Quel beau business que la contrefaçon !

Publié le 24/11/2013 Vu 3 755 fois 0
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La contrefaçon de médicament est une activité qui rapporte gros et dont les processus de fabrication, de transit et de distribution des médicaments ne nécessitent qu’un faible investissement de départ. Les principaux marchés sont les pays en voie de développement, mais également Etats-Unis. La France est encore relativement préservée. La prise de conscience de l'ampleur de la contrefaçon est tardive, en raison de la nécessité de s’adapter à des réseaux transfrontaliers et à une contestation de fond de la notion de propriété intellectuelle. Les entreprises victimes doivent adapter leur communication, notamment en rappelant les problèmes de santé publique provoqués.

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Quel beau business que la contrefaçon !

Les entreprises du marché de la contrefaçon ont l’avantage de ne pas connaître la crise. Bien au contraire, elles en profitent. Une longue enquête, parue dans l’édition du 7 novembre 2013 du quotidien Les Echos (Pierre Demoux, Médicaments : les nouveaux faussaires) en donne un exemple éclairant à propos des médicaments, produits particulièrement exposés.

Des chiffres qui font rêver

Selon une estimation du Center for Medicines in the Public Interests, la contrefaçon toucherait aujourd’hui 10% de médicaments vendus dans le monde et représenterait en 2010 un marché global de 75 milliards de dollars, soit une augmentation de 90% depuis 2005 (le chiffre d’affaire global du secteur pharmaceutique était de plus de 895 milliards de dollars la même année).

L’Economic Forum 23, plus ambitieux, évalue la contrefaçon de médicament à 200 milliards de dollars, ce qui en ferait le premier secteur de trafics illicites devant la prostitution et la marijuana.

Ces chiffres sont évidemment difficilement vérifiables, s’agissant d’estimations réalisées à partir des saisies réalisées aux douanes. Il y a quand-même de quoi saliver : un marché de plusieurs milliards et une croissance à deux chiffres (autour de 20% de plus que le marché légal mondial), que demander de mieux ?

Le Vade Mecum du contrefacteur

Le tableau est encore plus séduisant si l’on établit un business plan pour monter sa petite affaire de contrefacteur. Il est en effet possible de lancer une affaire de faux médicaments avec un faible investissement de départ.

Il faut d’abord trouver un site de fabrication. L’entrepreneur peut trouver un fournisseur en Chine ou en Inde, principaux producteurs de produits contrefaits, par l’intermédiaire soit d’un laboratoire clandestin soit d’usines dont une partie des installations est détournée. Il peut également entrer en relation avec un trader qui va l’orienter vers des usines fabriquant des produits sur mesure.

Les produits doivent ensuite être conditionnés, les techniques d’impression contemporaines permettant actuellement un packaging à coût réduit, puis transportées. Le transport ne demande pas non plus des frais exorbitants, puisque le transit par conteneur entre la Chine et les Bahamas via Dubai coûte moins cher qu’un trajet entre Le Havre et Paris par camion.

Une première difficulté consiste à passer entre les mailles des filets des douanes après avoir effacé la provenance réelle de la cargaison. Pour ce faire, il est nécessaire de faire transiter la marchandise par une zone franche en changeant de transporteur, ce qui rendra la traçabilité des colis illisible. Il est également possible d’avoir recours à la corruption qui, selon Bernard Leroy, ancien magistrat spécialisé dans les stupéfiants et aujourd’hui directeur de l’IRACM, reste d’une redoutable efficacité.

Enfin, last but not least, il faut vendre et promouvoir les produits. Cette étape est sans doute la plus délicate car elle requiert une bonne connaissance des règles nationales propres au secteur pharmaceutique et surtout beaucoup d’imagination.

Selon Eric Przyswa, chercheur à Paris Tech et auteur du rapport « Contrefaçon de médicaments et organisations criminelles » publié en septembre 2013, les contrefacteurs connaissent très bien les systèmes de santé et n’hésitent pas à profiter de leurs failles, ni à surfer sur les émois provoqués par certaines crises sanitaires, comme l’épidémie de grippe H1N1.

Quant à l’imagination, les contrefacteurs n’en manquent pas et internet s’avère un allié très précieux. Qui n’a pas reçu, sur sa boîte mail, un spam vantant des médicaments à des prix défiant toute concurrence ? En 2012, selon la société de protection informatique Symantec, 6 millions de spams pour des produits pharmaceutiques ont été envoyés chaque jour dans le monde.

Il est également possible d’acheter des bannières publicitaires ou de manipuler les résultats des moteurs de recherche. C’est ainsi que près de 300 produits distincts sont accessibles sans prescription médicale et à des prix avantageux, parfois avant leur mise sur le marché.

Des sanctions judiciaires pas toujours dissuasives

A supposer que l’on se fasse prendre, les sanctions judiciaires sont souvent moins lourdes que le retour sur investissement d’un tel trafic.

