Historiquement, la société représente la reine des techniques juridiques permettant à l’entrepreneur de protéger son patrimoine personnel en se retranchant derrière l’écran d’une personne morale à laquelle il aura affecté un patrimoine propre.
L’évolution législative récente a pourtant fait un premier pas vers la protection du patrimoine personnel et de l’entrepreneur individuel, en instaurant le mécanisme de la déclaration notariée d’insaisissabilité.
Dans le même esprit, et dans un contexte d’accroissement du nombre d’auto entrepreneurs, le législateur a fait un pas de plus en ce sens, par la loi n°2010-658 du 15 juin 2010, en créant l’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée (E.I.R.L.), qui permet désormais à l’entreteneur individuel de soustraire au droit de gage générale de ses créanciers professionnels une partie de son patrimoine personnel.
Quel est ce nouvel outil juridique ? Quelles conséquences emporte-t-il à l’égard des tiers ? Comment créer une E.I.R.L. ? La présente étude répond à ces questions par des développements à la fois théoriques et pratiques. Seront donc abordés tout d’abord le régime de l’E.I.R.L. (I), puis ses formalités de création (II).
I) Le régime de l’E.I.R.L.
Il convient d’aborder le régime juridique de l’E.I.R.L. (A), avant d’envisager son régime fiscal (B).
A) Le régime juridique
1) La création de l’E.I.R.L. au début de l’activité
Le principe posé par l’article 2285 du Code civil énonce : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ». Cela signifie que l’entrepreneur individuel, lorsqu’il contracte des dettes dans l’exercice de son activité professionnelle, est responsable envers ses créanciers sur l’intégralité de ses biens, qui serviront le cas échéant à dédommager ces derniers.
Le mécanisme de l’E.I.R.L. a ceci d’innovant qu’il permet à l’entrepreneur de choisir d’affecter une partie de ses biens et une partie seulement à l’exercice de son activité professionnelle. Il scinde ainsi son patrimoine en deux patrimoines distincts et hermétiques.
Les créanciers professionnels n’auront donc accès qu’au patrimoine affecté à l’E.I.R.L.
Quant aux autres créanciers, dits « personnels », ils n’auront accès quant à eux qu’aux biens qui seront demeurés dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur.
2) La création de l’E.I.R.L. en cours d’activité
Pour des raisons évidentes de sécurité juridique, lorsque l’E.I.R.L. est créée en cours d’activité, la totalité du patrimoine de l’entrepreneur individuel, en ce compris le patrimoine affecté, demeure l’assiette du droit de gage général des créanciers.
En effet, on conçoit mal un organisme bancaire, un fournisseur, ou encore un client, donner sa confiance à l’entrepreneur, au risque de voir ses garanties fortement réduites lorsque ce denier décidera que son fonds de commerce par exemple, échappera dorénavant à tout recours de leur part.
La loi prévoit cependant un moyen de soustraire le patrimoine affecté aux poursuites des créanciers antérieurs. Dès lors, afin de rendre opposable la déclaration d’affectation, l’entrepreneur devra informer individuellement les créanciers antérieurs.
Ces derniers auront à leur tour la possibilité de contester cette opposabilité.En telle hypothèse, une décision de justice viendra décider si l’opposition du créancier est acceptée ou non.
B) Le régime fiscal
Le régime fiscal de l’E.I.R.L. reprend celui de l’Entreprise Unilatérale à Responsabilité Limitée (E.U.R.L.), qui, rappelons-le, est la forme unipersonnelle de la Société A Responsabilité Limitée (S.A.R.L.).
Le créateur de l’EIRL bénéficie donc d’une option quant au choix de son régime fiscal. Il optera pour le régime de l’impôt sur le revenu ou celui de l’impôt sur les sociétés :
1) Le régime de l’impôt sur le revenu
Le bénéfice fiscal réalisé par l’E.I.R.L. est alors imposable selon les règles applicables à la catégorie des revenus correspondant à la nature de l’activité exercée (BIC, BNC, revenus agricoles, revenus fonciers ou plus-values immobilières par exemple). Ce régime est donc le même que pour un entrepreneur individuel qui n’aura pas créée d’E.I.R.L.
