Veille juridique de la semaine du 29 janvier 2024
I. Droit de la régulation (transports)
II. Droit des contrats administratifs
VEILLE LEGISLATIVE ET REGLEMENTAIRE :
VEILLE JURISPRUDENTIELLE :
I. Droit de la régulation (transports)
- CE, 29 janvier 2024, req. n° 473507 - L'avis conforme de l’ART, requis pour la fixation du tarif des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national est un acte préparatoire qui ne peut qu’être contesté par la SNCF Réseau s’il est défavorable.
1 – Faits. En l’espèce, la société SNCF Réseau, gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, a publié en décembre 2022 sur son site internet le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024, qui comporte des dispositions tarifaires fixant les principes de tarification des redevances d'utilisation de l'infrastructure de ce réseau pour les horaires de service 2024 à 2026, leur barème pour l'horaire de service 2024 et leurs modalités d'évolution pour les horaires de service 2025 et 2026, en application de l’article L. 2111-9 du Code des transports.
L'Autorité de régulation des transports (ci-après « l’ART ») a rendu, en février 2023, conformément à l’article L. 2133-5 du Code des transports, un avis défavorable, d'une part, sur les redevances de marché acquittées par les services conventionnés de six autorités organisatrices de transport « en tant que les volumes prévisionnels de circulations, tels que présentés à l'annexe 5.1.1 du document de référence du réseau (...) ont été arrêtés par SNCF Réseau selon des modalités non transparentes et sans consultation des autorités organisatrices de transport concernées » et, d'autre part, sur la fixation des redevances particulières d'utilisation des infrastructures pour les horaires de service 2024 à 2026, et a prononcé, sous ces réserves et pour le reste, un avis favorable sur les dispositions tarifaires du document de référence.
2 – Procédure. Par sept requêtes, jointes par le Conseil d’État, les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Grand Est ainsi qu'Ile-de-France Mobilités, autorité organisatrice des services de transports publics de personnes dans la région Île-de-France, demandent au Conseil d'État l'annulation de cet avis.
3 – Question de droit. Au fond, ce sont les dispositions tarifaires qui sont contestées par les requérantes. Ainsi, se posait la question de la recevabilité d’un recours intenté contre un tel avis.
4 – Solution. Le Conseil d’État déclare irrecevables les recours. En effet, l'avis conforme de l’ART, requis pour la fixation du tarif des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national, « constitue un élément de la procédured'élaboration des dispositions tarifaires du document de référence de ce réseau établi par SNCF Réseau, gestionnaire de cette infrastructure » (caractères gras ajoutés). Par voie de conséquence, « comme tel, il n'est pas susceptible de faire directement l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sa légalité ne pouvant être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre les dispositions tarifaires sur lesquelles il se prononce. Dans le cas où il est défavorable, un tel avis peut toutefois faire l'objet d'une demande d'annulation de la part du gestionnaire d'infrastructure auquel il s'impose ».
5 – Commentaire. Autrement dit, il s’agit d’un acte préparatoire. Or, un acte préparatoire, et notamment s’il s’agit d’un avis conforme, ne peut faire l’objet d’un recours distinct de celui dirigé contre l’acte qu’il prépare. Sa régularité et son bien-fondé peuvent être contestés, mais seulement à l’appui d’un recours dirigé contre cette décision (C.E. 6 mars 1964, Compagnie l’Union, p. 162 ; C.E. 1er octobre 1971, Sieur R…, p.), à moins soit qu’il n’y ait aucune décision prise à la suite de l’avis (CE, Section, 5 juillet 1957, Secrétaire d’État à la santé publique et à la population c/ A..., p. 452 ; CE, Section, 30 décembre 2003, Mme M..., n° 243943, A ; CE, 29 octobre 2013, V..., n° 346569, A - Rec. p. 259), soit si l’acte préparatoire est défavorable à l’autorité titulaire du pouvoir de décision, qui se trouve tenue par la mesure préparatoire car en situation de compétence liée. La mesure préparatoire lui fait grief (CE, 3 octobre 2016, SNCF Mobilités, n° 389643 et CE, 27 novembre 2020, SNCF Réseau, n° 431748).
