Le droit OHADA des entreprises en difficulté vient de connaitre une reforme. A l’acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif signé le 10 avril 1998 à Libreville, succède un nouvel acte uniforme dans la même matière adopté le 10 septembre 2015 à grand-Bassam en Côte-d’Ivoire. La reforme a pour principaux objectifs : De prévenir plus efficacement les difficultés des entreprises à travers l’institution de la conciliation, d’organiser la fonction de mandataire judiciaire, de simplifier les procédures collectives pour les adapter aux contextes économiques et d’établir un nouveau régime d’insolvabilité transfrontalière basé sur la loi-type de la CNUCID.
Dans le cadre de cette étude, nous nous intéresserons aux nouvelles procédures de L’AUPCAP et sur la règlementation applicable aux mandataires judiciaires.
- LES NOUVELLES PROCEDURES DE L’AUPCAP
Le nouvel acte uniforme institue des nouvelles procédures collectives : la procédure de conciliation et les procédures simplifiées
- La procédure de conciliation
L’acte uniforme précise ses conditions d’ouverture, son déroulement et son dénouement.
- Conditions d’ouverture de la procédure de conciliation
Le nouvel article 5 de l’AUPCAP soumet l’ouverture de la procédure de conciliation à deux types de condition : les conditions de fond et les conditions de forme
- Au fond
La procédure de conciliation a le même champ d’application in persona que le règlement préventif, le redressement judiciaire et la liquidation des biens.
Jusqu’à la reforme, la position du droit OHADA était simple : seules les personnes physiques commerçantes pouvaient faire l’objet d’une procédure collective. La règle s’est avérée peu satisfaisante. En effet, les personnes physiques s’investissent de plus en plus dans les domaines autres que le commerce tel que l’immobilier et la construction. Ces domaines civils jouent un rôle économique important, faisant appel à de nombreux partenaires concluant des marchés considérables. En cas de cessation des paiements, la situation des créanciers est catastrophique compte tenu de l’inorganisation de la déconfiture. C’est sans doute en considération de ses désagréments que le nouvel acte uniforme soumet aux procédures collectives toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, civile, commerciale, artisanale et agricole. C’est dire que désormais, même les membres de la profession libérale n’échapperont plus aux procédures collectives. Le critère ne tient plus à la commercialité du débiteur, il faut et il suffit qu’il exerce de manière indépendante une activité professionnelle.
De même, pour ce qui est des personnes morales, la procédure s’applique à toute personne morale de droit privé et à toute entreprise publique ayant la forme d’une personne morale de droit privé.
Notons par ailleurs que le nouvel acte uniforme tient lieu de droit commun des procédures collectives en ceci qu’il est applicable aux entreprises dont l’activité est soumise à un régime particulier lorsqu’il n’en est pas disposé autrement dans la règlementation spécifique régissant ladite activité. Sont visés ici les établissements de crédit au sens de la loi bancaire, les établissements de micro finance et les acteurs des marchés financiers ainsi que les sociétés d’assurance et de réassurance des Etats parties au traité de l’OHADA.
S’agissant de la situation financière du débiteur, la conciliation intéresse les entreprises qui connaissent des difficultés avérées ou prévisibles, mais qui ne sont pas encore en état de cessation des paiements. Cette condition marque la différence entre la conciliation et le règlement préventif. Ce dernier est ouvert lorsque l’entreprise sans être en état de cessation des paiements connait des difficultés sérieuses. Par contre il suffit pour la conciliation que la difficulté de l’entreprise soit même tout simplement prévisible.
- Sur sa forme, la conciliation est une procédure judiciaire qui obéit à certaines règles relatives à la compétence du juge, à la saisie du tribunal et au jugement d’ouverture.
Compétence du juge : la procédure de conciliation relève de la compétence du président de la juridiction compétente en matière de procédure collective. Il appartient à chaque Etat partie, le cas échéant de designer cette dernière (article 3 AUPCAP). La juridiction territorialement compétent est celle dans le ressort de laquelle le débiteur personne physique a son principal établissement, ou la personne morale son siège social. Dans le cas où le principal établissement ou le siège social est à l’étranger, c’est la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le principal centre d’exploitation du débiteur personne physique ou personne morale sur le territoire national qui est compétent.