2) Le régime de l’impôt sur les sociétés
Ce régime s'applique lorsque l’entrepreneur choisit d’être assimilé fiscalement à une E.U.R.L., ce qui emporte l’adhésion au régime de l'impôt sur les sociétés. Cette option est irrévocable.
Le bénéfice réalisé par l'EIRL est alors taxé dans les mêmes conditions que l'EURL ayant opté pour l'impôt sur les sociétés.
Vous serez taxé à 15 % jusqu’à 38.120 euros de bénéfice et à 33,33 % au-delà de ce plafond.
Il est conseillé d’adhérer à un centre de gestion agréé ou à une association agréée afin de bénéficier de la prescription de contrôle fiscal abrégée de 2 ans.
On précisera que l’auto entrepreneur ne peut pas opter pour l’impôt sur les sociétés car il relève du régime fiscal de la micro entreprise.
II) Les formalités de création de l’E.I.R.L.
Afin de créer une E.I.R.L., il faut d’abord déterminer le contenu du patrimoine d’affection (A), puis procéder aux formalités de déclaration (B).
A) Le contenu du patrimoine affecté
1) Le patrimoine affecté
Le patrimoine affecté comporte les biens, droits et obligations ou suretés qui sont nécessaires à l’activité professionnelle de l’entrepreneur.
Tel sera le cas du fonds de commerce, ou encore du matériel et des outils de production de votre activité.
Les biens à usages mixtes sont également autorisés.
A l’inverse, les biens à usage personnel, qui ne sont en aucune façon nécessaires ou utiles à l’activité professionnelle, ne peuvent pas être affectés.
2) Le cas de biens particuliers
Certains biens seront soumis à des formalités supplémentaires, il s’agit :
- des biens immobiliers, qui sont affectés par l’intermédiaire d’un notaire et soumis à la publicité foncière.
- Des biens d’une valeur supérieure à 30.000 euros, qui doivent faire l’objet d’une évaluation par un commissaire aux comptes, un expert-comptable, une association de gestion et de comptabilité ou bien un notaire.
- des biens communs ou indivis, qui requièrent l’accord préalable du conjoint (pour un bien commun) ou des co-indivisaires (pour un bien indivis).
B) La déclaration d’affectation
1) L’enregistrement de la déclaration
La déclaration est à adresser à votre Centre de Formalité des Entreprises (C.F.E.), qui la transmettra selon le cas :
- au répertoire des métiers auquel vous êtes immatriculé, si vous exercez une activité artisanale,
- au registre de votre choix, si vous êtes immatriculé à la fois au registre du commerce et des sociétés et au répertoire des métiers,
- au registre spécial des agents commerciaux auquel vous êtes immatriculé, si vous êtes agent commercial,
- au registre spécial des E.I.R.L., tenu au greffe du tribunal statuant en matière commerciale du lieu de votre principal établissement, si vous n’êtes pas tenu de vous immatriculer à un registre de publicité légale (c’est-à-dire si vous exercez une activité libérale ou si vous êtes auto-entrepreneur dispensé d’immatriculation),
- au registre de l’agriculture de la chambre d’agriculture compétente, si vous êtes exploitant agricole,
- au registre du commerce et des sociétés auquel vous êtes immatriculé, si vous exercez une activité commerciale.
2) La modification de la déclaration
Votre patrimoine affecté aura naturellement vocation à évoluer au gré de votre activité. Ainsi les fruits et produits de votre activité professionnelle entreront dans le patrimoine affecté.
Cependant, en cas d’affectation de nouveaux biens immobiliers, ou d’une valeur supérieure à 30.000 euros ou encore de biens communs ou indivis, il faudra déposer une déclaration modificative au lieu de dépôt de la déclaration d'affectation.