En 2007, le mandat de protection était apparu comme une innovation théoriquement intéressante qui devait enfin désengorger les cabinets des juges des tutelles. En prévoyant nous-mêmes de manière anticipée notre propre dépendance grâce à ce fameux mandat, nous n’aurions plus affaire au juge ou en tout cas dans de moindres proportions que celles prévues par les mesures judiciaires classiques de tutelle ou curatelle.
Le mandat de protection est un échec à ce jour. Soit parce qu’il n’y a pas eu suffisamment d’anticipation (la personne étant trop altérée pour conclure un tel mandat), soit parce que la nécessaire entente familiale n’existe pas ou s’effrite immédiatement à l’évocation d’une gestion patrimoniale par un membre de la famille.
En 2015, l’habilitation familiale est venue compléter le dispositif des mesures en place en proposant un nouvel outil à l’attention uniquement des familles.
A la différence du mandat de protection future, la procédure d’habilitation familiale passe obligatoirement par une requête devant le juge des tutelles. Celui-ci vérifie que les conditions liées à l’entente familiale et l’existence d’un membre de la famille pour exercer la mesure sont bien réunies.
En contrepartie, celui qui exerce l’habilitation voit sa gestion allégée et moins contrôlée par le juge des tutelles qui le dispense par exemple d’établir des comptes de gestion.
Le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 s’inscrit dans ce mouvement de fond de déjudiciariser les mesures de protection.
Les articles 8, 15 et 16 du projet visent à l’assouplissement de la mesure d’habilitation familiale ainsi qu’à la déjudiciarisation du contrôle des actes de gestion.
En clair, cela signifie que chaque fois qu’un professionel interviendra dans la gestion et le contrôle d’actes de gestion du majeur protégé, le juge n’aura pas à intervenir ou autoriser cet acte. Le juge ne devrait concentrer son action que sur les situations de conflits d’intérêts.
S’agissant tout d’abord du partage successoral, le partage amiable pourra être décidé par le tuteur sans autorisation du juge. Celui-ci n’autorisera ce partage qu’en cas de conflit d’intérêts entre la personne protégée et son protecteur, comme le prévoit l’article 8 du projet de loi.
En revanche, l’état liquidatif demeure soumis à l’autorisation du juge des tutelles. Ce n’est qu’une fois cet état liquidatif approuvé, que le tuteur retrouvera la liberté de décider seul du partage amiable sauf conflit d’intérêts avec la personne protégée.
L’option successorale sort également du champ de compétence du juge des tutelles.
Trois types d’option s’offrent au tuteur en matière successorale :
- L’acceptation pure et simple, soumise à l’accord du juge
- L’acceptation à concurrence de l’actif net, acte d’administration ne nécessitant pas l’accord du juge des tutelles ;
- La renonciation à succession, soumise à l’accord du juge des tutelles.
Le projet de loi autorise désormais le tuteur à accepter purement et simplement une succession sans autorisation du juge des tutelles, dès lors que l’actif dépasse manifestement le passif, après recueil d’une attestation du notaire chargé du règlement de la succession.
C’est donc le notaire qui substitue le juge des tutelles pour délivrer, sous sa responsabilité, l’autorisation d’accepter la succession au tuteur.
Enfin, le projet prévoit de nouvelles dispositions applicables à la conclusion au nom de la personne protégée d’un contrat de gestion de portefeuille de valeurs mobilières ou d’instruments financiers.
Le tuteur peut seul signer ce contrat, sauf les cas où un conseil de famille est constitué. Cette prérogative du conseil de famille s’explique aisément par le souci du législateur d’associer les proches composant cet organe tutélaire à la décision du tuteur.
Outre l’assouplissement dans l’accomplissement des actes de gestion par le tuteur, le projet de loi envisage de nouvelles modalités concernant le contrôle des comptes du majeur protégé, son budget et l’inventaire de ses biens.