Sur le plan pénal, les peines vont jusqu’à 5 ans de prison et 500 000 euros d’amendes, notamment lorsque les faits portent sur des marchandises dangereuses pour la santé. En matière d’intérêts civils, le préjudice éprouvé peut être inférieur au gain du contrefacteur, ce qui a incité certains auteurs à qualifier la contrefaçon de faute lucrative.

Attention toutefois à la loi du 29 novembre 2007 qui a durci les conditions d’évaluation du préjudice. Le juge prend désormais en considération le manque à gagner, les bénéfices du contrefacteur et le préjudice moral résultant de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle.

Les principaux marchés

Les principaux marchés sont les Etats aux structures fragiles. On pense bien sûr aux pays en voie de développement. Ainsi, 30 à 70% des médicaments contrefaits seraient écoulés en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud Est ou en Amérique latine. D’après le programme IMPACT de l’OMS, un médicament sur 3 serait contrefait dans certains pays d’Afrique subsaharienne, Asie du Sud Est ou Amérique latine. La proportion est de un sur 5 dans les anciennes républiques soviétiques.

Les Etats-Unis sont aussi visés, plus particulièrement les personnes sans couverture maladie, qui sont prêtes à acheter des médicaments en ligne moins chers et accessibles sans prescription médicale. Selon le site pmewswire.com, 36 millions d’Américains auraient acheté des médicaments sans prescription sur des sites de ventes illégaux. Internet serait ainsi devenu le premier canal de distribution de médicaments contrefaits dans ce pays.

La France reste relativement bien protégée, grâce à la qualité de son système de santé, la solidité de la réglementation régissant les activités pharmaceutiques (chaîne de production et d’approvisionnement très encadrée, monopole des pharmaciens sur la distribution) et le système de remboursement des médicaments de prescription.

Le pays n’est cependant pas totalement préservé, en raison des achats sur internet des produits dits « de confort » : pilules amaigrissantes, compléments alimentaires, substances dopantes et autres anabolisants. Les autorités françaises saisissent ainsi régulièrement des stocks de médicaments falsifiés, soit en transit, soit commandés illégalement sur internet.

En Europe, l’arrêt Doc Morris (CJCE 11 déc. 2003, n° C-322/01), en réponse à une question préjudicielle du Landgericht Frankfurt am Main (tribunal de Francfort), a retenu que la vente par correspondance et la publicité sur internet de médicaments non soumis à prescription ne pouvaient pas être interdites.

Plus récemment, la directive n° 2011/62/UE du 16 mai 2011 s’attache à définir le médicament « falsifié », lorsque sa présentation pharmaceutique comporte une fausse présentation de son identité, sa source ou son historique. Elle institue également un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en matière de prévention de l’introduction de médicaments « falsifiés » dans la chaîne d’approvisionnement légale. Enfin, elle intègre les conditions minimales auxquelles les pharmacies en ligne doivent répondre afin d’être autorisées à faire de la vente à distance.

Les dispositions prises par les Etats membres pour mettre en œuvre les dispositions de cette directive sont cependant très variables. C’est ainsi qu’un rapport de 2010 établi par la société Nunwood pour le compte de Pfizer Inc, « Cracking counterfeit Europe », estime que le marché de faux médicaments serait de 10,5 milliards d’euros par an en Europe, dont un milliard en France.

Une prise de conscience tardive

Le schéma idyllique du voleur heureux ayant été dressé, les sots (ou les honnêtes gens suivant le point de vue où on se place) ont quand même le droit de se demander pourquoi la prise de conscience de ce phénomène est venue si tard, alors que la contrefaçon existe depuis au moins l’antiquité.

Plusieurs raisons peuvent être avancées sans qu’il soit vraiment possible de savoir laquelle est vraiment déterminante.

Tout d’abord, et sans retomber dans le lieu commun de la mondialisation ou globalisation (choisissez la notion que vous préférez) qui domine le XXIème siècle, il est certain que la contrefaçon est devenue un phénomène qui dépasse largement les frontières d’un Etat.

Eric Przyswa, dans l’introduction de son rapport, rappelle que la lutte contre la contrefaçon existe depuis les années 80 mais qu’elle était alors limitée à des secteurs où le consommateur était demandeur de l’acte d’achat. Elle n’est surtout plus adaptée face à un phénomène qui s’est développé depuis les années 2000 par la libéralisation des échanges, le développement des technologies, la conteneurisation et l’importance de la Chine comme usine du monde.

Il en ressort que le démantèlement des réseaux criminels nécessite une coopération internationale qui n’est pas toujours au rendez-vous. Il a ainsi fallu attendre le 28 octobre 2011 pour que soit signée la « convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon de produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique », dite convention Médicrime. Par cette convention, les Etats signataires (dont la France qui devrait la ratifier en 2014) s’engagent à prévoir des peines sévères et à mettre en place des unités de policiers et de magistrats spécialisés capables d’agir au-delà des frontières.

