La liberté d'expression est incluse dans le bloc de constitutionnalité par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 qui dispose que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. ».
Le Conseil Constitutionnel dans une décision du 20 mai 2011 reconnaît que cette liberté « est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ».
Au regard de l’importance de la liberté d’expression, il était totalement inconcevable que cette dernière n’ait pas vocation à s’appliquer dans le cadre des relations de travail. Ainsi cette liberté est affirmée aussi bien sur le plan individuel[1] que sur le plan collectif[2]. La Chambre sociale de la Cour de cassation a d’ailleurs précisé que cette liberté était garantie à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise.[3]
Toutefois, les limites à la liberté d’expression du salarié ne sont pas rares, comme le montre l’exemple récent de l’ancien animateur de l’émission de télévision « Les Z’amours » qui vient de voir son licenciement validé par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 20 avril 2022. Lors d’une émission dans laquelle il était invité, l’animateur avait tenu sous couvert d’humour des propos sexistes. Ce comportement avait été réitéré quelques jours plus tard sur le tournage de son propre jeu télévisé. Compte tenu de cette réitération de propos sexistes, banalisant les violences faites aux femmes, et du risque commercial qui pesait sur la société de production, la chaîne de télévision menaçant de ne plus diffuser le programme, le licenciement de l’animateur ne portait pas - selon les juges - une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression garantie au salarié notamment au regard des clauses prévues dans son contrat de travail.[4]
Parallèlement au développement des nouvelles technologies, se sont développées des nouvelles formes de communication telles que les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux ont la particularité d’être ambivalents car ils peuvent regrouper à la fois des éléments de la sphère privée et des éléments de la sphère professionnelle.
Originellement, la frontière entre les réseaux sociaux d’ordre personnel et les réseaux sociaux d’ordre professionnel était plus marquée à l’instar des réseaux sociaux comme Facebook et LinkedIn. Toutefois, avec leurs développements cette frontière est devenue ténue voire inexistante. La fin de cette frontière doit appeler le salarié à être particulièrement vigilant car un propos qu’il tiendra sur ses réseaux sociaux - estimé personnel - pourra sous certaines conditions être érigé en faute professionnelle.
Classiquement les premières décisions à propos d’un usage abusif des réseaux sociaux par le salarié, se fondaient sur un abus de la liberté d’expression. L’abus de la liberté d’expression peut être caractérisé en cas d’injure, de diffamation ou d’excès dans les propos.
Sur ce point le débat se cristallise autour de la notion du paramétrage du réseau social et a donné lieu à des arrêts dits « les licenciements Facebook ». A cet égard, il peut être intéressant de rappeler les décisions suivantes :
- La Cour d’appel de Reims dans un arrêt du 9 juin 2010 a estimé qu’en l’absence de paramétrage « fermé » d’un compte Facebook, la publication était publique et pouvait donc justifier un licenciement.[5]
- La Cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 24 mars 2014, estime que l’employeur peut produire pour justifier une mesure de licenciement, des propos dénigrants l’entreprise qui avaient été tenus par un salarié sur Facebook car ce dernier n’avait pas activé les critères de confidentialité.[6]
- La Cour de cassation dans un arrêt du 12 septembre 2018, qualifie de conversation privée les propos tenus par un salarié sur son compte Facebook dans un groupe de plusieurs personnes dès lors que celui-ci est sécurisé. La Cour estime que le groupe bien que composé de quatorze personnes et intitulé « extermination des directrices chieuses », l’employeur ne pouvait se prévaloir de l’adhésion au groupe et des propos tenus pour justifier un licenciement.
Plus récemment, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 23 février 2022 a validé le licenciement d’un salarié ayant posté sur LinkedIn des photographies de coupes et géométries d’un moteur alors que ces photographies bien qu’affichées dans l’entreprise étaient confidentielles.[7] . Ce faisant le salarié avait donc violé le secret professionnel et l’obligation de confidentialité prévus dans son contrat.
A l’inverse des décisions précédemment mentionnées où il était question d’un abus de droit, ici il était question d’une violation des obligations contractuelles du salarié. Ainsi, de la même manière, le fait que certains réseaux sociaux soient par nature professionnels n’implique pas une liberté totale du salarié quant au contenu qu’il pourra diffuser. La prudence sera donc de rigueur.
On l’aura compris, la question de la liberté d’expression est connexe au droit au respect de la vie privée du salarié ainsi qu’au droit à la preuve de l’employeur. Trouver l’équilibre entre ces notions est complexes. La Cour de cassation a donc été amené à se positionner sur ce point dans un arrêt publié dit « Petit bateau ».[8]
Dans cet arrêt une salariée a posté sur son compte Facebook une photographie présentant la nouvelle collection de la marque pour laquelle elle travaille. Cette collection n’avait pas encore été présentée au public. Toutefois le profil de la salariée était accessible à des personnes travaillant pour des entreprises concurrentes.
Un salarié « ami Facebook » va avertir l’employeur de l’existence de cette publication.
L’employeur va donc licencier la salariée pour faute grave.
Toute la question du litige va être de connaitre l’articulation entre les libertés du salarié (expression, vie privée) et le droit à la preuve de l’employeur.
La Cour de cassation va estimer dans cet arrêt que si en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la publication litigieuse avait été, en l’espèce, spontanément communiquée à l’employeur par un courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de la salariée fautive. Il s’en déduit que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal.
Ainsi, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Il convient de souligner que cette analyse a été retenue par la Cour car le licenciement en l’espèce était basé sur une faute grave, élément qu’il est important de garder à l’esprit.
Les propos tenus sur les réseaux sociaux ont longtemps été considérés comme couverts par la liberté d’expression et le droit au respect à la vie privée. Pourtant comme démontré, ces derniers, sont de plus en plus appréhendés par le droit et soumis aux principes régissant la relation de travail.
Il est donc primordial d’être prudent sur l’utilisation faite des réseaux sociaux. Cette prudence sera de mise aussi bien lorsqu’un salarié souhaitera créer une publication mais aussi lorsqu’un employeur souhaitera s’en prévaloir dans le cadre d’un contentieux.
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[1] Article L. 1121-1 du Code du travail
[2] Article L. 2281-1 et L. 2281-3 du Code du travail
[3] Cass. Soc. 28 avril. 1988
[4] Cass. Soc. 20 avril 2022 n°20-10.852
[5] CA Reims, chambre sociale, 9 juin 2010, n°09-3209
[6] CA Lyon, 24 mars 2014, n°13/03463
[7] Cour d’appel de Paris, 23 février 2022, n°19/07192
[8] Cass Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058 FS-P + B +R + I