La pratique qui consiste à donner trois (03) mois de loyer au locataire d'un bail d'habitation qui ne s'acquitte pas de ses loyers se justifie t-elle en droit?
La reponse à cette question est partagée tant cette pratique est à priori et principalement contraire à la loi (I). Toutefois, rapprochée de certains textes de lois comme ceux relatifs à la transaction, elle pourrait trouver compréhension (II).
I- TROIS (03) MOIS DE CONGES POUR LIBERER UN LOCAL D'HABITATION EN CAS DE LOYER IMPAYES: UNE PRATIQUE CONTRAIRE AUX REGLES SPECIALES TIREES DU DROIT IMMOBILIER
A- Une pratique contraire à l'esprit du congé.
La pratique qui consiste à donner trois (03) mois au locataire ne justifie pas au regard des règles de droit applicables à l'immobilier. En clair, le propriétaire de la maison ne doit pas donner trois (03) mois de congés à un locataire qui ne paye pas son loyer pour que celui-ci puisse libérer les locaux qu'il occupe. De même, un locataire ne peut solliciter valablement du bailleur trois (03) mois de congés pour pouvoir liberer le local.
Cette position s'explique par le fait que cette pratique est contraire à l'esprit de la loi relatives aux trois (03) mois de congés.
En effet, les trois (03) mois de congés sont prévues par l'article 3 de la loi 77-995 du 18 Décembre 1977, reglementant les rapports des bailleurs et des locataires de baux d'habitation.
Cet article est ainsi libellé:
"
Le droit au maintien dans les lieux n'est pas opposable au propriétaire qui désire reprendre son local pour des motifs légitimes notamment pour l'occuper lui-même ou le faire occuper par son conjoint, par ses ascendants ou descendants directs ou ceux de son conjoint. En ce cas le propriétaire devra donner à l'occupant un préavis de trois mois par acte extra judiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui indiquera avec précision les motifs qui justifient l'exercice du droit de reprise.
N'est pas un motif légitime le congé donné en vue d'une relocation sauf en cas de démolition pour reconstruire ou de transformation nécessitant l'évacuation des lieux,
Lorsque la réalité des motifs légitimes n'est pas sérieusement contestée le Juge des référés peut ordonner l'expulsion de l'occupant. L'appel de cette ordonnance est suspensif.
Il résulte de cet article que les trois (03) mois de congés peuvent être donnés dans le cadre du bail d'habitation que pour les cas suivants:
- Reprise de son local pour habitation ou faire habiter son conjoint, ses ascendants ou descendants directs ou les ascendants ou descendants de son conjoint.
- Démolition pour reconstruction avec un droit de priorité au logement au locataire à la fin des travaux.
Comme il apparait, les trois (03) mois de congés donnés au locataire qui ne s'acquitte pas de son loyer ne figure pas parmi les motifs de congés.
Ainsi donc, "donner 3 mois de congés au locataire" qui ne s'acquitte pas de son loyer n'est une pratique légale c'est-à-dire conforme à la loi.
D'ailleurs, l'article 11 de la loi 77-995 précité prévient que les dispositions du texte sont d'ordre public. Ce qui veut dire que la loi n'admet pas une pratique contraire à celle visée à l'article 3 et relative au congé dans le cadre du bail d'habitation.
B- Une pratique contraire aux procédures à mettre en oeuvre en cas d'impayés
Cette pratique de trois (03) mois de congés au locataire qui ne s'acquitte pas de ses loyers est aussi contraire aux procédures à mettre en oeuvre en cas de loyers impayés.
En effet, en cas d'impayés, la voie à suivre pour résilier le contrat et expulser le locataire n'est pas celle des "3 mois de congé".
Cette voie est prévue par les dispositions de l'article 1741 du code civil combinées à celle de l' article 1184 du Code civil.
Aux termes de l'article 1741 le contrat de louage comme c'est le cas du bail d'habitation se résout par le défaut du preneur ou locataire de remplir son engagement.
Or l'engagement du preneur ou locataire est aux termes de l'article 1728 du Code civil de payer le loyer aux termes convenus.
Quelle est donc la conséquence du non paiement du loyer?
La réponse nous est donnée par l'article 1184 du Code civil.
Cet article prévoit que le défaut de l'une des parties à un contrat de remplir son engagement entraîne la résiliation ou rupture du contrat. Dans notre cas, le non paiement du loyer aura pour conséquence la rupture du bail.
Toutefois, le même article prévoit que la rupture ou résiliation doit être demandée en justice. Ce qui oblige le Bailleur à saisir la justice pour que la rupture du contrat de bail soit prononcée et que le locataire soit expulsée peu importe le nombre de loyers dont le locataire est redevable.
