Cet article a été publié dans Les Brèves Juridiques, n°123, 11 novembre 2024.
Les Faits : Le Chef de l’État et Magistrat Suprême a procédé ce 06/11/2024 au lancement des travaux des états généraux de la justice sur le thème : « Pourquoi la justice congolaise est-elle malade? Quelle thérapie face à cette maladie? ». Par cette occasion, l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) souligne que : « Le Président Tshisekedi a tort de répéter que la justice congolaise est malade. La réalité est bien plus complexe. La justice est utilisée comme un outil politique pour servir les intérêts du pouvoir en place ». Quant au Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), il a souhaité que : « Les recommandations cadrent avec les vraies réalités du secteur et tiennent compte des attentes de la population ». Hormis l’instrumentalisation et la caporalisation de la justice décriée par ODEP, un paneliste, E.J Luzolo Bambi a pu déceler les causes profondes : causes techniques et causes socio-anthropologiques. Certes, il y a ambivalence entre le pouvoir judiciaire et l’autorité judiciaire dans la pratique judiciaire congolaise. Cependant, la préoccupation principale en rapport avec la formation structurelle du pouvoir judiciaire semble être ignorée, d’où la quintessence de notre réflexion.
En droit : L’article 149 alinéa 1 de la Constitution de la RDC dispose que : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ». C’est la théorie classique de la séparation des pouvoirs de Montesquieu. L’objectif assigné par Montesquieu à cette théorie est d’aboutir à l’équilibre des différents pouvoirs : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». L’article 151 de la même Constitution renchérit que : « Le pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice. Le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution. Toute loi dont l’objectif est manifestement de fournir une solution à un procès en cours est nulle et de nul effet ».
Dans la pratique, il y a l’article 70 de la Loi organique n° 13/011-B du 11 avril  2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l'ordre judiciaire qui donne au Ministre de la Justice un pouvoir d’injonction sur le Parquet (Membre du CSM selon la Loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 et non selon la Constitution révisée en 2011 ) ouvrant une brèche à un membre de l’exécutif d’intervenir au moins dans les attributions du pouvoir judiciaire, par exemple l’exécution d’une décision de justice en ce qu’il dispose: «Les officiers du Ministère Public sont placés sous l'autorité du Ministre ayant la justice dans ses attributions. Celui-ci dispose d'un pouvoir d'injonction sur le Parquet. Il l'exerce en saisissant le Procureur général près la Cour de cassation ou le Procureur général près la Cour d'appel selon le cas sans avoir à interférer dans la conduite de l'action publique ». A titre illustratif, un arrêt de la Cour Constitutionnelle réhabilitant le Gouverneur déchu, Sieur Jean Claude Kazembe n’a jamais été exécuté, en dépit du caractère immédiatement exécutoire, obligatoire et imposable à tous, que leur confère la loi fondamentale.
En droit Belge, le droit d’injonction positive est prévu par la constitution comme une exception à l’indépendance du Ministère public sans que cela ne remette en cause cette indépendance. Il en est de même en Droit congolais.
Cependant, lorsqu’un autre membre du pouvoir exécutif (Président de la République) intervient dans la nomination, la promotion et la révocation des magistrats. Ceci suscite encore le débat de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ne dit-on pas que : « La main qui donne reste au-dessus de celle qui reçoit ».
Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article 152 alinéa 3 de la Constitution qui dispose : «Il (Conseil Supérieur de la Magistrature) élabore les propositions de nomination, de promotion et de révocation des magistrats ». L’article 2 alinéa 2 de la Loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature dispose que : « Il (Conseil Supérieur de la Magistrature) élabore des propositions de (…) mise à la retraite, (…) démission et de réhabilitation de magistrats ». Ainsi, l’article 7 de la même Loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 conclut que : « Les propositions y relatives sont transmises au Président de la République (…) ».
Et pourtant, le Conseil supérieur de la magistrature est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire. En cette qualité, il devrait être autonome dans ses attributions. Pour pallier à cette difficulté, il y a lieu de suggérer de lege ferenda que le Président de la République soit le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, d’autant plus qu’il est déjà Magistrat Suprême. A défaut, les juges soient élus par le peuple, plutôt que de les nommer.  Agir de la sorte, c’est sauver l’indépendance du pouvoir judiciaire !
Par :
Hubert KALUKANDA MASHATA,
Avocat à la Cour d’appel du Haut-Katanga, à la Cour pénale internationale et à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples