Cass., Ass. Plén., 28 juin 2024, n° 22-84.760 : responsabilité civile des deux parents exerçant conjointement l’autorité parentale

Publié le Modifié le 01/07/2024 Vu 1 220 fois 0
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Les parents séparés exerçant conjointement l’autorité parentale sont désormais tous deux responsables des dommages causés par leur enfant mineur, même si celui-ci ne réside que chez l’un de ses parents.

Les parents séparés exerçant conjointement l’autorité parentale sont désormais tous deux responsables d

Cass., Ass. Plén., 28 juin 2024, n° 22-84.760 : responsabilité civile des deux parents exerçant conjointement l’autorité parentale

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le tribunal pour enfants a déclaré [E] [L] coupable du chef susvisé et, prononçant sur les intérêts civils, a déclaré ses parents, Mme [I] [X], chez laquelle sa résidence était fixée au moment des faits, et M. [P] [L], civilement responsables.

3. La société [2], aux droits de laquelle se trouve la société [4], et la société [3] s'étaient constituées partie civile.

4. M. [P] [L] a relevé appel de cette décision.

(...)

Énoncé des moyens

14. Le moyen proposé pour Mme [X] et [E] [L] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré M. [P] [L] civilement responsable de son fils mineur [E] [L], alors :

« 2°/ qu'en cas de divorce, la responsabilité de plein droit prévue par l'article 1242, alinéa 4, du code civil incombe aux deux parents, en ce qu'ils exercent conjointement l'autorité parentale ; qu'en effet, l'article 18-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant impose aux États d'assurer la reconnaissance du principe de la coparentalité pour ce qui est d'élever l'enfant et d'assurer son développement ; qu'en écartant pourtant la responsabilité de M. [P] [L], au motif que la responsabilité de plein droit prévue par l'article 1242, alinéa 4, du code civil incombe au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée, quand bien même l'autre parent bénéficiaire d'un droit de visite et d'hébergement exerce conjointement l'autorité parentale, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé, en violation des articles 1242 du code civil et 18-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant. »

15. Le moyen proposé pour la société [4] fait le même grief à l'arrêt attaqué, alors :

« 1°/ que le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ; qu'il en résulte que le parent divorcé chez lequel n'a pas été fixée judiciairement la résidence de son enfant mineur est, au même titre que l'autre parent, responsable civilement de plein droit du fait de cet enfant ; que pour décider que M. [P] [L] n'était pas civilement responsable de son fils mineur [E] [L], la cour d'appel a énoncé que « la résidence demeurait en l'espèce le critère déterminant pour engager la responsabilité de M. [P] [L] » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 1242, alinéa 4, du code civil. »

 

Réponse de la Cour

16. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 1242, alinéa 4, du code civil :

17. Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, l'article 1384, alinéa 4, du code civil disposait que le père et la mère, en tant qu'ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

18. Dans sa version issue de la loi précitée, qui pose le principe de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, ce texte, devenu l'article 1242, alinéa 4, du code civil, dispose que le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

19. Ce texte n'envisageant que la situation de l'enfant habitant avec ses deux parents, la jurisprudence a dû interpréter la notion de cohabitation lorsque les parents ne vivent pas ensemble.

20. La Cour de cassation juge à cet égard, avant comme après l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002, que cette condition de cohabitation n'est remplie qu'à l'égard du parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée par un juge (2e Civ., 20 janvier 2000, pourvoi n° 98-14.479, Bull. 2000, II, n° 14), de sorte que la responsabilité d'un dommage causé par son enfant mineur lui incombe entièrement quand bien même l'autre parent, bénéficiaire d'un droit de visite et d'hébergement, exerce conjointement l'autorité parentale (Crim., 6 novembre 2012, pourvoi n° 11-86.857, Bull. crim. 2012, n° 241) et que le fait dommageable de l'enfant a eu lieu pendant cet exercice.

21. Cette jurisprudence est de nature à susciter des difficultés dans les situations, de plus en plus fréquentes, où les enfants résident alternativement chez l'un et l'autre de leurs parents, ou encore celles où ces derniers conviennent du lieu de résidence des enfants sans saisir le juge.

22. Elle est critiquée par une large partie de la doctrine et, parfois, écartée par des juridictions du fond qui privilégient la seule condition de l'exercice conjoint de l'autorité parentale ou apprécient concrètement le lieu de résidence effectif de l'enfant au moment du dommage.

23. En outre, elle se concilie imparfaitement avec l'objectivation progressive de la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant mineur, qui permet notamment une meilleure indemnisation des victimes.