Il échet de tout ce qui précède que la pratique qui consite à donner trois (03) de congés en cas de loyers afin de liberer le local occupé à titre d'habitation n'est pas légale.
II- UNE PRATIQUE COMPREHENSIBLE MAIS DANGEREUSE POUR LE BAILLEUR
A- Une pratique compréhensible si elle épousait l'esprit de la loi sur les transactions
Certes et mêmes si, cette pratique est contraire à l'esprit des règles de droit immobilier, on pourrait l'expliquer au regard des règles applicale à la transaction.
Cette pratique peut se comprendre au regard des dispositions de l'article 2044 sur le Code civil sur la transaction à condition que les règles applicables à la transaction puisse s'appliquer
Cet article dipose que
" La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou à naître.
Ce contrat doit être rédigé par écrit".
Il résulte de cet article que les parties à un litige comme c'est le cas en cas de non paiement de loyers peuvent décider une trouver une issue négociée à un litige qui les oppose en procédant à la rédaction d'un acte transctionnel qui peut prendre la forme d'un protocole d'accord.
Ce protocole d'accord doit être écrit.
En clair, la pratique qui consiste à donner trois (03) mois aux locataires en cas de non paiement de loyer pour que celui-ci parte des lieux pourrait se justifer au regard des dispositions de la loi sur les transactions si seulement si cet accord était consigné dans un document écrit.
A défaut cet accord, ne vaudrait pas et sera considéré comme non avenu.
Dans tous les cas, cet accord reste dangereux pour le bailleur.
B- Une pratique dangereuse pour le Bailleur.
Donner trois (03) mois de congés au locataire qui doit des loyers afin que celui-ci puisse quitter les lieux demeure une pratique dangéreuse pour le bailleur.
Pour cause:
-1- Seule une décision de justice peut ordonner l'expulsion et le départ d'un locataire d'un local d'habitation.
En d'autres termes, si à l'issue des 03 mois à lui consentis, le locataire demeure dans les lieux, le bailleur ne pourra manu militari mettre ce locataire dehors. Il devra alors introduire en justice une procédure d'expulsion qui peut lui prendre un mois et demi, deux, trois, quatre, cinq mois selon les procédures.
Le bailleur aura ainsi perdu en temps et en argent puisque dans la pluaprt des cas, le locataire qui demeure dans les lieux ne s'acquitte pas de ses loyers.
-2- Aucun depôt de garantie ne pourra être utilisée en réfection des dégâts causés par la présence du locataire dans les lieux.
Le locataire verse avant son entrée dans les lieux une somme d'argent appelée à tort caution. Sa véritable appelation est le dépôt de garantie car la caution est en droit une personne physique ou une personne morale (Société, Banque par exemple) qui s'engage à payer pour vous en cas d'insolvabilité.
Cette somme est conservée par le Bailleur pour remettre les locaux en état en cas de départ du locataire.
Ainsi, lorsque le Bailleur accepte devant les difficultés de paiement du locataire de lui accorder trois (03) mois de loyer impayé, il accepte de renoncer implicitement à son dépot de garantie puisque le locataire aurait épuisé les mois de depot de garantie.
le Bailleur ne disposera donc d'aucune somme pour faire face aux dégats causés aux portes, aux carreaux et autres acessoires des locaux. Il lui faudra donc débourser d'autres sommes pour remettre les locaux en état. Nul doute, les Bailleurs préférent cette solution car arguent-ils les procédures judiciaires sont longues et coûteuses. Toutefois, comme cela ressort de cette analyse, cette pratique demeure tout de même dangereuse pour le Bailleur.
EN CONCLUSION ET POUR NOTRE PART,
La pratique qui consiste à donner trois (03) mois de congés au locataire qui ne paye pas ses loyers pour que celui-ci libère les lieux n'est pas légale et ne justifie pas en droit même si habillée dans la robe des dispositions de l'article 2044 cette pratique pourrait avoir un sens.
Au demeurant et comme cela a été exposé dans cet article cette pratique demeure pernicieuse pour le Bailleur qui gagnerait à initier sa procédure d'expulsion dès le premier mois où il constate le non paiement du loyer.
IMPORTANT:
Cet article vous a plu et vous souhaitez participer à des sessions de formations sur le droit immobilier, notamments sur les droits et devoirs des locataires, écrivez-moi à lobejeanlouis@yahoo.fr en indiquant votre nom, votre profession et ce que vous aimeriez savoir.
Cet article est de Jean-Louis F. LOBE,
Doctorant en Droit, COllaborateur d'Avocat, Expert-Juriste-Conseil en Droit Immobilier.
Chargé de Cours en Droit Immobilier à ESPI PARIS-NANTES d'ABIDJAN depuis 2009.
lobejeanlouis@yahoo.fr
+225 05 15 63 34.