Par Guillaume Fort.
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Il n'existe pas pour l'instant d'équivalent à la « Class Action » de Common Law en Droit français. Pour autant, lors des cérémonies de voeux aux corps constitués de janvier 2005, le président de la République avait émis l'idée de permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés ». Depuis ce temps, bien qu'un groupe de travail mixte (chancellerie/ministère des finances) ait été constitué aux fins d'étudier les voies et moyens d'introduire une « class action » en droit français son introduction est toujours discutée, mais ne semble pas imminente...
1. Définition et caractéristiques
La « class action » est avant tout une procédure.
Cette procédure a vocation à s'étendre à une catégorie d'individus, à une classe de personnes.
Dès lors qu'un même préjudice est causé non pas à une seule personne mais à une multitude, une « class action » peut être intentée contre le ou les responsables. Deux types de « class action » existent dans les divers systèmes qui les règlementent.
« L'Opt Out » (modèle américain) concerne l'ensemble des personnes qui présentent les caractéristiques définies pour en faire partie à l'exception de celles qui manifestent leur volonté de s'en exclure.
L'Opt Out Class action emporte une conséquence importante : la décision qui sera prononcée, ou l'accord transactionnel qui sera arrêté, produira ses effets à l'égard de tous les membres de la classe, y compris à l'égard de ceux qui ne sont pas intervenus formellement dans la procédure. Seuls ceux qui ont choisi de se retirer de l'action ne seront pas atteints par les conséquences de la solution. Ils peuvent d'ailleurs, s'ils le souhaitent, agir individuellement en justice. En revanche, toutes les autres personnes qui composent la classe, même lorsqu'elles ignorent l'existence de l'action ou sont restée inconnues, seront liées par la solution.
« L'Opt In » ne concerne que les personnes qui manifestent leur volonté de faire partie de l'action pour peu qu'elles répondent aux conditions prédéfinies.
La « Class action » présente une (longue) série d'obstacles juridiques à son adaptation dans notre système juridique, ce qui permet logiquement d'affirmer que sa simple et pure transposition (par rapport au référent américain) en Droit français n'est pas techniquement possible et que plusieurs aménagements devront être engagés pour qu'elle soit juridiquement compatible.
2. Les obstacles juridiques internes à l'introduction de la « Class action »
2.1 Les obstacles dans l'introduction de l'instance
• Premier obstacle : la règle « Nul ne plaide par procureur ».
Cette règle n'interdit pas la représentation à l'action : toute personne peut donner mandat à une autre d'agir à sa place, par un contrat. Mais il faut une autorisation expresse. Or, dans le système de l'Opt Out, cette autorisation expresse n'existe pas.
De plus, les règles de procédure en Droit français exigent que le nom du mandant figurent dans toutes les pièces produites, sans que sa personnalité soit occultée par celle du mandataire. La règle est difficilement compatible avec l'anonymat des victimes de la « class action ».
• Deuxième obstacle : la décision du Conseil Constitutionnel du 25 juillet 1989
Par cette décision, le Conseil habilite les seuls syndicats représentatifs d'introduire une action en justice à effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié, mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel une action collective.
A la condition que l'intéressé ait pu donner son assentiment en pleine connaissance de cause (système de l'Opt In) et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action. Peu importe par contre qu'il ne soit pas adhérent du syndicat.
Faut-il considérer que seul un syndicat soit constitutionnellement habilité à exercer une « class action » en France ?
La liberté individuelle de ne pas agir en justice peut-elle faire obstacle à l'exercice d'un recours collectif ?
1ère question : en principe non, dès lors que le Conseil raisonne ici dans le cadre d'un litige individuel pour un salarié isolé, sans préjudice de masse. Au contraire, dans la « Class action », si le préjudice de chacun reste individuel, il n'est plus isolé, puisqu'il s'agit par hypothèse, d'un préjudice de masse. Le Conseil Constitutionnel pourrait donc statuer d'une manière différente s'il était confronté à des faits différents.
2nde question : en principe non : en effet, au regard du droit de la consommation et d'un préjudice de masse, l'absence d'accord d'un ou plusieurs consommateurs n'empêchera pas le procès de se dérouler si d'autres victimes se décident à agir; en quelque sorte, l'adhésion expresse de toutes les victimes serait accessoire à l'existence même du procès.
2.2 Les obstacles dans le déroulement de l'instance
• Obstacles dans la recherche des preuves
Dans le système américain de la « Class action », la recherche des preuves constitue l'élément clef de cette procédure, avec la technique de la « Discovery » qui permet au juge d'ordonner auprès d'une des parties au procès la production forcée de certaines pièces au dossier.
En France, ce n'est pas au juge civil d'ordonner la production de pièces au cours du procès mais au contraire aux parties d'avancer respectivement leurs éléments de preuves. De tradition, dans notre pays, c'est le parquet et le juge d'instruction qui sont seuls autorisés, en matière pénale, à procéder ainsi.
• La rupture d'égalité des armes générée par la « Class action »
Le principe de l'égalité des armes est un principe directeur du procès civil et pénal, reconnu par le Droit européen depuis 1968 et inséré à l'article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales « Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement... »
La « Class action » se concilie mal avec ce principe fondamental. D'un côté, dans le système de l'Opt Out, les membres représentés mais inconnus ne pourront pas faire valoir leurs arguments. De plus, le défendeur ne peut-il pas justement prétendre qu'il ne connaît pas tous ses adversaires, alors que le représentant de la « Class action » connaît son adversaire ?
D'autre part, dans le système de l'Opt In, les victimes sont certes obligées d'adhérer à l'action collective pour pouvoir prétendre au bénéfice du jugement, mais cette volonté individuelle peut se manifester à tout moment en cours de procès.
