Soc. 7 mars 2012, n° 10-21.744
« Attendu [...] qu' est considéré comme travailleur de nuit, tout travailleur qui accomplit, au cours d'une période de référence, un nombre minimal d'heures de travail de nuit fixée, en l'absence de dispositions conventionnelles, à 270 heures de travail pendant une période de 12 mois consécutifs ; il en résulte que sont réputées accomplies, au sens de ces textes, toutes les heures comprises dans l'horaire de travail habituel du salarié [...]
Attendu que pour débouter le syndicat de sa demande, l'arrêt retient que toutes les heures de nuit portées sur les bulletins de paie de janvier à décembre 2003 ne sont pas des heures effectivement travaillées en raison des congés, des jours de formation, des jours fériés, de la participation aux réunions du comité d'entreprise, des crédits d'heures, qu'il est ainsi établi que certaines heures de nuit portées sur les bulletins de paix ne correspondent pas à des heures effectivement travaillées, notamment lorsque les salariés sont en congé ou en formation, que les bulletins de paye qui mentionnent « heures de nuit habituelles » n'attestent pas des heures de nuit effectivement réalisées...
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de prendre en compte, non pas le total des heures effectivement réalisé la nuit, mais l'horaire habituel du salarié, la cour d'appel a violé les textes susvisés... ».
L'horaire de travail est en principe un horaire de jour, mais il peut comporter un travail de nuit lorsque les caractéristiques particulières de l'activité de l'entreprise le justifient. Depuis la loi du 9 mai 2001, relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, le travail de nuit est autorisé, tant pour les hommes que pour les femmes, l'employeur ne devant y recourir que de manière exceptionnelle lorsqu'il y a nécessité d'assurer la continuité de l'activité ou du service exercé.
Une étude réalisée par la DARES en février 2011 a établi que de plus en plus de salariés étaient des travailleurs de nuit (3,5 millions de travailleurs en 2009, dont près de la moitié accomplissant un travail de nuit de manière habituelle) et que le nombre des femmes travaillant la nuit a doublé depuis 1991, les femmes représentant aujourd'hui près de 30 % des travailleurs de nuit. Par ailleurs, les travailleurs de nuit semblent soumis à des conditions de travail nettement plus difficiles que les autres salariés. C'est pourquoi l'idée générale de la réglementation applicable au travail de nuit issue de la loi de 2001 précitée est de conférer à ces travailleurs une protection renforcée. La durée du travail de nuit ne peut pas dépasser 8 heures par jour (art. L. 3121-34) et 40 heures par semaine calculées sur une période de 12 semaines consécutives (art. L. 3122-35). Les travailleurs de nuit doivent bénéficier de contreparties : repos compensateur ou majorations de salaire (art. L. 3122-39) ; ils disposent d'une priorité pour le passage sur un poste de jour et bénéficient aussi d'une surveillance médicale particulière et d'une protection contre un licenciement pour inaptitude au travail de nuit (art. L. 3122-45).
Pour bénéficier de ces garanties légales, le travailleur doit, bien entendu, entrer dans la définition du travail de nuit donnée par l'article L. 3132-31 du Code du travail, à savoir : - soit accomplir au moins 2 fois par semaine, selon son horaire de travail habituel, au moins 3 heures de son temps de travail quotidien en période de nuit, c'est-à-dire entre 21 h et 6 h, - soit accomplir, au cours d'une période de référence, un nombre minimal d'heures de travail de nuit fixé en principe par accord collectif. À défaut d'accord collectif, le salarié doit avoir accompli au minimum 270 heures de travail de nuit pendant douze mois consécutifs.
Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, une société avait conclu un accord d'entreprise sur l'encadrement du travail de nuit prévoyant, conformément aux dispositions légales, des contreparties en repos et des mesures protectrices. L'accord réservait le bénéfice de ces mesures à « tout travailleur accomplissant au moins deux fois par semaine, selon son horaire habituel, au moins 3 heures de son temps de travail effectif quotidien durant la période comprise entre 21 h et 6 h ... ou accomplissant, sur une année civile, au moins 270 heures de travail effectif durant cette même période de nuit ». La particularité de cette définition conventionnelle, par rapport à la définition du Code du travail, est qu'elle recourait à la notion de travail effectif. C'est sans doute par référence à cette notion que l'employeur avait estimé que les mesures conventionnelles ne devaient s'appliquer qu'aux salariés ayant effectivement accompli 270 heures de travail de nuit. En conséquence, il déduisait du nombre d'heures mentionné comme heures de nuit sur le bulletin de paie (et rémunéré en tant que telles) celles correspondant à des périodes non réellement travaillées la nuit, en raison de congés, de jours de formation, de jours fériés ou d'utilisation de temps de délégation. Ces déductions étaient possibles grâce au recours à un logiciel de gestion du temps de travail permettant la comptabilisation des heures effectivement réalisées la nuit.
Estimant que l'entreprise ne respectait pas l'accord en procédant à ce type de calcul, le syndicat CFDT avait saisi le tribunal de grande instance aux fins de voir juger que le statut de travailleur de nuit devait s'appliquer à tous les salariés en poste totalisant au moins 270 heures de nuit sur leurs bulletins de paie par année civile. Mais, la cour d'appel débouta le syndicat au motif que toutes les heures de nuit portées comme telles sur les bulletins de paie n'étaient pas des heures effectivement travaillées et que l'employeur était donc en droit de ne pas retenir, pour la détermination des salariés bénéficiaires des mesures conventionnelles, les heures ne correspondant pas à du travail effectif.
La Cour de cassation censure cette solution et affirme qu'au contraire, il appartient à l'employeur de prendre en compte, non pas le total des heures effectivement réalisées la nuit, mais l'horaire habituel du salarié. Doivent donc être réputé accomplies, pour la définition du travail de nuit, toutes les heures comprises dans l'horaire de travail habituel du salarié. Ainsi, la qualification de travail de nuit dépend uniquement de l'horaire théorique du salarié, elle est indépendante des heures réellement accomplies. La Cour de cassation adopte donc une définition extensive du travail de nuit permettant de faire bénéficier du statut protecteur un maximum de salariés effectuant des heures de nuit.
La position de la Cour de cassation mérite approbation car celle de la cour d'appel présentait un inconvénient majeur : celui de faire varier le statut du travailleur d'une année sur l'autre. En effet, en fonction du nombre de ses absences durant une année donnée, un salarié pouvait être considéré comme travailleur de nuit une année et pas l'année suivante, solution peu logique et surtout source de complexité pour les services de comptabilité des entreprises.