Or comme le souligne le Rapporteur public dans ses conclusions, aucune de ces deux exceptions ne s’applique en l’espèce :
- Il y a bien une décision finale susceptible de faire l’objet d’un REP : le document de référence du réseau ferré national établi par SNCF Réseau et faisant l’objet de l’avis conforme de l’ART
- Certes, l’avis conforme est défavorable à la SNCF Réseau, qui aurait pu valablement le contester, mais cette circonstance ne donne pas intérêt à agir aux tiers.
II. Droit des contrats administratifs
- CE, 2 février 2024, req. n° 489820, Suez – (i) Si l’office du juge, selon que l’acheteur est un pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice n’a pas d’effet sur le dispositif et les motifs qui en sont le soutien nécessaire, une ordonnance de référé précontractuel ne doit pas être annulée. (ii) Le fait de tarder à avertir le pouvoir adjudicateur de la fuite de données n’est pas de nature à considérer un comportement comme tendant à obtenir des informations confidentielles susceptibles de donner au soumissionnaire un avantage indu, dès lors que ce dernier a fini par avertir le pouvoir adjudicateur avant la poursuite de la procédure. (iii) Les modalités et le calendrier fixés par le règlement de consultation sont en principe obligatoires, sauf circonstances particulières, si les modifications opérées visent à préserver les principes fondamentaux de la commande publique.
1 – Faits. En l’espèce, par un avis publié en juin 2021 au JOUE, le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France (ci-après le « SEDIF ») a engagé une procédure de mise en concurrence en vue de l’attribution d’un contrat de concession portant sur le renouvellement de la DSP de l’eau potable dont il a la charge pour une durée de 12 ans à compter du 1er janvier 2024 reportée, en cours de procédure, au 1er janvier 2025, selon une procédure restreinte se déroulant en deux phases successives, la première portant sur la sélection des candidats admis à présenter une offre et la seconde sur le choix de l’offre finale d’un soumissionnaire à l’issue de négociations.
En juillet 2021, les sociétés Suez Eau France et Veolia ont été admises à participer à la phase de négociations. Elles ont chacune présenté une offre initiale puis, en novembre 2022, une offre « intermédiaire ».
Par un courrier du 17 avril 2023, le SEDIF a informé la société Suez Eau France qu’à la suite d’un dysfonctionnement informatique, la société Veolia avait eu accès à des données confidentielles concernant son offre et que les négociations en vue de l’attribution de la concession étaient suspendues.
Par une décision du 17 octobre 2023, le SEDIF, estimant que les conditions d’une reprise des négociations n’étaient pas remplies, a mis un terme à celles-ci, indiqué aux soumissionnaires qu’ils ne seraient pas invités à soumettre une offre finale et décidé que le contrat de concession serait attribué au regard des offres intermédiaires remises par les soumissionnaires en novembre 2022 après qu’il aurait été procédé à une mise au point avec chacun d’eux.
2 – Procédure. La société Suez Eau France a demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris d’annuler cette procédure au stade de la décision du 17 octobre 2023 et d’enjoindre au SEDIF de reprendre la procédure de passation en se conformant à ses obligations.
Par une ordonnance du 29 novembre 2023 contre laquelle la société Suez Eau France se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
En effet, la société Suez Eau France repproche au TA :
(i) D’avoir qualifié le Syndicat d’entité adjdudicatrice, alors qu’il s’agissait d’un pouvoir adjudicateur, ce qui est de nature à avoir des incidences sur l’office du juge (cf. articles L. 551-1 à L. 551-4 vs L. 551-5 à L. 551-9 du CJA) ;
(ii) De ne pas avoir considéré que la possibilité pour la société Veolia d’obtenir les données de la société Suez Eau de France, suite au bug informatique consistait une forme d’exclusion facultative, tel que le prévoit l’article L. 3123-8 du Code de la commande publique lorsqu’un soumissionnaire entreprend d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession ;
(iii) De ne pas avoir considéré que la décision du 17 octobre 2023 était illégale en tant qu’elle violait le calendrier des différentes phases de la procédure de passation.
3 – Question de droit. La question qui se posait était donc celle de la légalité de la procédure de passation de la DSP.
