Le 22 septembre 2017, une ordonnance a profondément modifié le contentieux de la rupture du contrat de travail en instaurant un barème encadrant la réparation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cette ordonnance s’inscrivait dans un mouvement de réforme d’une grande ampleur opérée entre 2017 et 2018 par le bais de 5 ordonnances dîtes « ordonnances Macron ».
Avant cette ordonnance, l’article L. 1235-3 du Code du travail prévoyait que « Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. ».
Toutefois, l’ordonnance précitée a modifié l’article L. 1235-3 du Code du travail en instaurant deux barèmes fixant les montants de l’indemnité minimale et de l’indemnité maximale allouée au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse aux regards de son ancienneté dans l’entreprise.
Pour une entreprise employant moins de 11 salariés :
- Pour une ancienneté d’une année, le barème prévoit une indemnité minimale d’un demi-mois de salaire brut et une indemnité maximale de deux mois de salaire brut.
- Pour une ancienneté de 10 ans, le barème prévoit une indemnité minimale de deux mois et demi de salaire brut et d’une indemnité maximale de 10 mois.
Pour une entreprise employant plus de 11 salariés :
- Pour une ancienneté d’une année, le barème prévoit une indemnité minimale d’un mois de salaire brut et une indemnité maximale de deux mois de salaire brut.
- Pour une ancienneté de 30 ans et au-delà, le barème prévoit une indemnité minimale de trois mois de salaire brut et d’une indemnité maximale de 20 mois.
L’instauration de ces barèmes a créé un vrai schisme entre les parties à la relation de travail ainsi qu’entre les praticiens du droit du travail. En effet, deux visions s’opposent :
- Les opposants au barème Macron estiment que ce barème permet d’avantager excessivement les employeurs en facilitant le chiffrage à l’avance du coût d’un licenciement. Ce chiffrage permettant d’apprécier le risque lié à une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pouvant même inciter les employeurs à ne pas respecter les règles relatives au licenciement. En effet, avant l’instauration des barèmes, il était beaucoup plus compliqué de chiffrer le risque lié à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui pouvait avoir un effet dissuasif.
- Inversement les défenseurs du barème Macron soulignent que ce barème sécurise le contentieux lié à la rupture d’un contrat de travail. Le MEDEF a estimé sur ce point que le barème « ne vise pas à priver le salarié d'une juste indemnité » mais au contraire qu’il participe à créer une plus grande sécurité juridique. Enfin, les défenseurs du barème Macron l’estime juste, car ce dernier a vocation à être écarté dans des cas particuliers (harcèlement moral, discrimination, etc).
Cette opposition se retrouve également au sein des juridictions.
Sans dresser une liste exhaustive, il convient de s’intéresser à certaines décisions ayant écarté l’application du barème.
I) Les Conseil de Prud’hommes qui ont refusé l’application du barème Macron
Le Conseil de Prud’hommes de Troyes 13 décembre 2018[1] a écarté l’application du barème en accordant 9 mois de salaire alors que le salarié avait moins de 3 ans d’ancienneté.
Pour le Conseil « La rupture s’est faite dans des conditions délétères. L’employeur a fait preuve de manquement grave à l’encontre du salarié. Il a aussi licencié sans cause réelle et sérieuse son épouse, ce qui fait office de double peine pour le couple qui s’est retrouvé sans ressource financières. »
Le Conseil de Prud’hommes de Nevers 26 juillet 2019[2], quant à lui a estimé « Que force est de constater que le barème des indemnités prud'homales tel que prévu par l'ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017, et codifié à l'article L. 1235-3 du Code du travail, ne permet pas aux salariés une pleine indemnisation du préjudice subi par eux, pas plus qu'il ne fixe des indemnités dissuasives, interdisant par ailleurs au juge de fixer une indemnisation en adéquation avec la réalité du préjudice subi, […]Ce barème sécurise d'avantage les fautifs que les victimes, il privilégie l'avantage économique de l'employeur et est donc inéquitable ». En l’espèce le Conseil allouera 2.500 euros au lieu des 375 euros prévus par le barème.
