Jurispilote : Qu’est ce que la finance islamique ?
Par Montoro Sylvain, élève avocat : La finance islamique est une finance qui se veut conforme aux principes religieux de l’Islam définis dans la charia [1] (الـشَّـرِيعَـة). Elle a fait son apparition dans le monde de la finance dans la seconde moitié du XXème siècle et n’a cessé de prendre de l’importance dans le monde des affaires. En 2010, le volume mondial des montages financiers conforme à la charia représentait mille milliards de dollars. L’enjeu économique est donc énorme pour les places financières qui souhaitent capter ces investissements. La place Londonienne s’est d’ailleurs rendue très tôt attractive dans ce secteur porteur.
La finance islamique repose d’une part sur la prohibition de certaines opérations et d’autre part, l’interdiction d’investir dans des domaines spécifiques. Synthétiquement, l’Islam prohibe les opérations faisant appel à l’intérêt (ribâ : ريبة), au hasard (maysir :ميسير ) ou encore à la spéculation (gharar : غرار ). S’agissant des domaines où l’investissement est interdit on peut notamment citer le secteur des jeux de hasard, les activités en relation avec les spiritueux ou encore le secteur de l’armement.
La finance islamique n’est d’ailleurs pas le seul modèle financier basé sur une idéologie. Par exemple, il existe également l’Investissement Social Responsable (ISR) qui est apparu dans les années 70 au sein de l’Eglise méthodiste prohibant l’investissement dans le secteur de l’armement.
Jpil : Quel est en France le cadre légal de la finance islamique ?
M.S : A l’ origine, le système juridique français ne se prêtait pas aux montages de la finance islamique et entrainait une double taxation des opérations. A la différence de l’Angleterre qui a adopté très rapidement un cadre permettant des montages financiers conforme à la charia il a fallu attendre une instruction du 25 février 2009(4/FE/09 [2]) complétée par une série de quatre instructions du 23 juillet 2010 (4 FE/S1/10 [3], 4FE/S2/2010 [4], 4FE/S3/2010 [5], 4FE/S4/2010 [6]).
Ces instructions réglementent les modalités d’imposition du profit financier réalisé en fonction des outils utilisés mais aussi les autres règles d’imposition spécifiques à certaines opérations comme par exemple le régime d’imposition des plus values ou encore les règles d’imposition à la contribution économique territoriale et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Jpil : Pouvez-vous brièvement nous présenter ces outils financiers propres à la finance islamique?
M.S : La première grande catégorie des produits financiers conforment à l’Islam concerne la murabaha
(مرابحة). Dans cette opération financière, un vendeur vend au comptant à un financier l’actif qui est ensuite revendu par le financier au client. Le prix de vente au client est alors augmenté de la charge financière et est payable à terme par le client au financier. De la sorte, l’interdiction du prêt à intérêt (ribâ) est respectée. Dans la majorité des cas, il s’agit de murabaha avec ordre d’achat concernant des opérations immobilières mais l’opération peut également porter sur des actifs mobiliers, des titres, des machines ou encore des matières premières. Dans la murabaha avec ordre d’achat le revenu perçu par le financier est fiscalement considéré comme un produit financier de prestation continue exonéré de TVA. Ce revenu est par conséquent étalé sur la durée du différé de paiement.
A côté des murabaha avec ordre d’achat, il existe également les opérations de tawarruq (توارق). Dans ce montage financier, l’objectif du client est d’obtenir des liquidités. Le client achète alors un actif à tempérament pour le revendre directement à un tiers. L’actif n’est jamais de nature immobilière et concerne généralement des matières premières ou des titres. Fiscalement, le revenu perçu par le financier est considéré comme des intérêts et est taxable de façon étalée dans des conditions identiques au murabaha avec ordre d’achat.
Il existe également la murabaha inversée qui n’a pas pour objet de financer un actif mais de rémunérer des liquidités existantes.
La deuxième grande catégorie concerne les obligations islamiques. Il s’agit des sukuk (سكوك) et produits assimilés. Le sukuk est un titre représentant pour son titulaire un titre de créances ou participatif. La rémunération du titre est indexée sur la performance d’actifs détenus par l’émetteur (l’émetteur détenant un droit de copropriété sur ces actifs en cas de défaillance de l’émetteur). Fiscalement, les rémunérations versées aux porteurs des sukuk sont assimilées à des intérêts.
A côté de ces deux grandes catégories on peut citer les opérations d’ijara (إجارة) qui est fiscalement assimilable à une opération de crédit-bail ou à opération avec option d’achat et les opérations d’istisna’a (إستسناء) qui sont considérées par l’administration fiscale comme un contrat d’entreprise.
Bien évidemment, il s’agit là d’une brève présentation des mécanismes de la finance islamique en France. La réalité des opérations est plus complexe et impose l’assistance de professionnels du secteur financier et fiscal.
Nota Bene:
[1] La charia peut se définir très synthétiquement comme la loi canonique de l’Islam.
[2] http://www11.minefi.gouv.fr/boi/boi2009/4fepub/textes/4fe09/4fe09.pdf
[3] http://www11.minefi.gouv.fr/boi/boi2010/4fepub/textes/4fes110/4fes110.pdf
[4] http://www11.minefi.gouv.fr/boi/boi2010/4fepub/textes/4fes210/4fes210.pdf
[5] http://www11.minefi.gouv.fr/boi/boi2010/4fepub/textes/4fes310/4fes310.pdf
[6] http://www11.minefi.gouv.fr/boi/boi2010/4fepub/textes/4fes310/4fes310.pdf