4 – Solution. (i) En premier lieu, le CE commence par qualifier le SEDIF de pouvoir adjudicateur, contrairement au TA qui avait considéré le Syndicat comme étant une entité adjudicatrice : « Le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France, établissement public de coopération intercommunale, a, en vertu des dispositions précitées du code de la commande publique, la qualité de pouvoir adjudicateur lorsqu’il confie à un tiers l’exploitation du réseau d’eau dont il a la charge. Les dispositions des articles L. 551-1 à L. 551-4 du code de justice administrative sont donc dans cette hypothèse applicables. Dès lors, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a inexactement qualifié les faits et commis une erreur de droit en estimant que, dans le cadre de la procédure en litige, visant au renouvellement de la délégation du service public de l’eau potable, le SEDIF agissait en qualité d’entité adjudicatrice et en fondant par conséquent son ordonnance, sur les dispositions des articles L. 551-5 à L. 551-9 du code de justice administrative ». En effet cette qualification a des conséquences sur l’office du juge, légalement prévue par le CJA.
Toutefois, faisant preuve d’un grand pragmatisme, le CE va écarter le moyen tiré de la méconnaissance de son office par le juge par deux arguments :
- En premier lieu, n’étaient invoqués devant le juge des référés, par la requérante, que des moyens tirés de la méconnaissance par le SEDIF des dispositions de l’article L. 3123-8 du code de la commande publique relatives à la possibilité offerte à l’autorité concédante d’exclure un candidat ayant entrepris d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui conférer un avantage indu, ainsi que les principes de transparence et d’égalité de traitement entre les candidats, pour lesquels les règles applicables aux entités adjudicatrices et aux pouvoirs adjudicateurs sont identiques.
- En deuxième, si le juge, lorsqu’il est saisi sur le fondement des articles L. 551-5 à L. 551-9 du code de justice administrative, dispose de pouvoirs moins étendus que lorsqu’il est saisi sur le fondement des articles L. 551-1 à L. 551-4 du même code, le juge des référés a, en l’espèce, rejeté les conclusions dont il était saisi.
De ce fait, « l’erreur commise par le juge des référés du tribunal administratif de Paris en se fondant sur les dispositions des articles L. 551-5 à L. 551-9 du code de justice administrative, applicables aux entités adjudicatrices, pour écarter les moyens soulevés devant lui et rejeter la demande de la société Suez Eau France, est demeurée sans incidence sur le dispositif de son ordonnance comme sur les motifs qui en constituent le soutien nécessaire. Le moyen tiré de ce qu’il aurait méconnu son office doit donc être écarté. »
Autrement dit, l’office du juge n’aurait, en tout état de cause, pas eu de conséquence sur la solution du litige au regard des moyens soulevés.
(ii) En deuxième lieu, le CE dans un considérant de principe vient juger que l’exclusion facultative prévue à l’article L. 3123-8 du Code de la commande publique, permettant d’exclure un soumissionnaire qui entreprend d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession « est constituée lorsque l’autorité concédante identifie des éléments précis et circonstanciés indiquant que l’opérateur a effectué des démarches qu’il savait déloyales en vue d’obtenir des informations dont il connaissait le caractère confidentiel et qui étaient susceptibles de lui procurer un avantage indu dans le cadre de la procédure de passation ».
Par ailleurs, le CE rappelle qu’ « aux termes de l’article 10 du règlement de consultation « phase offres » : « En application de l’article L. 3123-15 du code de la commande publique, lorsqu’un opérateur économique est au cours de la procédure de consultation, placé dans l’une des situations prévues aux articles L. 3123-1 à L. 3123-13 du code de la commande publique, il informe sans délai le SEDIF / Le SEDIF prend alors la décision d’exclusion de la procédure. (...) » ».
De sorte, qu’en l’espèce, les juges du Palais royal considèrent que l’appréciation souveraine du TA est exempte de dénaturation car « pour juger que la société Veolia ne pouvait être regardée comme ayant entrepris d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu dans le cadre de la procédure de passation en litige, le juge des référés a relevé que des fichiers concernant l’offre de la société Suez Eau France et identifiables comme tels avaient été mis à la disposition de la société Veolia en raison d’un dysfonctionnement informatique majeur dû à une erreur de programmation de la plateforme utilisée par le pouvoir adjudicateur et que, si cette dernière société les avait téléchargés, en avait pris connaissance et les avait dupliqués et avait tardé plusieurs jours avant d’informer le pouvoir adjudicateur de cet incident, elle l’en avait averti avant la poursuite de la procédure de négociation et le dépôt de son offre finale, de sorte qu’elle devait être regardée comme ayant nécessairement renoncé à tirer parti de ces éléments dans le cadre de la procédure ».