• La violation du principe de la contradiction
La Cour européenne des droits de l'homme rappelle constamment qu'une procédure n'est pas contradictoire si « le président n'a pas entendu le requérant et ne l'a pas invité à présenter ses observations ». Le défenseur à une « Class action » ne peut-il pas légitimement prétendre qu'il n'a pas pu obtenir du demandeur inconnu qu'il présente ses observations et qu'il n'a pas pu faire valoir ses arguments contre chacun des demandeurs, notamment dans l'appréciation du préjudice de chacun (par exemple en opposant le comportement fautif de certaines victimes) ? De nouveau, la « Class action » se heurte à un principe fondamental reconnu aux parties au procès.
2.3 Les obstacles dans l'aboutissement de l'instance
• L'indemnisation des victimes
Aux Etats-Unis, la « Class action » profite surtout aux avocats : il est exact que, dans le système américain, les avocats pratiquent l'ambulance chasing et se réservent la plus importante partie des indemnités obtenues, souvent renforcées par la technique des punitive damages qui accroissent considérablement l'enveloppe des réparations.
Le professeur Daniel Mainguy, de la faculté de droit de Montpellier, ajoute : « dès lors, le mécanisme provoque un engorgement des prétoires, une publicité néfaste pour les cibles des class actions, un effet de deep pocket pour les sociétés les plus riches que l'on poursuit systématiquement, un effet de pression, voire de chantage et de peur, qui conduit invariablement la cible à transiger même si elle avait quelques chances de triompher, etc. ». Comment seront alors fixés les dommages-intérêts aux victimes du préjudice de masse? Un caractère automatique, forfaitaire et égalitaire de l'indemnisation pourrait être étudié, mais cela irait à l'encontre du principe selon lequel l'indemnisation est évaluée individuellement, au cas par cas.
L'attribution d'une somme globale au fonds créé à cet effet ou à l'association pourra aussi être envisagée. Mais dans ce cas, l'indemnisation variera selon le nombre final de victimes qui se feront connaître après le jugement, ce qui n'est guère satisfaisant et pose la question de la publication de ce jugement.
Mais à quel coût ? Faudra-t-il fixer un délai à l'expiration duquel les victimes ne pourront plus se faire connaître ou mettre en place un fonds d'indemnisation pérenne, dans l'attente que des victimes inconnues au jour du jugement se manifestent même tardivement ?
Autant de question qu'il reviendra au législateur français de trancher si le projet sur les « class actions » vient à aboutir.
• L'interdiction de la rémunération des avocats sur la base d'un pacte de « quota litis »
Aux Etats-Unis, les avocats avancent les fonds nécessaires à l'engagement d'une telle poursuite, travaillent gratuitement, rémunèrent les experts et sont ensuite rémunérés sur la base d'un pacte de quota titis (pourcentage sur les sommes obtenues), ce qui est interdit en droit français.
Le professeur Mainguy précise : « l'interdiction du pacte de quota titis pourrait se doubler d'une limitation des conventions d'honoraires, d'une prise en compte de tous les frais du procès par la partie perdante, donc éventuellement les demandeurs, voire par une responsabilité plus importante de l'introduction de la demande, par une efficacité plus grande de la mise en oeuvre de l'article 700 du CPC (frais de procédure) ».
3. La « Class action » au regard du Droit européen
La Cour Européenne des droits de l'Homme (CEDH) a fait sensiblement évoluer sa position en faveur des actions de groupe au début des années 2000.
Par une décision du 10 juillet 2001 et par une décision du 27 avril 2004, venant confirmer une solution déjà affirmée par un arrêt du 10 juillet 2001, la CEDH valide la technique de la « class action « , mais uniquement par le recours aux entités collectives que sont les associations ; étant parfois le seul moyen dans dispose le citoyen pour « assurer une défense effective de ses intérêts particuliers ». « Cette qualité à agir des associations leur est d'ailleurs reconnue par la plupart des législations européennes » (Royaume-Uni, Suède, Portugal).
La CEDH ne dit rien quant à une « Class action » qui serait exercée par une autre entité au nom de consommateurs inconnus.
4. La « Class action » au regard du Droit communautaire
La commission européenne prépare une directive autorisant l'action de groupe (class action) dans tous les pays de l'UE mais limitée semble-t-il au droit de la concurrence (entrave à la libre-concurrence, abus de position dominante).
5. Etat de la législation actuelle en Droit interne
Le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, présenté en conseil des ministres le 1er juin 2011, ne comporte nulle trace, en particulier, d’une quelconque « class action à la française ». L'introduction de cette procédure ne semble donc pas d'actualité. Il faut toutefois noter qu'en droit interne, deux actions collectives existent déjà dans ce domaine, même si elles sont très peu utilisées car ne permettent pas d'obtenir réparation d'un préjudice de masse
5.1 L'action en représentation conjointe
Cette procédure, créée en 1992 (article L422-1 du Code de la Consommation) autorise une association de consommateurs à agir au nom de plusieurs consommateurs ayant subi des dommages de même origine, et donc elle a obtenu mandat.
5.2 L'action collective en cessation d'agissement illicites
Cette procédure permet aux associations agrées de défense des consommateurs d'agir devant les tribunaux (article L421-6 du Code de la Consommation) pour demander la réparation de tout préjudice direct ou indirect porté à l'intérêt collectif des consommateurs.
Quel serait dans ce cas l'apport de la directive communautaire ? Un compromis pourrait être trouvé dans la refonte de l'action en représentation conjointe, en lui donnant tous les attributs d'une véritable « class action ».