Par Grégoire Le Metayer. Retrouvez cet article sur les sites www.jurispilote.fr et http://www.droitdesrh.fr
Cette question, beaucoup d’employeurs se la posent actuellement… tout en analysant les (lourdes) conséquences qu’une telle « situation » ne manquerait pas d’avoir. En effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononcera le 8 juin 2011 sur le cas d’un cadre commercial « au forfait-jour » réclamant le paiement d’heures supplémentaires suite à sa démission.
Qu’est-ce que le forfait-jour ?
Il s’agit d’un régime particulier (créé par la loi Aubry relative aux 35 heures) codifié aux articles L. 3121-38 et suivants du Code du travail. Ce régime consiste à rémunérer les salariés sur la base du nombre de jours travaillés dans l’année. Il autorise un temps de travail pouvant aller jusqu’à 78 heures par semaine, sans paiement des heures effectuées au delà de la durée légale du travail.
Pour conclure ce type de conventions, un accord d’établissement, d’entreprise ou de branche doit fixer préalablement :
• Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait.
• La durée annuelle du travail, dans la limite de 218 jours. Le salarié peut cependant décider de renoncer à des jours de repos, pouvant porter ainsi sa durée du travail à 235 jours maximum. La rémunération de ces jours supplémentaires est alors majorée d’au moins 10%.
• Les caractéristiques principales de ces conventions.
De plus, le forfait-jour ne concerne que :
• Les cadres autonomes dans l’organisation de leur emploi du temps et dont les fonctions ne les conduisent pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’entreprise.
• Les salariés non-cadres autonomes dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la durée du travail ne peut être prédéterminée.
C’est donc tout ce régime qui risque de « tomber » prochainement.
Le forfait-jour remis en question ?
Le conseil de prud’hommes d’Alençon et la Cour d’appel de Caen ont débouté ce cadre commercial en retenant que le décompte des heures de travail étant impossible, le paiement des heures supplémentaires l’est tout autant.
Plusieurs solutions s’offrent donc à la Chambre sociale de la Cour de cassation :
• Valider, ou non, la position du conseil de prud’hommes et de la Cour d’appel.
• S’attaquer à la licéité même du forfait-jour.
Cette dernière possibilité représente un « danger certain », aussi bien pour les employeurs que pour l’Etat.
La Chambre sociale pourrait en effet se saisir de cette question et choisir de suivre le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) (*1) qui a condamné la France à quatre reprises pour violation de la Charte européenne des droits sociaux. Une des dispositions de cette Charte prévoit que la durée du travail ne doit pas être « déraisonnable » et la rémunération « équitable ». Or, en permettant de travailler 78 heures pas semaine sans contrepartie financière spécifique, la France (au travers du forfait-jour) autorise une durée « manifestement excessive pour être qualifiée de raisonnable » (*2).
Jusqu’à aujourd’hui, la France n’a pas encore mis en pratique les décisions du CEDS… cette Charte est pourtant d’application obligatoire, mais son non-respect n’est pas sanctionné.
Si la Cour de cassation décidait de suivre le CEDS, les salariés en forfait-jour pourraient exiger le paiement des heures supplémentaires effectuées ces cinq dernières années… à condition bien sûr de pouvoir apporter des preuves sur leurs heures travaillées.
Dans ce cas, aussi bien la loi que les accords seraient à revoir !
La Cour de cassation soulèvera-t-elle cette question de la licéité du forfait-jour ? Le débat est désormais lancé, alimenté par un nombre de contentieux en constante augmentation ! Soit la Chambre sociale décide d’agir maintenant, soit elle laisse s’installer une période d’instabilité juridique en attendant de fixer sa jurisprudence.
Réponse et analyse dans les prochaines semaines sur ce même blog !
Nota Bene:
*1 : site du comité européen des droits sociaux.
*2 : décision du CEDS du 14 janvier 2011.