnie aérienne Ryanair, le Tribunal a de nouveau annulé l'approbation de l'aide, arguant d'une erreur de la Commission dans la définition des bénéficiaires, en excluant la holding Air France-KLM et Air France, deux entités faisant partie du groupe Air France-KLM.
Dans son analyse, le Tribunal a examiné les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre les sociétés du groupe Air France-KLM, le cadre contractuel de l'aide, le type de mesure octroyée, ainsi que le contexte global.
Il a conclu que la holding Air France-KLM et Air France pouvaient bénéficier, au moins indirectement, de l'avantage accordé par l'aide d'État en question.
II. Veille législative et réglementaire
Projet de loi de simplification : présentation le 15 février 2024 à Bercy du rapport des cinq parlementaires de la majorité. Plusieurs évolutions envisagées pour la commande publique
Lors de la présentation du rapport des cinq parlementaires de la majorité à Bercy le jeudi 15 février, dans le cadre du projet de loi de simplification, les quatorze propositions formulées par ces parlementaires (Louis Marguerrite, député de Saône-et-Loire ; Alexis Izard, député de l’Essonne ; Philippe Bolo, député du Maine-et-Loire ; Anne-Cécile Violland, député de Haute-Savoie ; Nadège Havet, sénatrice du Finistère) pourront être intégrées au futur texte du futur projet de loi.
Ces propositions viendront s'ajouter aux résultats de la consultation publique qui s'est déroulée du 15 novembre au 29 décembre 2023, ainsi qu'aux demandes émanant des fédérations professionnelles.
Le projet de loi, prévu pour être présenté dans les mois à venir, potentiellement courant mars, devrait inclure des mesures spécifiques à certains secteurs, dont notamment les propositions suivantes :
· Proposition 1 : Mettre fin à des redondances et formalités inutiles identifiées qui relèvent de différents codes (code du travail, code de commerce, code de l’énergie, etc.) tant au niveau législatif que réglementaire.
· Proposition 2 : Lever les derniers verrous pour une véritable application du principe de « dites-le nous une fois pour toutes ». A ce titre, les parlementaires proposent de mettre en place « l’équivalent d’un coffre-fort numérique où seraient accessibles les éléments relatifs aux entreprises détenus par l’administration ».
· Proposition 13 : Astreindre toutes les administrations publiques à une contribution forfaitaire en cas de dépassement du délai de paiement. Les parlementaires soulignent que « le taux des intérêts moratoires en cas de retard de paiement des acheteurs publics doit être réhaussé au moins au niveau de celui en vigueur entre entreprises (passer de 8 points à 10 points au-dessus du taux d’intérêt appliqué par la BCE). Par ailleurs, les délais de paiement devraient courir dès réception de la facture (et non lors de l’enregistrement dans Chorus, ce qui permet de décaler la date de départ de la créance et de masquer de réels retards de paiement) ».
· Proposition 14 : Faciliter drastiquement l’accès à la commande publique pour les TPE et PME. Les parlementiares proposent :
o la centralisation des consultations de l'État, de ses établissements publics, des hôpitaux et des organismes de sécurité sociale sur une plateforme unique (PLACE), favorisant ainsi l'interopérabilité entre différentes plateformes.
o de généraliser le recours au marché public simplifié, permettant aux entreprises de répondre à un marché public avec leur seul numéro SIRET, tout en réduisant la charge administrative.
o la création de supports contractuels novateurs dédiés à l'accès simplifié aux solutions innovantes matures, en dépassant le plafond actuel de 100 000 € pour les achats innovants sans procédure de publicité ni mise en concurrence préalable.
o pour résoudre les divergences en matière de contentieux des marchés publics, le rapport préconise la création d'un bloc de compétences unique en faveur du juge administratif pour l'ensemble des contrats de la commande publique, éliminant ainsi les risques de doubles interprétations et renforçant la sécurité juridique des entreprises.