3ème partie de l'exposé de Julien Truc-Hermel sur l'expulsion de l'occupant sans droit ni titre
II/ Les recours de l’occupant expulsé irrégulièrement
L’occupant sans droit ni titre, bien qu’en situation irrégulière au regard de la loi et du droit de propriété, doit tout de même être traité au cours de la procédure d’expulsion avec le respect dévolu à tout individu, eu égard à sa dignité de personne humaine.
C’est en considération de ces valeurs que la loi ouvre à l’expulsé différents recours, dont les finalités sont diverses. Il s’agira tantôt de permettre à l’occupant d’aménager les rigueurs d’une procédure néanmoins régulière, tantôt de protéger cet occupant contre le propriétaire qui procèderait à son expulsion de manière irrégulière ou illégale.
Il convient donc de distinguer les recours ouverts à l’expulsé selon que le propriétaire a engagé la procédure légale (A), ou s’en est totalement dispensé (B).
A/ Les recours corrélatifs à la procédure légale
1) Les recours en cas de procédure régulière
Dans le meilleur des cas, le demandeur à l’expulsion, c’est-à-dire le propriétaire, a non seulement employé la procédure légale; mais celle-ci est en outre parfaitement respectée. Les atteintes aux droits de l’expulsé sont donc très limitées.
Néanmoins, comme tout justiciable, le défendeur à l’expulsion se voit reconnaître le droit de contester les arguments adverses en appel (a), de demander la suspension de l’exécution provisoire (b), ainsi que des délais de grâces le cas échéant (c).
a) L’appel
L’article 543 du Code de Procédure Civile dispose que « la voie de l’appel est ouverte en toutes matières contre les jugements de première instance ». C’est le droit au double degré de juridiction qui est ainsi exprimé.
L’occupant sans droit ni titre qui est condamné à l’expulsion devant le Tribunal d’instance pourra contester les arguments adverses une nouvelle fois devant la Cour d’appel. Il utilisera ce recours également si la décision du tribunal n’accorde pas les délais de grâce qu’il avait souhaités ou s’il n’est pas satisfait de voir ordonnée l’exécution provisoire du jugement.
Il faut noter que le procès-verbal de conciliation est revêtu de l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties et est donc insusceptible d’appel.
Il résulte des articles 528 et 538 du Code de Procédure Civile, que l’appelant dispose d’un mois à compter de la signification du jugement pour interjeter appel, à peine de forclusion.
Cependant, lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée par le juge de première instance, l’appel n’a pas d’effet suspensif de la décision. La procédure d’expulsion pourra donc parallèlement poursuivre son cours, au risque d’aboutir à l’expulsion effective de l’occupant avant même que la Cour d’appel n’ait pu statué sur le bien fondé du titre d’expulsion.
b) La suspension de l’exécution provisoire
Afin de remédier à ce problème et de permettre à la Cour d’appel de confirmer ou d’infirmer le jugement avant qu’il ne soit trop tard, il appartient à l’expulsé de demander la suspension de l’exécution provisoire.
Attention, il sera question plus loin du juge de l’exécution mais il importe de retenir à ce stade que celui-ci n’est pas compétent pour suspendre l’exécution provisoire ordonnée en première instance.
L’article 524 du Code de Procédure Civile attribue au Premier Président de la Cour d’appel, située dans le ressort du Tribunal d’instance, une compétence exclusive pour arrêter l’exécution provisoire, lorsque celle-ci a été ordonnée en première instance.
Il ne pourra le faire que dans deux cas :
- Soit l’exécution provisoire ordonnée est interdite par la loi dans le litige concerné
- Soit elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives pour le défendeur.
- Le Jex n’est pas compétent pour statuer sur la validité ni sur le dispositif du jugement de première instance, et ne peut pas non plus, on l’a vu, en suspendre l’exécution.