II) Les Cours d’Appel ayant validé ce refus
La Cour d’appel de Reims le 25 septembre 2019[3], n’écarte pas en l’espèce l’application du barème car la salariée n’a sollicité qu’un contrôle de conventionnalité « in abstracto » et non « in concreto » autrement dit sans justifier des raisons pour lesquelles le barème aurait dû être écarté.
Toutefois la Cour d’appel de Reims offre la possibilité d’écarter le barème en rappelant que « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné ». Cet arrêt ayant été rendu en appel du jugement susmentionné du Conseil de Prudhommes de Troyes.
A l’inverse la Cour d’Appel de Paris le 15 mars 2021[4] a infirmé le jugement du Conseil de Prud’hommes de BOBIGNY du 18 juillet 2019[5]. En effet la Cour a décidé d’écarter le barème Macron.
La Cour a relevé que le préjudice de la salariée s’élevait à 32.000 euros. La Cour a également noté qu’au regard des circonstances de l’espèce l’indemnisation du barème était comprise entre 13.211,25 et 17.615 euros. Ainsi la Cour a estimé que « Compte tenu de la situation concrète et particulière de X…, âgée de 53 ans à la date de la rupture et de 56 ans à ce jour, le montant prévu par l'article L. 1235-3 ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, compatible avec les exigences de l'article 10 de la Convention nº 158 de l'OIT. En conséquence, il y a lieu d'écarter l'application du barème résultant de l'article L. 1235-3 du code du travail. ».
III) Les décisions à venir de la Cour de cassation sur le barème Macron
A titre liminaire, il convient de rappeler que la formation plénière de la Cour de cassation s’est prononcée sur la conventionnalité du barème Macron par deux avis rendu le 17 juillet 2019.[6]
Les conseils de prud’hommes de Lyon et du Mans avaient interrogé la Cour sur la conventionnalité de l’article L. 1235-3 du Code du travail au regard de l’article 10 de la convention N°158 de l’OIT [7] ainsi qu’à l’article 24 de la Charte sociale européenne[8].
La formation plénière de la Cour de cassation a estimé que « L'art. 24 de la Charte sociale européenne n'est pas d'effet direct. Enfin, l'art. 10 de la convention OIT sur le licenciement est d'application directe en droit interne ; le terme « adéquat » de l'art. L. 1235-3 doit s'entendre comme réservant aux États parties une marge d'appréciation, cette disposition est donc compatible avec les stipulations de l'art. 10 de la convention no 158 de l'OIT. ».
Toutefois, devant la résistance de certains conseils de Prud’hommes et de certaines cours d’appel, la formation plénière de la Cour de cassation va être amenée à se prononcer sur l’application du barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse.
L’audience s’est tenue le 31 mars 2022 au sein de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Le délibéré sera rendu le 11 mai 2022.
La Cour se prononcera notamment sur la possibilité et les modalités d’exercice d’un contrôle in concreto de l’article L1235-3 du Code du travail par les juges du fonds au regard de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT.
Ces futurs arrêts scelleront vraisemblablement le sort du tant controversé barème Macron.
Toute l’équipe du cabinet Grelin & Associés est à votre écoute pour vos problématiques liées au droit du travail.
248, Boulevard Raspail 75014 Paris
Tél : 01 42 18 11 11
Mots clefs : Barème ; Macron ; ordonnances ; licenciement ; LSCRS ; indemnisation ; conventionnalité ; Cour de cassation ; Conseil de prud’hommes ; OIT ; préjudice ; droit du travail ; sans cause réelle et sérieuse ; contentieux ; prud’hommes
[1] Conseil de Prud’hommes de Troyes 13 décembre 2018 RG 16/0036
[2] Conseil de Prud’hommes de Nevers 26 juillet 2019, RG 18/00050
[3] Cour d’appel de Reims le 25 septembre 2019, n° RG 19/00003
[4] Cour d’appel de Paris 11ème Chambre, 16 mars 2021 RG n°19/08721
[5] Conseil de Prud’hommes de BOBIGNY du 18 juillet 2019, n° RG F18/00062.
[6] Cour de cassation Assemblée Plénière, 17 juillet 2019 n°19-70.010 et n°19-70.011
[7] Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
[8] En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître : a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.