Par Guillaume Fort. Retrouvez cet article et toutes nos publications sur notre site internet www.jurispilote.fr. Souvent confondues, les notions de « société en formation » et « société de fait » font référence pourtant à deux situations distinctes. Certes, il s’agit dans les deux cas de sociétés non immatriculées, uniquement formées par l’intention des associés.
Cela étant dit, la société en formation n’a d’existence qu’en vue de l’acquisition de la personnalité morale tandis que la société de fait existe à partir du seul accord contractuel des associés, sans aucune recherche de la personnalité morale.
C’est cette différence qu’il convient maintenant de souligner, au travers l’étude de la société de fait puis de celle de la société en formation afin de percevoir les critères et l’intérêt de la distinction.
1. La société de fait
La société de fait (ou société créée de fait), visée à l’article 1873 du Code civil, résulte du comportement de personnes qui, sans en avoir pleinement conscience, agissent entre elles et à l’égard des tiers comme de véritables associés.
Elle apparait en général à l’occasion de litiges : afin d’étendre leur action en paiement à d’autres personnes, un créancier peut avoir tendance à soulever l’argument d’une société créée de fait entre le débiteur et l’un ou plusieurs de ses associés de fait. Ce type de société se rencontre très souvent dans les activités commerciales, à l’occasion de l’exploitation en commun d’un fonds de commerce par des concubins, des parents ou des amis. Mais elles peuvent également résulter du changement de nature d’autres contrats (contrats de travail, de prêt, de concession, d’entreprise) que les cocontractants transforment progressivement en sociétés créées de fait.
L’existence d’une société de fait supposera de rapporter la preuve des trois caractéristiques propres au contrat de société :
- La réalisation d’un apport (en numéraire, en nature, en industrie),
- Le partage des bénéfices (versement de dividendes) et des pertes entre les associés,
- Et un affectio societatis, c’est-à-dire l’exercice effectif d’une activité pour compte commun.
Cela dit, cette démonstration ne permettra pas de distinguer la société de fait avec la société en formation.
2. La société en formation et les critères de distinction
A la différence de la société créée de fait, le statut de société en formation est temporaire en ce qu’il intéresse spécifiquement la période de formation allant de la signature des statuts à l’immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés (RCS). A compter de l’immatriculation, la société en formation acquiert la pleine et entière personnalité juridique, lui faisant ainsi perdre sa spécificité pour devenir une société « normale ».
Cependant, la distinction entre la société en formation et la société de fait n’est pas toujours aisée et suppose une appréciation des circonstances au cas par cas. Plusieurs critères de de distinction sont utilisés par les juges à cette fin. Ainsi, l’exercice « de manière durable et importante » de l’activité sociale (Cour de cassation, 4 décembre 2001, RJDA 3/02 n°257) permettra de relever l’existence d’une société de fait.
A contrario, la société est considérée comme étant en formation dès que les actes passés pour son compte sont occasionnels et n’ont d’autre but que de préparer le commencement de l’exploitation : il en est ainsi en cas de souscription d’un ou plusieurs prêts, d’achat de matériel, de conclusion d’un bail, etc. La distinction entre ces deux formes sociales peut également être appréciée en fonction de l’intention des parties, les juges déduisant alors l’existence d’une société en formation de l’intention des associés d’immatriculer prochainement la société.
L’appartenance d’un associé à l’une ou l’autre de ces formes sociales devra en tout état de cause faire l’objet d’une étude casuistique. Elle dépendra du comportement de chacun d’eux, de sorte qu’un associé pourra être réputé avoir agi au nom de la société en formation alors que les autres seront considérés comme ayant eu un comportement d’associés de fait.
Il convient de noter que les deux situations sont exclusives l’une de l’autre : pour un même associé, la société ne peut être à la fois une société en formation et une société de fait. En revanche, société en formation et société de fait peuvent se succéder dès lors que les associés, passant outre l’absence d’immatriculation, font fonctionner leur société de manière durable. Ce faisant, ils abandonnent le régime de la société en formation pour passer sous celui de la société de fait.
3. L’intérêt de la distinction
En pratique, l’intérêt de la distinction tient à la solidarité qui caractérise la société de fait. En effet, selon les articles 1843 du Code civil et L210-6 du Code de commerce, seules les personnes ayant agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont personnellement tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis[1]. A l’inverse, tout associé n’y ayant pas participé ne saurait en être tenu responsable.
En revanche, si l’existence d’une société de fait est établie, les engagements pris par certains associés pour le compte de la société obligent personnellement et solidairement tous les autres, même s’ils n’ont pas participé à l’acte dès lors qu’à l’égard des tiers, ils ont eu un comportement révélateur de la qualité d’associé de fait (Cour de cassation, 26 mai 2009, N°08-13.891).
[1] A l’exception de la situation où la société reprend ces actes à son compte une fois régulièrement immatriculée.