- Le Jex est seul compétent pour trancher les litiges relatifs aux mesures d’exécution. A ce titre, il peut accorder à l’occupant des délais de grâce.
- La procédure devant le TGI est écrite et nécessite la représentation par un avocat. Pour schématiser, on peut dire qu’elle est donc longue et coûteuse. L’occupant gagnera ainsi du temps en laissant le TGI connaître du litige, mais il supportera vraisemblablement les frais occasionnés par l’instance et les frais d’avocat.
- La procédure devant le TI est orale. Elle est donc moins coûteuse et plus courte. La représentation par avocat est conseillée mais non obligatoire.
En matière d’expulsion, seule le deuxième cas de figure s’avère pertinent, car l’exécution provisoire n’est pas interdite, et constitue bien au contraire, un maillon nécessaire de la procédure.
L’article 524 précise que le Premier Président statue en référé, ce qui signifie que l’occupant doit prendre l’initiative d’assigner le propriétaire en référé devant Monsieur le Premier Président de la Cour d’appel. La charge de la preuve du caractère excessif des conséquences entrainées par l’exécution provisoire incombe évidemment à l’occupant.
Si le Premier Président suspend l’exécution provisoire, la procédure d’expulsion sera arrêtée temporairement. Cela permet à l’occupant de préparer sa sortie, de payer ses dettes locatives, et de laisser la Cour d’appel se prononcer sur le bien fondé de l’expulsion elle-même.
c) Les délais de grâce
Dès que le propriétaire a obtenu un titre exécutoire et fait délivrer un commandement de quitter les lieux à l’occupant, les difficultés et contestations relatives à l’exécution forcée doivent êtres portées devant le juge de l’exécution, qui reçoit de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, une compétence exclusive pour en connaître.
Cela emporte deux conséquences :
C’est ce dernier point qui retient l’attention. On sait que l’expulsion de l’occupant sans droit ni titre d’un immeuble à usage d’habitation ne peut intervenir que deux mois après la signification du commandement de quitter les lieux. On a vu également que le Tribunal d’instance peut accorder des délais supplémentaires à l’occupant lorsqu’il prononce l’expulsion. Il faut bien comprendre que le Jex a le pouvoir, au stade de l’exécution forcée du jugement, d’apprécier souverainement s’il est opportun d’accorder des délais supplémentaires à l’expulsé. Cette faculté est prévue par l’article L. 613-1 du Code de la construction et de l’habitation, dans le but d’assurer le relogement de l’expulsé « dans des conditions normales ».
Le cumul des délais ne saurait être infini, car le Jex ne peut accorder de délais inférieurs à trois mois ni supérieurs à trois ans (art. L. 613-2 du même Code).
En outre, de même que l’occupant peut cumuler l’appel et le référé en suspension de l’exécution provisoire; rien ne lui interdit de cumuler également l’appel, et parallèlement, la demande de délais de grâce, au stade de la réalisation de l’expulsion.
2) Les recours en cas de procédure irrégulière
Lorsque le demandeur commet des erreurs dans la conduite de la procédure, il est normal d’ouvrir au défendeur le droit de faire sanctionner les irrégularités qui lui causent un grief ou qui accélèrent anormalement l’expulsion. Dès lors, l’expulsé pourra invoquer, selon les cas, l’incompétence de la juridiction saisie (a), l’irrecevabilité de l’assignation (b), la nullité du commandement de quitter les lieux (c), ou encore l’inobservation des délais légaux (d).
a) Le déclinatoire de compétence
Lorsque la juridiction saisie est incompétente, l’article 75 du Code de Procédure Civile autorise le défendeur à l’expulsion à former un déclinatoire de compétence. Concrètement, il prendra des conclusions auprès du tribunal saisi et soulèvera une exception d’incompétence.
A titre d’exemple, il se peut que le propriétaire saisisse le TGI, qui était compétent jusque très récemment en matière d’expulsion, avant que le Tribunal d’instance ne reçoive compétence exclusive dans ce domaine. De même, le propriétaire a l’obligation de saisir le tribunal du lieu de l’immeuble occupé, à l’exclusion de tout autre.