Le mode de saisine : l’acte uniforme retient que le président de la juridiction compétente doit être saisi par une requête du débiteur ou par une requête conjointe de ce dernier avec un ou plusieurs de ses créanciers. C’est dire que les créanciers seuls ne peuvent être à l’origine d’une procédure de conciliation.
Les règles relatives au jugement d’ouverture : la procédure de conciliation est ouverte par le président de la juridiction compétente statuant à huis clos pour une durée n’excédant pas trois mois. Cette durée peut être prorogée d’un mois par décision spécialement motivée du président de la juridiction compétente à la demande du débiteur après avis écrit du conciliateur.
La conciliation prend fin à l’expiration de ces délais et une nouvelle procédure de même nature ne peut plus être ouverte avant écoulement d’un délai de trois mois.
La décision ouvrant ou rejetant la conciliation ne peut faire l’objet d’aucune publicité (article 5-3 AUPCAP).
La décision d’ouverture de la conciliation ne suspend pas les poursuites individuelles. Mais, cette mesure peut être prise à l’encontre d’un créancier dont les actions sont susceptibles de paralyser la mission du conciliateur.
La décision de la juridiction compétente nomme un conciliateur au statut clairement défini. Celui-ci doit avoir le plein exercice de ses droits civils, justifier de ses compétences professionnelles et demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties concernées par la conciliation. A cet effet, il ne doit pas avoir perçu à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, une rémunération ou un paiement de la part du débiteur intéressé, de tout créancier du débiteur ou d’une personne qui en détient le contrôle, ou est contrôlée par lui au cours des 24 mois précédent la décision d’ouverture. Aucun parent ou allié du débiteur jusqu’au quatrième degré inclusivement ne peut être désigné en qualité de conciliateur. Il en va de même pour tout magistrat en fonction ou ayant quitté ses fonction depuis moins de cinq ans.
La rémunération du conciliateur est à la charge du débiteur et fait l’objet d’une ordonnance de taxe. Ses modalités sont déterminées par le président de la juridiction compétente avec l’accord du débiteur au jour de l’ouverture de la conciliation.
- Déroulement et dénouement de la conciliation
Le conciliateur a pour mission d’aider le débiteur à parvenir à un accord amiable avec ses créanciers et ses cocontractants. Il rend compte régulièrement au président de la juridiction compétente. En cas de survenance de la cessation des paiements, il doit en informer le président de la juridiction compétente afin qu’il prenne les mesures qui s’imposent.
L’accord signé entre le débiteur et ses créanciers ne fait l’objet d’aucune publicité. Il reste confidentiel entre les parties signataires. En outre la décision l’homologuant n’est pas susceptible de recours. Cependant lorsque l’accord contient ce que l’on peut appeler « le privilège de l’argent frais » la décision l’homologuant est publiée dans les conditions de l’article 36 et 37 AUPCAP, et, l’opposition et l’appel sont admis dans un délai de 15 jours. « Le privilège de l’argent frais » est le privilège accordé aux personnes qui ont consenti ou fourni, dans l’accord de conciliation, dans le concordat préventif ou judiciaire, un nouvel apport en trésorerie ou un nouveau bien ou service au débiteur en vu d’assurer la poursuite de l’activité de l’entreprise débitrice et sa pérennité. Il prend effet en cas de transformation des autres procédures en procédure de liquidation des biens.
Sur les créanciers signataires, l’accord a pour effet d’interdire ou d’interrompre toute poursuite individuelle dans le but d’obtenir les paiements des créances qui en font l’objet.
Les créanciers peuvent demander la résolution de l’accord en cas de non respect.
L’ouverture d’une procédure de règlement préventif, de redressement judiciaire ou de liquidation des biens met fin de plein droit à la conciliation et le cas échéant à l’accord. Il en est de même en cas d’ouverture d’une procédure simplifiée.