Autrement formulé, le fait de tarder à avertir le pouvoir adjudicateur de la fuite des données n’était pas de nature à considérer le comportement comme tendant à obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu, dès lors que le soumissionnaire a fini par avertir le pouvoir adjudicateur avant la poursuite de la procédure de négociation et le dépôt de son offre finale.
Ce moyen est donc également rejeté.
(iii) En troisième et dernier lieu, le Conseil d’État rappelle que « ni les dispositions des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales ni celles, législatives ou réglementaires, du code de la commande publique, ne font obligation à l’autorité délégante de définir, préalablement à l’engagement de la négociation, les modalités de celle-ci ni de prévoir le calendrier de ses différentes phases. Toutefois, dans le cas où l’autorité délégante prévoit que les offres seront remises selon des modalités et un calendrier fixé par le règlement de consultation qu’elle arrête, le respect du principe de transparence de la procédure exige en principe qu’elle ne puisse remettre en cause les étapes essentielles de la procédure et les conditions de la mise en concurrence. A cet égard, lorsqu’un règlement de consultation prévoit que les candidats doivent, après une phase de négociation, remettre leur offre finale à une date déterminée, cette phase finale constitue une étape essentielle de la procédure de négociation qui ne peut normalement pas être remise en cause au cours de la procédure ».
Néanmoins, le CE considère qu’il en va autrement en cas de circonstances exceptionnelles, telle que celle du cas présent, afin de préserver les principes fondamentaux de la commande publique et notamment le principe d’égalité :
« Il appartient cependant à l’autorité délégante de veiller en toute hypothèse au respect des principes de la commande publique, en particulier à l’égalité entre les candidats. Après avoir relevé que la décision par laquelle le SEDIF a modifié le déroulement de la procédure en renonçant à recueillir les offres finales des soumissionnaires et en décidant de procéder au choix du délégataire non sur la base de celles-ci mais sur celle des offres intermédiaires déposées en novembre 2022 après une mise au point avec chacun des candidats, avait été prise pour remédier à la transmission par erreur à la société Veolia, de documents relatifs à la négociation menée entre le SEDIF et la société Suez Eau France et aux éléments de l’offre intermédiaire de celle-ci, c’est sans dénaturer les faits de l’espèce et sans commettre d’erreur de droit que le juge des référés a pu en déduire que, dans les circonstances très particulières de l’espèce et en l’absence de manœuvre, le SEDIF avait pu légalement décider de procéder ainsi au choix du délégataire »
- TA, 26 janvier 2024, req. n° 2109860 – La cession de parcelles communales afin de réaliser un programme immobilier visant à répondre aux objectifs triennaux de production de logements fixés à la commune, dont la commune n’assurera pas la maîtrise d'ouvrage, n’en deviendra pas propriétaire ou ne lui seront pas mis à sa disposition n’est pas un marché public.
1 – Faits. En l’espèce, est contestée une délibération par laquelle un conseil municipal a décidé la vente à une société d'un terrain et autorisé son maire à signer l'acte notarié nécessaire à l'opération de cession.
2 – Question de droit. Les requérants considèrent que la délibération porte en réalité sur un contrat qui revêt la qualification de contrat de travaux publics ou de concession de travaux publics qui ne pouvait être conclu directement, sans qu'une procédure de publicité et de mise en concurrence idoine ne soit préalablement initiée. En effet, selon elles l'opération consiste, non seulement en une cession d'un immeuble, mais également en la réalisation de logements sociaux par la société cessionnaire. De plus, la commune aurait exercé une influence déterminante sur la nature et la conception du projet. Elles en déduisent que la délibération devait être précédée d'une procédure de publicité et de mise en concurrence « idoine ».
3 – Solution. Le TA rejette la requête :
- Aucune disposition législative ou réglementaire n'impose aux collectivités locales de faire précéder la simple cession d'un immeuble du domaine privé de mesures de publicité et d'organiser une mise en concurrence des acquéreurs éventuels.
