Dès le début de la crise sanitaire, le législateur est intervenu pour protéger les commerçants locataires en interdisant aux bailleurs les poursuites en paiement de loyers ou d’intérêts de retard contre les preneurs ayant été contraints de fermer leur commerce (ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, article 4).
Des dispositions similaires ont également été adoptées au mois de novembre 2020, pour le second confinement (loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, article 14).
Ces mesures de suspension temporaire des poursuites ne dispensent toutefois pas expressément le preneur du paiement des loyers relatifs aux périodes de fermeture. Au contraire, la lettre de l’ordonnance du 25 mars 2020 et de la loi du 14 novembre 2020 précitées laisse entendre qu’à la fin de la période de suspension des poursuites, les loyers afférents au mois de fermeture seraient dus.
En effet, en réservant la possibilité d’une compensation immédiate entre la dette de loyer et une éventuelle créance du locataire sur le bailleur, le texte laisse entendre que ces loyers sont dus au bailleur et doivent être payés dès la fin de la période de suspension des poursuites (loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, article 14, III).
À l’issue de la période de suspension des poursuites, lorsque les bailleurs ont tenté de recouvrer les loyers des mois de confinement, les preneurs ont donc recherché dans le droit commun des contrats les moyens juridiques pour s’exonérer du paiement de ces loyers.
Les premières décisions rendues en la matière laissent néanmoins perdurer une incertitude quant au succès des diverses argumentations développées par les preneurs :
L’exception d’inexécution
L’exception d’inexécution est un mécanisme juridique aujourd’hui régi par les articles 1219 et 1220 du code civil. L’article 1219 dispose ainsi que :
« Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »
Or, l’article 1719 du code civil, applicable à tout contrat de bail, et donc aux baux commerciaux affectés par le COVID-19, impose au bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée.
L’un des principaux arguments des preneurs a donc été d’affirmer qu’en raison des mesures administratives de confinement, le local commercial qu’ils louaient n’était plus en état de servir à l’usage auquel il était destiné, puisqu’il n’était plus possible d’y accueillir la clientèle.
Dès lors, en application de l’article 1219 du code civil, l’exception d’inexécution leur aurait permis de s’exonérer du paiement des loyers afférents aux périodes de fermeture forcée.
Ce raisonnement a toutefois été rejeté par la plupart les juridictions qui ont été amenées à se prononcer sur la question à ce jour.
En effet, après avoir laissé la porte ouverte au débat dans une ordonnance de référé du 21 janvier 2021 (n° 20/55751), le tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris - 18e ch., 25 février 2021 / n° 18/02353) a jugé que l'article 1719 du code civil « n'a pas pour effet d'obliger le bailleur à garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif, dans lequel s'exerce son activité ».
Le bailleur ayant rempli son obligation de délivrance conforme du local commercial, le preneur n’était donc pas fondé, selon le jugement du 25 février 2021, à invoquer l’exception d’inexécution.
Si d’autres décisions ont été rendues dans le même sens (voir TJ Lyon, réf, ch. 8, 31 mars 2021, n° 20/05237 et CA Riom, 2 mars 2021, n° 20/01418) le débat ne saurait être considéré comme définitivement tranché en l’absence d’arbitrage de la Cour de cassation.
La force majeure
L’article 1218 du code civil définit la force majeure comme un "événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées," qui empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
La cour d’appel de Riom, dans l’arrêt du 2 mars 2021 précité, a rejeté l’argument du preneur qui estimait que la fermeture administrative des commerces était un cas de force majeure qui l’empêchait d’exécuter son obligation de paiement des loyers.
Cette solution rejoint celle posée par la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui refuse l'application de la force majeure au débiteur d'une obligation portant sur une somme d'argent inexécutée (Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306) :
« le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».
La Cour d’appel de Riom a en outre relevé qu’en l’espèce, la situation ne rendait pas l’exécution de l’obligation impossible pour le locataire dans la mesure où il disposait de fonds important et bénéficiait des mesures de soutien du gouvernement.
La perte de la chose
L’article 1722 du code civil dispose que si, pendant la durée du bail, la chose louée est partiellement détruite par cas fortuit, le preneur peut demander une diminution du prix.
Ce fondement a notamment été invoqué par un preneur devant la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, ch. 14, 4 mars 2021, n° 20/02572).
Le locataire soutenait que « par l'effet des arrêtés de fermeture administrative en date des 14 et 15 mars 2020, les locaux loués doivent être considérés comme ayant été partiellement, c'est-à- dire temporairement détruits durant la période en cause, en ce qu'ils sont devenus impropres à leur destination » et qu’en raison de la perte de jouissance, il était fondé à solliciter une diminution du prix proportionnelle à la privation soufferte.
La Cour suit le preneur dans son argumentation :
« Il est constant que même s'il n'y a pas destruction physique du bien objet du bail, il y a juridiquement perte lorsque le locataire ne peut plus jouir de la chose louée ou ne peut plus en user conformément à sa destination.
Il est ainsi établi que durant la période concernée, la société A. n'a pu ni jouir de la chose louée, ni en user conformément à sa destination.
Dans ces conditions, l'allégation par le locataire de la perte partielle des locaux loués en application des dispositions de l'article 1722 du code civil revêt le caractère d'une contestation sérieuse opposable à son obligation de payer le loyer et les charges pendant la période de fermeture contrainte du commerce. »
Attention toutefois, la portée de cette décision est limitée. Bien que les termes de la décision paraissent relativement affirmatifs, elle a été rendue en matière de référé. Le juge ne tranche pas la question au fond mais se contente de constater qu’il existe une contestation sérieuse sur la question.
Il convient également de noter qu’une décision exactement inverse a été rendue par la Cour d’appel de Lyon le 31 mars 2021, qui avait jugée l’argumentation fondée sur l’article 1722 du code civil comme n’étant pas suffisamment sérieuse pour faire obstacle au paiement provisionnel des loyers (CA Lyon, réf, ch. 8, 31 mars 2021, n° 20/05237).
La bonne foi
L’argument selon lequel la mauvaise foi du bailleur ferait obstacle à son action en paiement des loyers avait également été invoqué devant la Cour d’appel de Lyon dans l’affaire précitée (CA Lyon, réf, ch. 8, 31 mars 2021, n° 20/05237).
Il a toutefois été rejeté par la Cour notamment au regard de considérations propres à l’espèce : rien dans les agissements du bailleur ne permettait d’établir la mauvaise foi alléguée, alors même que le comportement du preneur n’était pas exempt de tout reproche.
On constate donc que, malgré une tendance générale favorable au bailleur, une incertitude demeure quant à l’issue que pourraient trouver ces débats jurisprudentiels si le contentieux venait à être porté devant la Cour de cassation.
Ces incertitudes doivent donc inciter les parties au contrat de bail commercial à privilégier le dialogue et la négociation.
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