- 1. Le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes
Le Code du travail protège les libertés individuelles des salariés (C. trav. art. L.1121-1).
De plus, L.1132-1 du Code du travail interdit toute discrimination en raison du sexe.
Cependant, le principe de non-discrimination ne fait pas nécessaire obstacle aux différences de traitement « lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée » (C. trav. art. L.1133-1).
Il résulte de ces textes que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.
Il doit s’agir d’une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle du salarié ; la notion d’exigence professionnelle véritable et déterminante ne saurait couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15).
Ainsi, le licenciement disciplinaire d’un chef de rang au motif qu’il a refusé d’ôter ses boucles d’oreilles lors du service repose sur une discrimination en raison du sexe, l’employeur faisant simplement référence au sexe du salarié et à son contact avec la clientèle, sans justifier d’un élément objectif pour fonder sa décision (Cass. soc., 11 janvier 2012, n°10-28.213).
- L’interdiction faite au personnel navigant commercial masculin de porter une coiffure pourtant autorisée pour le personnel féminin constitue-elle une discrimination fondée sur le sexe ?
En l’espèce un salarié de la compagnie aérienne (Air France) appartenant au personnel navigant commercial décide en 2005 de se présenter au travail coiffé de longues tresses nouées en chignon. L’employeur lui interdit l’accès à son poste de travail, estimant que la coiffure du salarié est contraire au manuel des règles de port de l’uniforme.
En l’occurrence, le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin prévoit que « les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et/ou coloration apparente non autorisée. La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l’oreille. Accessoires divers : non autorisés ».
Or, l’employeur autorisait le port de tresses nouées en chignon pour le personnel navigant commercial féminin (« Les tresses africaines sont autorisées à condition d’être retenues en chignon »).
Dès lors, la compagnie aérienne opérait une distinction en raison du sexe des salariés.
Confronté à cette interdiction, le salarié décide de porter une perruque par-dessus ses tresses pour être autorisé à l’embarquement.
En 2012 il saisit le Conseil de prud’hommes, considérant être victime de discrimination et, peu de temps après cette saisine, l’employeur lui notifie une mise à pied disciplinaire pour présentation non-conforme aux règles de port de l’uniforme.
Le 16 février 2016, le salarié est déclaré inapte à exercer ses fonctions, en raison d’un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie. Après avoir bénéficié d’un congé de reconversion professionnelle et ne souhaitant pas faire l’objet d’un reclassement au sol, il est licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.
En première instance, le Conseil de prud’hommes rejette la demande du salarié. Le jugement est confirmé par la Cour d’appel qui considère que l’employeur pouvait valablement imposer un code capillaire distinct aux hommes et aux femmes, dès lors que « cette différence d’apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination ». L’arrêt mentionne également que la présentation physique du personnel navigant commercial fait partie intégrante de l’image de marque de la compagnie aérienne, ce qui justifiait selon la cour, les restrictions imposées aux salariés.
La Cour de cassation a examiné si les deux arguments avancés par l’employeur et repris par la Cour d’appel étaient justifiés :
- Le Code social de l’entreprise
La Cour de cassation écarte l’argument du Code social de l’entreprise car il ne s’agit que de la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, qui ne constitue pas une exigence professionnelle et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes.
- L'image de marque de l’entreprise
La Cour de cassation se base sur les travaux européens pour dire que l’employeur n’établit pas de risque d’atteinte à l’image de marque de l’entreprise.
La Cour constate qu’il existe une différence de traitement entre les personnels navigants féminin et masculin et considère que l’interdiction qui est faite au salarié masculin de porter des tresses nouées en chignon, coiffure pourtant autorisée pour le personnel navigant féminin, caractérise une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe.
Elle considère en effet que les exigences liées à l’exercice de la profession de personnel navigant commercial ne justifient pas l’interdiction faite aux salariés d’arborer une coiffure pourtant autorisée aux salariées.
Par cet arrêt, la Cour de cassation fait preuve de créativité et renforce la protection des libertés individuelles des salariés contre des pratiques d’entreprises trop intrusives, en particulier quand elles sont fondées sur des stéréotypes de genre.
Elle vient donc répondre à une problématique contemporaine et affirme aux salariés son attachement à la liberté d’expression des identités personnelles et de la lutte contre les discriminations.
(Cass. soc., 23 novembre 2022, n°21-14.060)