- Si certes, sur les parcelles objets de la délibération en litige est prévue la construction d'un programme immobilier visant à répondre aux objectifs triennaux de production de logements fixés à la commune. Cette opération consiste en la réalisation de 63 logements sociaux dont il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune assurera la maîtrise d'ouvrage ni que les logements deviendront sa propriété ou qu'ils seront mis à sa disposition. Elle n'est donc pas destinée à répondre aux besoins de la commune en matière de travaux au sens des dispositions des articles L. 2, L. 1111-1 et L. 1111-2 du code de la commande publique. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que cette opération a pour objet de confier l'exécution de travaux à un opérateur économique, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que cette opération constitue un marché public de travaux ou un contrat de concession de travaux soumis respectivement aux articles L. 1111-2 d'une part et L. 1121-1 et L. 1121-2 d'autre part du code de la commande publique quand bien même la commune aurait exercé une influence sur la nature et la conception du projet.
- Cour administrative d'appel de Lyon, 18 janvier 2024, req. n° 22LY01507 – La conclusion d’un protocole transactionnel n’empêche pas de résilier unilatéralement un marché public.
1 – Faits. En l’espèce, un OPH a confié à une société la réalisation de divers diagnostics techniques, par un marché à bons de commande composé de deux lots.
Par suite, son exécution a donné lieu à la signature d'un protocole transactionnel en raison des retards affectant la remise de certains diagnostics relatifs à l'amiante, arrêtant les pénalités pour une période donnée du marché.
Néanmoins, par courrier, l'OPH a résilié à date future le marché du premier lot aux torts exclusifs du titulaire, en raison de retards dans la remise de diagnostics de performance énergétique. En application du protocole transactionnel, l’OPH a exigé le versement des pénalités de retard, ce qu’a refusé de faire la société, jugeant que l'équilibre des concessions réciproques consenties dans ce protocole a été rompu par l'intervention de la résiliation du marché décidée entre temps.
2 – Procédure. Saisi par l'OPH, le tribunal administratif de Dijon a, par un premier jugement, condamné la société à lui verser la somme de 203 097 euros au titre des pénalités de retard contractuellement dues pour une première période de 2016 à 2017 et a rejeté la demande reconventionnelle tendant à l'indemnisation du manque à gagner résultant de la résiliation du marché.
3 – Questions de droit. La société relève appel de ce jugement et considère que
- l'OPH Domanys a fait preuve de déloyauté dans l'exécution du marché, en s'abstenant de préciser son volume d'activité, en le modifiant à l'occasion du protocole d'accord transactionnel et en le résiliant avant le terme de ce protocole ; cette déloyauté justifiant qu'aucune pénalité de retard ne lui soit appliquée ;
- ni le principe, ni le montant des pénalités demandées ne sont justifiés.
4 – Solution. La CAA commence en citant l'article 14 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG FCS), rendu applicable en l’espèce au marché par l'article 4.2 de son cahier des clauses particulières (CCP), stipule que : « Les pénalités pour retard commencent à courir, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une mise en demeure, le lendemain du jour où le délai contractuel d'exécution des prestations est expiré (...) ».
De plus, elle rappelle qu’aux termes de l'article 11.4 de ce CCP : « Par dérogation au CCAG FCS, le titulaire n'est pas exonéré des pénalités, quand bien même le montant total ne dépasse pas 300 euros H.T., pour l'ensemble du marché. Le dépassement des délais de remise des diagnostics fixés à l'Article 5.2 du présent CCP entraîne l'application des pénalités suivantes : 10 euros par jour calendaire de retard par logement et par diagnostic (...) Les pénalités résultent des simples constatations ci-dessus, sans qu'il soit besoin de procéder d'une mise en demeure préalable. Elles peuvent se cumulent et ne sont pas plafonnées ».
Puis, par un considérant de principe elle énonce que « les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi ».
Appliquant ces règles au litige, la CAA considère que :
- Les circonstances que l'OPH ait précisé tardivement son volume de prestations commandées, et qu'elle ait finalement prononcé la résiliation unilatérale du marché pour méconnaissance des obligations du marché et du protocole transactionnel, constituent non une pratique déloyale mais la mise en œuvre des sanctions du contrat dont la requérante a accepté l'application en contractant. De ce fait, la CAA juge que la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir du principe de loyauté des relations contractuelles pour contester l'application de toute pénalité de retard.