- Les procédures simplifiées
Les procédures collectives simplifiées de règlement préventif de redressement judiciaire et de liquidation des biens s’appliquent aux petites entreprises telles que définies à l’article 1-3 de l’AUPCAP « la petite entreprise est toute entreprise individuelle, société ou d’autres personnes morales de droit privé dont le nombre de travailleurs est inférieur ou égale à vingt (20), et dont le chiffre d’affaires n’excède pas cinquante millions (50 000 000)de francs CFA hors taxe au cours des douze (12) mois précédant la saisine de la juridiction compétente ». Ces entreprises sont donc soumissent aux procédures collectives sous réserve de certaines règles spéciales.
Le débiteur qui souhaite bénéficier d’une procédure simplifiée, doit soumettre une requête ou une déclaration dans les mêmes conditions que celles du règlement préventif prévue à l’article 6, ou du redressement judiciaire et de la liquidation des biens de l’article 25 et 26 de l’AUPCAP, en tenant compte des dérogations accordées aux petites entreprises. Ainsi par exemple : au lieu des états financiers de synthèse, le débiteur répondant à la définition de petite entreprise doit produire tout document de nature à établir sa situation financière et économique. Conjointement à sa requête ou à sa déclaration, le débiteur doit produire une déclaration sur l’honneur l’attestant.
La procédure simplifiée peut être ouverte même si aucun projet de concordat n’a été fourni. Dans ce cas, il est établi par le débiteur avec le concours de l’expert s’il s’agit du concordat préventif ou du syndic dans les 45 jours qui suivent la déclaration pour ce qui est du concordat de redressement judiciaire.
Les procédures simplifiées se caractérisent par ailleurs par la réduction des délais de procédure. Dans le règlement préventif simplifiée par exemple, le délai de suspension des poursuites individuelle est de deux mois au lieu de trois ; en redressement judiciaire simplifié, il n’y a pas d’assemblée concordataire. Le projet de concordat doit être notifié aux créanciers concernés 15 jours avant l’audience prévue pour son homologation. Quant à la liquidation des biens simplifiée, la procédure est enfermée dans un délai précis qui est de 120 jours au bout duquel elle doit être clôturée.
- LA REGLEMENTATION APPLICABLE AUX MANDATAIRES JUDICIAIRES.
L’une des grandes innovations du nouvel acte uniforme porte sur la règlementation des mandataires judiciaires à qui le législateur OHADA a consacré le tout premier titre. Sont mandataires judiciaires au sens de l’AUPCAP les experts en règlement préventif et les syndics de redressement judiciaire et de liquidation des biens. L’acte uniforme détermine les conditions d’accès et d’exercice de la fonction de mandataire judiciaire, leurs obligations et responsabilité sans oublier le fameux problème de rémunération.
- Les conditions d’accès et d’exercice de la fonction de mandataire judiciaire.
- Les conditions d’accès à la fonction de mandataire judiciaire.
L’accès à la fonction de mandataire judiciaire est subordonné à plus d’une condition : les unes relatives à la qualité professionnelle du candidat et les autres à sa moralité, celui-ci devant être inscrit sur la liste nationale des mandataires judiciaires.
- S’agissant de la qualité professionnelle du mandataire judiciaire. Sans être exhaustif, le législateur OHADA vise premièrement les experts comptables, ensuite les avocats, les comptables agréés et les commissaires aux comptes. Le législateur national des pays membre est habilité à compléter cette liste.
- Sur sa moralité, le candidat à la fonction de mandataire judiciaire doit présenter les garanties de moralité jugées suffisantes par l’autorité ou la juridiction compétente de l’Etat partie. A cet effet, il doit avoir le plein exercice de ses droits civiques et civils, ne doit pas avoir fait l’objet d’une condamnation à une peine privative de liberté pour crime de droit commun, délit contre les biens ou pour une infraction en matière économique ou financière qui est incompatible avec l’exercice de la fonction de mandataire judiciaire. Le candidat doit être en règle avec l’administration fiscale.
Lorsque les conditions ci-dessus sont remplies, le candidat doit s’inscrire sur la liste nationale des mandataires judiciaires. Il revient à chaque Etat partie de définir les modalités d’inscription sur la liste. Cette dernière doit être publiée au journal officiel de chaque Etat partie et au journal officiel de l’OHADA. Elle doit être communiquée sans délai aux juridictions de l’Etat partie concerné. Une fois inscrite, le mandataire judiciaire doit exercer sur le respect de certaines conditions
- Les conditions d’exercice de la fonction de mandataire judiciaire.
