Par Guillaume Ferrand, web-consultant pour Jurispilote. Retrouvez cet article et toutes nos publications sur le site www.jurispilote.fr
Les informations figurant au verso d’un chèque sont-elles couvertes par le secret professionnel ? le cas échéant, le juge civil peut-il ordonner à l’établissement bancaire de lever le secret professionnel au profit du tireur du chèque ?
Pour répondre à ces questions, il convient de rappeler les fondements du secret bancaire (1), les exceptions permettant la levée du secret bancaire (2) et la position de la jurisprudence en matière de communication du chèque au tireur (3).
1°) le principe du secret bancaire
Toute personne qui participe à la vie d'un établissement de crédit est tenue au secret professionnel.
L’ article 57 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, devenu l’article L.511-33 du code monétaire et financier, indique en effet que :
« tout membre d'un conseil d'administration et selon le cas, d'un conseil de surveillance et toute personne qui à un titre quelconque participe à la direction ou à la gestion d'un établissement de crédit ou qui est employée par celui-ci, est tenu au secret professionnel (…) ».
2°) les exceptions légales au secret bancaire
Toutefois, la loi prévoit une liste des cas dans lesquels le secret bancaire est inopposable, ou dans lesquels il peut être levé par l’établissement bancaire.
Ensuite, les établissements de crédit peuvent communiquer des informations couvertes par le secret professionnel aux agences de notation pour les besoins d’évaluation des produits financiers. Aussi, la loi dresse-t-elle une série d’opérations dont les informations y rattachant peuvent être communiquées par l’établissement bancaire à ses co-contractants.
Enfin, un établissement de crédit peut communiquer des informations couvertes par le secret professionnel lorsque les personnes concernées l’y ont expressément autorisé.
3°) la position de la jurisprudence sur la communication des chèques au tireur
La question s’est posée en jurisprudence de savoir si les informations figurant au verso d’un chèque constituent des informations couvertes par le secret professionnel.
L’enjeu de la question est de savoir si le tireur d’un chèque peut obtenir communication du verso du chèque qu’il a émis, ce qui peut être utile en matière de preuve, ou pour avoir accès aux numéros de compte du bénéficiaire en vue d’exercer une mesure conservatoire sur ledit compte.
Dans un premier temps, la jurisprudence considérait que le tireur d’un chèque pouvait obtenir communication des deux faces de son chèque [1].
Mais, par un arrêt du 13 juin 1995 [2], la chambre commerciale de la Cour de cassation a refusé aux tireurs d’un chèque la communication de son verso, considérant de manière implicite qu’il s’agissait d’une information couverte par le secret professionnel. Partant, le recto d’un chèque ne pourrait être communiqué que dans les exceptions prévues par la loi. Tel serait le cas en matière pénale, où la communication des informations couvertes par le secret professionnel est de droit (cf supra). Mais quid en matière civile ?
L’article 10 du Code civil énonce le principe selon lequel « Chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ».
Et l’article 11 du Code de procédure civile précise que « si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, (…) à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime. »
Une seconde question se pose alors de savoir si l’établissement bancaire tiré peut opposer le secret professionnel comme « empêchement légitime » à la communication du verso d’un chèque, au sens de l’article 11 du Code de procédure civile. Sur ce point, l’arrêt précité est clair : « le secret professionnel auquel est tenu un établissement de crédit constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ».
Cette solution a depuis été réaffirmée avec force par deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation des 8 juillet 2003 [3] et 21 septembre 2010 [4], dont la nouveauté est de s’appuyer sur l’article 9 du Code civil selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée. »
Au final, le bénéficiaire d’un chèque jouit d’une protection absolue des informations qu’il appose au dos du chèque, assurée par le secret bancaire et le droit au respect de sa vie privée ; et le tireur, quel que soit son intérêt, n’a aucun moyen d’obtenir ces informations devant le juge civil.
[1] TGI Paris, ordonnance de référé du 10 juillet 1991 ; CA Reims, 25 févr. 1993
[2] Cour de cassation, chambre commerciale du 13 juin 1995, N° de pourvoi 93-16317
[3] Cour de cassation, chambre commerciale du 8 juillet 2003, N° de pourvoi : 00-11993
[4] Cour de cassation, chambre commerciale du 21 septembre 2010, N° de pourvoi : 09-68994