- Concernant les pénalités de retard relatives à la période encadrée dans le protocole d'accord stipulant, en son article premier, que « la société reconnaît et accepte l'application de pénalités évaluées à 66 330 euros à fin juillet 2015 suite aux retards dans la remise des diagnostics amiante effectués dans le cadre du lot 1 (...) ». En vertu de son article 2, cette dernière s'engageait notamment à verser à son cocontractant la somme de 28 190 euros « au plus tard, un mois après la signature du présent protocole ». Son article 8 prévoyait toutefois qu’« à défaut pour la société de régler les sommes dues dans les conditions visées à l'article 2 et un mois après une mise en demeure demeurée infructueuse, l'intégralité des sommes restant dues au titre des pénalités de retard visée à l'article 1 deviendra exigible, sans préjudice des intérêts qui courront jusqu'à parfait règlement (...) ». Il est constant qu'en dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée, la société n'a pas procédé à ce versement. Si, pour justifier cette inexécution, elle soutient que l'équilibre des concessions réciproques consenties dans ce protocole a été rompu par l'intervention de la résiliation du marché décidée entre temps, ce protocole ne comportait aucun engagement de l'OPH à poursuivre les relations contractuelles. En outre, il résulte de l'instruction que, par courrier, elle avait été mise en demeure de produire certains diagnostics attendus, sous peine de résiliation du marché. Ainsi, au jour de la signature de ce protocole, elle ne pouvait ignorer le risque d'intervention d'une telle résiliation. Ainsi, ce protocole, constitué de concessions réciproques et librement consenti, liait les parties, et notamment la société. Par suite, et ainsi que l'ont retenu les premiers juges, les pénalités dues au titre de la période du 6 août 2014 au 31 juillet 2015 s'élèvent, en application de ce protocole et après déduction de la facture de 5 508,80 euros évoquée dans le courrier du 16 mars 2017, à 60 822 euros.
Ainsi, malgré le protocole transactionnel, l’acheteur pouvait valablement résilier le marché quelque temps après.
VEILLE LEGISLATIVE ET REGLEMENTAIRE :
- Projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire - De nouvelles dérogations aux règles de la commande publique pour le nucléaire français ?
Mercredi, au Sénat lors de l'examen en commission du projet de loi visant à réformer la gouvernance de la sûreté nucléaire en fusionnant l'ASN avec l'IRSN, le sénateur LR Patrick Chaize, rapporteur du texte, a introduit plusieurs amendements. Ces amendements proposent d’introduire des dérogations aux règles de la commande publique pour les exploitants nucléaires.
Les modifications concernent notamment :
- l'assouplissement des obligations de publicité lors des appels d'offres,
- la dérogation aux contraintes lors d'allotissements de contrats,
- l'extension de la durée des contrats par rapport aux normes en vigueur,
- et l'augmentation de la valeur des avenants au-delà de la limite de 10 % imposée par le Code de la commande publique.
Patrick Chaize a en effet mis en exergue le fait que le Code de la commande publique n'est pas adapté aux programmes industriels à très long terme tels que la construction de réacteurs nucléaires, où la limitation des contrats soumis à appel d'offres à huit ans peut entraver le succès du redémarrage du nucléaire.
Les dérogations approuvées au Sénat ne se limitent pas aux projets de construction de nouvelles centrales. Le but est de faciliter le travail du CEA, d'EDF, et de l'Andra, en charge du projet de construction d'un centre de stockage souterrain, sans pour autant donner une approbation inconditionnelle à l'ensemble du secteur.
Bien que la mise en concurrence pour tous ces marchés soit maintenue, si les amendements du sénateur sont validés en séance et à l'Assemblée nationale, l'utilisation de ces dérogations devra faire l'objet d'un rapport présenté au Parlement et au gouvernement.
- Proposition de loi n°1958 visant l’ouverture avancée des données judiciaires – Bientôt les conclusions des Rapporteurs publics en accès libre ?
La Proposition de loi n°1958 visant l’ouverture avancée des données judiciaires déposée à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023 vise à rendre publiques les conclusions des rapporteurs publics.
Selon son évolution au Parlement, cela serait un pas de plus vers l’open data dans la justice administrative.
Article 1er
L’article L. 7 du code de justice administrative est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Sous réserve des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les conclusions du rapporteur public sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique dans les mêmes conditions que les jugements. »