- Les opportunités liées à l’adoption de la blockchain
La blockchain est à la fois une technologie de stockage et d’authentification (A), et une technologie de représentation et de transmission d’informations (B).
- La blockchain, une technologie de stockage et d’authentification d’informations
Dans une blockchain publique, où la base de données est accessible à tous, il n’y a aucune centralisation des données ou organisme qui contrôle l’inscription des données.
Les noeuds de stockage sont des serveurs administrés par des « mineurs », à savoir des acteurs qui mettent à disposition de la puissance de calcul pour assurer notamment l’opération de calcul de l’algorithme et répliquer et conserver les enregistrements dits infalsifiables, pour permettre l’inscription d’une nouvelle donnée sur la blockchain.
En 2016, un amendement à la loi sur la transparence de la vie publique envisageait à ce titre que « les opérations effectuées au sein d’un système organisé selon un registre décentralisé permanent et infalsifiable de chaine de blocs de transactions » pouvaient constituer des « actes authentiques ».
Le caractère infalsifiable rappelle en outre les mécanismes d’intégrité présents en matière d’écrit électronique et signature associé et la question qui se pose en matière d’archivage électronique, à défaut de texte général encadrant ce dernier point.
Ainsi, l’article 1316-1 du Code civil consacre l’admission de l’écrit sous forme électronique comme preuve au même titre que l’écrit sur support papier, et l’article 1366 nouveau du Code civil (issu de l’ordonnance du 10 février 2016), renforce ce principe en donnant à l’écrit électronique la même force probante que l’écrit sur support papier.
Toutefois, les deux articles soumettent le principe à des conditions semblables tenant à l’identification de la personne dont il émane et à la conservation et l’établissement dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité.
L’article 1369 nouveau du Code civil ouvre la possibilité de dresser un acte authentique sur support électronique ce qui pose la question de savoir si in fine, la blockchain ne permettrait pas de répondre aux exigences de l’acte authentique.
Certains auteurs considèrent qu’une telle affirmation est incompatible avec l’absence de contrôle et de tiers de confiance certifiant la capacité et les consentements libres et éclairés des signataires.
Enfin, l’article 1367 du Code civil présume la fiabilité du procédé d’identification d’une signature électronique sous conditions, renforcées par le décret du 28 septembre 2017 afin de répondre aux exigences du règlement européen du 23 juillet 2014.
B. La blockchain, une technologie de représentation et de transmission d’informations
La France a adopté une ordonnance publiée le 9 décembre 2017 au JO, visant à intégrer la blockchain dans la réglementation régissant les titres financiers.
Alors que l’ordonnance du 28 avril 2016 avait opéré une première consécration législative de la blockchain en créant une catégorie particulière de bons de caisse et en mettant ainsi la technologie au service des minibonds à l’article L.223-12 du Code Monétaire et Financier, l’ordonnance du 8 décembre 2017 étend son champ d’application aux titres financiers non cotés.
Ces derniers peuvent désormais être représentés ou transmis par la blockchain, avec les mêmes effets que l’inscription en compte de titres financiers, et peuvent faire l’objet d’un nantissement.
L’ordonnance ne vise que les titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire central ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers, du fait de la complexité du dispositif de transmission des titres cotés et du fait que le dispositif relève de la réglementation européenne.
Les pouvoirs publics ont fait le choix d’une régulation de la blockchain selon un principe d’adaptation progressive et sectorielle et en utilisant une terminologie juridique, « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (DEEP) pour mettre en exergue les principales caractéristiques de la technologie tout en restant neutre par rapport aux évolutions des technologies utilisées.
Un décret en Conseil d'Etat doit fixer les conditions applicables à l'inscription de titres financiers dans un DEEP. Un délai est donc prévu s'agissant de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, fixée au plus tard au 1er juillet 2018, afin de ménager un temps d'élaboration des mesures d’application.
Toutefois, le décret d’application n’est toujours pas publié au JO à l’heure d’écriture de ces lignes. Dans l’attente, se posent toujours des questions sur l’irrévocabilité théorique du registre, de la preuve des transactions et même du terme « transaction » lui-même, ce dernier ne figurant pas dans la liste des termes informatiques concernant la blockchain publiée au JO le 23 mai 2017 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000034795042&categorieLien=id
II. Les risques liés à l’adoption de la blockchain
La consécration de la blockchain présente des risques pour les professions juridiques (A) et en raison de l’absence de tiers de confiance (B).
- Les risques pour les professions juridiques
A l’instar de l’intelligence artificielle, la blockchain peut présenter des risques pour le notariat dès lors qu’elle sacrifierait les valeurs fondamentales de la profession.
Un temps envisagée comme présentant potentiellement les caractéristiques d’ « actes authentiques » dans un amendement de 2016 à la loi sur la transparence de la vie publique, l’ex-garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas a rectifié cette vision en répondant aux notaires que la technologie n’est qu’une technique et non un acte authentique.
En effet, même si la blockchain certifie le document, cette technique n’effectue pas toutes les missions d’un notaire en ce qu’elle n’est pas à même de vérifier le consentement des parties ni leur compréhension du contrat.
Si le remplacement du notaire par des algorithmes semble peu probable pour des auteurs, il est néanmoins crucial pour les notaires d’anticiper les bouleversements inéluctables du marché à venir en participant à l’évolution numérique et en développant de nouvelles « compétences métier ».
Les notaires ne sont pas les seuls à devoir s’adapter à l’évolution du marché. Avec l’apparition des legal start ups ayant pour objectif de dématérialiser les différentes procédures juridiques afin d’offrir à leurs clients une nouvelle façon de consommer le droit. Dans les pays de Common Law, où les pratiques notariales sont moins régulées, un service de certification se développe.
B. Les risques liés à l’absence de tiers de confiance
Sauf à instituer une blockchain privée, la technologie fonctionne en principe de manière décentralisée et sans contrôle. La gouvernance de la blockchain est réduite à mesure que cette dernière est ouverte.
Seules les règles technologiques régissent alors la blockchain et elle n’appartient à personne si ce n’est toute la communauté des « mineurs ».
La question de la gouvernance pose plusieurs questions incidentes quant à la régulation et au contrôle d’une technologie dont les acteurs sont indépendants, dispersés de manière aléatoire et non localisés.
Aussi, il est difficile dans ce cadre d’organiser les rôles et préciser les responsabilités des acteurs, et surtout de connaître le droit applicable.
La question de la gouvernance pose enfin la question de la compatibilité des règles liées au contrôle du blanchiment et le principe d’enregistrement anonyme des blocs. En effet, il faut aujourd’hui respecter des règles imposant des contraintes contradictoires, le dispositif devant, d’une part, être conforme au droit des données personnelles réformé en profondeur par le RGPD entré récemment en vigueur, et d’autre part, rendre possible le Know Your Customer (KYC).
La quasi-absence de réglementation crée par conséquent un environnement à risque pour les utilisateurs et investisseurs.