Le tuteur est seul responsable du budget et de son actualisation
Depuis la loi du 16 février 2015, le tuteur est seul responsable de l’élaboration du budget. Le juge n’a donc plus vocation à l’autoriser. Le projet va plus loin et impose désormais au tuteur d’actualiser son budget comme il le fait pour son inventaire ;
Une sanction complémentaire en cas d’absence d’inventaire
S’agissant de l’inventaire, le projet de loi prévoit une sanction nouvelle en cas de non-remise de l’inventaire dans le délai de trois mois de l’ouverture de la mesure. Le juge peut alors « désigner un technicien pour y procéder aux frais du tuteur, sans préjudice de l’application des dispositions de l’article 417 » (nouvel art. 503 du Code Civil, in fine). Le manquement du tuteur doit bien entendu être caractérisé. Mais ces dispositions, comme celles de l’article 417 prévoyant une amende civile, ne sont pas applicables aux patrimoines importants ou comportant une dimension internationale. Le tuteur peut déposer dans les trois mois un inventaire qu’il devra qualifier de provisoire sans encourir l’une ou l’autre de ces sanctions ;
Le juge devra veiller enfin à ce que la rémunération du technicien désigné soit encadrée et harmonisée. Les commissaires priseurs et les notaires ont des tarifications qui permettent de veiller à cette modalité.
Un contrôle des comptes a priori confié aux organes de protection ou à défaut à un professionnel
L’allègement du contrôle des comptes de gestion est certainement l’innovation majeure du projet : le greffier en chef n’aura plus la charge d’approuver les comptes en fin d’année ou en fin de mandat. Ils seront désormais vérifiés et approuvés, chaque année et à la fin de la mission du mandataire, par le subrogé tuteur, lorsqu’il en a été nommé un, ou à défaut, par le conseil de famille lorsque ce dernier a désigné un mandataire judiciaire à la protection des majeurs comme tuteur.
Lorsque plusieurs personnes ont été désignées pour exercer conjointement la mesure aux biens (cotutelle, cocuratelle renforcée, désignation d’un tuteur adjoint pour la gestion de certains biens), le compte annuel et le compte final de gestion devront être signés par chacune d’elles, ce qui vaut approbation.
Ce n’est qu’en cas de difficulté et à la requête d’une des personnes en charge de la mesure de protection que le juge interviendra pour statuer sur la conformité ou non des comptes.
Le projet reprend ici de façon pragmatique la tendance actuelle des juges de prévoir une gestion conjointe de la mesure ou la désignation d’un subrogé.
Ainsi, l’articulation entre la priorité familiale et le souci d’éviter les conflits d’intérêts ou familiaux, conduisent souvent le juge des tutelles à désigner un protecteur familial et un subrogé professionnel. Le subrogé dont la mission principale est de contrôler les comptes se substitue d’ores et déjà au greffier en chef, surtout s’il est professionnel et allège considérablement sa mission.
De même, la cogestion (cotutelle, co-curatelle) offre une souplesse dans l’exercice de la mesure puisque les cotuteurs ou co-curateurs peuvent utilement se répartir les tâches mais aussi se contrôler mutuellement.
Le juge des tutelles devra donc désigner, chaque fois que cela est possible, un co-protecteur et/ou un subrogé.
En l’absence de désignation d’un subrogé ou d’un co-protecteur parce que le cas d’espèce ne le permet pas, le projet prévoit que le juge, dès réception de l’inventaire et du budget prévisionnel, désigne une personne qualifiée chargée de la vérification et de l’approbation des comptes dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. Ce professionnel remplacera ainsi le technicien prévu par les dispositions de l’actuel article 513 du Code Civil. Ce professionnel pourra, au même titre qu’un tuteur ou un curateur, se faire communiquer des établissements auprès desquels un ou plusieurs comptes sont ouverts au nom de la personne protégée un relevé annuel de ceux-ci, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou le secret bancaire.
En prévoyant un système de contrôle a priori des comptes, le projet évite ainsi un contrôle a posteriori trop lourd ou parfois inexistant. L’idée sous-jacente est de prévoir un contrôle quasi permanent des comptes tout au long de l’exercice de la mesure et non simplement une fois par an, à l’instar de ce qui est en place pour l’actualisation de l’inventaire ou de ce que prévoit le projet sur l’actualisation du budget.
Le projet de loi devrait être adopté à l’automne 2018.