Cette situation conduit également les entreprises privées à réagir et à créer leurs propres services de surveillances, ainsi qu’à collaborer entre eux et avec les autorités publiques. Elles sont aussi amenées à créer des organismes destinés à alerter l’opinion publique. C’est ainsi que SANOFI finance à hauteur de 80 % l’Institut de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRACM), dont la mission est de mener des actions de sensibilisation et de formation à travers le monde sur les dangers de contrefaçon. L’IRACM est notamment le commanditaire du rapport précité d’Eric Przyswa.

Il reste à savoir si ces actions sont vraiment efficaces. En effet, et c’est la deuxième raison de la prise de conscience tardive des dégâts de la contrefaçon, l’opinion publique n’a que peu de sympathie pour les entreprises internationales perçues plus souvent comme des carnassières que comme des victimes. Et ça ne date pas d’hier, il suffit de revoir certains films d’Henri Verneuil (Le Président, Mille Milliards de dollars) ou de relire certains romans de John Le Carré (La Constance du jardinier).

En conséquence, la contrefaçon en général n’est pas toujours perçue comme un mal. Le préjudice subi est pourtant bien réel, en matière de perte de marché comme d’impact négatif pour les entreprises victimes, sur leur image et leurs rapports avec les consommateurs.

Des droits de propriété intellectuelle contestés

Plus largement, l’idée même de propriété intellectuelle est souvent contestée, en tout cas pour certaines catégories de biens.

C’est ainsi que le prix Nobel d’Economie a été attribué en 2009 à Elinor Ostrom pour son travail sur la gouvernance des biens communs. A cette occasion, plusieurs voix s’étaient élevées pour promouvoir une économie alternative qui ne soit pas fondée sur la propriété.

En particulier, l’économiste Françoise Benhamou écrivait : « Les logiques de développement de l'immense domaine de la recherche et du savoir montrent s'il en était besoin que l'économie de la connaissance repose sur l'échange, sur la connaissance partagée et patiemment construite de tous ceux qui y travaillent. De ce point de vue, la tragédie des communs devient celle des « anticommuns », celle de la tentation de breveter ce qui permet l'avancée de la science, afin d'en tirer profit dans une perspective de court terme qui fait fi du bien de tous. La question de la brevetabilité du vivant illustre bien le danger de troquer le domaine des communs contre celui de la privatisation des ressources fondamentales. » (Françoise Benhamou Un Nobel très moderne, Les Echos du 22 octobre 2009).

Plus récemment, le collectif Les Poissons Roses, qui se présente comme un mouvement personnaliste de gauche visant à « relier les questions d'éthique et de justice sociale » a publié, le 19 novembre dernier, une tribune dans lemonde.fr pour réclamer que les agriculteur soient autorisés à reproduire et échanger entre eux leurs propres semences, sans avoir à payer de royalties aux détenteurs de droits de propriété intellectuelle ni être considérés comme contrefacteur.

Dire que les contrefacteurs peuvent sauter de joie, puisque même les humanistes les soutiennent, serait cependant de mauvaise foi. Ce débat dépasse en effet largement le contexte de la contrefaçon.

Il n’en existe pas moins un mouvement général de remise en cause des droits de propriété intellectuelle, mouvement dont les entreprises victimes de contrefaçon feraient bien de tenir compte afin d’adapter leur communication. Face aux problèmes d’accès aux soins et aux situations de crise sanitaire que connaissent certains pays, dire « je perds de l’argent et mon image se détériore auprès de mes clients » est le plus sûr moyen de ne pas être écouté.

De la propriété intellectuelle à la santé publique

De ce point de vue, les médicaments ont un avantage incontestable par rapport aux autres catégories de produits contrefaits. Plus qu’un préjudice économique ou d’image, leur contrefaçon pose un problème grave de santé publique. Il n’échappera d’ailleurs à personne que la directive 2011/62/UE parle de médicament « falsifié » en le distinguant du médicament contrefait, s’affranchissant ainsi de la propriété intellectuelle pour se focaliser sur le faux médicament et ses dangers.

C’est également l’option que prend Eric Przyswa dans son rapport « Contrefaçon de médicaments et organisations criminelles », en rappelant une conséquence essentielle des faux médicaments, la santé, et en donnant des exemples éclairants de décès causés par ceux-ci.

L’article des Echos du 7 novembre 2013 donne d’ailleurs des exemples particulièrement peu ragoûtants de la manière dont les médicaments contrefaits sont fabriqués : produits périmés, comprimés sans principe actif, vaccins coupés à l’eau, sirops avec du liquide de refroidissement pour moteur. Excusez du peu !

Reste à faire prendre conscience à l’opinion du problème de la contrefaçon pour les autres catégories de produits qui, eux, ne sont pas soumis à des impératifs de santé publique.

Si l’on aime philosopher, on peut également se demander dans quelle mesure une société est prête à accepter le faux et dans quelle proportion. Au vu du contentieux qui a récemment opposé le CNB à la société Alma Consulting Group, les professions juridiques réglementées en savent quelque chose.

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