Depuis que, le 23 juin dernier, 51,9% des Britanniques ont choisi de quitter l’Union Européenne, et alors que les discussions de boutiquiers sur les conditions de ce départ commencent à peine, bien malin qui pourrait exposer avec certitude les conséquences de ce départ.
Le seul précédent est le départ du Groenland, difficilement comparable.
Tout au plus peut-on identifier, domaine par domaine, les zones à risques et les cas où des négociations seront nécessaires entre l’Union Européenne et le Royaume Uni, dès lors que le second ne sera plus soumis aux règlements et aux directives de la première.
Des premières réflexions en ce sens ont été menées dans le domaine de la propriété intellectuelle, notamment par John Richards, avocat associé chez le cabinet américain Ladas & Parry (« The Effect of the Brexit (UK departure from EU) on IP rights », 24 juin 2016) et Marianne Schaffner, avocate associée chez le cabinet Dechert (« Brexit : gare aux marques et aux brevets ! », article de Vincent Bouquet, Les Echos, 24 juin 2016).
Il en ressort une première revue des effets du Brexit, selon la nature des droits de propriété intellectuelle concernés.
Les droits d’auteur :
Plusieurs aspects des droits d’auteur ont été harmonisés par des directives de l’Union Européenne, notamment la durée de leur protection (Directive 93/98/CEE), la protection des programmes informatiques par le droit d’auteur (Directive 91/250/CEE) et la protection juridique des bases de données (Directive 96/9/CE).
Lorsque sa sortie de l’Union Européenne sera effective, le Royaume Uni pourra modifier à loisir les règles nationales ayant transposé ces directives, dès lors qu’il ne sera plus tenu de se conformer avec la règlementation européenne.
Reste à savoir s’il estimera opportun de le faire.
Les marques et dessins et modèles :
Pour ces titres, il convient de distinguer les directives harmonisant les règles nationales et les règlements sur les marques et les dessins et modèles communautaires.
En premier lieu, les directives n° 2008/95 (CE) du 8 novembre 2008, puis n° 2015/2436 (UE) du 16 décembre 2015 modifiant la précédente, ont pour objectif le rapprochement des législations des Etats-Membres sur les marques nationales. La première directive a été transposée en droit britannique, par amendement au Trademark Act de 1994.
La directive (CE) n° 98/71 du 13 octobre 1998 a le même objectif pour les dessins et modèles. Elle a été transposée par amendement au Registered Designs Act de 1949.
Dès lors qu’elles ont été votées par le parlement britannique, ces transpositions ne devraient pas être affectées par le départ du Royaume Uni de l’Union Européenne, du moins dans l’immédiat.
A terme, comme pour les droits d’auteur, rien n’empêcherait le législateur d’adopter de nouvelles règles de protection, dès lors qu’il ne serait plus tenu de se conformer à la réglementation européenne.
Reste à savoir, de nouveau, s’il estimera opportun de le faire.
De même, plus rien n’oblige le Royaume Uni à transposer dans son droit interne la directive (EU) n° 2015/2436, sauf à estimer pertinent d’adopter ces dispositions.
En second lieu, les marques de l’Union Européenne sont régies par les règlements (CE) n° 207/2009 et n° 2868/95, tandis que les dessins et modèles communautaires le sont par les règlements (CE) n° 6/2002, n° 2245/2002 et n° 2246/2002.
Pour ces titres, les choses se compliquent, car les marques de l’Union Européenne ou les dessins et modèles communautaires déposés postérieurement à la date effective de sortie du Royaume Uni ne permettront plus à leurs détenteurs d’être protégés dans ce pays, sauf si les négociations sur les conditions du Brexit permettent de trouver un accord sur leur conversion possible en marques ou dessins et modèles britanniques.
Ces négociations devront également porter sur le traitement des marques de l’Union Européenne et des dessins et modèles communautaires déposés avant à la sortie effective du Royaume Uni. Leurs déposants risquent-ils de perdre la protection que leur conféraient ces titres sur ce territoire ? Le cas échéant, qu’en sera-t-il de leur renouvellement ?
Certains praticiens se sont déjà saisis de ces questions et préconisent une stratégie de prudence. Ainsi, Marianne Schaffner estime-t-elle que, pour ne prendre aucun risque, les entreprises auraient tout intérêt à procéder à un double dépôt : un titre pour l’Union Européenne et un titre pour le Royaume Uni.
Par ailleurs, comme le rappelle le cabinet de conseil en propriété industriel Beau de Loménie (« Brexit : Quelques réflexions prospectives dans l’attente de ce qui se décidera réellement », 29 juillet 2016), si la marque ou le modèle doit faire l’objet d’un contrat de licence, celui-ci devrait d’ores et déjà être rédigé en prévision de la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne, avec une définition claire des territoires concernés, ainsi que des règles de compétence de juridiction et de loi applicable en cas de litige.
Les brevets
Les incidences du Brexit sur la protection des inventions vont dépendre des titres qui leur sont attachés.
Les brevets européens ne devraient pas être affectés, puisque la Convention sur le Brevet Européen (European Patent Convention – EPC), tout comme l’Office Européen des Brevets (European Patent Office – EPO), sont indépendants de l’Union Européenne.
En revanche, le Royaume Uni ne sera plus soumis aux règlements européens sur la protection communautaire des obtentions végétales et sur les certificats complémentaires de protection, ni à la directive n° 98/44/CE sur la protection des inventions biotechnologiques, ni, plus généralement, aux règles européennes relatives à la protection des inventions.
Sur ces différents points, les mêmes questions que celles évoquées ci-dessus se posent.
En outre, à cause du Brexit, le projet de Brevet Unitaire Européen, qui a déjà fait l’objet de négociations longues et difficiles, risque d’avoir du plomb dans l’aile.
L’article 89 de l’accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) prévoit en effet que son entrée en vigueur est conditionnée à sa ratification par treize Etats-Membres, « y compris par les trois États membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets au cours de l'année précédant celle lors de laquelle la signature du présent accord a lieu ».
Or, il s’avère que ces trois Etats Membres sont l’Allemagne, la France et … devinez qui … le Royaume Uni !
A ce jour, ce dernier n’a pas ratifié l’accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet et n’a plus de raison de le faire, puisqu’il va quitter l’Union Européenne.
Pour couronner le tout, l’article 7 de cet accord prévoit en outre que la division centrale du tribunal de première instance a son siège à Paris et des sections à Munich et … devinez où … à Londres !
Le Brexit oblige donc l’Union Européenne à remettre sur la table l’accord JUB et à négocier un avenant, ne serait-ce que pour modifier les conditions de sa ratification, ce qui retardera d’autant son entrée en vigueur.
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Ainsi, les négociations à venir entre l’Union Européenne et le Royaume Uni, pour l’aménagement de la réglementation applicable en matière de propriété intellectuelle, s’annoncent longues et délicates.
Ne parlons même pas des autres discussions qui seront nécessaires, par exemple sur la libre circulation des marchandises, l’épuisement des droits et les conditions de transferts de technologies.
Dans cette incertitude, les entreprises ont tout intérêt à effectuer un audit approfondi de leurs portefeuilles de droits de propriété intellectuelle et une analyse actualisée des risques y afférents, au moins pour garantir à leur investisseurs qu’ils gardent, malgré tout, le contrôle de leur patrimoine intellectuel.
Bref, si le Royaume Uni est sorti de l’Union Européenne, les professionnels de la propriété intellectuelle, eux, ne sont pas sortis de l’auberge.