Dés lors que le tribunal saisi est incompétent, soit à raison de sa compétence d’attribution soit à raison de sa compétence territoriale, il est loisible à l’occupant de soulever l’incompétence de la juridiction saisie. Attention, l’article 74 du même Code ordonne de soulever les exceptions d’incompétence au tout début du litige et avant tout argument de fond.
Ce moyen de défense appelle 2 commentaires, dans le cas ou le TGI est saisi au lieu du TI : En conséquence, lorsque le tribunal saisi n’est pas le bon, il revient à l’occupant et à son avocat d’opérer un choix stratégique pour savoir s’il convient ou non d’appeler l’attention du juge sur son incompétence.
b) L’irrecevabilité de l’assignation
On a vu que les bailleurs ont l’obligation particulière de faire signifier l’assignation à la fois à l’occupant sans droit ni titre et aux autorités départementales.
L’article 24 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1989 précitée prévoit que le manquement à cette obligation emporte l’irrecevabilité de la demande.
Concrètement, le propriétaire qui oublie de faire signifier l’assignation au préfet voit le juge mettre fin à l’instance : le litige ne sera pas jugé.
Si le juge peut relever d’office cette irrecevabilité, il appartient également à l’occupant de la soulever dans ses conclusions comme moyen de défense.
Le propriétaire devra alors régulariser son oubli et réintroduire une nouvelle instance, ce qui fait gagner du temps à l’occupant.
c) La nullité du commandement de quitter les lieux
Le commandement de quitter les lieux qui ne comporterait pas les mentions obligatoires envisagées en première partie encourt la nullité.
En telle hypothèse, il appartient au défendeur de soulever une exception de nullité pour vice de forme dans ses conclusion. Conformément à l’article 114 du Code de Procédure Civile, il doit prouver un grief pour que la nullité soit prononcée.
Attention, les articles 112 et 113 de ce Code prévoient que ce moyen de défense peut être soulevé au fur et à mesure des actes de procédure – donc dès réception du commandement – mais toutes les exceptions de nullité doivent être soulevées en même temps et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
Si le Jex n’est en principe compétent que pour connaître des difficultés surgissant après la signification du commandement à l’occupant, il est par exception compétent pour connaître de la validité de ce commandement et prononcé, le cas échant, sa nullité.
Le propriétaire devra alors faire délivrer un nouveau commandement de quitter les lieux respectant les formalités requises.
d) L’inobservation du délai de deux mois
Il existe une exception au principe selon lequel le Jex est incompétent pour ordonner la suspension de l’expulsion.
On sait qu’en matière d’expulsion d’un local à usage d’habitation, la loi prévoit un délai de deux mois suivant la signification du commandement de quitter les lieux avant que le propriétaire ne puisse réaliser l’expulsion.
Lorsque le propriétaire réalise l’expulsion avant ce délai, la jurisprudence décide que le Jex peut, sur saisine de l’occupant, suspendre l’exécution forcée. Il se prononcera dans ce sens chaque fois le propriétaire ne justifiera pas de ses diligences auprès du préfet pour reloger l’occupant.
Dès lors, le délai accordé sera compris entre trois mois et trois ans, et les opérations d’expulsion ne pourront reprendre qu’à l’expiration de ce délai.
Dans les cas qui viennent d’être envisagés, l’expulsé se contente de retarder l’échéance, puisqu’étant sans droit ni titre, il devra bien finir par déguerpir au terme de la procédure. En revanche, dans certaines hypothèses, l’occupant peut contester l’action du propriétaire et rester en possession du bien qu’il occupe. L’occupant fera alors échec aux droits du propriétaire. Il en va ainsi chaque fois que le propriétaire reprend possession de son bien sans employer la procédure légale d’expulsion.