Quand les données personnelles s’invitent dans la vie des affaires

Publié le 05/11/2013 Vu 2 010 fois 0
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Dans un arrêt du 25 juin 2012, la Cour de cassation précise que la cession d'un fichier non déclaré à la CNIL est nulle, en ce que son objet est illicite.

Dans un arrêt du 25 juin 2012, la Cour de cassation précise que la cession d'un fichier non déclaré à la

Quand les données personnelles s’invitent dans la vie des affaires

L’arrêt commence à dater (25 juin 2013), et a déjà été amplement commenté. Il n'en témoigne pas moins de la part de plus en plus déterminante des actifs immatériels dans la vie des affaires.

Tout démarre par une cession classique de clientèle. La société B exploite un fonds de commerce de vente de vins aux particuliers. Le 10 décembre 2008, les deux associés de l’entreprise souhaitent se retirer des affaires et concluent avec Monsieur X une cession portant sur le portefeuille de la clientèle de la société pour un prix de 46 000 €.

Le contrat précise que ledit portefeuille comprend « une liste d'environ 6000 clients référencés dans un fichier complet, manuscrit et classé, des classeurs ordonnés, un fichier de clients informatisé sous logiciel Windows, le numéro de téléphone ... qui basculera via France Telecom sur le portable de Monsieur X... ».

Cette cession donne cependant lieu à un conflit entre les parties sur la consistance effective de la clientèle. Monsieur X fait en effet valoir, après avoir étudié le portefeuille cédé, que seuls 1 950 clients sont effectifs et actifs sur les 6 000 référencés et veut remettre en cause l’opération.

L’affaire est portée devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire, auprès duquel Monsieur X soumet les demandes suivantes :

  • Requalification le contrat de cession de fichier clients en cession de fonds de commerce ;
  • Résolution du contrat pour dol et non-conformité du fichier clients.

Le TGI de Saint-Nazaire, puis la cour d’appel de Rennes, déboutent Monsieur X. L’argumentation de la cour tient principalement en trois points :

  1. la cession ayant porté sur certains des éléments du fonds (fichier client et ligne téléphonique), le fonds de commerce, c’est-à-dire l’ensemble des éléments incorporels et corporels, n'a pas pu être vendu ;
  2. si le traitement du fichier clients doit faire l'objet d'une déclaration simplifiée, laquelle n'a pas été faite, la loi n'a pas prévu que la sanction de cette absence de déclaration soit l’illicéité, donc la nullité, du fichier ;
  3. les cédants ont bien respecté leur obligation de délivrance, rien ne justifiant que seuls 1 950 clients sur 6 000 auraient été actifs, ni que la société cédante avait l'intention de tromper.

Monsieur X se pourvoit en cassation pour contester l’arrêt. Selon lui :

  1. la cession de la clientèle suffit à entraîner la qualification de cession de fonds de commerce, peu important que les autres éléments du fonds ne soient pas cédés ;
  2. l'obligation de délivrance conforme ne suppose pas uniquement la mise en possession de l'acquéreur, mais également que la chose délivrée soit conforme à la chose convenue, la simple mise en possession étant insuffisante à attester de la conformité de la chose ;
  3. tout manquement de déclaration auprès de la CNIL d’un fichier informatique contenant des données à caractère personnel constituant une infraction pénales, aux termes de l'article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et de l'article 226-16 du Code pénal, un fichier non déclaré constitue un objet illicite.

La chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt très court, donne raison à Monsieur X, mais en adoptant un raisonnement différent. Selon la Cour, qui se fonde sur l’article 22 de la loi de 1978 mais aussi sur l’article 1128 du Code civil, « tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL » et « la vente par la société B d'un tel fichier qui, n'ayant pas été déclaré, n'était pas dans le commerce, avait un objet illicite ». Ce point suffit à casser l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, sans que les autres moyens ne soient examinés.

Que faut-il retenir de cet arrêt ?

Tout d’abord, on devine les conséquences pour les deux parties (Monsieur X perd des clients potentiels, la dissolution de la société B est reportée), mais également pour le(s) rédacteur(s) de l’acte qui engage(nt) dont la responsabilité professionnelle peut être engagée s’il s’avère que ce genre de diligences n’a pas été accompli.

Comme le rappelle le professeur Dondero (La CNIL, le fichier de clientèle et l’apport… in Gaz Pal n° 258 à 260), ce qui vaut pour une cession de clientèle vaut également pour toute autre opération d’affaire ou de haut de bilan : entrée dans le capital par apport en nature, cession d’entreprise ou de fonds de commerce, fusion, acquisition…

Par ailleurs, il est frappant qu’une simple formalité administrative, dont les modalités sont somme toute relativement simples, devienne un facteur essentiel de la valeur d’un patrimoine. D’un prix de marché de 46 000 €, la valeur du fichier est passée à 0, puisqu’il est invendable car hors commerce.

A cet égard, cette affaire peut se voir comme une nouvelle illustration d’une des principales caractéristiques des actifs immatériels : celle du « sunk cost » ou coûts irrécupérables. En l’espèce, l’investissement mis en œuvre pour la constitution d’une clientèle est perdu.

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