24. La Cour de cassation juge en effet que l'article 1384, alinéa 4, devenu l'article 1242, alinéa 4, du code civil, édicte une responsabilité de plein droit des père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux, dont seule la force majeure ou la faute de la victime peut les exonérer (2e Civ., 19 février 1997, pourvoi n° 94-21.111, Bull. 1997, II, n° 56).

25. Elle énonce également que cette responsabilité n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute de l'enfant (2e Civ., 10 mai 2001, pourvoi n° 99-11.287, Bull. 2001, II, n° 96), de sorte qu'il suffit, pour qu'elle soit engagée, qu'un dommage soit directement causé par son fait, même non fautif (Ass. plén., 13 décembre 2002, pourvoi n° 00-13.787, Bull. crim. 2002, Ass. plén., n° 3 ; Ass. plén., 13 décembre 2002, pourvoi n° 01-14.007, Bull. 2002, Ass. plén., n° 4).

26. Ainsi, les parents ne peuvent s'exonérer de cette responsabilité objective au seul motif qu'ils n'ont commis aucune faute, qu'elle soit de surveillance ou d'éducation.

27. Enfin, cette jurisprudence, qui décharge de sa responsabilité de plein droit le parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant n'a pas été fixée, s'accorde également imparfaitement avec l'objectif de la loi du 4 mars 2002 de promouvoir le principe de la coparentalité.

28. Ce principe reflète, en droit interne, celui posé par l'article 18, § 1, de la Convention internationale des droits de l'enfant, selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d'élever l'enfant et d'assurer son développement, laquelle subsiste après la séparation du couple parental.

29. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à interpréter désormais la notion de cohabitation comme la conséquence de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, laquelle emporte pour chacun des parents un ensemble de droits et de devoirs, et à juger désormais que leur cohabitation avec un enfant mineur à l'égard duquel ils exercent conjointement l'autorité parentale ne cesse que lorsque des décisions administrative ou judiciaire confient ce mineur à un tiers.

30. Il en résulte que les deux parents, lorsqu'ils exercent conjointement l'autorité parentale à l'égard de leur enfant mineur, sont solidairement responsables des dommages causés par celui-ci dès lors que l'enfant n'a pas été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire.

31. En l'espèce, pour infirmer le jugement déféré en ce qu'il avait déclaré M. [P] [L] civilement responsable de son fils [E] [L], l'arrêt relève qu'au moment des faits commis par le mineur, sa résidence était, par application de la convention portant règlement complet des effets du divorce de ses parents, toujours fixée au domicile de sa mère.

32. Il en déduit que la responsabilité du père du mineur ne peut être recherchée sur le fondement des dispositions de l'article 1242, alinéa 4, du code civil.

33. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

34. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

35. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions de l'arrêt ayant infirmé le jugement déféré en ce qu'il avait déclaré M. [P] [L] civilement responsable de son fils [E] [L] et ayant débouté la société [4] et M. et Mme [S] et [D] [Z] de leurs demandes indemnitaires et, par voie de conséquence, les dispositions de l'arrêt rectificatif du 14 avril 2023 seulement en ce qu'il a débouté la société [3] de ses demandes en se fondant sur les mêmes motifs. Les autres dispositions de ces deux arrêts seront donc maintenues.

36. Il appartient à la cour d'appel, désignée comme cour d'appel de renvoi, de statuer sur les seules demandes de M. [P] [L], puis de renvoyer l'affaire sur intérêts civils devant le tribunal pour enfants de Marseille afin qu'il statue sur les demandes des parties civiles, à l'exception de celles de la société [1] dont la constitution a été définitivement rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs proposés, la Cour :

Sur le pourvoi formé par la société [3] :

Le REJETTE ;

Sur les pourvois formés par Mme [X], [E] [L] et la société [4] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 17 juin 2022, mais en ses seules dispositions ayant infirmé le jugement déféré en ce qu'il avait déclaré M. [P] [L] civilement responsable de son fils [E] [L] et ayant débouté la société [4] et M. et Mme [Z] de leurs demandes indemnitaires et par voie de conséquence les dispositions de l'arrêt rectificatif du 14 avril 2023 seulement en ce qu'il a débouté la société [3] de ses demandes en se fondant sur les mêmes motifs ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

 

 

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A propos de l'auteur
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Maître Gauthier LECOCQ

Avocat au barreau de Versailles et Fondateur Associé du Cabinet d'avocats BARISEEL-LECOCQ & ASSOCIÉS

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