Le mandataire désigné doit présenter toutes les garanties d’indépendance, d’impartialité et de neutralité dans toutes les procédures. A cet effet, ne peut être désigné comme mandataire judiciaire dans une procédure, les parents ou alliés du débiteur jusqu’au quatrième degré inclusivement, toute personne physique en relation d’affaires, de subordination ou même de conflit avec le débiteur ou ses créanciers.
Toute personne visée par une nomination éventuelle ou avérée doit soulever toutes les causes susceptibles d’empêcher une telle nomination. Avant d’entrer en fonction tout mandataire judiciaire doit signer une déclaration d’indépendance, d’impartialité et de neutralité. Il doit prêter serment devant le président de la juridiction désignée à cet effet.
- Contrôle, responsabilités et rémunération du mandataire judiciaire.
- Contrôle et responsabilité du mandataire judiciaire
Chaque Etat partie a le devoir de mettre sur pied les moyens de contrôle des mandataires judiciaires dans l’exercice de leurs fonctions. Le contrôle porte sur la comptabilité du mandataire qu’il tient pour chaque procédure dans laquelle il intervient, et sur tout document détenu par lui sans qu’il puisse opposer le secret professionnel. Il peut être le fait générateur de sa responsabilité
La responsabilité du mandataire judiciaire peut être disciplinaire, civile et même pénale. S’agissant de la responsabilité disciplinaire, les mesures telles que l’avertissement, le blâme, la suspension et même la radiation sur la liste peuvent être prise contre le mandataire. L’action disciplinaire se prescrit par trois mois à compter de la découverte des faits. Par ailleurs, le mandataire judiciaire engage sa responsabilité civile vis-à-vis du débiteur, de la masse des créanciers, d’un créancier pris individuellement pour un préjudice qui lui est propre, ou d’un tiers. Il est solidairement responsable des fautes commises par le tiers qu’il sollicite dans l’exercice de sa mission. L’action en responsabilité civile se prescrit par trois ans à compter de la clôture de la procédure ou de la fin de l’exécution du concordat.
Tout mandataire judiciaire doit souscrire une assurance destinée à garantir la réparation des préjudices causés dans l’exercice de ses fonctions.
- La rémunération des mandataires judiciaires.
Le patrimoine du débiteur supporte la rémunération du mandataire judiciaire tel que déterminée par la juridiction compétente sur la base d’un barème que doit fixer la règlementation de chaque Etat partie.
Pour le règlement préventif, ce barème tient compte du temps passé et des difficultés éventuellement rencontrées, du nombre de créanciers concernés par la procédure.
Dans le redressement judiciaire et la liquidation des biens, le barème tient compte du chiffre d’affaires réalisé par le débiteur au cours de l’exercice précédant l’ouverture de la procédure, du nombre de travailleurs employés par le débiteur au cours de cette même période, du ratios de recouvrement des créances, du temps passé et des difficultés rencontrées , de la célérité des diligences accomplies. La liste n’est pas exhaustive, chaque Etat partie pouvant pourvoir à d’autres éléments du barème.
Une provision de 40% du montant prévisionnelle de la rémunération peut être accordée au mandataire judiciaire dès sa désignation ou ultérieurement, le reliquat ne pouvant être versé qu’à compter de la remise du compte rendu, de l’homologation du concordat judiciaire ou de la clôture de la procédure de liquidation des biens. Dans ce dernier cas, le montant total de la rémunération ne peut excéder 20% du montant total résultant de la réalisation de l’actif du débiteur y inclus la rémunération des personnes missionnées par le syndic sauf disposition contraire de la juridiction compétente. La rémunération des mandataires judiciaires peut être forfaitaire en cas de procédure simplifiée.
La décision déterminant la rémuneration d’un mandataire est susceptible d’appel.
La reforme du droit OHADA des procédures collectives apporte des solutions à plusieurs interrogations sur cette matière ; mais laisse aussi bien d’autres en suspend. C’est le cas de la question de la triple identité du syndic susceptible d’engendrer un conflit de fonction. C’est aussi le cas du service d’enquête commercial dont l’institution pourrait permettre une information rapide et l’accélération de l’ouverture de la procédure collective.