Par Grégoire Le Metayer. Retrouvez cet article sur les site www.jurispilote.fr et http://www.droitdesrh.fr/.
« Inventée » pour sécuriser la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, la rupture conventionnelle est censée faire l’objet de peu de litiges et ainsi participer au désengorgement de la justice. Le traitement des licenciements en France est aujourd’hui fortement contesté avec des délais trop longs, des coûts élevés et une grande incertitude sur le jugement (*1).
La crainte des chefs d’entreprise de se retrouver devant le juge et d’être éventuellement condamné est également un facteur qui peut les inciter à bloquer ou limiter les recrutements (*2). La situation économique actuelle favorise cet état de fait.
C’est donc pour favoriser l’emploi et sécuriser la rupture du contrat de travail que la rupture conventionnelle a été mise en place.
Cette volonté se retrouve à l’article 12 de l’ANI (*3) du 11 janvier 2008 qui prévoyait en général de « privilégier les solutions négociées à l’occasion des ruptures du contrat de travail », et en particulier dans le cadre de la rupture conventionnelle de « sécuriser les conditions dans lesquelles l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie ». De plus, « la recherche de solutions négociées vise, pour les entreprises, à favoriser le recrutement et développer l’emploi tout en améliorant et garantissant les droits des salariés ».
Dans les faits, la rupture conventionnelle a reçu un accueil plutôt positif avec prés de 500.000 demandes d’homologation de conventions de rupture depuis sa création. Mesure phare de la réforme de 2008 portant modernisation du marché du travail, la rupture conventionnelle semble donc être une réussite.
Ce succès est confirmé, symboliquement, par le premier jugement (*4) qui portait sur le refus d’homologation du DDTEFP (*5). De plus, le nombre de contestations est globalement faible.
Cela peut s’expliquer par trois raisons :
• La rupture conventionnelle est une voie relativement sûre comme le souhaitait la réforme.
• Un salarié ayant négocié une telle rupture sera moins enclin à la remettre en cause qu’un licenciement qu’il subit.
• Les avantages concédés font de cette rupture une « rupture intéressante », aussi bien pour l’employeur que pour le salarié.
La sécurité recherchée s’entend bien sûr d’une sécurité juridique : il s’agit d’avoir un minimum de contentieux. Pour parvenir à ce résultat, deux moyens ont été mis en œuvre.
1) L’homologation par l’UT-DIRECCTE (*6) (art. L. 1237-14 du Code du travail)
Ce contrôle a priori diminue le risque de contestation. La difficulté qui se posait était alors de permettre au salarié de pouvoir contester la convention, sans forcément remettre en cause la légalité de l’homologation (c’est-à-dire sans faire intervenir le juge administratif).
Heureusement, la loi prévoit la compétence exclusive des conseils des prud’hommes sur les litiges concernant la convention, l’homologation, ou le refus d’homologation (art. L. 1237-14 alinéa 4). Ainsi, « l’homologation ne peut faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la convention ».
2) Un délai de contestation réduit
Il est impossible d’introduire un recours au-delà d’un délai de 12 mois à compter de l’homologation (et non à partir de la date de la rupture). Ce délai est précisé par l’article L. 1237-14 alinéa 4 du Code du travail qui dispose que «le recours juridictionnel doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention».
Ce délai très court participe donc à « sécuriser » la rupture, même s’il restreint fortement les droits des parties, et notamment des salariés. Ces derniers ayant négocié activement leur rupture, il leur sera d’autant plus « compliqué » (non pas juridiquement mais personnellement comme l’a identifié la sociologue Evelyne SERVERIN (*7)) de contester un document dont ils sont en partie à l’origine.
Cependant, la possibilité d’un contentieux ne peut être totalement exclue.
La rupture conventionnelle peut être remise en cause par la juridiction prud’homale pour vice du consentement (erreur, dol et violence) ou fraude.
Ainsi, le conseil des prud’hommes de Bobigny (*8) a annulé une rupture conventionnelle pour vice du consentement. En l’espèce, de nombreux points de procédure n’avaient pas été respectés :
• La convention avait été antidatée, ne laissant pas au salarié la possibilité de se rétracter.
• La date de rupture était antérieure à la date d’homologation.
• Le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle était inférieur au minimum légal.
Les conseillers prud’homaux pouvaient donc aisément se contenter de constater la nullité de la rupture.
Cette décision est particulièrement intéressante car, malgré ces nombreuses irrégularités, le conseil des prud’hommes a retenu que «l’existence d’un différend entre les parties sur la rupture du contrat fait obstacle à la conclusion d’une convention de rupture». Il en a alors déduit que «la rupture du contrat de travail n’était pas intervenue d’un commun accord» et qu’elle était donc «entachée d’un vice du consentement».
Ce ne sont donc pas les irrégularités qui sont la cause principale de l’annulation de la rupture, mais bien l’absence d’accord des parties. Un contrôle rigoureux est effectué par les conseils des prud’hommes sur ce point. Employée correctement, la rupture conventionnelle est donc une rupture « sécurisée » (même si le « risque zéro » n’existe pas), comme l’ont voulu les partenaires sociaux.
Cependant, malgré son succès croissant, la rupture conventionnelle n’a pas vocation à devenir le seul mode de rupture du contrat de travail. Le résultat pourrait être une utilisation moins fréquente du licenciement et de la démission.
La rupture conventionnelle servirait donc de « variable d’ajustement » entre licenciement et démission. Elle permet à l’employeur et au salarié d’avoir une troisième voie ouverte pour mettre fin à la relation contractuelle qui les unit.
Sa pérennité et son avenir dépendront toutefois de la jurisprudence que finira par fixer la Chambre sociale de la Cour de cassation. Si les contraintes imposées sont trop grandes, il ne sera pas surprenant qu’elle soit progressivement abandonnée.
Nota Bene:
(*1) : La procédure de rupture conventionnelle ou « divorce à l’amiable » du Droit social
(*2) : Livre Blanc de l’Ordre des Experts-comptables remis au gouvernement à l’occasion du Congrès de Toulouse d’octobre 2006 consacré au social. La complexité de la procédure de rupture du contrat de travail constitue, selon eux, un réel frein à l’embauche dans les TPE/PME où l’employeur assimile systématiquement rupture du contrat avec contentieux et prise de risque financier
(*3) : Accord National Interprofessionnel
(*4) : Conseil des prud’hommes de Valence, 14 octobre 2008
(*5) : Direction Départementale du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle
(*6) : Unité Territoriale de la Direction Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi
(*7) : « Quels droits pour quel risque contentieux ? », Revue de droit du travail 2009, n°4
(*8) : Conseil des prud’hommes de Bobigny, 6 avril 2010